1. Première approche

ROMÉO

Je me gare loin du portail du lycée pour ne pas être remarqué et je patiente, les doigts tapotant le tableau de bord. Barbara ne tarde pas à apparaître, toujours ponctuelle, et s'engouffre dans la voiture en soupirant.

— J'avais oublié qu'être une ado était épuisant !

J'esquisse un sourire en m'engageant dans la circulation.

— Alors, personne ne t'a cramée ?

— Non, répond-elle fièrement. Je suis tellement bonne actrice que je passe pour une adolescente innocente aux yeux de tout le monde.

— C'est un peu insultant, tu ne trouves pas, qu'on te prenne pour une gamine alors que tu as vingt-deux ans ?

Je jette un coup d'œil à ma sœur pour voir sa réaction suite à ma raillerie : yeux plissés, mâchoire serrée. La routine.

— C'est une caractéristique de la famille, tu le sais bien, on fait tous plus jeunes que nos âges. Et tu n'échappes pas à la règle, petit frère.

En réalité, heureusement que cette caractéristique existe, sinon l'accomplissement de cette mission aurait été plus compliqué. Même si j'admets que mon ego en prend un coup lorsqu'on me demande encore ma carte d'identité avant d'entrer en boîte – alors que des mineurs sont acceptés sans soucis. Une chance que je ne sois pas friand de ce genre d'endroit.

— Comment c'était aujourd'hui ?

Barbara vient de terminer sa première semaine dans notre nouveau bahut. Sa mission : récolter un maximum d'informations avant mon arrivée, lundi. Grâce aux rapports de ma grande sœur, je ne pénétrerai pas dans un univers totalement inconnu. Elle m'est bien plus indispensable que je ne l'admettrai jamais.

— Je me suis fait draguer. Et tu ne connais pas le pire, par un première !

— Aïe.

— Ne te moque pas. Ma vie amoureuse est déjà un désastre, alors si en plus les seuls mecs qui m'approchent ont six ans de moins que moi...

— C'est peut-être un signe. Peut-être que quelqu'un là-haut essaie de te faire comprendre que tu es encore une gamine dans ta tête. Ou alors que ton destin est d'enlever leur innocence à de jeunes garçons, comme le mien est de sortir des adolescentes d'un mal-être – disons que ça dépend des interprétations.

Barbara grimace et me donne une tape sur l'épaule. Je me gare devant le premier bar qui me fait de l'œil afin qu'elle me fasse un débriefing total. Nous nous installons en terrasse malgré le temps automnal qui s'est pointé, préférant la tranquillité et l'air frais à une salle remplie de monde.

— Alors, raconte-moi tout.

Je me frotte les mains tandis que ma sœur sort ses notes de son sac. Une pression a quitté mes épaules depuis que Mme Guillier nous a aidés à faire les démarches nécessaires pour être acceptés dans le lycée d'Héloïse sans trop de problème. Elle a joué de ses relations avec le proviseur, s'est rendue dans son bureau et lui a expliqué que Barbara et moi avions eu des soucis familiaux qui nous avaient fait perdre plusieurs années d'enseignement. Elle lui a demandé de faire en sorte que notre arrivée soit discrète et que les professeurs ne mentionnent pas notre âge, car nous étions un peu honteux de terminer le lycée à vingt et vingt-deux ans. Normalement, personne ne saura que nous n'avons pas dix-sept ans. Le plus délicat concerne notre lien de parenté, car nous n'avons pas pu mentir sur notre identité. Mais il se trouve que Barbara et moi n'avons pas le même nom de famille : elle porte le nom de ma mère et je porte celui de mon père. Espérons toutefois que le fait qu'elle est ma sœur ne fuitera pas, ça donnerait trop d'indices sur nos vies respectives et ça pourrait mettre en péril la mission.

— Bien, commence Barbara. Lui, c'est Victor.

Elle fait glisser une photo sur la table. Un jeune brunet me fait face, un sourire niais plaqué sur les lèvres.

— Il fait partie des populaires et a été élu « plus beau garçon de la classe » par toutes les filles, à l'unanimité. Il est sympa, simple et loin d'être narcissique.

— OK, c'est génial pour ce petit gars, mais il n'a pas l'air d'être le genre des fréquentations d'Héloïse, si ?

Le but est surtout de connaître l'entourage de ma cible. Je me fiche de ce Victor s'il ne peut pas m'être utile dans cette mission.

― Elle n'a aucune fréquentation, Roméo. Mais j'ai remarqué qu'il la regardait souvent, presque avec regret, et elle l'ignore royalement.

— Il est amoureux d'elle ?

Barbara soupire.

— À vrai dire, je n'en ai aucune idée. Leur relation a l'air complexe.

Bien. J'éclaircirai tout ça une fois sur place. Je fais signe à Barbara de continuer.

