ꕥ 03. Dessin révélateur.
____CHAPITRE 03____
-Je le déteste et je le détesterai jusqu'à ma mort-
ꕥ___Jude___ꕥ
ISTANBUL – TURQUIE – APPARTEMENT
Ma main glisse sur le pelage mouillé de l'animal de compagnie. Il s'agrippe à mon bras. Je le nettoie après l'avoir déposé dans l'évier de la salle de bains équipée. Ils ne sont pas foutus de mettre une baignoire dans un si grand appartement.
D'ailleurs, je suis impressionnée par la grandeur de cette maison. Elle est chic et harmonieuse, teintée de couleurs sombres, disons le noir et le gris, et tamisée par des lumières au plafond suspendues. Mon père a choisi l'un des meilleurs appartements d'Istanbul.
Bien que le voyage fût extrêmement tendu avec la compagnie de mon garde du corps, découvrir de nouvelles têtes, de nouvelles cultures et de nouvelles nourritures était, malgré tout, incroyable. Cela m'a rafraîchi la tête et mon esprit. J'ai même oublié pourquoi je suis réellement venue dans ce pays. Les armes ne me manquent pas. Mais sentir l'air frais d'un nouveau pays différent de ce que je visite l'est.
— Je sors dehors ! déclaré-je en enveloppant le chaton trempé dans une serviette blanche.
L’animal miaule faiblement, tout en se débattant pour se libérer, ses pattes s’enfonçant dans le tissu humide mais aussi dans mes bras. Ses griffes ne sont pas tout à fait formées, alors j'en souris au lieu de grimacer. J'en ris au lieu de pleurer.
— On va te sécher puis te soigner, et tu pourras dormir dans mon lit, parlé-je à l'animal tout en marchant vers le salon éclairé par de faibles lumières.
Derrière la baie vitrée, la ville d'Istanbul est maintenant habillée de lanternes et de réverbères. Je peux apercevoir les voitures passer à travers la grande vitrine, laissant ainsi la chance de voir une vue magnifique sous mes yeux assez fatigués. Le décalage horaire ne m'a pas du tout aidé et cet homme, n'en parlons pas…
— Ton père a informé que tu ne sors pas. Il est tard. C'est l'heure de dormir.
Je me retourne et l'observe. Vêtu à présent d'un jogging gris et d'un tee-shirt blanc qui lui colle à la peau, cela laisse paraître des formes marquantes.
— Tu n'es pas ma mère.
— Je ne voudrais pas prendre la place laissée par ta mère de toute façon.
Paf.
— T'insinues quoi ? Que je ne peux pas me débrouiller sans mère. C'est ça ?!
Je pose le chaton sur le canapé en tissu et me rapproche d'un pas ferme vers le corps détendu du bodyguard. Il ne bouge pas, ne réagit pas. Ma présence n'est même pas crédible à ses yeux.
— Je te rappelle que tu es venu avec moi, dans ce pays, pour me protéger. Et non pour me blesser. Je sais me débrouiller toute seule et te voir dans cette maison me donne envie de me jeter de ce balcon !
Les mains dans les poches de son jogging, il fixe mes yeux d'un air nonchalant.
— Dit celle qui recueille un chaton parce qu'elle a pitié pour un animal blessé. Rappelle-toi pourquoi nous sommes ici, Judith. Pour une mission, pas pour être la pet-sitter d'un animal blessé !
La mâchoire ferme, je pose mon index sur son buste. À chaque mot prononcé, je lui donne une petite tape.
— Et même si je suis propriétaire d'un animal errant, je n'ai pas de malformation au niveau de mes yeux.
Mes mots brusques le changent rapidement. En une seconde, je sens ses doigts imposants se refermer fermement sur ma nuque tenue. Sa poigne est presque brutale, et mon souffle se coupe.
— Lâche-moi Jake, tu me fais mal…
Son visage se trouve à quelques centimètres du mien.
— Prononce une fois de plus quelque chose de détestable sur mes yeux, meleğim (= mon ange) et je te jure que tu ne verras plus jamais la lumière de ce pays, murmure-t-il en lâchant brusquement ma nuque. Ne me réveille pas, mes heures de sommeil me sont précieuses.
De ce pas, il s'éloigne du salon avant de disparaître de mon champ de vision. Essayant de reprendre une respiration normale, je prends appui sur le dossier du canapé. Je baisse mon regard vers le chaton qui m'observe avec de gros yeux.
— Je l'ai blessé et il le montre en étant en colère…
Qu'est-ce qu'il me cache ? Pourquoi j'ai dit ça ? Pourquoi j'ai dit ça sur ses yeux alors que c'est le seul élément qui le rend unique chez lui ?
