Partie 2 : ALICE
Paris pulse comme un corps qui court.
Des centaines de kilomètres de veines noires, des millions d'artères qui frissonnent. Esplanades de béton, tuyaux entremêlés dans la bouche métallique de Paris. Un vendredi couleur fumée voit les travailleurs se faire cracher du métro. Cet ensemble velours qui fait tache, vomi des grandes écoles.
Ils ont une place.
Pas Alice.
Alice est pliée en quatre à l'angle de l'avenue Charlot et de la rue Bretagne. Alice est une origami, si froissée que plus rien ne l'ébranle. Ni les bouteilles éclatées sur les trottoirs, ni les rats longeants, toutes moustaches en alerte, les murs gris. Sortants par milliers de leur palais souterrain,
ils croupissent dans les ténèbres.
Et puis Alice boit. Elle boit parce qu'elle oublie. Ou peut-être pour oublier,
justement ?
Parce qu'au fond, pourquoi se rappeler d'elle, si petite et si noyée dans le flot du quotidien ? Pourquoi se rappeler des coups, des engueulades qui brisent et des bleus qui jaunissent ? Pourquoi se rappeler de son appart' en cité HLM, souillé, où le loyer n'était pas payé ? Pourquoi se rappeler d'études saccagées, inachevées dont les morceaux sont égarés, éparpillés ?
Et puis, à l'angle de l'avenue Charlot et de la rue Bretagne, les gens sont pressés.
Jamais un regard,
jamais un baiser,
une peur du retard,
des barbes mal rasées,
un café rare,
un monde agité.
Mais Alice n'est pas éternelle. Elle a balayé d'un revers rageur de la main tous les mirages que la vie, cruelle, lui avait laissé entrevoir. Alors, au coin de l'avenue Charlot et le de la rue Bretagne, elle
s'éteindra,
un jour,
figurante dans ce théâtre humain où personne ne posera jamais de nom sur son visage.
Parce qu'Alice sait. Elle sait qu'elle n'est pas plus signifiante que l'un de ces rats.
Et puis parce qu'Alice est une origami
froissée,
et qu'elle finira par
brûler.
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