3. La réputation
ROMÉO
Allongé dans le lit de Vanessa, je reprends mon souffle tandis qu'elle promène son index sur mon torse. Faire l'amour a toujours été une bonne distraction pour l'Homme, ce n'est pas un secret. Pourtant aujourd'hui, un orgasme ne semble pas me suffire.
— Tu me passes une clope ?
Vanessa me regarde avec incrédulité.
— Quoi ?
Puisqu'elle ne bouge pas, je me lève et attrape le paquet de cigarettes posé sur la table de nuit. J'en porte une à ma bouche et m'apprête à l'allumer lorsque Vanessa me l'arrache.
— Hé !
— T'avais arrêté, Roméo. C'est trop con.
Je soupire en me frottant le visage.
— C'est bon, juste quelques taffes. Tu ne peux pas me faire la morale, je te rappelle que tu n'as jamais eu la force d'arrêter.
Mes propos heurtent visiblement Vanessa, qui lâche la cigarette. Je m'assène mentalement une claque pour avoir joué à l'abruti avec elle.
— Excuse-moi. Je n'aurais pas dû dire ça. Je suis un peu à cran, en ce moment.
Le corps de Vanessa se détend tandis que j'allume la clope et laisse la nicotine entrer dans mes poumons.
— C'est ta mission ? devine-t-elle.
— Ouais. C'est l'enfer.
Elle se blottit contre mon torse et me serre contre elle.
— Tiens bon. Tu la réussiras, comme toutes les autres.
— Cette Héloïse... Bordel, c'est une vraie chieuse. Avec tout le monde, mais c'est moi qui dois me la coltiner et encaisser ses piques sans broncher.
Je recrache la fumée et la regarde se disperser dans la chambre, sentant toujours cette pression qui pèse sur mes épaules depuis trois jours.
— Peut-être que pour une fois, tu dois accepter le fait que cette mission n'est pas pour toi, et laisser tomber. Tu en auras d'autres.
— Je ne peux pas faire ça, soufflé-je. Même si elle m'insupporte, je dois aider cette fille.
Vanessa dégage tendrement la mèche qui retombe sur mon front.
— Dans ce cas, fais ressortir le meilleur du séducteur qui est en toi pour la démasquer. Après tout, c'est une adolescente, elle fantasme certainement sur le grand amour. Fais-la rêver, montre-lui qu'elle peut être elle-même avec toi, rends-la vulnérable.
— Mais je ne veux pas risquer de la faire souffrir...
— Tu ne la feras pas souffrir, tu es doué. J'ai confiance en toi. Tu vas y arriver.
Je soupire pour la énième fois. Barbara m'a tenu à peu près le même discours hier soir. Contrairement à moi, ma sœur s'investit réellement dans cette mission et nourrit de grands espoirs. Elle poursuit son enquête sur le passé d'Héloïse et tente d'intégrer le groupe de Lina en s'inscrivant au club de volley du lycée. Lina en est la capitaine.
Je souffle un bon coup. Elles ont sûrement toutes les deux raison, je dois juste persévérer.
●
Le jeudi matin, j'arrive à la bourre à mon premier cours. Étrangement, mon réveil n'a pas sonné. Je fusille Barbara du regard en entrant dans la classe, sachant pertinemment qu'elle est à l'origine de cet imprévu matinal. Hier, j'ai fait réchauffer un plat tout prêt sans savoir qu'il contenait des fruits de mer. Barbara y est allergique. Heureusement, elle s'en est vite rendu compte mais ça ne l'a pas empêchée de vomir ses tripes toute la soirée, sans parler de son visage qui a doublé de volume. Furibonde, elle a refusé de croire que ce choix culinaire était une erreur et non une farce de mauvais goût. Et elle me l'a fait payer en déréglant mon réveil.
Elle feint ne pas comprendre mon agacement et m'adresse un sourire angélique. Je détourne rapidement les yeux avant que des élèves ne se posent des questions sur notre relation. Honteux de devoir faire une telle chose à presque vingt et un ans, je montre ensuite mon mot de retard à ma professeure de maths.
Je remarque qu'il y a une place libre à côté de Victor. Je n'ai aucune envie de discuter avec ce sportif aux cheveux lisses et au sourire ravageur, mais il faut bien que je fasse des efforts. Cette mission est délicate, je ne peux pas me contenter de n'approcher qu'Héloïse, son entourage est tout aussi important. Et mon petit doigt me dit que ce Victor est une source d'informations non négligeable, dans laquelle je ferais bien de puiser. Bien que pour le moment, rien ne prouve qu'il ait été lié à Héloïse, Barbara a senti quelque chose entre eux, et son intuition ne se trompe jamais.
