🂱❁ 28. Double visage.
____CHAPITRE 28____
-C'est ainsi que notre départ fut annoncé. La paix et le bonheur n'étaient pas dans notre dictionnaire-
🂱___Aaron___🂱
03 janvier - 20h30
PARIS - FRANCE - CHAMP-DE-MARS.
Elle me regarde comme si tout venait de s'effondrer. La douleur dans ses yeux me transperce. Je déteste ça.
J'ai l'air d'un hypocrite ayant joué d'elle pour cette journée, alors que non. Je voulais lui offrir l'une des meilleures journées, celle qu'elle ne pourra oublier si je suis dans la contrainte de m'éloigner d'elle.
J'y ai beaucoup réfléchi et c'est ce qu'il me faut. Nous faut. Adriana et moi ne sommes pas du même monde. Elle habite dans une petite maison, avec sa famille. Moi j'habite dans un bâtiment abritant d'énormes mafieux, plus dangereux que moi.
Je serre un peu plus sa main, essayant de lui faire comprendre quelque chose que je n'arrive même pas à exprimer correctement. Adriana ne m'aime pas et je ferai mieux de m'éloigner avant que je ne plonge dans l'interdit.
Elle mérite mieux.
— Adriana... tu ne comprends pas. Je ne suis pas un homme bien. Je ne suis pas celui que tu penses.
Elle secoue la tête, refusant mes mots. C'est ça qui rend tout encore plus difficile. Elle s'est trop attachée à moi.
— Tu ne peux pas passer une belle journée, m'offrir des cadeaux, me faire sourire et puis me dire que tout cela n'a jamais eu lieu.
Mes doigts effleurent sa joue, effaçant la larme qui coule.
Quand Adriana était bourrée, elle m'a sorti des mots qui ont fusé dans ma tête. Non pas seulement le sujet sur Vichaï mais aussi la place que je prends dans sa vie. Je l'étouffe. Je la considère comme appartenant à moi, je reste près d'elle comme un garde. Elle a sa liberté et cette liberté, elle ne doit pas la passer avec un homme comme moi, possessif et détruit par le passé.
Avant que je puisse dire autre chose, mon téléphone vibre dans ma poche. Je grogne intérieurement mais je sais que je dois répondre quand je vois le nom de l'interlocuteur. Jacob ne m'appellerait pas sans une raison valable. Il a des nouvelles.
— Jacob ?
— Aaron, on a du nouveau. Ryle vient de remporter le bal masqué dans trois semaines. Dans trois semaines, le bal se déroulera à Séoul.
Je me fige. Trois semaines ? Mais c'est plus qu'énorme !
— Trois semaines ? Jacob, nous ne pouvons pas attendre trois semaines. Cela fait déjà quelques jours que nous sommes cloîtrés à Paris.
— Oui, je sais et je pense qu'il est préférable que vous rentriez chez vous. Adriana a besoin de revoir sa famille tout comme toi tu dois la revoir. Puis trois semaines après, vous pourrez décoller pour Séoul.
De un, je n'ai aucune famille à part Jake. De deux, trois semaines pour la revoir et ensuite la laisser libre à son destin ? Non, je refuse.
— Qu'est-ce qu'il prépare pour reporter un évènement pour trois semaines putain...
— Tout est encore flou, mais ce n'est pas qu'un simple bal. C'est sûrement piégé. Il va rassembler toutes les pièces et révéler ses cartes ce soir-là. C'est plus dangereux que tout ce que l'on pense. J'hésite même à refuser la suite de ce contrat pour protéger Adriana...
— Je suis là. Je suis là moi, je peux la protéger. Faites-moi confiance, rien ne lui arrivera.
Adriana se raidit à côté de moi, ses yeux cherchent les miens. Elle ne comprend que le strict de mes mots.
— Tu vas devoir te préparer. Garde Adriana loin de tout ça, je t'en prie. S'il lui arrive quelque chose, je m'en voudrais en tant que père de famille.
— Je vais gérer.
Tu ne vas rien gérer du tout ! me hurle ma conscience.
— On se revoit plus tard, Jacob. Je lui dois des explications.
Puis je raccroche et serre les poings. Adriana se tient encore devant moi. J'agrippe fortement mon téléphone entre mes mains et soupire profondément.
— Le bal masqué a été reporté dans trois semaines. Jacob dit que tu peux rentrer chez toi pour revoir ta famille entre-temps. Nous nous reverrons bientôt, à Séoul.
Je vois qu'elle réagit. Ses yeux s'ouvrent en grand mais les mots ne sortent pas.
