Étape 1 : Signer un contrat
Une mission : venir en aide aux adolescentes fragiles.
But : Les libérer.
Outil : La séduction.
Principe : Ne pas les faire souffrir.
Règle ultime : Ne surtout pas tomber amoureux.
Je me remémore ces règles et les répète mentalement, comme une sorte de mantra, tandis que Barbara et moi approchons de la maison de ma prochaine cible. Une petite maison à Lagny-sur-Marne dans un quartier relativement calme, qui abrite une jeune fille en plein deuil – et stress post-traumatique, en prime. Ma cible, c'est elle.
Je suis agent en séduction depuis mes seize ans. Non, ce n'est pas un métier officiel et vous avez raison, les gamins répondent rarement « agent en séduction » quand on leur demande à l'école ce qu'ils veulent faire plus tard. C'est une profession que j'ai totalement imaginée, et qui s'avère être très gratifiante. C'est en tout cas la plus gratifiante pour moi.
Aux yeux de l'État, je suis garde du corps. J'ai créé ma petite entreprise avec l'aide de ma grande sœur, Barbara, qui avait quelques bases grâce à sa première année en DUT de commerce. Bien que fébriles, ces bases nous ont aidés à nous lancer, et il se trouve que Barbara est ce genre de personne qui apprend bien mieux sur le terrain que derrière un bureau. Ne supportant plus les études, elle a décidé de se lancer avec moi dans cette folle aventure, trouvant mes motivations et le concept nobles. Depuis, nous travaillons en collaboration sur chaque mission, et ce depuis quatre ans.
En quoi mon métier consiste, exactement ? Aider les adolescentes qui, à cause des mauvaises farces de la vie, se retrouvent à survivre. J'ai bien dit survivre, et non vivre ; là est la clef pour comprendre mon univers.
L'adolescence est une période qui peut s'avérer très difficile. On change, autant d'un point de vue physique que mental, et on doit apprendre à s'accepter et à se forger dans un environnement presque uniquement constitué de jugements et de stéréotypes. C'est pourquoi les adolescents peuvent devenir très vulnérables. Les amours, les amitiés, les flirts, la pression de l'avenir, ce sont des choses que chaque adulte a traversées, et qui déterminent en partie une personne. C'est indéniable, l'adolescence a eu un impact sur nous tous, et la façon dont on se construit durant cette période influencera forcément le restant de nos jours.
En clair, l'adolescence n'est déjà pas une passe facile. Mais cette phase de vulnérabilité peut frôler l'enfer à cause d'événements venant la fragiliser davantage. L'adolescent ne sait alors plus où se placer, qui il devient, si bien qu'il finit par perdre tout objectif. L'adolescent paumé n'est pas un mythe, et si on passait moins de temps à le juger on comprendrait qu'il existe de multiples moyens pour le guider.
C'est là que j'interviens. Quand l'adolescent – dans mon cas, l'adolescente – n'a plus de repères au point de se perdre lui-même, jusqu'à sombrer dans le malheur. Les sept jeunes filles que j'ai aidées étaient toutes émotionnellement fragiles. La cinquième mission était particulièrement délicate ; Victoria, seize ans, avait subi des attouchements sexuels de la part d'un de ses camarades de classe quelques mois auparavant. J'ai plusieurs fois douté de mes capacités, j'ai pensé atteindre ma limite avec cette mission. Pourtant, les résultats étaient là. Cette agression la marquera jusqu'à la fin de sa vie, jamais elle ne pourra l'oublier, mais à mon départ, elle était prête à vivre avec cet abominable souvenir. Elle s'était enfin ouverte au monde extérieur et à son avenir, refusait de partir vaincue. Elle avait enfin pris la décision de se reconstruire.
Les moyens pour soutenir les adolescents sont nombreux. Mon moyen à moi, c'est la séduction. Je ne parle pas de drague de rue à coups de phrases toutes faites, mais de la séduction, la vraie, méthode bien plus subtile et difficile à manier. Ma séduction à moi est basée sur une profonde affection. Elle me permet de créer une certaine affinité, une complicité avec la cible, et ainsi de gagner sa confiance et son écoute. Écouter, c'est un concept compliqué pour les adolescents ; considérer, encore plus. Mais j'ai bien parlé d'affection, et non pas d'amour. J'essaie aussi d'éloigner toute forme de désir sexuel, ce qui n'est généralement pas un souci puisque le sexe est rarement une priorité pour des jeunes filles traversant des périodes aussi difficiles. Encore moins pour Victoria, la question ne s'était même pas posée.
Tomber amoureux, voilà le plus grand danger de mes missions. J'ai pu me rendre compte qu'il n'existe pas qu'un pas entre l'amitié et l'amour, mais plutôt un sacré fossé. Je séduis mes cibles, en ce sens elles ne sont pas mes amies, mais elles ne tombent pas amoureuses de moi. Cela est possible principalement parce qu'elles ne pas peuvent aimer quelqu'un tant qu'elles ne s'aiment pas elles-mêmes, et tant qu'elles ne sont pas heureuses.
Comme je m'en vais justement quand elles sont sur le point de devenir heureuses, il n'est jamais question d'amour.