Héloïse est installée à la même hauteur que moi, dans la rangée d'à côté. Seule une petite allée sépare nos deux tables. Sentant que je l'observe, elle me jette un coup d'œil, haussant encore une fois son sourcil d'un air méprisant.
— Tu veux ma photo ?
— Avec plaisir. Un shooting un de ces jours, rien que tous les deux, ça te dit ?
— Je serais incapable de sourire si je t'avais sous les yeux, alors non merci.
Je me pince les lèvres pour m'empêcher de rétorquer. Je serais bien tenté de les insulter, elle et son air hautain.
Je. Dois. Rester. Calme.
— Tu as jeté ton dévolu sur elle ? demande une voix à ma droite.
Je me tourne vers Victor avec curiosité. Comme je ne réponds pas, il réitère sa question :
— Elle te plaît ?
À la lueur inquiète dans ses yeux, je comprends qu'il vaut mieux répondre non. Je ne pourrai sûrement pas me rapprocher de lui, sinon. Et ce serait tellement dommage !
— Non, pas du tout. C'est juste que cet air invincible qu'elle se donne m'agace, alors je prends un malin plaisir à l'embêter.
— Fais gaffe. Héloïse manie les mots cinglants à merveille, on en a presque tous fait les frais. Et si finalement elle te plaisait... je te conseillerais de fuir, et vite.
Je concentre désormais toute mon attention sur Victor, intrigué. Barbara avait raison, ce gars est peut-être une des clés du mystère Héloïse.
— Pourquoi ?
— Elle ne voudra jamais d'une relation et te fera payer ton intérêt pour elle.
— Plaire est pourtant l'objectif de beaucoup de jeunes filles.
— Pas quand on a la réputation d'Héloïse...
J'ai enfin l'impression de tenir quelque chose. Les rumeurs peuvent détruire une personne, j'ai déjà vu ça plusieurs fois. Et si Héloïse faisait elle aussi face à des rumeurs destructrices ?
J'aimerais poursuivre cette conversation enrichissante, mais la professeure nous interrompt, ne tolérant plus nos bavardages.
— Roméo, puisque tu te sens tellement concerné par le cours, viens faire la prochaine équation au tableau.
Et merde. Je me lève en contrôlant comme je le peux mes tremblements et me rends au tableau. Me voilà ramené à mes années de collège, durant lesquelles j'étais rongé par une timidité maladive. J'ai réussi à la dépasser, notamment grâce à Vanessa qui m'a aidé à travailler dessus, mais ça ne m'a pas rendu plus sociable. Au moins, je ne tremblais plus comme une feuille à chaque fois qu'un inconnu m'adressait la parole. Malgré ces progrès, il reste des traces de ces angoisses qui me prenaient régulièrement.
Grâce aux cours que m'a donnés Barbara la veille, je réussis cependant à faire mon équation. C'était une élève studieuse et elle a pu terminer ses années de lycée, contrairement à moi.
Ma sœur me sourit en guise de félicitations lorsque je repose la craie. La prof ne fait aucune remarque et me demande de retourner à ma place. En me rasseyant, je trouve une petite enveloppe posée sur mon bureau.
Je l'ouvre, méfiant, et tombe sur cinq pièces d'un euro. Elles sont accompagnées d'un petit mot au fond de l'enveloppe.
Je ne veux rien devoir à personne.
H.
Quand la sonnerie retentit, je m'empresse de rassembler mes affaires avant de me planter devant elle. Héloïse me dévisage, les traits durs.
— Laisse-moi passer.
— Tu sais, c'est important de savoir accepter les cadeaux, dis-je en secouant l'enveloppe sous ses yeux.
— Pas quand le généreux donateur attend quelque chose en retour.
Il me faut quelques secondes pour assimiler ses paroles.
— Je n'attends rien en retour.
— C'est ce que disent tous les membres du sexe masculin, mais à un moment donné, tu exigeras un service contre ces cinq euros. Et je ne devrais pas uniquement jeter la pierre aux hommes, les filles aussi sont comme ça. L'espèce humaine est naturellement égoïste.
Je reste coi tandis qu'elle me donne un coup d'épaule puis se fraie un passage jusqu'à la porte. Raide comme un piquet, mon enveloppe à la main et la bouche entrouverte, je me tourne vers Victor, qui a assisté à la scène et m'adresse un pauvre sourire.
— Cette fille est malade.
— C'est Héloïse, se contente-t-il de me répondre avant de quitter la salle.
L'esprit embrouillé, je finis par lui emboîter le pas pour me rendre au cours suivant.
●
— Tu es sûr que tu as tout compris ?
Je lève les yeux au ciel. Je déteste quand ma sœur me parle comme si j'étais un gamin alors que je n'ai que deux ans de moins qu'elle.
— Oui, Barbara, je ne suis pas attardé.
— Je t'offre une super opportunité de rentrer dans le groupe de Victor, ne la gâche pas !
