Mission

Warning : Violences physiques et mort

Loïc était ce que les autres appelaient un homme bien. Il se préoccupait du bien-être de ceux qui l'entouraient, qu'ils soient proches ou non. Il était de ces personnes qui ne pouvaient s'empêcher d'aider. Il emmenait les personnes âgées faire leurs courses, il gardait les enfants de ceux qui en avaient besoin, il nettoyait les trottoirs, il donnait un petit quelque chose aux sans-abris. Mais si certains étaient gênés à l'idée de laisser cet homme faire ce qu'ils devaient faire eux-mêmes, d'autres en faisaient leur bonne poire, celui qu'ils appelaient à l'instant même où ils avaient besoin de quelque chose. Lui ne savait pas dire non, alors il le faisait. Il se laissait faire en soi, se laissait manipuler. Il ne savait pas distinguer une demande honnête d'une autre hypocrite.

Tous les jours, il emmenait les enfants de ses voisins de gauche à l'école, puis il allait travailler, il récupérait les deux marmots au soir, il passait chez la voisine d'en face pour prendre sa liste de courses, allait les faire avec les enfants, puis ramenait les courses et rentrait chez lui pour s'occuper des deux petits avant que leurs parents viennent les chercher. Mais sa journée n'était pas finie. Il partait ensuite dans le quartier, donnait à manger aux sans-abris et à leurs chiens, allait faire un tour à la maison de retraite pour passer un moment avec ces personnes qui étaient pour la plupart seules, et enfin rentrait chez lui. Là, il se préparait un maigre dîner, l'avalait entièrement et allait se coucher. Il avait appris à réduire ses besoins, pensant à tous ceux qui n'avaient pas le nécessaire pour vivre. Tout ce qu'il économisait, il le reversait à diverses associations, offrant le bien aux animaux, aux handicapés, aux défavorisés. Il menait une vie sans artifices, bien loin de la société de consommation. Il aurait presque pu rentrer dans les ordres.

Il se renseignait souvent sur les différentes missions humanitaires, hésitant à y participer. Il était déjà bénévole pour plusieurs associations, passant ses week-ends entiers à distribuer des repas à ceux qui en avaient besoin, à laver les boxes d'animaux abandonnés, à les promener, à emmener des personnes âgées en balade dans des parcs. Loïc n'avait finalement pas de temps libre où il pouvait simplement se poser dans un fauteuil avec un café. Il n'avait d'ailleurs pas de fauteuil, uniquement une chaise. Il n'avait pas besoin de plus.

Un samedi où Loïc venait en aide à l'une des associations dont il était bénévole,  il vit une affiche proposant une mission. Au Mali, pour aider les populations locales à se reconstruire et à reconstruire leur village. Une mission particulièrement intéressante pour le jeune homme qui aimait tant aider les gens. Alors il s'inscrivit, et six mois plus tard, il se retrouva dans un avion direction Bamako, accompagné d'autres personnes possédant les mêmes intérêts que lui.

Durant tout le trajet, l'avion fut animé de conversations à propos des différentes actions de chacun. Certains n'avaient pas de salaire, ils ne faisaient que travailler bénévolement, ou faire des stages. D'autres encore dédiaient tout leur temps aux associations. Mais chacun voulait aider ceux qui en avaient besoin.

Le village dans lequel il avait été assigné était peuplé de personnes toutes plus intéressantes les unes que les autres. Ils avaient tous une histoire, un petit quelque chose qui faisait qu'ils étaient uniques, qu'ils étaient plus que tous ceux qu'il avait pu rencontrer depuis son enfance. Il voulait rester là-bas à tout jamais, rester au milieu de ces gens qui le regardaient avec beaucoup plus de reconnaissance qu'il n'en avait reçu dans toute sa vie.

Loïc avait ramené avec lui des denrées et de l'eau, qu'il distribuait à tous. Les femmes, qui étaient pourtant bien maigres, lui demandaient de tout donner à leurs enfants. Bien difficile pour lui, mais il obéissait face à leur insistance. Grâce à l'aide de la Croix Rouge, il donnait des soins à ceux qui en avaient besoin.

