4 - Peekaboo

Un craquement écœurant retentit dans mes oreilles alors que j'extériorise mes crocs. Pour vous donner une petite idée : un strigoï – les strigoï sont LA race de vampire la plus connue, les plus badass : les meilleurs, quoi – qui sort les dents, ça ressemble un peu à un cobra. Nos crocs sont comme une troisième paire de canines, enfouies sous une membrane et sous une sorte de trappe osseuse le long de nos maxillaires. Quand on ne montre pas les crochets trop souvent – crocs, crochets, dents, couteaux... on a des tas de surnoms, vous verrez –, la fine membrane qui les entoure cicatrise. Une extériorisation sur membrane intègre est plutôt douloureuse et peut nous mettre de très mauvaise humeur. Une petite articulation supplémentaire, entre les mandibules et les maxillaires, nous permet d'ouvrir grand la bouche pour permettre à ces dents de smilodon de sortir confortablement. Les miennes font plus de dix centimètres de long et l'âge les a rendues lisses. Je me prépare à cracher du venin vers le voirloup qui a décidé de s'incruster dans la chambre de Jo, ma coloc. Un voirloup, c'est un gros loup – ils font le double voire le triple de la taille d'un loup normal – qui peut se transformer en trucs plus discrets comme un chat, un humain... Il y a même une reine voirlouve qui peut se transformer en panthère, mais elle ne vit pas dans la Lumière, le monde des humains. Bref. Elle, je l'aime plutôt bien parce qu'elle n'a pas trop d'a priori sur les races différentes de la sienne, mais généralement, les strigoï ne peuvent pas encadrer les voirloups. Comme dans Twilight, sauf qu'on ne va pas perdre notre temps à faire des ralentis où on brille au soleil. Les membres de cette race-là sont de taille à tuer un vampire, ce dont peu de créatures de l'Ombre et de la Lumière peuvent se targuer.

George Candle hurle encore plus fort en voyant mon visage défiguré – oui, c'est flippant de voir son pote véto la gueule grande ouverte et les yeux remplis de sang... – et le cabot qui allait lui servir de table de chevet fait volte-face et se raidit. Je gronde, retenant un peu la puissance de mon rugissement pour éviter de réveiller le gosse des voisins, mais je fronce les sourcils : je crois connaître ce voirloup-là. Il faut pourtant que je m'assure de son identité.

— T'as rien à faire ici, je lance, ma voix rendue gutturale par l'écartement de mes mâchoires.

Le voirloup se redresse encore, son pelage épais est d'un gris argenté, presque métallique, et il porte une marque blanche sur le poitrail. Une large trace qui le traverse, comme une bandoulière. Sous la lumière artificielle des lampadaires de la rue, je ne peux pas distinguer la couleur de ses yeux luisants, mais je sais déjà qu'ils sont gris. Un gris clair, presque blancs. Des yeux hypnotiques que j'ai déjà vus auparavant. Ça fait longtemps mais je m'en souviens. Je recule, sans pour autant rentrer mes crocs.

— Qu'est-ce que vous faites là ?

Le voirloup gris cligne des yeux, son échine reste raide mais la piloérection qui l'ébouriffait s'apaise. Il soupire et tourne son long museau vers George, qui ne respire qu'à peine.

— Appelle le 911, souffle-t-elle, couverte de sueur.

Elle sent la peur. Nous autres strigoï adorons cette odeur, mais je me suis attaché à cette humaine-là. Même si je ne le reconnaîtrais pas devant d'autres créatures de l'Ombre, sa peur à elle ne me remplit pas du plaisir que j'éprouve d'habitude.

— Mircea... ferme la porte et appelle le 911, répète-t-elle du bout des lèvres. Appelle le 911...

Elle ne fait pas un geste.

— Vous devez partir, cette humaine n'a pas de contact avec l'Ombre.

Le voirloup gris ne répond pas. Il secoue juste la tête, lentement. Sa désapprobation me hérisse le poil. Je n'aime pas qu'on me donne des ordres. Je supporte pas ça. Venant de la part d'un voirloup, même de la part du Gris, connu pour sa sagesse légendaire, ça me débecte. Le Gris. C'est à la fois son surnom et sa carte d'identité. Il paraît qu'il ne parle jamais, même par voie mentale. Et qu'il ne se transforme jamais en humain. Pourtant, il les protège. Il a quitté le royaume de ses ancêtres, dans l'Ombre, pour venir dans le monde des humains. Protéger les faibles. Une sorte de Zorro, mais en plus poilu. Je ne vois pas pourquoi le Gris vient me chercher des poux dans la tête parce que je me mêle un petit peu des affaires humaines. Lui aussi, il se sert de ses pouvoirs surhumains pour casser du méchant. Est-ce que Vlad l'a appelé ? Ce serait un putain de comble, parce que mon oncle se mêle systématiquement des histoires des humains. C'est une manie, chez lui. La présence du voirloup a beau me déplaire – les strigoï sont hyper territoriaux –, je dois montrer du respect. Il est extrêmement âgé, malgré son aspect de jeunesse éternelle. Mes quelques milliers d'années font pâle figure face à lui.