— J'ai compris. Je ne vais pas rater l'occasion de m'intégrer dans le groupe le plus cool du lycée ! Tu crois qu'ils pourront me prêter leur gel pour que je me fasse la même coiffure qu'eux ?
Mes sarcasmes agacent Barbara. Elle a envie de m'en flanquer une, je le lis dans ses yeux.
— Arrête un peu de jouer les snobs, tu étais au lycée il n'y a pas si longtemps, je te rappelle.
— Les groupes de meilleurs amis pour la vie n'étaient déjà pas mon truc à l'époque. Bon, on peut récapituler ta brillante idée ?
Nous nous sommes retrouvés dans un couloir désert pendant la récréation. Il faut que j'arrive à me rapprocher de Victor pour en savoir plus sur Héloïse, et Barbara a élaboré un plan.
Après m'avoir lancé un regard noir, elle reprend :
— OK. Victor sort de son cours d'anglais renforcé à midi trente. Ses amis finissent plus tôt, il va donc prendre un kebab au coin de la rue avant de les rejoindre dans le parc. Il faut que tu t'y trouves au même moment que lui, comme ça, s'il te voit tout seul, il te proposera certainement de te joindre à eux. De mon côté, je serai avec la bande de Lina et, généralement, elles retrouvent les garçons pour la pause de midi.
— Tu connais vraiment l'emploi du temps de chaque élève de la classe ? demandé-je en tentant de ne pas paraître trop impressionné.
— Bien sûr. Et comme d'habitude, c'est à moi que tu devras la réussite de cette mission.
Je ne relève pas la raillerie de ma sœur, sachant qu'il y a du vrai dans ce qu'elle dit.
À l'heure dite, je me dépêche de me rendre au kebab et je passe commande en attendant que Victor arrive. Comme prévu, il apparaît cinq minutes après et, en m'apercevant, se dirige immédiatement vers moi.
― Roméo ! Qu'est-ce que tu fais là ?
― Je n'en pouvais plus des foutus haricots de la cantine, alors j'ai décidé de changer un peu. Ce n'est pas très drôle de manger tout seul, mais comme je ne connais presque personne...
Et voilà que je suis forcé de m'apitoyer sur mon sort... Cette mission me demande énormément, décidément. Les traits de Victor s'emplissent de compassion.
― Si tu veux, tu peux venir avec moi, je te présenterai la bande. Généralement, on se retrouve pour manger ensemble dans le parc là-bas.
Le plan de Barbara fonctionne à merveille. Je fais semblant d'hésiter quelques secondes, Victor insiste, et je finis par céder en le remerciant. Nous récupérons nos kebabs et il m'entraîne avec lui jusqu'au parc où nous retrouvons ses amis. Ils sont déjà tous installés dans l'herbe en train de picorer des frites.
— Les gars, je vous présente Roméo, il est nouveau !
Les cinq mecs me saluent d'un signe de tête. Victor fait les présentations dans l'ordre :
— Voici Fabien, Hugo, Baptiste, Nathan et Valentin.
Je me contente d'un sourire forcé et prends place dans le cercle.
— Les filles viennent aujourd'hui ? demande Baptiste à Victor.
— Oui, elles ne devraient pas tarder. Ce sont des amies qui traînent régulièrement avec nous, me précise Victor.
Je suis déjà au courant, il se trouve que ma très chère sœur vient juste d'entrer dans leur groupe !
Les filles arrivent, et je reconnais les nanas qui étaient là lors de l'altercation avec Héloïse à la cantine. Barbara figure bien parmi elles. Nous échangeons un regard complice.
— Salut ! On s'est déjà vus, non ?
Je tourne la tête vers la petite blonde qui vient de s'asseoir à côté de moi. Lina. Elle m'observe un moment avant de s'exclamer :
— Mais oui ! C'est toi qui déjeunais avec Héloïse la dernière fois, non ?
Je souris faiblement. Montre-toi chaleureux, Roméo.
— Ouais, c'est moi. Et qui s'est bien fait rembarrer, au passage.
— Un parmi d'autres, ironise une fille à ma gauche.
Je dévisage la jolie brune qui vient de parler. Ses yeux bleus tirant vers le gris – assez ensorceleurs, je dois l'admettre – se plantent dans les miens. Son assurance évidente me rappelle Vanessa.
— Je m'appelle Carla, dit-elle. Moi aussi, j'ai essayé d'être amie avec Héloïse, mais elle est toujours restée très distante avec moi.
Mon regard dévie un instant vers Barbara, assise en face de moi, pour voir si elle en sait plus sur cette histoire. Si, en effet, c'est Héloïse qui a rejeté Carla, ou si l'histoire va plus loin que ça. Mais je n'ai droit qu'à un haussement d'épaules de la part de ma sœur, traduisant son ignorance à propos des tensions entre Héloïse et Carla.
