🂱 25. Tensions réconfortantes.
____CHAPITRE 25____
-Et bien... Disons que c'était pour le moins inattendu-
🂱___Aaron___🂱
02 janvier - 14h30
PARIS - FRANCE.
Depuis la mort de Cameron, M. Davis a pris la décision d'embaucher un nouveau médecin pour notre réseau, ce qui est sans doute la pire des idées. Cameron n'était pas seulement un bon médecin. Il comprenait mes traumas, mes agissements et tout ce que j'avais traversé.
Avant sa mort, la dernière observation qu'il avait écrite était la confirmation exacte du trouble qui me hante depuis mon adolescence. Le TSPT. Franchement, avec ou sans, ma vie ne semble pas prête d'aller mieux.
Adriana, elle, est au courant. Cette fouine s'est permis de fouiller dans mes affaires. Je m'en suis aperçu car elle ne les a pas mis correctement à sa place.
— Nous allons essayer une nouvelle technique, Aaron.
Le psychologue que Jake m'a envoyé tout droit des États-Unis me pompe la cervelle. Les séances de psy ne m'ont jamais aidé plus que ça, j'ai toujours détesté me confier à un parfait inconnu.
Assis sur le canapé, je fixe le tapis sous mes chaussures de ville. Dimitri, le psychologue, feuillette ses notes avant de croiser mon regard.
— Ça s'appelle l'EMDR, c'est une méthode qui utilise les mouvements oculaires pour retravailler certains souvenirs traumatiques. Vous êtes d'accord pour qu'on essaie ?
Je hoche la tête sans vraiment réfléchir. Je suis déjà passé par tellement de techniques que celle-là ne m'impressionne pas plus qu'une autre. J'ai l'habitude de ces tests, de ces nouvelles méthodes censées me "guérir" comme le disent si bien les psys.
Il ajuste son fauteuil, s'assoit face à moi, et me montre ses deux doigts.
— Regardez mes doigts et suivez-les des yeux, d'accord ? Pendant ce temps, pensez à un souvenir difficile. Celui qui vous vient à l'esprit en premier.
Un souvenir difficile. Voilà une question compliquée. J'ai tellement de souvenirs compliqués que je ne sais pas lequel choisir. Bordel, ça craint...
Je fixe ses doigts qui bougent de gauche à droite. Mon cœur bat plus vite. Un souvenir me revient. Celui du coup de la ceinture contre mon dos, de mes hurlements contre mon frère. L'odeur métallique du sang sur ma langue...
— Aaron ? Vous êtes encore avec moi ?
À quoi bon remodeler le passé ? C'est comme si ça pouvait changer quoi que ce soit. Il pourrait agiter ses doigts toute la journée, ça ne me fera pas oublier. C'est ancré en moi.
Il continue ses gestes. Je sens mes poings se serrer. Je me mords l'intérieur de la joue pour garder le contrôle de mon esprit.
— Vous ressentez quoi, là, tout de suite ?
Je secoue la tête, les bras croisés. Je n'ai même pas envie de répondre. Ça ne sert à rien, ça ne marche pas. Je ne changerai jamais ma façon de penser. Des coups, des hurlements ne peuvent pas se changer en comptine.
— Rien. Je ressens rien, et je m'en fous, en fait.
Il note quelque chose dans son carnet. Ça doit être captivant de voir quelqu'un qui ne veut même pas être aidé.
Je soupire. Il continue son numéro. J'essaye de suivre ses deux doigts sans bouger la tête et de penser à un souvenir traumatisant mais ça ne fonctionne pas, ça ne change rien à la façon de voir. Ça tourne simplement en rond, c'est toujours pareil.
— Ça ne marche pas, laissez tomber Dimitri.
Pour lui, c'est juste un patient de plus. Pour moi, c'est du temps perdu. Je me redresse, prêt à partir.
— Vous vous rappelez de votre ami ? Jung-Ho, c'est ça ?
J'ouvre les yeux. Comment connaît-il son prénom putain ? Personne ne le connaît à part Yu-Na, Jake et Cameron. À moins qu'il ne l'ait balance.
