3. Écart de génération

Mikael

Quoi de pire pour vous tirer du sommeil que la mélodie stridente d'un réveil ? Non ? Vous ne voyez pas ? Eh bien moi, je vais vous dire : les piaillements incessants de minettes surexcitées. Je sens que je vais regretter d'avoir choisi la chambre mitoyenne à celle de Gabriel ! J'ai l'impression de me réveiller à côté d'un poulailler.

Bon gré, mal gré, je m'extirpe de la couverture et enfile le même short qu'hier, ainsi qu'un tee-shirt pris au hasard dans mes affaires. Je fais un rapide détour dans la salle de bain pour me passer de l'eau sur le visage, lorsque je remarque le reflet que la glace me renvoie. Si je me balade comme ça dans la maison, les filles risquent d'avoir peur, d'autant que j'ai l'impression qu'il y a des invitées supplémentaires. Je m'empare de ma brosse et essaie de donner une forme à cette masse capillaire que je n'avais encore jamais atteinte de ma vie. Je coiffe ma barbe et me rends dans le couloir, passant devant la chambre de l'hôte de ces lieux. Il semblerait qu'elles se soient toutes regroupées dans la cuisine.

Violet hausse les sourcils, alors que deux blondes écarquillent leurs petites mirettes dès qu'elles m'aperçoivent. Seule Gabriel demeure affairée sur le plan de travail.

— Bonjour, Mikael, me salue la plus douce, presque dans un murmure.

Je lui réponds d'un signe du chef, lorsque son amie attire mon attention en se tournant brusquement vers moi. Violet l'interroge du regard, mais Gabriel baisse la tête, comme si elle avait honte, et dépose de quoi déjeuner sur la table.

Je la soupçonne de ne pas avoir informé sa copine de sa visite nocturne, et surtout, de ne pas l'assumer. Elle s'est infiltrée dans ma chambre comme un insecte effrayé, et m'a fait comprendre dans un langage plus ou moins grossier qu'elle se plierait à mes règles. J'ai peut-être été un peu excessif, hier soir, mais j'ai réagi en proportion à son irresponsabilité et son arrogance.

— C'est qui, ce type ? s'enquiert sans aucune politesse une des deux blondes à l'attention de Violet.

Je vois que l'éducation n'est pas le fort de la prochaine génération.

Leur physique me perturbe jusqu'à ce que je réalise qu'elles sont jumelles. Comme Gabriel ne daigne pas leur répondre, c'est à son amie de se lancer.

— Ashley, Cassidy, je vous présente Mikael. Mikael, je te présente les amies de Gaby.

Les deux bimbos me gratifient d'un regard mi intrigué-mi dégoûté. Elles représentent l'archétype de la blondasse pétasse méprisante à souhait, dans toute sa superficialité. Alors qu'elles s'installent toutes autour de la table, Violet seule m'engage à faire de même. Ça va être enrichissant, je le sens.

— Gaby, tu as invité Lionel à la fête de ce soir ? commence une des deux jumelles, les yeux pétillants d'excitation.

— Lionel ? Pour quoi faire ?

— Il est trop hot !! Son accent frenchy me fait craquer.

— Vous ne pourrez pas avoir de passionnantes conversations, il ne sait pas aligner plus de trois mots en anglais, reprend sa sœur.

La blondasse et Gabriel se mettent à ricaner.

— Pas besoin de parler pour toutes les choses que je projette de lui faire, ce soir !

— En tout cas, moi, c'est Obi que je veux absolument faire craquer ! s'exclame la deuxième jumelle.

— Oh, Cassidy, ça fait cinq mois que tu es sur le coup lui fait remarquer sa sœur. S'il était intéressé, il t'aurait déjà fait passer à la casserole.

Je mords dans le pain que je viens de me préparer en me disant qu'il faut absolument que je fasse le plein de mes Donuts, si je veux survivre dans cet environnement diablement féminin. Un matin sans mon Donut, mon café et mon chewing-gum peut bousiller ma journée entière.

— C'est vrai, ajoute Gabriel, Ian me l'aurait dit si son copain était intéressé par toi. Mais t'es pas son genre de fille, de ce que j'ai entendu.

L'intérêt de la Cassidy en question est piqué au vif.

— Ah ouais ? Et c'est quoi son genre de fille, alors ?

— Les vierges.

Cette fois, je ne peux empêcher mon corps de s'immobiliser un instant.

— Les vierges ? Le salaud ! s'exclame (si mes conclusions sont bonnes) Ashley.