***
Je me réveille la première. Je vois directement le petit Kitty étirer ses petites pattes et le prends entre mes mains, le remplissant de mille et un baisers sur son museau. Je présume que c'est un prénom de fille, bien que ce soit un garçon, mais ce n'est rien de très grave. De toute façon, ce chaton aurait été oublié dans les rues d'Istanbul si je ne l'avais pas pris entre mes mains. Je n'arrive pas à croire que des personnes malveillantes s'en prennent à des bouts de chou aussi mignons.
J'ai l'impression de changer depuis que j'ai rencontré ce chaton. Mais heureusement, chaque humain a une part de gentillesse et d'humanité. Sûrement Jake aussi.
Mon père me voit comme téméraire et ambitieuse. Je le suis quand je dois aller en mission. Quand je pars en mission, je le fais pour une raison simple : ma survie. Je refuse de risquer ma vie pour des intérêts qui ne sont pas les miens. À vingt-deux ans, je mérite de vivre plus longtemps qu’une gamine sacrifiée sur les bureaux de nos ennemis. Mais ce que je montre aux autres est bien différent. Je leur montre une femme prête à tuer, à massacrer, et à gagner. Parce que si ces hommes comme Ryle ou tous ces êtres dénués de compassion découvrent que la fille de Matthieu Davis est sensible et vulnérable, je deviendrais une proie, une cible, une marchandise. Et le pouvoir de mon père tombera en ruine avec moi.
Mais parfois, je rêve de vivre une vie normale et correcte en Italie. Manger une assiette de spaghetti ou une pizza traditionnelle sur une terrasse ayant comme vue une plage avec un coucher de soleil qui prend place à l'horizon.
C'est dans mes rêves. Ne rêve pas, Jude.
Je secoue la tête, évacuant ses pensées parasites, et je viens porter Kitty dans mes bras. Nous nous dirigeons ensemble vers la chambre du bodyguard. Le petit-déjeuner est prêt. Il est temps d’aller réveiller monsieur je ne suis jamais de bonne humeur.
J'entrouvre la porte de sa chambre, juste assez pour faufiler mon visage à l'intérieur de la pièce. Je remarque le grand lit double remplissant l'entièreté de la chambre lumineuse par la vitre ouverte.
Le vent souffle, les rideaux bougent, sauf le corps de celui-ci en train de faire le meilleur dodo possible de sa vie à plat ventre, sous sa couverture blanche. J'observe son dos nu. Ses os sont tendus et crispés par le vent qui passe et frôle sa peau. Son tee-shirt d'hier a été retiré, ce qui me donne une vue plus qu'impressionnante ; quand on connaît la tête des hommes à main de mon père 24 h/24, 7 jr/7.
Je détourne rapidement les yeux, trop gênée d'être rentrée dans sa chambre. Mais pour donner une bonne raison de rentrer, Kitty passe entre mes jambes et pénètre dans la chambre du bodyguard sans ma permission.
— Non, non, reviens ici, Kitty ! chuchoté-je à voix basse en ouvrant la porte pour y rentrer.
Je râle dans ma gorge. Jake se tourne, ventre face au plafond. Ma main se pose sur ma bouche quand je vois le chaton roux bondir sur le matelas.
— Alors là. Non, m'énervé-je en attrapant l'animal prêt à sauter sur le garde du corps.
Le chaton entre mes mains, Jake retire en même temps sa main de son torse et je remarque enfin un nouveau tatouage remplir cet espace personnel.
Le cœur.
Je ne sais pas par quel coup de folie, mais je veux toucher cette partie, juste la frôler et sentir la sensation d'un tatouage entre mes doigts sans que ça soit le mien.
— Qu'est-ce que tu fais ? questionne la voix grave et rauque de mon garde du corps.
Il attrape brusquement mon poignet de ses doigts masculins, ce qui me fait lâcher un léger cri de surprise.
— Le chat… C'est le chat qui est rentré dans ta chambre.
Il retire sa prise de mon poignet d'un coup sec et passe sa main sur son front pour la poser sous la fatigue.
— T'es putain de chiante.
— Le déjeuner est prêt. J'ai préparé quelque chose avec ce qu'il y avait dans le frigo, je préviens en emportant le chaton avec moi en dehors de la chambre.
Je ferme la porte d'un coup rapide, le laissant seul dans son délire. Je ne l'ai pas insulté, c'est déjà ça.
Peut-être qu'il s'est encore énervé contre moi, mais au moins j'ai pu vaguement voir ce dessin sur son cœur. Le Yin et le Yang. L'obscurité et la lumière.