Loïc se sentait bien, ainsi, mieux qu'il ne s'était jamais senti. Il aidait enfin à hauteur de son altruisme. On le remerciait, autant les organisateurs de l'opération, les autres bénévoles, ou les malheureux qu'ils aidaient.
Ce qui impressionnait le plus le jeune homme, c'était leur capacité à sourire malgré leur situation précaire et l'insécurité dans laquelle ils vivaient. Chaque soir, ils se retrouvaient dans la case du doyen, et là se jouaient des musiques traditionnelles, des chants, des histoires, autant de choses auxquelles il n'aurait pris part chez lui.

C'était un quotidien qu'il aimait, l'un de ceux auxquels on s'habitue même si l'on sait qu'on devra l'abandonner un jour.

Une nuit, alors qu'il dormait encore malgré les rayons de soleil qui commençaient à passer à travers les ouvertures de la case des bénévoles, il se fit réveiller par un boucan monstre au-dehors. Il se mit sur ses deux pieds, se frottant les yeux et le visage pour faire disparaître les dernières traces de sommeil, et s'étira un grand coup. Alors qu'il inspirait l'air du matin, il fut pris de panique alors qu'une odeur de brûlé venait agresser ses narines.

Il se mit à courir hors de la hutte, poussant violemment la petite porte en bois, débarquant dans un village ravagé par les flammes. Les femmes hurlaient, portant leurs petits pour les emmener à l'abri, les hommes essayaient de repousser au mieux les envahisseurs. Une horde d'hommes vêtus de noir les pointaient de leurs armes et leur tiraient déjà dessus. Des dizaines de corps jonchaient le sol alors que la terre battue s'imbibait déjà du sang de ceux qui se battaient pour elle. 

Loïc paniqua. Comment faire face à autant de guerriers et défendre la tribu qu'il chérissait tant alors qu'il ne savait même pas mettre une gifle ? Impossible.

Les autres bénévoles venaient de sortir. Certains n'étaient même pas habillés, mais tous essayaient d'agir. Alors qu'ils tentaient de trouver une solution, quelque chose à faire, quelque chose qui pourrait les aider, n'importe quoi, les terroristes les remarquèrent enfin. Immédiatement, neuf fusils furent pointés sur eux. L'horreur continuait de se jouer autour d'eux, mais Loïc était dans un état second. Il n'entendait plus le sifflement des balles, il n'entendait plus les hurlements des femmes apeurées, ni ceux des enfants, ni ceux des hommes. Plus rien. Il ne voyait plus la terre rouge, il ne voyait plus les corps au sol, ni les fuyards, ni le feu. Plus rien.

Tout ce qu'il voyait, c'était les mitraillettes qui le tenaient en joue, et il finit par entendre le sifflement des balles. Celui de celles qui venaient le toucher, le blesser.  Et soudainement, tout se remit en marche. Le bruit, les images, tout reprit vie, sauf lui. Lui, il tombait. Il tombait au milieu de tous les autres corps, des décombres du village. La douleur n'était même pas là, il ne ressentait plus rien.

Lui qui avait longtemps essayé de supprimer ses émotions pour se concentrer uniquement sur celles des autres, voilà mission accomplie. Malheureusement pour lui, il ne pouvait ressentir les sentiments des autres, son cerveau s'éteignait lentement.

Lorsque les autorités découvrirent les crimes perpétrés en ce village, ils ne retrouvèrent qu'un corps entier. Les habitants du hameau avaient été brûlés, les autres bénévoles avaient pu s'en sortir, bien que blessés. Mais les terroristes avaient laissé ce corps, cet unique corps blanc, pâle, comme un trophée. Sa famille fut prévenue, le pleura longuement, pleurant ce fils qu'ils avaient aimé mais que l'altruisme avait fini par tuer.

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