— Ouais, poursuit Gabriel, son kiff c'est de déflorer les petites jeunes du lycée, alors qu'il est sur le point de terminer ses études universitaires. Un vrai salopard.

Cassidy en tombe des nues. Et moi aussi. Ces filles en parlent comme d'un défaut anodin, sans penser à la jeunesse de ces gamines que cet enfoiré doit probablement entacher. Les sourcils levés, je secoue la tête, dépassé, sans pourtant leur donner mon avis. Ça ne servirait à rien. Et puis, qu'elles se démerdent, si ça se trouve, elles ne valent pas mieux que ce connard. Je ne peux empêcher mes yeux de bifurquer vers Violet, curieux de connaître sa réaction. Aucun de ses traits ne trahit son émotion. Elle mange tranquillement son croissant sans participer à la conversation, je ne suis même pas sûr qu'elle les écoute. Las, je prends congé de cette assemblée de nénettes en chaleur pour aller prendre ma douche.

Un chewing-gum dans la bouche, je redescends. Ayant remarqué que les jumelles s'en étaient allées, je surprends une discussion quelque peu animée dans le salon. Caché dans le hall principal, je tends l'oreille vers les éclats de voix qui m'interpellent plus qu'ils ne m'inquiètent. Et pour cause, il ne s'agit que de Violet et Gabriel.

— Tu ne m'avais pas dit que tu organisais une soirée, aujourd'hui !

— J'ai dû oublier, Violet. Mais tu sais bien que les filles allaient me le demander.

— Tu n'as encore rien révisé ni commencé le moindre des travaux à terminer pour le premier semestre.

— T'inquiète, je gère ça à ma manière. Mais tu ne peux pas me lâcher aujourd'hui, tu dois m'aider à la préparer, ça va être génial !

J'entends son amie pousser un fort soupir, empreint de lassitude.

— Moi je dois réviser, Gaby. Je suis désolée. Je ne peux pas retourner au campus au milieu de la nuit.

— Reste dormir ici, on ira ensemble à l'unif demain matin.

Elle ne veut pas la lâcher, bon sang.

— Gaby, je...

— Tu sais bien que si tu ne m'aides pas, je ne pourrai pas le faire. Tu es la seule à qui je peux demander ça.

— Ce n'est qu'une fête. Tu en organises souvent. Pourquoi tu ne demanderais pas aux jumelles, puisqu'elles y tiennent tant ?

— Tu sais bien pourquoi. Il n'y a que toi...

Un long silence suit cette déclaration, quand j'entends Violet capituler. Faible petite. C'est à ce moment que je fais mon entrée, interrompant leur discussion existentielle.

— Ah ! Voilà le pot de colle ! s'exclame ma cliente, moqueuse. On a des courses à faire, tu es sûr de vouloir nous suivre ?

Voilà que mes nerfs sont déjà tendus. Mais je dois relativiser, ce n'est qu'une gamine. Une insolente petite gamine.

— Ce n'est pas comme si j'avais le choix, marmonné-je.

Elle me reluque ensuite de haut en bas, une expression réprobatrice sur le visage.

— Et tu comptes sortir comme ça ?

C'est quoi, ton problème ? Petite superficielle !

— Ouais, lui réponds-je, histoire de lui faire comprendre que c'est comme ça et pas autrement, et qu'elle va devoir s'en accommoder.

Elle fait sortir sa Buick Cascada noire du garage, toute fière de me présenter son beau cabriolet. Elle me nargue et déverrouille le monstre. C'est vrai que c'est une sacrée pièce, elle devrait remercier son père pour le luxe dont il lui permet de jouir, au lieu de l'appeler « le vieux ».

Je sais pertinemment que ce petit bijou n'a pas été acquis grâce à la sueur de son labeur, étant donné que les quelques jobs étudiants qu'elle a réussi à se dégoter étaient loin de lui fournir une paye assez conséquente pour se permettre de telles folies. Elle a d'ailleurs arrêté dès qu'elle a intégré l'université, si je me fie à son dossier.

Je me dirige vers la portière conducteur en passant devant elle, et lui tends la main afin qu'elle me confie ses clés.

— Heu... qu'est-ce que tu fais, là ? me demande-t-elle, en gardant son trousseau contre sa poitrine, alors que Violet s'installe déjà sur la banquette arrière du véhicule.

— File-moi les clés, je conduis.

— Non, je ne crois pas.

— Ce n'était pas une demande.

Elle fronce les sourcils, l'air de me défier, une fois de plus, mais je ne flanche pas et lui montre à quel point je suis irrité par son comportement.