— Et tu es... ? poursuit Carla, visiblement décidée à terminer cette conversation.
— Roméo.
Un large sourire éclaire son visage.
— Roméo... répète-t-elle sensuellement, pesant chaque syllabe.
Le visage de mon interlocutrice se ferme soudainement quand elle jette un œil un peu plus loin.
— Quand on parle du loup...
Je suis son regard et aperçois Héloïse, une barquette de frites à la main, qui passe à quelques mètres de nous. Lorsqu'elle nous remarque, elle s'arrête un instant et ses yeux s'attardent sur moi. Je ne parviens pas à déchiffrer son expression, mais ses lèvres se pincent avant qu'elle ne secoue imperceptiblement la tête. Puis elle continue à avancer, la tête droite, avant de s'asseoir contre un arbre un peu plus haut.
Je me rends compte que je ne suis pas le seul à la suivre des yeux : Victor et Lina font de même, affichant un air peiné.
— On devrait peut-être l'inviter à nous rejoindre, murmure Lina.
— Sérieusement, tu tiens encore à te faire rembarrer ? s'agace Carla. J'en ai marre de te voir souffrir à chaque fois qu'elle te lance une pique.
— De toute façon, la solitude n'a jamais dérangé Héloïse, marmonne Victor en détournant les yeux. Je me trompe ?
— Il faut croire que non, soupire Lina.
J'en profite pour prendre innocemment la parole :
— Vous étiez amis ?
— C'était ma meilleure amie, répondent Victor et Lina en chœur.
Ils rient de leur synchronisation.
— Et vous ne savez pas pourquoi elle a décidé de s'isoler ?
Tous les deux semblent embarrassés par ma question. Devant leur silence, c'est la troisième fille de la bande qui me répond :
— Un beau jour, elle a commencé à s'habiller en noir et à s'enduire les yeux de crayon pour se donner un genre. Héloïse est capricieuse, et elle ne supporte pas que l'attention se porte sur quelqu'un d'autre qu'elle, d'où son départ de la bande. Avec nous elle ne pouvait pas se démarquer.
— Tu as entièrement raison, Cassandre, la félicite Carla.
Cassandre sourit. Elle est comparable à un chien qui serait tout fier d'avoir réussi le tour ordonné par son maître. Pourtant, le portrait qu'elle vient de dresser d'Héloïse ne me semble absolument pas fidèle. Je ne crois pas qu'elle ait envie de se démarquer. Au contraire, elle semble plutôt vouloir se fondre dans la masse.
— Moi, je le trouve plutôt sexy, son look gothique, déclare un mec roux dont j'ai déjà oublié le nom.
— Commence pas, Hugo, grogne Victor.
— Quoi, c'est un crime de dire qu'elle est sexy ? On n'a plus le droit ?
— Pas avec ces sous-entendus derrière.
— En même temps, c'est elle qui a décidé de confirmer les rumeurs à son sujet, intervient Baptiste.
— Ce n'étaient pas des rumeurs : elle s'est vraiment tapé ces mecs, déclare Carla.
— Carla ! la gronde Lina.
— Quoi ? J'énonce juste les faits, je m'en fiche, moi, de ce qu'elle fait de son cul, elle est libre et ce ne sont pas mes oignons. Mais elle pourrait être plus discrète à propos de ses expériences sexuelles.
Un éclair de compréhension passe dans les prunelles de Barbara lorsque nos regards se croisent. Nous tenons une piste, et une vraie cette fois. Héloïse a un passé et une réputation qui lui colle visiblement à la peau. Une réputation de chaudasse, apparemment.
Je lève les yeux vers ma cible, toujours assise contre son arbre, à quelques mètres. Elle arrête soudainement de manger quand elle prend conscience que je l'observe. Nos regards se croisent, et j'ai l'impression de commencer à la déchiffrer. Les traits de son visage se tordent sous l'effet d'un drôle de sentiment. Cette éternelle colère qui semble l'animer en permanence s'atténue pour laisser place à de la frayeur.
Car elle comprend que je sais.
À suivre...
———————
Et voilà, c'est déjà la fin de l'aventure Mission Séduction sur Wattpad !
Je vous remercie de votre accueil, ça a embelli mon mois de décembre. J'espère que vous avez apprécié cet avant-goût !
N'hésitez pas à m'écrire un petit bilan et un avis sur ce dernier chapitre.
Si vous avez envie de poursuivre l'aventure, rdv le 2 janvier dans toutes les librairies ! (enfin théoriquement, parce que le livre est déjà sorti dans certaines Fnac, ça n'a aucun sens)
D'ici là, rdv sur insta pour quelques surprises !
Plein de bisous,
Laurène
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