— Vous pensez toujours que sa tragique mort est de votre faute, Aaron ?
— Fermez là. N'ouvrez pas ce sujet.
— Atteint de la maladie d'Alzheimer, il ne se souvenait plus de vous. Et vous voilà à morfler de la mort d'un homme qui vous a oublié...
J'agrippe le vase à mes côtés et le balance contre le mur. Il se casse en mille morceaux. Dimitri lui, n'est pas surpris, il doit être habitué, ce qui m'énerve davantage.
— Cet homme est décédé et c'est bien mieux comme ça. Cette maladie l'aurait tué peu à peu de toute façon.
Il tente de tester ma patience ou je rêve ?
— Bouclez là bordel !! Il méritait de vivre plus longtemps ! Plus que moi ! Malgré cette putain de maladie qui le rongeait, d'accord ?! je hurle en m'avançant vers son corps détendu reposé contre le fauteuil.
— Vous ne savez toujours pas garder votre calme quand quelque chose ne vous convient pas, Aaron. Chacun à son point de vue sur la chose, respectez l'avis des autres.
— Ton avis, tu le fous où je le pense ! Quand ça concerne un sujet qui parle de mon entourage, je me dois de prendre des initiatives, je dis en pointant mon index sur son visage.
— Quand a été la dernière fois que vous avez pris vos médicaments ?
— Les médicaments n'ont plus aucun effet sur moi. Les cauchemars continuent, mes pulsions agissent avant même que je réfléchisse, mon anxiété a pris le dessus et je ne sais toujours pas pourquoi j'agis comme ça après tant d'années !
— Vous n'avez pas encore fait le deuil de votre ami. Vos médicaments ne vous aident pas indéfiniment. Ils sont là pour vous calmer.
J'attrape sa blouse. Il se laisse faire. Je rapproche son visage du mien. Mes narines sont dilatées, mon regard est tranchant, rempli de froideur. Je déteste quand on s'en prend à mon passé comme si c'était des mots écrits sur du papier.
— Jamais, ô grand jamais vous ne reparlerez de mon passé ainsi. Ce n'est pas en attisant ma colère que je serai tendre Dimitri, pigé ?
— C'est le but du processus. Avec ces questions, nous avons confirmé que la dose de médicaments était basse. Nous devons l'augmenter.
Je resserre ma prise mais la relâche finalement en prenant un souffle long.
— Je n'en ai pas besoin. Je suis bien comme je suis. Ne faites rien qui pourrait mettre votre vie ainsi que celle de votre famille en danger. C'est mon dernier mot, sur ce.
J'attrape ma veste et marche vers la porte.
— Prescrivez les merdes que vous voulez, elles ne font que de me rendre addict et détruisent mon corps. Pour guérir, il me faudrait un destin solide, hormis avec l'expérience que j'ai pu avoir, ça ne sera pas facile.
Et je claque la porte. La colère bouillonne encore, et je la déverse d'un coup de poing sur le distributeur à eau juste à côté. Le choc frissonne l'eau dans la bonbonne. Les gens autour de moi me regardent, les yeux écarquillés, je les ignore. Je n'ai pas besoin de leur pitié, ni de leurs murmures derrière mon dos.
Ces foutus médicaments, ils veulent que je les gobe sans poser de questions, comme s'ils allaient effacer tout ce bordel dans ma tête. Mais elles ne font que m'anéantir un peu plus chaque jour. Ils disent qu'ils apaiseront mes nerfs, mais en réalité, ils me bouffent de l'intérieur. Ils ne guérissent rien.
Je connais chaque pilule par cœur : les petites blanches pour l'anxiété, les bleues pour dormir, les rouges pour ne pas sombrer. Elles me font juste planer, assez pour que je ne ressente plus rien.
Ils m'ont peut-être détruit mentalement. Mais physiquement, je suis là et je reste le Aaron, fort, courageux, celui qui a tant survécu à des tragédies.
Fin du moins, je le pense...
***
02 janvier - 14h25
PARIS - FRANCE - ENTREPÔT.
Il fait un froid de canard dans ce pays. Ce n'est pas seulement parce que nous sommes en hiver. En France quand il fait froid, il fait froid, ce n'est pas une blague...