Bataille de regards cinglants, elle ne résiste pas longtemps. Elle me jette presque son trousseau en fulminant de plus belle, alors que je m'installe sur le cuir du véhicule. Après avoir fait le tour par devant, je ne m'attendais pas à ce que, à défaut d'ouvrir la portière comme une jeune femme civilisée, elle grimpe par-dessus en me laissant entrevoir par mégarde sa culotte rouge en dessous de sa jupe au ras des fesses. Une mini-jupe noire qui couvre le strict minimum. Et dire qu'elle a osé me reprocher mon accoutrement ! Je me racle la gorge, quelque peu embarrassé, et fais tourner le moteur. Sans la voir, je la sens prendre ses aises sur le siège passager, alors qu'elle étend ses jambes sur le pare-brise.

— Retire tes pieds de là et boucle ta ceinture de sécurité.

Elle souffle en direction de la vitre. Ne s'exécute pas pour autant.

— Gabriel...

J'ai beau la menacer, elle m'ignore en jetant un coup d'œil à son apparence dans le rétroviseur.

Nom de Dieu, c'est pas possible, une nana pareille !

Très bien, j'attrape ses deux jambes dénudées, provoquant un sursaut d'indignation, et les place correctement devant elle. Je ne fais pas attention à cette petite voix dans ma tête qui me fait remarquer que je n'ai jamais touché une peau aussi douce. Je lui lance un regard noir, et tente de ne pas me formaliser de la mine presque dégoûtée qu'elle arbore à l'idée que j'ai posé mes pattes sur elle. Tant pis, elle n'avait qu'à m'obéir !

— Ta ceinture, j'ordonne.

— Sinon quoi, ça aussi, tu vas le faire à ma place ?

Je vais me gêner, tiens !

Je m'incline devant elle pour attraper la bretelle et sens chacun de ses muscles se raidir sous ma présence imposante. Évidemment, nos visages ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, mais surtout, j'ai une vue imprenable sur le décolleté qui apparaît sous son haut de dentelle noire beaucoup trop sexy pour une simple virée au supermarché.

Après avoir bouclé sa ceinture, je me remets de mes émotions, celles d'avoir découvert d'assez près que ce petit corps maigrelet est en réalité doté de ce qui ressemblerait à des attributs féminins, et je démarre le véhicule.

Le trajet se fait dans un silence pesant, parce que quand Mademoiselle White est en colère, personne n'a le droit à la bonne humeur. Une fois arrivés, Gabriel s'empare du chariot, pour le confier à Violet dans la seconde qui suit. J'observe celle-ci qui le pousse de façon tout à fait naturelle, sans même avoir bronché lorsque son amie le lui a refilé sans aucune politesse. Alors que nous évoluons entre les rayons de ce grand espace froid et impersonnel, la petite Asiatique entasse ses provisions sans compter ni calculer. Prenant et jetant dans le chariot, ignorant les soupirs de son amie.

— Gaby, je ne suis pas sûre que ça vaille la peine de prendre autant de Jerky. Ils auront assez avec les chips et le pop-corn.

— Qu'est-ce que tu en sais, toi ? Ce n'est pas parce que tu es végétarienne que tout le monde doit l'être.

Je ne comprends pas pourquoi, après un simple conseil avisé, le ton de Gabriel se devait d'être aussi grinçant.

— Mais puisque tu l'es aussi, s'il en reste, aucune de nous deux n'en mangera. C'est du gaspillage.

Irritée, la mâchoire de la petite brune se serre, comme si ça l'agaçait d'avoir tort, et elle hausse alors les épaules.

— Pas grave, je les refilerai à l'autre gros, là, décide-t-elle, en me désignant d'un vague signe du menton.

L'autre gros ? Moi ? Elle n'est pas sérieuse ? Et elle m'a pris pour quoi, une poubelle à bouffe ?

Violet se tourne vers moi, la mine soucieuse. Pour la rassurer, et seulement elle, je hoche la tête en signe de consentement. Je vais les lui bouffer, ses Jerky. En plus, j'adore ça, elle a de la chance.

Les deux filles ont parcouru presque tous les rayons de ce supermarché que je trouve un peu surpeuplé pour un dimanche, et j'ai alors eu le temps de réaliser à quel point elles étaient différentes. L'une est assez grande, pas trop, ses cheveux sont châtains et je sais que les fripes qu'elle porte camouflent un corps aux formes plutôt agréables à mater. Les traits de son visage sont doux et plaisants à regarder ; elle possède des joues légèrement roses encadrant des lèvres charnues, sans oublier ses grands yeux de biche d'une jolie couleur noisette. Violet m'a tout l'air de l'étudiante modèle, de la jeune fille sérieuse qui ne fait pas de vague. Malheureusement, elle semble avoir du mal à s'imposer aux autres. De plus, sa gentillesse est évidente et sincère, même si je garde à l'esprit qu'il faut toujours se méfier des apparences.

