Prologue
ROMÉO
Mission : Venir en aide aux adolescentes fragiles.
But : Les libérer.
Outil : La séduction.
Principe : Ne pas les faire souffrir.
Règle ultime : Ne surtout pas tomber amoureux.
Voilà autour de quoi tourne mon monde ces quatre dernières années. Sur huit missions, aucune n'a échoué. Mon métier est un moyen de me sentir utile, une activité enrichissante, qui n'apporte que du bien. Officiellement, je suis garde du corps, le métier « d'agent séduction » ayant été inventé de toutes pièces par ma petite personne. J'ai créé ma propre entreprise qui compte une seule employée : Barbara, ma grande sœur et mon acolyte. Je ne serais pas arrivé jusqu'ici sans sa présence, ses connaissances et son professionnalisme. Intérieurement, je la remercie tous les jours d'avoir délaissé ses études – peu épanouissantes – pour se lancer dans cette folle aventure avec moi. Évidemment, mon ego prend bien trop de place pour que je prononce ces remerciements à voix haute.
Sans aucun diplôme, je parviens donc à gagner ma vie avec mon plus gros atout : la séduction.
Comment la séduction peut-elle être un outil ? Ce n'est pas évident à comprendre mais, une fois qu'on la maîtrise, c'est très efficace. La séduction est un art qui demande une véritable écoute et une certaine capacité à cerner la personne en face de soi. Un sourire charmeur et des fossettes irrésistibles ne suffisent pas. Pour réellement séduire, il faut arriver à déceler les faiblesses de l'autre, ses aspirations, ses envies, ses doutes, et se conformer à son idéal. Je ne parle pas d'idéal amoureux – en tout cas pas en ce qui me concerne – mais d'un super-héros capable de déceler exactement ce dont cette cible a besoin. Son super-héros personnel qu'elle-même ne saurait pas décrire. Celui que seul le séducteur invétéré réussit à construire.
Mais la séduction est à double tranchant. Sombrer du côté obscur de la force une fois la cible mise à nu est tentant. Une parole, un geste s'appuyant sur ses peurs pourraient suffire à la détruire. J'ai décidé d'emprunter un autre chemin et de rester dans la lumière. Si je veux connaître les peurs d'une de mes cibles, c'est simplement pour pouvoir les atténuer. Si je veux me métamorphoser en son prince charmant, c'est pour être sûr de la toucher un maximum et gagner toute sa confiance. Ainsi, elle me croira quand je la revaloriserai. Elle me croira quand je lui dirai que la vie vaut la peine d'être vécue. Que se contenter de survivre n'est pas digne d'elle, qu'elle mérite d'être heureuse, peu importe le poids de son passé. Elle s'attachera à moi, mais elle s'attachera davantage à son bonheur. Et elle me croira quand, au moment de la quitter, je lui dirai qu'elle est libre, indépendante, et que je n'étais que de passage dans sa vie. Alors, je la serrerai une dernière fois dans mes bras, puis je passerai à ma mission suivante.
Ça peut paraître tordu, mais étonnamment, ça marche. La relation basée sur l'affection que je crée avec mes cibles leur donne l'impulsion dont elles ont besoin. Mais c'est là qu'est le piège : savoir rester sur le chemin de l'affection sans basculer dans le fossé de l'amour. Jusqu'ici, j'ai plusieurs fois tourné autour mais je ne suis jamais tombé dedans. Cette activité est rapidement devenue ma raison de vivre, ma seule motivation pour me lever tous les matins. C'est la seule chose qui me fait penser que j'ai de la valeur dans ce monde.
Voilà pourquoi la proposition de la femme en face de moi est comme une attaque à mon métier et à mes principes – principes auxquels je tiens particulièrement. Quand j'ai eu cette Mme Guillier au téléphone et qu'elle n'a voulu me donner aucune information, je me suis douté qu'il s'agissait d'une vaste blague. « Je préfère tout vous expliquer en face », m'a-t-elle dit. Elle avait surtout peur que je refuse directement. C'est pour ça que je n'ai pas voulu que Barbara m'accompagne à ce rendez-vous, à cause de mes suspicions concernant les motivations de cette nouvelle cliente. Ma sœur est plus conciliante que moi et elle est donc plus susceptible de se faire avoir par de jolis mots bien choisis.
— Vous êtes-vous un minimum renseignée sur mon champ d'action, madame Guillier ?
— Bien sûr. Écoutez, je sais que le cas de ma fille est loin d'être extrême...
C'est le moins qu'on puisse dire.
— Je suis très admirative de ce que vous avez accompli auprès de ces adolescentes. La façon dont vous procédez pour les aider sans qu'elles ne subissent aucun chagrin d'amour... Je voudrais que vous fassiez pareil avec Héloïse.