J'ajuste mon trench d'hiver puis enfile mes gants noirs alors que les portes en métal de l'entrepôt grincent en s'ouvrant.
— Chan, t'es sérieux mec ? Un bonnet Mickey mouse ? demande James vers le concerné.
— J'avais que ça sous la main, ok ? Ça fait des semaines qu'on n'est pas sorti en mission.
Les deux zigotos sont arrivés il y a un peu plus d'une heure, vers treize heures, comme l'a dit Jake.
Depuis ma sortie fracassante du psy, je suis tendu comme un taureau et le fait de trouver des indices qui peuvent anéantir notre ennemi sous un froid hivernal, me ravive au plus au point.
— T'as déjà vu un endroit aussi désert ? se questionne Chan, son arme à la main.
En effet, l'entrepôt est immense et désert. J'avance sous le bruit de nos pas qui résonne contre le béton. Le lieu a été vidé avec hâte, ça, c'est certain. On peut encore voir les marques sur le sol. Les cargaisons d'armes ont été déplacées, et on ne sait ni où ni par qui. Je sens simplement que quelque chose cloche.
— Cherchez quelque chose. N'importe quoi qui pourrait nous faire avancer, dis-je en allumant une lampe torche.
Les deux hochent la tête et commencent à fouiller les coins de l'entrepôt tout en faisant le moins de bruit possible.
Quant à moi, je m'avance vers ce qui semble être un bureau improvisé au fond de l'entrepôt. Il y a une table en bois, couverte de papier froissé et de traces d'huile. Je fouille parmi les documents, la plupart des écritures sur les feuilles sont barrées ce qui complique la tâche. Rien ne me saute aux yeux.
— Aaron, viens voir ça ! s'écrie Chan depuis l'autre bout de la pièce.
Je le rejoins. Chan pointe du doigt un petit morceau de papier collé contre une caisse en bois. Un bordereau de livraison, avec juste quelques informations lisibles : une date récente, un logo d'entreprise partiellement visible, et ce qui semble être le début d'une adresse.
— Une livraison récente, murmure James en attrapant le papier et en l'examinant de plus près. Le logo, ça me dit quelque chose. Ils utilisent cette boîte pour masquer les envois illégaux, j'en suis sûr.
Je hoche la tête, analysant le minuscule bout de papier entre mes mains gantées. L'adresse ne donne pas grand-chose, mais c'est suffisant pour creuser plus profondément.
— Bon travail, dis-je en glissant le papier dans ma poche. On va suivre cette piste. Si c'est ce que je pense, on est plus près d'eux qu'ils ne le croient mais continuons à fouiller, peut-être qu'il y a quelque chose d'autre.
Chan se dirige dans un tas de vieilles bâches. Il les soulève une par une. James, lui, se concentre sur une trappe en métal dans le sol. Je m'approche de lui. Il tire sur le bout et la trappe s'ouvre. L'odeur qui s'en échappe me donne la nausée.
Je m'approche et braque ma lampe de torche. Une échelle mène vers le bas. Il vaut mieux ne pas s'y aventurer sans réfléchir. Mais je ne suis pas là pour réfléchir, je suis là pour trouver ce qu'ils essaient de nous cacher.
— Je descends, restez là et couvrez-moi, ordonné-je sans attendre leur réponse.
Je descends lentement, échelle après échelle, jusqu'à toucher le sol bétonné d'une petite pièce sombre. Les murs sont tachés avec des éclaboussures que je préfère ne pas identifier. Je balaye la pièce de ma torche, et mon regard s'arrête sur quelque chose d'étrange situé à côté d'un tas de couvertures. Je m'avance vers l'objet et découvre un couteau ensanglanté posé sur le sol.
C'est quoi ce bordel au juste ?
Je m'accroupis, la gorge serrée. Ce n'est pas du sang séché, il est encore frais. Quelqu'un s'est servi de cette lame récemment, et ce n'est sûrement pas pour déballer des caisses. Ces enfoirés utilisent des trucs bien plus glauques que le trafic d'armes.