— Voici Lina. Elle n'est pas dans la classe d'Héloïse mais grâce à quelques échos j'ai réussi à savoir que c'est son ancienne meilleure amie. Elles étaient inséparables l'année dernière, mais plus personne ne les voit ensemble depuis la rentrée.

Je fais tourner la photo de Lina entre mes mains. C'est une très jolie blonde, avec un visage fin aux traits doux et des yeux caramel pleins de bienveillance. Une histoire de jalousie se cache sûrement là-dessous, c'est classique chez les adolescentes.

— Tu as réussi à lui parler ?

— On a échangé quelques mots en cours de sport, m'apprend Barbara. J'ai rarement vu quelqu'un d'aussi gentil, elle est très appréciée et semble réussir tout ce qu'elle entreprend.

Jalousie.

— Autre chose sur des personnes proches d'Héloïse ?

— Malheureusement, non. Cette fille s'isole en permanence.

Je gratte le peu de barbe naissante sur mon menton. Décidément, cette mission ne va pas être facile, surtout si j'ai peu de sources. Il fallait que ma cible soit un loup solitaire, c'est bien ma veine.

— OK, et à propos d'Héloïse ? Tu lui as parlé ?

— Elle est inapprochable, c'est décourageant. Ses sarcasmes empêchent tout le monde de l'aborder, elle est limite flippante. Tu vas en baver.

Bon sang, mais dans quoi je me suis embarqué ? Je vais réussir ma mission, comme toujours, il n'y a pas de raison. J'excelle dans mon métier. Ma seule crainte, c'est d'y laisser quelques plumes.

― Une chose que tu dois savoir, poursuit ma sœur, c'est qu'elle est très différente des photos que sa mère nous a données et qu'on a vues sur les réseaux sociaux...

Soudain, Barbara blêmit en fixant un point par-dessus mon épaule.

— Merde, Roméo, elle est là.

— Comment ça ?

— Héloïse ! Elle se dirige vers nous. Il faut pas qu'elle nous voie ensemble, elle doit pas savoir qu'on se connaît !

Pendant que Barbara rassemble ses affaires en vitesse, je me retourne et observe la fille qui s'avance vers le bar. Si elle avait un style très féminin sur les photos, il est clair qu'elle a changé de look. Elle a troqué ses robes à fleurs pour un jean troué, des boots et une large veste en jean. Ses cheveux châtains qui semblaient lisses sont à présent bouclés et retombent en cascade le long de son dos.

— Essaie de l'approcher, peut-être qu'elle est moins braquée que dans le cadre scolaire, me souffle ma sœur. Moi, je file. Bonne chance.

Elle disparaît à la vitesse de l'éclair et je me retrouve seul, détaillant l'adolescente à l'allure rebelle qui entre dans le bar. Sans hésiter une seconde, je glisse mon téléphone dans la poche arrière de mon jean et quitte la terrasse pour l'intérieur. Seulement, une fois dans le bar, je ne vois Héloïse nulle part. Je parcours la salle du regard et fais quelques pas entre les tables, mais rien. Elle s'est volatilisée.

Jusqu'à ce que je me retourne et que je la voie sortir des cuisines pour passer derrière le comptoir. Elle a revêtu un tablier et attaché ses cheveux bouclés en une queue-de-cheval. Elle travaille ici. Première énigme à résoudre ; elle ne doit pas être dans le besoin puisque sa maman a suffisamment de pognon pour mener une vie très confortable et payer un agent séduction.

Je vais m'asseoir sur un tabouret sans la quitter des yeux. Elle ne m'a pas encore remarqué, occupée à nettoyer des verres. Je me racle la gorge et elle relève la tête, se retrouvant pile en face de moi.

— Salut.

J'étire mes lèvres en un sourire charmeur. Ce n'est que maintenant que je suis près d'elle que je remarque tout le maquillage noir autour de ses yeux. J'ai côtoyé suffisamment de filles pour savoir qu'on appelle ça un smoky eyes, mais j'avais cru comprendre que c'était le genre de maquillage à ne porter qu'en soirée. Visiblement, Héloïse voit les choses autrement.

— Bonjour. Qu'est-ce que je vous sers ?

Si j'essaie de paraître chaleureux – alors que ce n'est pas du tout dans ma nature, entendons-nous –, elle est froide comme la glace dans le verre de mon voisin de comptoir, se donnant seulement la peine d'être polie. Pas l'ombre d'un sourire. Aucune proximité avec les clients. Ça annonce la couleur.

— Je ne sais pas... Qu'est-ce que tu me proposes ?

Mon ton joueur n'a aucun effet sur elle. Elle se contente de me regarder de haut, les mains appuyées sur le comptoir, un sourcil méprisant légèrement haussé.