— Trois semaines ? Nous allons être séparés durant trois semaines ?
Je me hais en cet instant car je sais qu'elle n'est pas prête pour me laisser partir. Elle s'est tant attachée à moi. Mais ce n'est pas de l'amour, c'est seulement de l'affection. Je me dois simplement de la protéger.
— Rappelle-toi de ce que j'ai pu te dire Adriana. Il faut que tu partes.
Une larme rebelle glisse sur sa joue. Je tends le bras mais elle me repousse aussi vite que je l'ai ramené.
— Donc... Dans trois semaines nous allons nous revoir pour une seule et simple soirée et ensuite... plus rien ?
— C'est le mieux pour toi. C'est le mieux pour ta famille, pour ta sécurité, pour ton avenir.
— Alors tout ce que tu as ressentis à mes côtés ces derniers temps... C'était du mensonge ?
— Hein... Quoi ?
— Ne fais pas semblant ! Tu m'as laissé croire des choses... Des choses qui m'ont donné mal au ventre, tellement mal au point d'en avoir des papillons !
Sa voix se brise sur le dernier mot, et elle réalise très vite ce qu'elle vient de dire. Je m'apprête à parler, mais elle se détourne brusquement et commence à marcher. Dans un élan, je saisis son bras et la tire contre moi.
— Quoi ? Tu es amoureuse de moi ?!
— Non ! hurle-t-elle sans hésiter une seule seconde.
Elle retire son bras, et reste plantée face à moi. Ses lèvres et ses yeux tremblent si bien qu'on dirait qu'elle veut rajouter quelque chose. Pourtant non. Rien. Elle s'éloigne aussi vite qu'elle a parlé.
Je suis en colère. Pas contre elle. Je suis en colère contre moi, contre la vie que j'ai décidé de mener. Mon monde est toxique pour Adriana.
Elle mérite mieux que moi. Elle mérite quelqu'un qu'elle aime.
Je la rattrape juste à temps, sa silhouette disparaît presque dans une ruelle délabrée de Paris.
Ma main attrape son bras et la force à se retourner. Son regard est furieux, mais je sens qu'il y a plus que ça derrière ses yeux. Une douleur que je comprends à peine. Elle s'est attachée à moi, mais elle ne m'aime pas, alors elle n'a pas à m'en vouloir. Je devrais ?
— Adriana ! Attends !
Elle se débat, essayant de me repousser, mais je tiens bon. C'est alors que je les aperçois du coin de l'œil. Trois hommes se faufilent près de nous. Je n'ai pas besoin d'analyser leur intention. Ils s'approchent de nous comme des prédateurs. Ils sont là pour nous.
— Adriana, écoute-moi s'il-te-plaît.
Mais tout bascule quand ils se jettent sur nous. J'en esquive un mais le deuxième m'attrape par derrière tandis qu'un autre s'avance vers Adriana.
Non. Hors de question qu'il la touche ! Elle est à moi.
Mon instinct prend le dessus. Je pivote brusquement vers la gauche, sortant en même temps mon arme de ma poche arrière avant de tirer sans attendre une seule autre seconde. Un coup résonne dans la ruelle et le premier homme s'écroule à terre.
— Salop ! Il a un flingue !
De l'anglais. Il est anglais ce connard !
Le deuxième me saute dessus, mais je suis plus rapide. Je l'attrape par le col, le plaque violemment contre le mur et presse le canon de mon arme contre son crâne. Puis un autre coup de feu et son corps s'écroule comme une poupée en fin de vie.
Je lève mon flingue, le dernier essaie de s'enfuir mais je tire telle une machine de guerre. Je ne pense pas, je suis dans ma bulle, dans mon monde. Le son du tir est brutal, le corps tombe lourdement.
Et puis tout s'arrête. Je reste là, l'arme encore levée. Ma respiration haletante, mon cœur battant à tout rompre sont les seuls sons qui passent dans mes oreilles.
Heureusement qu'un silencieux était déjà installé. Les trois hommes gisent autour de moi, inertes. Je baisse lentement mon arme. En l'espace de trois minutes, j'ai abattu trois hommes. Mais ce qui m'alerte le plus ce sont les bruits de pleurs derrière mon corps.
C'est Adriana.
Je fais un pas vers elle, mais elle recule instinctivement, comme si ma présence pouvait la détruire en un clic. Sa main tremblante est posée devant sa bouche, ses yeux sont grands ouverts. Son visage est pâle. Dans un souffle éraillé, elle regarde le sang des victimes qui s'écoulent lentement, goutte par goutte, derrière moi.