Nous arrivons sous le porche, cette habituelle boule d'anxiété grossissant dans mon ventre. Je regarde Barbara, mon éternel acolyte et plus solide pilier. Elle me sourit sereinement.
— Prêt ?
— Et toi ?
La question ne se pose pas, en vérité, parce que la réponse ne change rien à la donne.
J'enfonce mon doigt dans la sonnette, adoptant mon air sérieux et professionnel. Notre âge peut parfois nous faire perdre en crédibilité, sans compter que Barbara et moi paraissons souvent plus jeunes aux yeux des autres. Tous deux dans la vingtaine, on nous prend parfois pour des adolescents – ce qui peut aussi s'avérer pratique dans certaines missions où justement j'endosse ce rôle. Mais devant les adultes proches de nos cibles, et donc nos employeurs, il est essentiel de montrer qu'on sait ce qu'on fait, et que l'âge n'a rien à voir avec le professionnalisme.
C'est une femme aux cheveux roux qui nous ouvre. Kira, la tante de Rosie, celle qui m'a contacté pour cette mission. Elle paraissait un peu stressée au téléphone, et elle n'a pas l'air plus rassurée maintenant. Elle triture nerveusement les manches de son pull en nous regardant tour à tour, Barbara et moi. Je peux sentir ses doutes d'ici.
Je me suis toujours demandé quel était le sentiment de ces parents, ces oncles, ces tantes, ces frères et sœurs qui me laissaient la charge de la prunelle de leurs yeux. Ils n'ont aucune emprise sur ce qu'il se passe entre elles et moi, ils sont obligés de croire en ma bonté d'âme et de me faire confiance. Mais plus les missions avancent, moins je fais face à ces attitudes sceptiques, puisque personne n'a été déçu jusqu'ici. Comme ma profession fonctionne principalement grâce au bouche à oreille, il n'y a en général que le meilleur de mes missions qui en ressort.
Kira est jeune, je ne suis même pas sûr qu'elle ait atteint la trentaine. Elle a dû se retrouver avec la garde de sa nièce sur les bras sans y être préparée, en plus du deuil de son frère à gérer. Les deux parents de Rosie sont morts dans un accident de voiture. Rosie était présente à l'arrière. Elle s'en est sortie, mais pas eux.
— Bonjour, lancé-je doucement à Kira, par peur de la brusquer.
Barbara lui adresse un sourire éclatant, et il me semble que les épaules de Kira se détendent quelque peu. Je salue, et Barbara sourit, un rituel qui fonctionne plutôt bien. Elle complète chaque dimension qui n'est pas innée chez moi : la convivialité, la bonne humeur, l'inspiration de la sympathie, et surtout la sociabilité.
— Bonjour, répond Kira, la voix tremblante. Entrez.
Elle ouvre la porte. Barbara ne se départ pas de son sourire, alors que les coins de ma bouche s'efforcent de se relever un minimum.
Il s'agit de la maison d'enfance de Rosie, celle qu'une famille complète faisait vivre il y a encore quelques mois. Celle qui s'est retrouvée bien vide après le tragique accident. Je me demande comment je me sentirais, à la place de Rosie, si je me levais tous les jours dans la maison de mes parents avec pour seule compagnie leurs fantômes. Heureusement que Kira est là aussi. D'après ce que j'ai compris, aucun autre membre de la famille n'était prêt endosser la garde de Rosie.
Ce lieu est habité par plein de souvenirs. Les murs sont tapissés de photos, que je parcours des yeux en me baladant dans le salon. Je découvre l'apparence de Rosie à chaque âge de sa courte vie, de sa naissance à ses seize ans. Elle est très souriante, ce qui a probablement changé depuis la perte de ses parents.
— J'ai demandé à Rosie si elle voulait que j'en retire, au moins une partie. Mais elle n'a pas voulu, nous apprend Kira, qui reste en retrait sur le seuil de la porte.
Je peux comprendre. Ces photos lui rappellent qu'elle a été heureuse, à un moment donné. Que leur vie de famille ne se résume pas à un accident de voiture. Les humains, dirigés par leur culpabilité et leurs remords, ont tendance à ne se rappeler que des événements tragiques et non de ce qui a précédé. Tout le bonheur s'envole comme une traînée de poudre sur laquelle on souffle sans même s'en rendre compte.
— Vous voulez un café ?
— Avec plaisir, répond chaleureusement Barbara, qui est plongée dans la même contemplation que moi.
Nous arrêtons de détailler les photos pour nous rendre dans la cuisine. Cette pièce commence à tomber en ruine. Du papier peint est décollé du mur à plusieurs endroits, et je remarque que la porte d'un placard est cassée quand Kira est obligée de la maintenir pour sortir trois tasses. Le mobilier est tellement ancien qu'une chaise craque quand je m'assois dessus.
— Rob et Michelle avaient prévu de remplacer le mobilier avant l'accident, explique Kira. Maintenant, je n'ai pas le temps nécessaire pour faire aboutir ce projet.
