8. Sea, sex and sun

Mikael

Le lendemain, Andre m'informe qu'il est parvenu à tracer l'adresse IP de l'ordinateur depuis lequel a été envoyé le mail de menace à Dewei. Seulement, cette piste nous laisse perplexes, étant donné que les coordonnées géographiques pointent une maison en plein centre de Montréal, au Canada. Ce n'est pas ce qui arrêtera Alexia, chargée de tirer cette histoire au clair. Elle a embarqué dans le premier avion, ce matin, et nous informera de ce qu'elle trouvera là-bas.

Après avoir emmené Gabriel en cours, je me dirige vers le Los Angeles Gun club, le stand de tir où j'ai l'habitude de me rendre pour ne pas perdre la main. Une fois le casque antibruit posé sur mes oreilles, je fais le vide et me relaxe entièrement. Le plomb enfonce le centre de ma cible, qui prend une forme différente à chacun de mes tirs. J'ai l'embarras du choix, à vrai dire, si je devais imaginer toutes les personnes qui m'aident à viser juste et ne pas gaspiller mes balles.

Au fil des coups de feu, la pression sur la détente se fait plus résistante. Ma gorge se noue et j'ai l'impression qu'IL m'observe depuis là-haut. Voilà six années que je l'ai renié, que j'ai perdu ma foi, et que mon style de vie a, par conséquent, radicalement changé. Et je l'ai payé. Cher. L'âme de José, puisse-t-il reposer en paix, est à même d'en témoigner. Sur ces sombres réflexions, je tire trois coups encore, alors que mes pensées se brouillent et que mon cœur s'affole dans ma poitrine.

C'est la dernière mission, ensuite, je raccroche. C'est un putain de serment.

Après une rapide séance de muscu pour me remettre en forme, je retourne chercher ma cliente sur le parking du campus. Il est deux heures, et sachant qu'elle rentrera en moto, elle ne me fait à présent plus attendre comme un con, excitée à l'idée de chevaucher mon bébé de fer. L'étincelle qui brille dans ses iris à chaque fois me ferait lever les yeux au ciel. Avant de s'emparer du casque que je lui tends, elle m'informe de ses plans pour l'après-midi.

— On va à la plage avec les autres, aujourd'hui.

La surprise qui déforme mon visage est la seule réponse qu'elle obtient.

— Faut juste passer à la maison pour que je prenne mon maillot et des serviettes, puis on se rend à Santa Monica. On y va ?

Fait chier. Je n'ai absolument aucune envie d'y aller, mais bon, ce n'est pas comme si j'avais le choix. Lorsque la princesse ordonne, son valet exécute. Pour consolation, son valet grassement payé exécute.

Comme à mon habitude, je patiente contre ma bécane, et comme à la sienne, Mademoiselle se fait attendre. Enfin, elle me rejoint, la mine décontractée, habillée d'une courte robe blanche, presque transparente, qui dévoile les courbes anguleuses de ses épaules et la presque totalité de ses jambes. Bon sang, si c'était ma petite sœur, pas sûr que je la laisse monter sur ma moto dans cet accoutrement. Mais étant donné qu'aucun lien de sang ne nous unit, je la ferme.

— Prête ? je lui demande, après qu'elle a enfilé son casque.

Elle hoche la tête en guise de réponse et m'enserre lorsque je fais vrombir le moteur. Nous arrivons sur la digue plus rapidement que prévu, et quand elle descend de ma bécane, je remarque un sourire dévoilant toutes ses dents fendre son visage.

— Tu ne me laisseras jamais la conduire ? me demande-t-elle, dans un soupir euphorique.

Les cheveux emmêlés par le vent et son expression béate prêteraient aisément à croire qu'elle vient de vivre l'orgasme de sa vie. S'il y a bien quelque chose qui ne fait aucun doute, c'est qu'elle adore rouler à moto.

— Non, jamais.

Nous entamons notre avancée vers la large bande de sable et rejoignons ses amis quelques mètres plus loin. Les seules que je reconnais sont les jumelles. Ils doivent être une dizaine de gamins de l'âge de Gabriel, dont une majorité masculine. Évidemment.

— Tu as emmené ton biker avec toi ? remarque l'une des sœurs.

Il me semble qu'Ashley a un grain de beauté sur la mâchoire. Si je ne me trompe pas, c'est elle qui vient de prendre la parole.

— Oui, il voulait faire trempette, lui répond Gabriel, comme si l'idée même l'exaspérait.

Je roule les yeux en haussant les sourcils devant l'expression perplexe du doublon que j'ai en face de moi.

— J'espère au moins qu'il sait nager.

— Ou il pourrait se noyer, ça m'arrangerait bien !

Alors qu'elle extorque un petit rire à l'assemblée, son insolence commence à me taper sur le système.

— Ou vous pourriez cesser de parler de moi comme si je n'étais pas là. À moins que vos vieux n'aient raté une étape de votre éducation.