— Adriana... ils allaient te faire du mal. Je n'avais pas le choix.
On a toujours le choix. C'est ce qu'elle aurait dit.
Je sais que c'est faux, mais dans mon monde, c'est la seule option. Je préfère tuer les malfaiteurs plutôt que de les raisonner.
Elle reste silencieuse, figée, ses lèvres tremblant sous mes mots. Un long moment s'écoule, seul le bruit des oiseaux me parvient dans les oreilles. Et puis, enfin, elle parle. C'est moi qui reste abasourdi.
— Tu... tu les as tués ! Devant mes yeux !
— Ils allaient te faire du mal !
Je fais un pas en avant, mais elle recule encore et encore.
— Tu pouvais simplement les assommer, putain Aaron !!
— Et après quoi ?! Ils allaient s'en prendre à d'autres. S'attaquer à des innocents sans défense. Je refuse de laisser ce genre de personnes en vie quand je peux les abattre pour de bon. Pour ensuite sauver des vies, Adriana !
— Tu ne sauves pas des vies, tu les détruis ! Tu les tues ! Tu les brises ! hurle-t-elle en éclatant en sanglots.
Son cri me frappe comme une balle imaginaire. J'arrête de respirer et fais un pas de plus mais son hurlement résonne dans la ruelle.
— Ne m'approche pas ! Ne m'approche pas... s'il te plaît... supplie-t-elle de sa voix cassée.
Elle détaille mon visage, sûrement les traces des giclements de sang des victimes. Pour elle, c'est une scène horrifique. Mais dans mon monde, c'est normal. Je l'ai vécu des centaines de fois et dorénavant je ne peux plus le fuir.
— Tu crois vraiment que je suis capable de te tirer une balle dans la tête, Adriana ? Après tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai pu ressentir pour toi, penses-tu que mon but est de te détruire ?!
Ma voix se brise, et pourtant je hurle. J'agite mon flingue entre ma main, incapable de maîtriser ma colère. Mais mon geste pourtant si inoffensif ne fait que la terrifier davantage. Elle recule encore, son regard rempli de larmes, ses lèvres tremblantes me font mal au cœur.
Elle veut dire quelque chose de plus, mais les mots restent coincés dans sa gorge. Elle ne le fait pas.
Rien.
Et puis elle tourne les talons, et s'éloigne, s'enfuyant aussi vite qu'elle est apparue dans ma vie, me laissant là, seul, au milieu des corps que je viens d'éliminer.
Je la regarde partir, mon cœur battant à une allure que je ne reconnais plus. La ruelle paraît encore plus sombre qu'avant. Je devrais courir après elle. Je devrais la retenir. Mais je reste figé.
— Tu voulais savoir à quoi ressemblait mon monde, butterfly. Voilà une partie de ma sombre vie.
Je bascule ma tête en arrière, contre un mur froid. Je sors mon téléphone, mes doigts encore trempés de sang tremblent légèrement en tapant les touches sur l'écran.
— Allô, Aaron ?
— Allian. Supprime les vidéos de surveillance de l'adresse que je vais t'envoyer. Ensuite, viens. J'ai besoin de toi.
Nous devons nettoyer la scène de crime.
Il y a un silence à l'autre bout de la ligne, puis sa voix rauque résonne.
— Qu'est-ce que t'as fait ?
Je ferme les yeux et soupire profondément.
— Je l'ai perdue à jamais. Voilà ce que j'ai fait.
Je réponds mécaniquement avant d'éteindre mon appareil. Je tape ma tête contre le mur et retient un sanglot mais les larmes que je retiens coulent finalement sur mes joues.
Elle a vu ma vraie nature. Elle a vu le monstre qui habite en moi. Elle a vu le tueur, le criminel, celui qui ne connaît rien d'autre que le sang et la mort.
Et c'est comme ça que je l'ai convaincu de retourner en Espagne.
Je l'ai perdue...
***
❁___Adriana___❁
05 janvier - 12h30.
PARIS - FRANCE - SUITE DE L'HÔTEL.
Je plie soigneusement mes vêtements puis les range correctement dans ma valise. Mes chemisiers, mes robes et les cadeaux offerts par Aaron. J'hésite à les laisser mais je n'y arrive pas. Ce sont des souvenirs que je veux garder avec moi. La nostalgie est un vilain défaut.
Je ferme la valise sous le bruit du vent qui rentre dans la pièce à vivre. Aaron est sur la terrasse, une cigarette coincée entre ses doigts. À chaque bouffée, la fumée toxique s'éloigne dans le ciel.