— Ça dépend. Majeur ou non ?

Et voilà, ça recommence. C'est franchement vexant. Je ravale ma frustration en répondant que je suis mineur, pour ma couverture.

— Alors un Coca, en espérant que les bulles fassent redescendre ton assurance un peu trop pétillante.

Si j'étais le genre de mec expressif, ma mâchoire se serait certainement décrochée. Non mais je rêve ? J'ai l'habitude de faire face à des filles émotionnellement fragiles, pas à des petites garces snobs.

Héloïse me tourne le dos pour attraper un Coca dans le frigo derrière elle, tandis que je me fais violence pour ne pas lui répondre. Ne pas me laisser atteindre. Sinon cette petite peste aurait gagné, et je suis bien décidé à remporter cette bataille.

Je me demande quelle technique de séduction adopter. Le bad boy froid et torturé ? Certainement la pire des idées pour Héloïse. Le doux romantique mielleux ? Elle n'a pas l'air particulièrement fleur bleue, et je crois qu'elle me renverrait mes déclarations à la figure.

Ma cible me sort de mes pensées en décapsulant ma bouteille avant de poser un verre devant moi.

— Et voilà.

Je prends sur moi pour m'excuser :

— Désolé, c'était un peu nul comme technique d'approche.

— Je ne te le fais pas dire.

Je me retiens de serrer les dents. Bordel.

— Mais je suis nouveau ici, et je ne sais pas vraiment comment faire pour réussir à m'intégrer...

Ma déclaration pitoyable ne l'adoucit pas le moins du monde. Elle continue à me fixer de ses yeux de chat, ses lèvres charnues entrouvertes, comme si elle cherchait à analyser le drôle de spécimen que je suis.

— Du coup, je me disais que ce serait sympa que quelqu'un me fasse un peu visiter les alentours, histoire que je ne sois pas totalement perdu. Est-ce que le job t'intéresse... ?

Je jette un coup d'œil à son badge, sur lequel il est écrit Éloïse.

― ...Éloïse ?

Elle fait mine d'être dégoûtée.

— Bon, premièrement, mon prénom c'est Héloïse, avec un H, ces idiots l'ont oublié sur le badge. Deuxièmement, est-ce que j'ai vraiment la tête d'une putain de guide touristique ?

Mes mains se resserrent sur mon jean. Si j'ai appris à contrôler mon impulsivité avec le temps, je reste un mec avec beaucoup de fierté et je ne supporte pas qu'on se montre si condescendant avec moi. J'ai saisi, cette fille refuse qu'on l'approche et a donc décidé d'être imbuvable. Et moi, je suis obligé d'en faire les frais sans broncher, parce que j'ai une foutue mission à réussir.

Je mets mon exaspération de côté et tente d'esquisser un sourire pour masquer mon expression dépitée.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, je me disais juste que... On a l'air d'avoir le même âge et on pourrait peut-être... enfin...

Bredouiller est une grossière erreur, car elle en profite pour m'interrompre immédiatement :

— Je ne suis pas la personne que tu recherches, celle qui te fera rencontrer plein de nouveaux copains avec qui jouer à la baballe en draguant les groupies qui tourneront autour du groupe de garçons mignons que tu auras intégré.

— Donc tu me trouves mignon.

Elle ouvre la bouche sans rien dire, prise de court. Je me félicite mentalement d'avoir réussi à la désarmer. Du moins, pour quelques secondes.

— Non. Je dis simplement que tu es le genre de garçon que les groupies du lycée trouvent mignon, nuance. Et ce n'est pas un compliment.

— OK, très bien. Mais je suis sûr que connaître le prénom de ce garçon mignon, même s'il ne plaît qu'aux groupies, pourra t'être utile : je m'appelle Roméo.

Elle se mord la lèvre puis éclate de rire. C'est la première fois que je vois son sourire, et j'aurais préféré que ce soit dans d'autres conditions. Mon agacement mis de côté, je dois admettre qu'elle est beaucoup plus jolie quand un sourire illumine son visage.

Roméo ? Sérieusement ?

— Il semblerait, oui.

— Alors là, ça renforce encore le cliché ! Un Roméo grand, brun et charmeur : le combo parfait !

Elle a l'air de trouver la situation hilarante mais, étrangement, je n'apprécie pas trop qu'on se paie ma tête. Elle le remarque et enfonce le clou :

— À mon avis, ce n'est pas avec cette attitude misérable que tu trouveras ta Juliette !

Ma patience a des limites, et cette Héloïse la met à rude épreuve. J'estime que mon travail d'approche est terminé pour aujourd'hui et que je mérite de me détendre. Je glisse donc un billet de cinq et quatre pièces de un euro sur le comptoir.

— Bien, je vais y aller.