Sur ces mots, la mine de Gabriel s'assombrit soudainement. J'oubliais, elle n'a pas eu de famille pour parfaire son éducation. Enfin, ce n'est pas une raison, l'absence de parents ne rime pas forcément avec insolence, j'en suis la preuve vivante. Je pourrais m'excuser pour mon manque de délicatesse. Je n'en ai foutrement pas envie. Qu'elle comprenne que le respect, ça va dans les deux sens.

— Bon, laissez-le, on y va, grommelle-t-elle à l'attention de la bande, qui s'exécute dans la seconde même.

Comment diable fait ce petit bout de femme pour mener son entourage à la baguette de cette main de maître ?

Je les suis à une distance raisonnable de trois mètres, lunettes de soleil sur le nez, en me délectant de la chaleur de ses rayons sur mon épiderme. J'ai ôté mes baskets pour sentir mes pieds s'enfoncer dans le sable, et me souviens de la dernière fois que j'ai partagé ce plaisir anodin avec quelqu'un.

Enfin, quelqu'un... Ce n'était pas juste quelqu'un, c'était celle que je pensais être la femme de ma vie. Tellement d'années sont passées, et pourtant, son sourire me manque. Ses grands yeux mystérieux. Les ondulations que dessinaient ses cheveux dans la légère brise de l'après-midi. Je l'entends encore rire et me tirer avec elle vers les vagues la mer. Ici même, à Santa Monica.

L'humeur des jeunes devant moi semble au beau fixe, au contraire de la mienne, qui s'assombrit à mesure que je me plonge dans ma nostalgie et mes souvenirs amers. Lorsque je porte mon attention vers eux, je remarque que Gabriel s'est retournée vers moi en marchant à reculons, un sourire narquois sur les lèvres. Ils interrompent soudainement leur avancée, estimant que c'est ici l'endroit parfait pour établir leur barda. Il n'y a pas grand monde autour de nous, même s'il persiste quelques touristes qui ont trouvé refuge sur ce petit bout de plage relativement désert. Cassidy se tourne vers moi, et alors qu'elle constate que je suis le seul à garder mes fringues, elle me demande d'une voix anormalement mielleuse :

— Puisque tu ne vas pas nager, tu peux rester et surveiller nos affaires ?

J'arque un sourcil, puis grogne en guise de réponse :

— Ouais, ouais. Allez-y.

Ce n'est pas comme si j'avais prévu de me baigner, de toute façon.

Gabriel a opté pour un bikini rose. Les corps des trois autres filles sont indéniablement plus plantureux, mais c'est bizarrement du sien que mes yeux ne parviennent à se détourner. Elle me jette un dernier regard qu'il m'est impossible de déchiffrer, avant de rejoindre ses amis en courant vers la mer.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle pense à prendre une deuxième serviette pour moi. Je m'installe dessus et observe les jeunes s'amuser dans le creux des vagues. La brise est agréable. Le bruit de la houle m'apaise. Comme chacun des sons que produit la nature, à vrai dire. Depuis combien de temps ne me suis-je pas détendu au bord de l'eau ? Lorsque je ne suis pas en service, je reste confiné chez moi, le cul sur mon canap', m'abrutissant devant une multitude de séries qui ne m'apporte rien d'autre qu'une échappatoire à la réalité. Parfois, je rends visite à ma famille, qui me hait à cause de mes choix. À mon père, que je hais à cause des siens. Et puis, il y a cette femme... Cette femme que je parviens difficilement à comprendre, qui s'échappe de mes doigts dès qu'il me semble tenir le bon bout.

Mon téléphone vibre dans ma poche, me sortant du point que j'étais en train de faire sur ma vie.

— Mika ?

— Andre. Du nouveau ?

— Alexia a appelé. Elle s'est rendue à l'endroit où se trouve l'ordinateur portable, mais il s'avère que ça s'est corsé.

— Raconte.

— C'était une gamine qui était en sa possession. Sarah Martin. Elle vit seule avec Maria Ferrera, sa mère célibataire. Elles ont reçu l'objet par courrier, sans aucune idée de l'identité de l'expéditeur, et tout ce qu'on a découvert est que la mère vivait à Lakewood, près d'Echo Park, avant d'emménager au Canada, il y a seize ans. On a tracé sa provenance grâce à son numéro de série, il a été acheté ici, à Los Angeles, dans une grande enseigne. Alexia l'a cuisinée, elle ne semble pas avoir de lien avec Dewei.

— Bien. Il suffit de pister le paiement, alors.

— Il a été payé en cash. Sous le faux nom de Burret Hamilton.

— C'est qui, celui-là ?

— Un homme qui a soudainement disparu de la circulation. Une semaine après l'achat de l'appareil, plus aucune trace de cet individu. On planche dessus, mais il n'avait ni ami ni famille, comme s'il n'avait jamais existé auparavant. On a demandé les bandes des caméras du magasin à l'heure et la date de l'achat. Ça devrait nous aider. En attendant, je cherche le moindre lien entre la Canadienne et Gabriel ou son père.

— Ça marche. Appelle-moi lorsqu'Alexia aura récupéré la bande, je verrai si je reconnais celui qui a acheté l'ordinateur.