Je soupire. Je n'ai encore jamais refusé une proposition, mais ce que me demande cette femme est impossible. J'use de mes talents de séduction sur des adolescentes souffrant d'un choc émotionnel. Rosie, la dernière, était en plein stress post-traumatique suite à l'accident de ses parents auquel elle avait assisté. Elle ne cherchait pas l'amour, juste le bonheur. Le cas de toutes les autres était similaire. Pour tomber amoureuses de moi, il aurait fallu qu'elles aillent mieux. Et justement, je m'en vais quand elles vont mieux, avant que le véritable sentiment de l'amour ne naisse entre nous. Elles sont tristes, évidemment, mais je les quitte de façon douce. Elles s'en remettent toujours, puisqu'elles sont bien plus heureuses qu'à mon arrivée.
En revanche, je ne saurais pas comment m'y prendre avec cette Héloïse. Mon job n'est pas de remettre dans le droit chemin des filles à papa en pleine crise d'adolescence. Si cette Héloïse n'est pas fragilisée émotionnellement, ne présente pas la moindre trace de traumatisme, accepter cette mission est risqué et contraire aux règles de base. À côté de ça, il n'y a qu'à regarder l'appartement dans lequel je me trouve pour avoir une idée du prix que cette dame est prête à payer pour sa fille chérie. Il faut l'admettre, c'est tentant.
— Je comprends votre hésitation, Roméo, insiste Mme Guillier. Mais Héloïse ne va pas bien. Elle a toujours été sarcastique et moqueuse au quotidien, mais ce n'était pas pour cacher un mal-être intérieur, comme maintenant. Elle rêvait il y a encore un an de faire des études de journalisme, mais je ne l'ai quasiment pas vue étudier depuis sa rentrée en terminale. Elle sort sans arrêt sans demander la permission et quand je veux lui parler, elle se braque et m'envoie paître.
― Vous ne pensez pas qu'elle se comporte tout simplement comme les jeunes filles de son âge ?
— Si Héloïse fonctionnait comme les autres, ça se saurait. Je voudrais que vous l'aidiez, s'il vous plaît. Je suis prête à vous fournir tout ce dont vous avez besoin. Elle a même coupé les ponts avec sa meilleure amie qu'elle connaît depuis l'enfance...
La moue désespérée de mon interlocutrice est en train de me faire flancher. Je n'arrive pas à croire que je me laisse convaincre. Moi qui me croyais plus inflexible que Barbara...
— Je sais que vous n'avez pas achevé vos études, continue Mme Guillier d'une voix douce. Ce serait pour vous l'occasion d'étudier dans un excellent lycée privé, et je pourrais faire en sorte que des professeurs vous prennent en charge et vous aident à décrocher votre baccalauréat.
— Je m'en sors très bien sans diplôme, je réponds froidement.
— Je m'en rends compte. Mais un jour viendra où vous ne pourrez plus exercer ce métier, il vous faudra un plan de secours. J'assurerai tous les frais de votre scolarité et je vous logerai dans un appartement de fonction, en plus du salaire hebdomadaire.
Aussi buté que je puisse être, je suis obligé d'avouer qu'elle n'a pas tort sur ce point. La suite de ma carrière est un sujet sensible, tout simplement parce qu'au fond de moi je sais que je ne pourrai pas toujours être agent séduction. Mais est-ce qu'aujourd'hui, à vingt ans, j'ai envie de me retrouver dans un lycée huppé grouillant de gosses de riches insupportables, juste pour séduire une fille rebelle ? Il faut dire que les avantages sont tentants, et ils sont plus nombreux que les inconvénients.
— Donc si j'accepte, je devrai simplement la remettre dans le droit chemin, et ensuite je serai libre ?
Le regard de Mme Guillier s'éclaire quand elle comprend que je suis en train d'accepter.
— Oui, je ne vous en demande pas plus. Je sais que la vraie Héloïse sommeille en elle. Il suffit de la réveiller.
— Il faudra aussi que ma sœur, Barbara, loge avec moi et m'accompagne en cours, selon ce que nous déciderons. Elle est mon acolyte sur toutes les missions.
— Je l'avais noté. C'est bon pour elle aussi.
Je me lève, lisse ma chemise et tends la main au-dessus du bureau.
— Très bien, dans ce cas nous avons un accord.
Ma nouvelle boss me serre la main, un sourire lumineux aux lèvres.
— Oh, et Roméo ! Cela me paraît évident, mais... ne lui brisez pas le cœur.
Je souris d'un air confiant.
— Ne vous en faites pas pour ça, c'est ma règle d'or. Personne ne tombe amoureux.
•
HEY !
Ça y est, vous avez les premiers mots en avant-première du roman qui sort en janvier !
Je sais que ce prologue n'est pas bien palpitant pour ceux qui ont déjà lu le prequel et qui connaissaient déjà toutes les infos concernant le métier de Roméo. C'est pourquoi j'ai décidé de vous poster le premier chapitre demain, histoire de vous remercier de votre soutien depuis le début du mois !
Donc je n'ai pas menti... vous ferez bien la connaissance d'Héloïse ce week-end ;)
Sinon, comment avez-vous perçu ce prologue ? Vous auriez accepté cette mission à la place de Roméo ?
Plein de bisous (et à demain !),
Laurène
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