J'enroule un tissu, que je trouve sur le sol, autour du couteau. Puis je remonte, les poings serrés. James et Chan me regardent, et ils comprennent tout de suite ce qu'il ne va pas.
— On a trouvé bien plus qu'une piste, dis-je en montrant ce que j'ai récupéré. C'est plus sale. Ces gars ne se contentent pas de transporter des armes. Ils sont prêts à tout pour s'assurer que personne ne les trahisse, quitte à en faire un exemple ici-même.
James serre les dents, Chan détourne le regard un instant,
— Il faut faire l'empreinte ADN du sang trouvé sur le couteau. Je veux savoir à qui ça appartient.
La partie est loin d'être terminée. Ryle pense nous avoir berné mais les Black Iron sont secrètement plus dangereux que les enfoirés qui lui servent d'hommes.
— Mais avant ça, fêtons votre arrivée avec un bon repas, les mecs. Le voyage a dû être épuisant, dis-je en les retournant avant de frapper leur épaule pour les faire avancer.
— On a voyagé en première classe... ajoute Chan, d'une voix hésitante.
— Oh la ferme, profite, il nous propose de la bouffe gratuite.
Je ris face au commentaire de James.
Ça fait du bien de retrouver sa famille.
***
02 janvier - 20h35
PARIS - FRANCE - SALLE DE SPORT PRIVÉE.
En arrivant dans la salle de sport privée, je m'attends à trouver l'endroit désert, mais le bruit des coups de frappe m'interpelle dès que je passe la porte.
Adriana est là, seule, face au sac de frappe. Elle s'entraîne dos à moi. Ses cheveux sont attachés en une queue de cheval décoiffée. Les quelques mèches s'échappent pour coller à sa peau transpirante.
J'ai passé une journée éprouvante. En passant par la séance avec le psy, la découverte de l'entrepôt et la journée avec les gars, je n'ai pas eu le temps de me reposer ne serait-ce qu'une seule minute.
Et ne parlons pas de la relation que j'entreprends avec Adriana. Depuis hier, l'ambiance est tendue. Elle me fait la gueule. Les femmes sont trop complexes parfois. Sans comprendre pourquoi, je me suis tout de même pris une gifle. Une belle. Pourtant nous ne sommes pas réellement en couple. C'est comme quand elles rêvent que leur mec les quitte. Ça devient une raison de se disputer dans la vraie vie.
Je m'appuie contre le cadre de la porte, observant Adriana en silence. Elle frappe le sac de boxe. Ses coups sont puissants. Elle rejette toute sa rage. Je le sens.
Elle ne remarque pas tout de suite ma présence, trop concentrée sur son enchaînement. Ses mouvements sont fluides. Son pied droit heurte le sac, puis elle recule, essoufflée, sa poitrine se soulève rapidement.
— T'en as presque déchiré le cuir, dis-je en souriant légèrement. J'ai presque honte de t'avoir sous-estimée.
Adriana sursaute légèrement, surprise par ma présence. Elle essuie la sueur de son front d'un revers de main avant de se tourner vers moi. Il y a de la fatigue dans ses yeux, mais il y a toujours cette flamme qui reste allumée, depuis hier.
— Je me prépare. Pour tout ce qui pourrait m'arriver, répond-t-elle d'une voix presque mécanique.
Je m'approche lentement. J'observe ses gestes. Elle se donne à fond, ça se voit, mais je vois aussi les petites erreurs qui, en situation réelle, dans notre sombre monde, pourraient lui coûter cher.
— Ta posture est trop ouverte. Si tu veux être plus rapide, garde tes appuis serrés. Ici.
Je me place derrière elle, puis j'ajuste sa position avec mes mains. Mes doigts frôlent légèrement ses hanches pour la guider mais dès que je la touche, je sens son corps se raidir sous mes mains. Elle se fige instantanément.
— Qu'est-ce que tu fais ? lâche-t-elle brusquement.
Elle s'éloigne d'un pas, et je reste là, surpris par la dureté de sa réaction.
— Je t'aidais avec ta posture. Tu avais besoin de corriger ton appui.