Depuis bientôt deux jours, nous ne nous disons rien. J'ai refusé chaque moment où il voulait me parler de ce qu'il s'était passé, de ce que j'avais vu. Je ne veux pas en parler, je préfère me taire à ce sujet. Il m'a vu trop pleurer. Il a vu un aspect de moi beaucoup trop faible alors que j'essaye de montrer tout l'inverse...
Je me revois en train de courir dans le parking souterrain, palper le corps d'Aaron, me confronter aux hommes de Ryle Carter. Je m'entends sangloter, mourir dans mes propres larmes. Milan et Paris m'ont fait vivre d'énormes péripéties, tant des mauvaises que des bonnes.
Tu l'as embrassé et tu as adoré ça, susurre la voix dans ma tête.
Je m'arrête un instant et je ferme les yeux.
Est-ce que je devrais lui en vouloir pour ce que j'ai vu ? Ou est-ce que je m'en veux à moi-même d'avoir plongé tête la première dans cet enfer ?
Je tire la valise sur le côté et jette un dernier coup d'œil à la chambre. Tout est en ordre. Comme si je n'avais jamais été là. Mais pourtant je suis enfin libre, pour trois semaines, alors pourquoi ça me fait si mal de m'en séparer ?
Je fais quelques pas vers Aaron sur la terrasse. Il est là, le regard perdu dans le vide. Je vois ses épaules tendues. Il sait que je pars. Nous n'avons pas vraiment besoin d'en parler...
Pourtant je veux parler.
Mais comme il me l'a tant répété, je mérite mieux, mieux qu'un monde comme le sien...
Ouais, c'est ça... Juste ça...
— Mon vol a été avancé. Je dois y aller.
Il ne réagit pas tout de suite, à la place il tire une dernière bouffée de sa cigarette avant de l'écraser sur le rebord. Je vois sa mâchoire se contracter, mais il ne tourne pas la tête vers moi.
— Je sais, répond-t-il finalement, d'une voix rauque que je reconnais à des kilomètres.
Quand j'avais signé cette feuille, je savais dans quoi j'allais m'engager. Mais c'est devenu tellement plus. Au départ, Aaron n'était qu'un homme sous la couverture d'un flic - comme il l'avait dit - mais en réalité, avec les semaines que j'ai passées avec lui, j'ai compris qui est Aaron, du moins une partie.
— Te parler de ce qui s'est passé la dernière fois n'avancera rien. Je te souhaite simplement un bon voyage, Allian va te ramener.
Le voir aussi différent, sans émotion me fait mal. Le premier jour de notre prétendu voyage, cela ne m'a pas impacté et pourtant maintenant, je déteste le voir aussi renfermé.
Je serre la poignée de ma valise, prête à partir, mais quelque chose me retient.
La dernière fois, l'avoir vu tuer trois hommes sans regrets puis ensuite observer le sang couler sur son visage comme si c'était quelque chose de tout à fait normal qu'il faisait dans sa vie, m'a désorientée et traumatisée.
Je sais que son intention était de me sauver, d'éloigner les hommes de mon corps mais j'arrive pas à le digérer. Voir une aussi quantité de sang sous mes yeux m'a dégoûté et pourtant j'arrive pas à lui en vouloir... J'arrive pas à détester Aaron de ce qu'il a fait.
T'es stupide ! Il a tué des hommes sous tes yeux ! crie ma conscience.
Il l'a fait pour me protéger et qui sait ce qu'aurait fait ses hommes s'il ne les avait pas éliminés... C'était peut-être des criminels, des malfaiteurs, des tueurs...
J'ai une idée tellement absurde en tête.
Je veux tellement qu'il me prenne dans ses bras et qu'il dise à quel point je suis importante dans sa vie. Pourtant il ne le fait pas. Tout ce que j'obtiens, c'est un silence.
Mon cœur ressent des choses que je ne devrais pas avoir. Je devrais refuser ce que je ressens pour lui et pourtant je n'y arrive pas. La seule façon d'arrêter cela, c'est de fuir comme il l'a dit, de le fuir.
Mon cœur se serre. Je tire ma valise jusqu'à la porte, le son des roulettes résonne sur le carrelage.
— À bientôt, Aaron.
Et puis, je quitte la pièce, les larmes aux yeux, le laissant seul sur cette terrasse, comme il l'a toujours été.
Ce n'est pas un adieu. On se reverra bientôt. Le futur fera que nous nous retrouverons.
-À suivre-
2847 mots.
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