Ma gorge se serre quand Kira complète notre petit cercle autour de la table. Elle se laisse tomber sur sa chaise en lâchant un souffle presque inaudible, mais pourtant bel et bien significatif. Son visage fin à l'expression douce respire la jeunesse, mais il est marqué par des traits tirés qui semblent la faire vieillir de quelques années. Elle paraît dépassée par la situation.
À quelques années près, c'est elle que j'aurais pu aider à gérer la perte de son frère ainé.
— À quand remonte l'accident, exactement ? la questionne doucement Barbara.
— Un peu moins de six mois. Rosie, Rob et Michelle se sont fait percuter par un camion pendant leur trajet jusqu'ici, sur l'autoroute la plus proche. Ils revenaient de leurs vacances dans les Vosges, où ils avaient décidé de passer Noël.
Ma gorge se serre. Rosie et Kira ont vraiment dû en baver.
— Rosie est restée un moment à l'hôpital, poursuit Kira, la voix tremblante. Elle avait une jambe et un bras dans le plâtre, en plus d'une commotion cérébrale. Elle s'est vite remise des blessures physiques, en revanche pour ce qui est du mental... On a vite remarqué que ça n'allait pas du tout. Elle refusait de monter dans une voiture, ce qu'on a trouvé normal au début. On a carrément dû l'endormir pour qu'elle puisse rentrer à la maison. Mais quand on a commencé à vivre toutes les deux ici, elle faisait des cauchemars toutes les nuits. Elle est très irritable, elle peut se montrer très dure et parfois elle s'effondre en répétant encore et encore que tout est de sa faute. Elle n'a goût à rien et a de nombreux moments d'absence. Ses amis ont essayé de venir lui rendre visite, mais elle ne veut voir personne. Je crois qu'elle est incapable de confronter les personnes qu'elle côtoyait juste avant l'accident.
Ma main tremble sous la table. J'aurais pu virer comme ça, moi aussi, à une période de ma vie, si je n'avais pas trouvé les missions comme raison de vivre. La culpabilité, ça peut tuer, et elle est en train de ronger Rosie.
Barbara presse ma main et je retiens un soupir. Puis je me reconcentre. Je suis là pour Rosie, je dois évacuer toute distraction extérieure.
— Comment va-t-elle, aujourd'hui ? Est-ce qu'elle a suivi un traitement adapté qui l'a aidée ?
— Oui, elle suit une thérapie d'approche cognitivo-comportementale, stratégie conseillée dans les cas d'état de stress post-traumatique. Ça l'a aidée et ça l'aide encore ; la fréquence de ses cauchemars a diminué mais elle est toujours importante. Les phases de colère sont moins récurrentes, elles aussi, mais elle reste triste et mélancolique. Elle est très honteuse de sa faiblesse et elle s'en veut toujours beaucoup. Je n'arrive pas à lui faire entendre raison sur son innocence concernant cet accident, elle est totalement fermée sur ce sujet. Et elle ne parvient toujours pas à s'aventurer en-dehors du quartier. Depuis trois mois, elle arrive à se rendre à la boulangerie au coin de la rue tous les matins, et aussi chez sa grand-mère qui habite en face – où elle est en ce moment. Pendant longtemps, elle ne pouvait pas sortir de la maison à cause de son angoisse permanente.
— Elle arrive à fréquenter sa grand-mère ? Vous n'avez pas dit qu'elle évitait toute personne qu'elle côtoyait avant l'accident ? Pourtant sa grand-mère devrait bien plus lui rappeler la mort de ses parents que ses amis.
— Sa grand-mère a la maladie d'Alzheimer, elle oublie très souvent l'accident. Elle enfonce un peu Rosie dans son déni, parfois.
Je hoche la tête en tentant d'assimiler toutes ces informations précieuses. Rosie est une adolescente que je suis à même de comprendre, j'en suis sûr, mais ça ne veut pas dire que cette mission sera facile. Rosie est hantée par de vrais démons qui ne sont pas près de s'en aller.
— Rosie va s'en sortir, je le sais, soupire Kira. Mais même si elle travaille sur elle-même et que ses sautes d'humeur cessent, ça ne veut pas dire qu'elle sera heureuse. J'ai le sentiment qu'elle ne le sera pas avant des années, et ce n'est pas une thérapie qui va lui apporter ce bonheur. C'est pour ça que je vous engage. Je sais que vous êtes capable de cibler les besoins d'une adolescente et de combler le vide qui l'habite. J'aimerais que vous fassiez de même avec Rosie.
À la fin de son discours, une larme s'échappe son œil, qu'elle essuie immédiatement. Une boule remonte dans ma gorge alors qu'un poids tombe sur mes épaules.
Je prends les mains de Kira dans les miennes par-dessus la table.
— Je vous promets de tout faire pour libérer votre nièce.
•
HEY !
Ah, je suis super excitée de vous poster ce premier chapitre !
Comment trouvez-vous Roméo au premier abord ? Il fait un peu le beau devant vous mais vous le percerez à jour, vous verrez.
Comment trouvez-vous le principe des missions ?
Hâte de rencontrer Rosie ?
Votez, commentez, je veux tout savoir !
La suite en fin de semaine ;)
Plein de bisous,
Laurène
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