— Corriger mon appui ? Tu te prends pour qui ? Pourquoi est-ce que tu crois toujours savoir mieux que moi ?
Je soupire, essayant de garder le contrôle. Elle doit sûrement m'en vouloir encore pour hier... Mais je ne vois toujours pas ma faute malgré ça.
— Adriana, ce n'est pas ça. Tu sais très bien que j'essaie de t'aider. Je fais juste en sorte que tu sois prête...
— M'aider ? Encore ? Toujours là à vouloir me corriger, comme si j'étais incapable de faire quoi que ce soit par moi-même !
Ses mains tremblent légèrement, sûrement dû aux enchaînements qu'elle a émis il y a quelques minutes. Mais pourtant elle les dissimule en croisant les bras.
— Ce n'est pas ce que je dis ! Je sais que tu es sur les nerfs depuis hier, et que tu prends tout de travers. J'essaie juste de faire en sorte que tu sois prête. Pourquoi est-ce que tu rends tout ça aussi difficile ?
Elle fusille du regard, les mâchoires serrées. Elle se tient à quelques mètres de moi, mais à mes yeux, des centaines de mètres nous séparent.
— Pourquoi ? Je suis trop faible, trop perdue pour m'en sortir sans toi ?!
— C'est ça que tu penses de moi ? Que je te vois comme une incapable ?
— Et qu'est-ce que je suis censée penser ? Depuis des semaines, tu m'étouffes avec ta foutue manie de tout vouloir contrôler !
Je lève les bras en signe de capitulation puis tourne en rond sur moi-même. Si je continue de répondre, ça va mal finir. Comme l'a dit Dimitri, je dois me calmer, souffler, laisser filer les mauvaises ondes.
Et puis merde, ça ne marche pas !
— Tu crois vraiment que je fais ça pour te rabaisser ? Tu crois vraiment que j'ai passé tout ce temps à te surveiller parce que je te trouve faible ?
— Alors pourquoi tu ne me laisses pas tranquille ? Je ne suis plus celle que tu dois protéger, ok ?
Ses yeux se remplissent de larmes, mais elle refuse de les laisser couler. Depuis tout à l'heure, derrière sa colère, je vois bien qu'il y a autre chose : de la douleur.
— Oui, tu as changé, mais ça ne veut pas dire que je vais te laisser courir à ta perte sans rien faire !
— Courir à ma perte ? C'est toujours la même chose avec toi. Toujours à croire que tout va s'effondrer si tu ne contrôles pas tout.
Je me rapproche d'elle, mes poings serrés. Mon cœur bat à tout rompre, et je lutte pour ne pas exploser à mon tour. Mes médicaments ne marchent pas. J'ai envie de tout casser autour de moi. Personne ne m'avait déjà haussé le ton sur ma manière de procéder.
— Parce que tu refuses de voir la réalité, Adriana ! On est dans une situation qui est dangereuse, et si tu ne fais pas attention...
— Tu sais quoi ? Peut-être que je devrais juste arrêter de te parler. Parce que visiblement, à chaque fois que je parle, tu es là pour me dire que je me trompe.
Elle se mord la lèvre, et je vois bien qu'elle est sur le point de craquer. Elle s'éloigne vers sa gourde. En buvant une longue gorgée, elle ferme les yeux et secoue la tête. Je m'avance et arrache la gourde de ses mains. Je la ramène vers mon nez et renifle le contenu. C'est tout sauf de l'eau en effet.
— C'est de l'alcool, dis-je froidement. Écoute. Peut-être que j'ai l'air d'être de trop dans ta vie quand tu fais le moindre pas mais c'est pour te protéger. Mon monde et le tien ne sont pas pareils. Tu dois le comprendre, Adriana.
— J'ai... J'ai tellement réfléchi... Depuis cette soirée dans la piscine... Depuis que nous avons signé ce contrat, tu es constamment derrière moi... Et je n'aime pas ça, je n'aime pas te voir te coller à moi. Je n'aime pas savoir qu'une autre femme t'a touché. Non. Je ne veux pas.
— Adriana... Je ne comprends pas où tu veux en venir.
Elle baisse les yeux, puis murmure sa phrase.