— C'est beaucoup trop, me dit Héloïse avec un geste vers le comptoir.

— Garde la monnaie.

Je lui fais un clin d'œil en me levant de mon tabouret.

— Mais tu n'as rien bu, je refuse de...

C'est à mon tour de l'interrompre, pour mon plus grand plaisir :

— À bientôt, Héloïse-avec-un-H. J'espère qu'on se reverra vite.

Je réajuste ma veste en cuir sur mes épaules et fais volte-face. En passant la porte, je l'entends me crier :

— Espoir non partagé, Roméo-sans-cervelle !

J'entre chez Vanessa sans toquer, comme à mon habitude. J'ai été ravi de recevoir son message tout à l'heure, je ne pouvais pas rêver mieux que de la voir pour décompresser.

— Vaness ?

Je dépose ma veste sur le meuble de l'entrée avant de m'avancer dans le couloir. Elle m'attend dans le salon, à moitié allongée sur son canapé en cuir, un verre de rouge à la main et habillée d'un peignoir court qui dévoile ses longues jambes lisses. Elle m'observe avec ce petit sourire narquois que j'aime bien. D'un seul coup, ma journée s'illumine.

Vanessa dépose son verre sur la table basse et se lève gracieusement. Elle s'approche de moi à pas lents, le bruit de ses talons aiguille se répercutant sur le carrelage.

— Je suis heureuse que tu sois venu, murmure-t-elle en jouant avec le col de mon tee-shirt.

— Bonheur partagé.

J'avance mes lèvres mais elle ne m'offre qu'un baiser chaste. Je connais Vanessa, elle souhaite me faire languir. Ce qui nous amène toujours à une partie de jambes en l'air plutôt agréable.

— Ma nouvelle mission se déroule à Paris... Tu sais ce que cela signifie ?

Elle se mordille la lèvre, les mains sur mon torse.

— Que tu vas me rendre visite plus souvent ?

— Exact.

Cette fois, Vanessa m'offre un vrai baiser, tellement langoureux qu'une partie de mon corps réagit immédiatement. Vanessa est pour moi ce que l'on pourrait appeler une sex friend, mais je n'aime pas lui associer ce terme. Elle est bien plus que ça, c'est une ancienne petite amie que j'ai dû quitter lorsque j'ai commencé mes missions, à seize ans. Elle m'en a voulu pendant longtemps, puis elle a fini par comprendre. Depuis deux ans, nous nous voyons pour faire l'amour, notre duo au lit fonctionnant merveilleusement bien. Enfin, ce n'est pas comme si j'avais d'autres points de comparaison, elle a été ma première et ma dernière jusqu'à maintenant, mais elle me suffit amplement.

— Tu m'as manqué, Roméo, me confie-t-elle en encadrant mon visage de ses mains.

Ma dernière mission s'étant déroulée à Lagny-sur-Marne, il s'est avéré bien plus difficile de se voir et nos entrevues se sont faites plus rares. En dehors de ma sœur, Vanessa est la seule à connaître la vraie nature de mon travail, mes autres connaissances pensent que je jongle entre plusieurs petits boulots.

— Toi aussi, Vaness.

Une lueur que je connais bien s'allume dans son regard. Vanessa fait tomber son peignoir, qui était son unique vêtement. J'ai beau le connaître sur le bout des doigts, son corps provoque toujours le même effet sur moi. Chaque courbe est parfaite, ses hanches, sa poitrine, sa taille de guêpe... Vanessa est l'une des plus belles créatures de ce monde.

— Doux Jésus.

Elle rit alors que je m'empare à nouveau de ses lèvres, passant une main dans sa chevelure blonde. J'ai gardé quelques expressions de mon éducation catholique, qui ressortent dans certaines situations, ce qui l'amuse beaucoup.

Faisant glisser mes mains dans son dos, je l'allonge sur le canapé, bien décidé à évacuer mes frustrations de la journée dans ses bras.

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HEY !

Ça y est, les choses sérieuses ont commencé ! Je vous avais promis une Héloïse caractérielle et j'imagine que vous n'êtes pas déçus (du moins j'espère !)

Pour ceux qui pensent qu'elle est proche de Mia, c'est le cas concernant leur repartie et leur manière de se protéger, mais Héloïse pense totalement différemment de Mia. Pour la comprendre, il faudra donc prendre le problème dans un autre sens !

Quoi qu'il en soit, elle est adorable, qu'en pensez-vous ? (lol)

La relation Roméo/Vanessa ?

Va-t-elle être un obstacle à cette nouvelle mission ?

Dites-moi tout !

Dernière question hors roman : que faites-vous pour Noël ? Pour ma part je suis en vacances à la montagne et j'ai la chance de glisser un peu sur les pistes.

Joyeuses fêtes à tous ❤️

Plein de bisous,

Laurène

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