Gabriel, à côté, est l'exact contraire : Petite. Très petite, et très mince, aussi. Elle n'a pas l'allure de son amie, mais semble vouloir combler ce manque avec tous ces artifices dont elle se pare. Je ne dirais pas qu'elle est vilaine, bien au contraire, mais qui sait ce qui se cache sous cet apparat. Je sais très bien comment le maquillage peut transformer une femme... ou un homme, après avoir filé nombre de bandits qui essayaient de fuir leurs poursuivants. En dehors du physique, cette petite morveuse m'apparaît insupportable. Insolente et turbulente, j'ai le sentiment qu'elle n'est pas si puérile qu'elle veut bien le laisser croire. Son attitude envers Violet en témoigne, et la soumission de celle-ci m'inquiète. Dans tous les cas, j'ai du mal à imaginer que ces deux profils puissent être si proches qu'elles le prétendent.

Nous arrivons aux alcools, et j'oublie que les mineurs n'ont pas le droit d'en acheter.

— Gaby, soupire Violet, à présent lasse de notre expédition.

— T'inquiète, on a un vieux avec nous, on peut prendre toute la bibine qu'on veut.

Et quoi, elle n'en a pas marre de me traiter de vieux à tout bout de champ ?

— Oublie.

Je suis catégorique. Aucun alcool ne passera sous mon autorité.

— Allez, faut bien que tu serves à quelque chose ! C'est une fête, il y aura de toute façon de l'alcool. Ian et ses potes ont l'habitude d'en ramener, mais pour une fois que je peux prendre les choses en main.

Qu'est-ce que je disais sur sa puérilité, déjà ?

— C'est non-négociable.

Elle insiste encore un bon moment, mais je ne flanche pas. Pas avec ça. Jamais avec ça. Cette imbécile est parvenue à me mettre les nerfs en pelote, je m'enfile un chewing-gum et le mastique avec frénésie.

De ce que j'ai compris, Ian est le pote du défloreur fou. Une joyeuse bande de petits connards, en somme. Il ne manquerait plus que je participe à son plan séduction !

— Ce matin, les jumelles m'ont dit que Judith avait un nouveau petit copain.

Violet se raidit à la mention de ce nom, mais elle se contente de baisser la tête.

— Je ne lui souhaite pas d'être heureuse, mais remarque, si ça peut la rendre moins conne d'être amoureuse.

La grande brune s'empare d'un paquet de thé pour le mettre dans le caddie.

— Je ne suis pas sûre que cette fille soit dotée d'une quelconque capacité à éprouver quoi que ce soit pour qui que ce soit, maugrée-t-elle, avec amertume.

L'ambiance est plus détendue au retour, mais lorsque j'allume la radio pour laisser un titre de Tupac que j'affectionne particulièrement, la petite peste prend un malin plaisir à changer de canal pour m'assaillir les oreilles avec « Single ladies » de Beyonce qu'elle met à fond et chante à tue-tête durant une bonne partie du trajet.

Une fois que nous arrivons devant la bâtisse où nous avons à présent l'obligation de cohabiter, j'éteins le moteur, et alors qu'elle se rue sur son trousseau de clés, je la devance et le cache derrière mon dos. Outrée, elle se demande la raison de mon geste.

— Écoute, petite, je t'ai laissé t'amuser pour cette fois, mais il y a une chose que tu sembles oublier. Tu es traquée. Une personne potentiellement dangereuse te veut du mal, et je suis là pour te protéger. Alors à l'avenir, évite d'attirer l'attention en mettant la musique à fond pendant que la capote est levée, et tiens-toi tranquille dans la voiture si tu ne veux pas te faire remarquer. C'est compris ?

Elle fronce les sourcils, accusant le coup, puis tend sa paume vers moi.

— C'est compris ? je répète, pour imposer mon autorité à cette insupportable gamine.

— Ouais, ouais, c'est compris. Rends-moi mes clés, maintenant.

Je lui jette son trousseau de la même manière qu'elle l'a fait précédemment, et contourne le véhicule pour les aider à décharger. Comme pour me punir de l'avoir remise à sa place, elle tourne les talons vers l'entrée de la maison, sans prendre le moindre sac de courses, et ne revient à aucun moment nous prêter main-forte. Agacé au plus haut point par son comportement, je congédie Violet et m'occupe d'exécuter cette tâche par moi-même.

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