— Vous effrayez cette humaine, le Gris. Parlons dehors.

Il me fixe et me force à ciller. Je gronde, car je déteste ça. Mentalement, j'essaie de prendre contact avec lui :

« Si vous croyez que ça va me forcer à quitter l'entourage de cette humaine, vous vous fourrez le doigt dans l'œil : je lui dirai qu'elle a fait un cauchemar. Et puis, il fait sombre. Les humains ne voient pas très bien, la nuit... »

Bien entendu, il ne répond pas. Il persiste à me fixer. Puis, il se tourne vers les fenêtres dont les stores ferment parfois mal. La route est baignée d'une lumière orangée. Les arbres sont immobiles, le vent ne souffle pas. Il se met à grogner, ses babines rouges semblent noires sous la lueur de l'éclairage artificiel.

— Mircea, c'est un chien que tu as soigné ? murmure soudain George, dont l'esprit indéniablement logique cherche une explication qui tient la route. Tu l'as ramené de la clinique ? Ou...

Mon regard se porte sur la route, où une voiture passe de temps en temps. En face, un mur s'élève, protégeant l'enceinte d'un complexe sportif. Tout est calme. Cependant, je sens la présence d'humains. Proche. Ils sont là, dans une voiture garée sur le trottoir, de l'autre côté de la rue. Pas tout à fait face à nos fenêtres. Ils sont deux. Leur chaleur est caractéristique. Je concentre mon regard : la vitre arrière est teintée mais cela n'arrête pas mon inspection. Un homme, portant une paire de jumelles, regarde dans notre direction.

Le Gris tourne ses yeux brillant d'une intelligence millénaire sur moi. Il penche la tête, l'air presque moqueur, se tourne vers Candle qui gémit de peur et lui passe un coup de langue encourageant sur le bout du pied qui émerge de sous la couverture – preuve qu'il ne faut jamais laisser son pied dépasser –, provoquant un hoquet de surprise chez ma petite humaine. Je suis distrait une fraction de seconde. La fraction suivante, le moteur de la petite voiture européenne ronfle et les inconnus démarrent. Je m'approche de la fenêtre, sans réaliser que les lampadaires projettent leur éclat orangé sur mon visage, projetant certainement l'ombre des crocs sur mon menton. Ça explique le ton de voix tremblant de Jo :

— Mi... Mi... Mircea ?

Le Gris, qui s'est rapproché de la porte de la chambre, tourne son long museau vers moi et je remarque un éclat amusé dans ses yeux. Je réalise qu'il n'est pas venu parce qu'il désapprouve ma cohabitation avec une humaine, du moins ça n'était pas sa raison première. Il est venu pour me prévenir du danger.

Et potentiellement me forcer à sortir de la vie de George en lui révélant ma vraie nature. Les voirloups sont des tordus.

Il sort dans un silence complet et je me tourne vers Candle. Je n'aime pas utiliser mon pouvoir. Vous vous souvenez de l'analogie pourrie avec Ma Sorcière Bien-Aimée ? Bon, eh bien moi, c'est pareil : je ne devrais pas arranger mes petites affaires et réparer mes conneries avec mes pouvoirs. N'empêche que, là, j'ai préféré « tordre l'esprit » – paniquez pas, ça veut juste dire que je l'ai endormie – de George Candle.

Bien entendu, à la première heure, le lendemain matin, alors que j'ajoutais un peu de cannelle en poudre dans le filtre à café, ma coloc débarque dans la cuisine, poings sur les hanches et aboie, de la colère dans les yeux :

— Audeclar ! Qu'est-ce que c'était que ce cirque hier ?!

Je me fige. Le soleil n'est pas encore tout à fait levé et les emmerdes commencent déjà. 

*

Aaaaah Mircea ! J'ai dû faire pas mal de recherches pour pouvoir vouos servir la suite de cette histoire, et j'espère qu'elle vous plaira ;-)

N'hésitez pas à en parler autour de vous ou à poster un petit commentaire ;-)

Plein de bisous, 

Sea

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