Je connais et j'ai appris la signification de ce symbole chinois. Bien qu'il comporte beaucoup de définitions, j'en fais mes propres définitions.
L'équilibre entre deux forces opposées qui se fusionnent et qui ne créent qu'une seule et unique force dans l'esprit de l'humain. Le Yin représente la féminité et le Yang la masculinité. Tous deux se fusionnent et créent une relation harmonieuse et en équilibre. Le côté noir qui donne comme sens la lune, l'obscurité, et le côté blanc, la luminosité, le soleil, la chaleur. Dans ces deux virgules, il existe deux points opposés, noir et blanc, signifiant que jamais l'un peut exister sans l'autre.
En ce moment, quand je vois la tête de Jake, je dirais que c'est le Yin, il est obscur mais représente la féminité en prenant soin de lui. Mais pourquoi faire ce tatouage, s'il n'a même pas sa moitié, le Yang, la lumière ?
— J'ai préparé des poivrons cuits avec du fromage, apparemment c'est un plat traditionnel ici.
— Je ne mangerai pas ça, Judith, me dit-il en sortant une clope de nulle part après avoir enfilé son tee-shirt.
Sa voix est si nonchalante que je veux lui mettre un coup de poing en plein visage, mais une question me trotte en tête. Depuis quand fume-t-il ? Je ne l'ai jamais vu prendre une seule cigarette en main.
— Depuis quand tu fumes ?
— Depuis que ton père m'a collé le boulot pour garder une gamine. Pourquoi ? Tu te préoccupes de ton garde du corps, maintenant ?
— La cigarette n'est pas bonne pour les poumons. Ne fume pas.
Il esquisse un sourire, prenant mes mots à la légère.
— Qu'est-ce que va faire la médecin du marché ? M'arrêter ? Tss, souffla-t-il en allumant sa clope sous mes yeux.
Il inspire profondément et lâche une fumée sur moi sans oublier mon plat.
— Arrête ça, Jake. Je ne rigole pas…
Le chaton commence à miauler sous mes pieds comme s'il était lui-même mécontent de nos disputes. Jake, lui, sans soucis pas, il crache une nouvelle bouffée de cigarette sur mon visage.
Je ne réfléchis pas, ça part tout seul. Une gifle résonne contre sa joue.
— Bordel ?! s'exclame-t-il en posant une main sur sa joue rougie.
Je me lève d’un bond, toussant dans mon coude pour chasser la fumée qui me brûle encore la gorge. Mon regard glisse vers lui. Il méritait cette claque. Il me détruit au lieu de me protéger. Il ne connaît strictement rien à mon cas. Mon père ne lui a rien dit. Qu'est-ce que je dis ? Même mon père ne le sait pas.
J'ai envie de pleurer, mais ce n'est pas du tout le moment. Je ne pleurerai pas. Pas maintenant. Pas devant lui. Surtout pas lui.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive pour me gifler comme ça, putain ?! hurle-t-il dans ma direction.
J'essaye de m'enfuir, de respirer correctement, de parler correctement, mais c'est peine perdue, il me complique la tâche.
— LAISSE-MOI PASSER !
Il écrase sa cigarette à peine entamée sur une assiette vide que je lui avais posée pour lui, pour la nourriture qu'il allait manger. Mais quelque chose dans son regard change. Il est tout d'abord confus et, par je ne sais quel coup de miracle, il porte un verre d'eau devant mes yeux.
— Bois, Jude. Bois l'eau, allez, bois.
Sa voix est presque douce, mais je n'en ai rien à faire, je le pousse brusquement et le laisse derrière moi, seul dans la cuisine. Je dois m'éloigner, respirer seule. Ainsi, je me précipite dans la salle de bains pour reprendre mes esprits. Je ferme la porte à double tour et prends appui sur la porte.
J'essaye de penser à autre chose. Mais pourtant une seule pensée me reste en tête : Jake venait de dévoiler l'un de ses côtés sensibles en ruinant une partie de sa mission. Protéger et ne pas détruire la vie de la fille de son chef.
Il a baissé sa garde, même si c'était pour une courte durée, il l'a fait. Mais pour qui ? Non. Pourquoi ?
Son argent.
-À suivre-
Que pensez-vous du tatouage de Jake ? 🌝
( Jake quand il a commencé à entendre Jude tousser à cause de la cigarette )
( L'état de Jake après que Jude l'a giflé devant les fantômes de l'appartement )
( Le chaton roux quand il est monté sur le lit de Jake )
2221 mots
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