— Très bien. Qu'est-ce que tu fais, là ?

Je soupire, ayant presque honte de répondre à mon ami.

— Je suis à la plage.

Il ne se gêne pas pour pouffer dans le combiné.

— Ah ouais ! Pendant que nous, on se casse le cul à traquer un fantôme, Monsieur se la coule douce et se permet encore de se plaindre.

— Ferme-la, Andre.

Je lui raccroche au nez. Ça lui apprendra !

Alors que mon attention était accaparée par l'avancement de notre chasse au maître-chanteur-amateur, je n'avais pas remarqué que Gabriel et un des garçons se dirigeaient vers moi. Elle relève ses cheveux et utilise sa serviette pour éponger les quelques gouttes qui sinuent encore le long de sa peau diaphane. Je ne fais pas attention à l'autre idiot, de la bouche duquel j'entends des absurdités destinées à complimenter la petite peste à côté de moi. Elle farfouille un moment dans son sac à dos pour en sortir une bouteille bleu électrique, qu'elle me tend en papillonnant de ses cils encore mouillés.

— Tu veux bien me mettre de la crème solaire ? me demande-t-elle, d'une voix prétendant l'innocence.

Les yeux plissés, je l'observe étendre à nouveau sa serviette sur le sable, après qu'elle m'a planté la petite bouteille dans les mains sans mon consentement.

— Je peux, moi, si tu veux, se propose son admirateur.

— Mais je suis sûre que ça ne dérange pas Mikael. N'est-ce pas ? insiste-t-elle, en s'installant sur sa serviette posée juste à côté de la mienne.

— Tu sais très bien que ça me dérange, je démens, mes lèvres étirées en un rictus pincé.

— C'est pas gentil.

Si je badigeonne son dos de crème, je pourrai enfin voir cet intrigant tatouage dans son entièreté.

— Très bien, retourne-toi, lui intimé-je sur un ton que je veux dur.

Une étincelle malveillante brille alors dans ses yeux. Je la remarque juste avant qu'elle ne s'allonge sur le ventre. Tandis que je positionne mes jambes de part et d'autre de son petit corps, je ne m'attendais pas à ce qu'il en résulte une accélération de mon rythme cardiaque. Je prends la liberté de dégager les mèches de ses cheveux mouillés sur le côté, et découvre une immense paire d'ailes noires, parant la totalité de son dos. Je déglutis. La paire d'ailes, c'est plutôt banal comme tatouage, mais la sienne provoque en moi un étrange sentiment de malaise.

— Tu attends quoi ?

Sa voix me rappelle à la réalité. Celle où je dois poser la paume de ma main sur sa peau, et recouvrir ce dessin de cette crème blanchâtre destinée à la protéger du soleil. Son épiderme est froid, sûrement à cause de sa baignade, et je la sens frissonner à chaque fois que mes mains vont et viennent sur son dos. Je serai hypocrite de prétendre que ce contact m'est désagréable, parce qu'elle est douce et fragile, et que je n'ai pas touché un tel corps depuis... en réalité, je ne saurai même pas dire. Lorsqu'elle se tend d'une façon qui me paraît quelque peu suggestive, mes mouvements ralentissent, jusqu'à ce qu'elle se crispe complètement, comme si mes touchers devenaient désagréables.

— Tes mains sont chaudes...

Je n'aime pas la tournure que ça prend. Elle a donné cette intonation aguicheuse à sa voix à dessein, et le pire, c'est que ça ne me laisse pas indifférent. Je me relève alors brusquement, et étale sur mes bras le surplus de crème qui me reste entre les doigts. Surprise, et à la fois brusquement relâchée, Gabriel tourne son visage vers moi, qui me suis réinstallé sur ma serviette, et ne semble pas comprendre mon attitude.

— Tu n'avais pas fini. Pourquoi tu t'es relevé ?

— J'avais fini, rectifié-je. Tu peux très bien terminer toute seule.

Contrariée, elle expire bruyamment et se rassied sur le bout de tissu pour se badigeonner du reste de sa protection à une vitesse phénoménale. J'ai beau me forcer à paraître impassible, notre contact ne m'a pas laissé de marbre. Je ne sais foutrement pas pourquoi je suis à présent conscient de chacun de ses gestes, de la moindre de ses respirations. Fait chier ! J'ai besoin de marcher.

Je me lève pour me diriger vers l'étendue du Pacifique qui s'offre à nous. Quelques amis de Gabriel regagnent la rive pour aller s'étendre sur leur serviette et prendre un peu de soleil. Moi, j'essaie de faire le vide. Je saisis mon portable, fais défiler mes contacts jusqu'à ce que le nom de Queen m'arrête. J'hésite à lui envoyer un message, mais je crains de mal tomber. Je sais qu'elle préfère prendre l'initiative. Si ça correspond à mes envies, tant mieux, sinon tant pis. C'est la manière dont on fonctionne depuis six ans, et jamais ça n'a été autrement. Pas même lors de ma dernière dépression.

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