— Il était comme toi. Il me protégeait à sa manière. Il me donnait tout l'amour qu'il avait avec ses phrases à en faire baver. Il me faisait rêver. Mais il voyait d'autres filles. Pourtant, il m'interdisait de voir d'autres hommes. J'étais piégée... J'étais coincée dans une relation toxique.
Je la regarde en refermant la gourde que je jette sur le sol, loin de nous. J'écoute ses paroles bien que l'alcool joue sur elle.
— C'est Vichaï. Ce connard. Tu étais amoureuse de lui, mais il t'a laissé en plan.
— Ne parle pas de lui comme ça !
— C'est un connard ! Il t'a utilisé alors qu'il voyait d'autres filles en douce !
— Alors t'es quoi toi alors hein !? Tu interdis les hommes de me regarder mais tu vois d'autres femmes à côté !
J'attrape ses épaules, mais elle s'en dégage aussitôt, comme si mon toucher la brûlait. Elle recule, la mine boudeuse, les bras croisés contre sa poitrine. Je tente de garder mon calme, mais mes pulsions me rongent. Tout ce que je veux, c'est la protéger.
— Notre relation n'est pas basée sur les sentiments et la manipulation. Dans mon monde, ce genre d'hommes saute sur toutes les femmes à chaque occasion, Adriana. C'est la loi de la rue. Des hommes comme Vichaï ne pensent qu'à leur cul.
Elle secoue la tête. Elle se retient de pleurer. Son sourire quant à lui est amer.
— Certains sont gentils, murmure-t-elle. Ils ne me veulent aucun mal. Vichaï n'était pas ce genre d'homme.
Son nom, prononcé dans cette pièce fait bouillir mon sang. Mon poing se serre, et je sens la rage monter en moi. J'ai tout fait pour la sortir de ce passé, pour la sauver de ce genre de gars, et elle... elle est encore là, à défendre cet enfoiré.
— Quoi ? Parce qu'il habite dans un monde où la mafia n'est pas le centre d'intérêt ? Où le sang sur les mains, les armes comme premier jouet et les meurtres comme premier cadeau ne sont pas de son monde ?!
Je vois ses épaules se contracter, mais elle ne bouge pas tout de suite. Elle s'éloigne de moi de quelques pas, s'arrête et hésite. Mon cœur bat furtivement dans ma poitrine. Je bouillonne de l'intérieur.
Putain j'ai tout fait pour la protéger et je m'en prends plein la gueule.
Mon monde est un enfer, c'est vrai. Mais c'est le seul monde que je connaisse. C'est là où je suis né, là où j'ai survécu, où je me suis forgé, où j'ai grandi et si ce n'était pas ça, si je n'avais pas appris à être plus dur que mes démons, je serais sûrement mort sous les coups de mes parents. Adriana ne le comprend pas. Tout le monde n'a pas la chance de vivre dans un monde de Bisounours.
Elle finit par se tourner. Elle avance lentement vers moi. Et quand elle arrive devant moi, ses yeux plongent dans les miens.
— Tu es jaloux de moi ? Jaloux de ce que j'ai pu vivre ?
Je serre les dents, la pure vérité brûle dans ma gorge. Je ne peux plus la contenir.
— Oui, je suis jaloux, bordel ! lâché-je de ma voix rauque. Tu n'as jamais eu à te salir les mains comme moi. Tu n'as jamais eu à faire des choix qui te poursuivent pour le reste de ta vie. Et tu protèges un homme comme Vichaï ! Il ne mérite pas que tu uses ta salive pour lui.
Elle se redresse doucement, son visage s'adoucit pour la première fois depuis hier.
— Tu veux la réponse à tes questions ?
— Oui, je la veux !
— Tiens, prends-la alors.
Sans vraiment réfléchir, elle franchit la distance qui nous sépare et ses lèvres trouvent brutalement les miennes dans un baiser à la fois doux, pressant et désespéré. Ses mains glissent autour de ma nuque, ses doigts s'enroulent dans mes cheveux et m'attirent un peu plus près d'elle m'emportant dans le gouffre des ténèbres.
-À suivre-
3910 mots
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