Bonheur

Tom était tombé à genoux, laissant s'échapper la coupe, ébloui par la déesse qui se trouvait devant lui. Elle était tellement belle que son environnement lui paraissait flou. À dire vrai, son existence ne tournait plus qu'autour d'elle. Le monde aurait pu sombrer dans le chaos et les flammes qu'il ne se serait aperçu de rien, obnubilé par ce visage angélique. Lorsqu'elle s'agenouilla en face de lui, son sourire niais s'élargit encore. Elle était une reine descendue des cieux et quel honneur lui faisait-elle en s'abaissant ainsi à son niveau de faible roturier ! Mais pourquoi pleurait-elle ? Non, non, personne ne méritait ses larmes d'immortelle. Personne n'avait le droit de lui faire de la peine, qu'il trépasse s'il ne lui rendait pas le sourire.

Merope sentit ses yeux s'humidifier. Son rêve, son rêve le plus cher, s'était réalisé ! Le jeune Jedusor la regardait comme on ne l'avait jamais regardé auparavant. À travers son regard, elle se sentit femme, invincible et puissante. Elle aurait pu mourir pour ce regard. D'une main timide, elle effleura la mâchoire de son amant. Sa peau avait la texture veloutée de la soie et elle réprima difficilement un sanglot tandis qu'elle la caressait, émue par la simple possibilité de pouvoir le toucher.

Tom se sentit pris de vertiges. Il avait la sensation d'être enveloppé de coton, de flotter dans une brume irréelle. La déesse l'avait choisi, lui. Ses doigts voletaient sur sa joue et il frémit à son contact. Une idée folle lui traversa l'esprit. Oserait-il ? Aurait-il l'audace de tenter cet acte si cavalier ? Avec une infinie tendresse, il glissa ses bras dans le dos de cette merveilleuse femme et se pencha pour poser sa bouche sur la sienne.

Le cœur de Merope s'emballa, dans une sensation aussi vivifiante que douloureuse. C'était son premier baiser. Elle l'avait attendu si longtemps, et pourtant persuadée qu'il n'arriverait jamais. Elle en oublia toutes ces années où elle avait été rabaissée, autant par sa famille que par ce même homme qui l'embrassait. Oublié le sentiment d'insignifiance, oublié le désespoir, oublié la peur. Elle se laissa consumer.



Tout s'était enchaîné à une vitesse folle. Un mot à l'intention d'Elvis, écrit de la main de Tom à la demande de Merope. De l'argent volé à la fortune des Jedusor. Ils s'étaient enfuis, ivres d'un bonheur artificiel. Ils s'étaient évadé loin de la vallée étriquée de Little Hangleton et le bosquet lugubre des Gaunt. Un nouveau départ loin de tout ce qui les avait séparés, loin de Cecilia et de cette cargaison de soupirantes, loin de tout jugement. Ils ne laissaient derrière eux que matière à faire jacasser les petites gens du village.

Ils étaient partis s'installer dans la banlieue londonienne, dans un modeste appartement qui faisait pourtant l'effet d'un palais à Merope. Et quelques jours plus tard, ils étaient dans une petite chapelle, prêts à unir leurs vies. La jeune femme était habillée d'une robe de mariée d'un blanc virginal, achetée avec le pécule qu'ils avaient subtilisé au manoir. Elle était simple, à la coupe droite, seulement égayée d'un drapé décoré de dentelles, mais pour l'un comme pour l'autre, c'était comme si elle avait revêtu la toilette d'une impératrice. Le premier parce qu'il était aveuglé par l'hypnose malsaine que provoquait le philtre d'amour, la seconde parce qu'elle ne se souvenait pas avoir déjà porté des vêtements neufs.

Le lourd médaillon de Salazar Serpentard reposait toujours sur sa poitrine. Elle n'avait pas le cœur de le retirer. Quand elle le regardait, elle se sentait écartelée entre plusieurs sentiments. Cette relique était à la fois un rappel constant de la soumission craintive à laquelle sa vie s'était résumée et à la fois le dernier lien la rattachant à ses origines, tout ce qu'il lui restait de ses proches. Elle avait beau être reconnaissante envers Bob Ogden de l'avoir délivré d'eux, Elvis et Morfin restaient sa famille. Arborer le médaillon en ce jour si spécial serait une façon plus agréable de les avoir auprès d'elle que s'ils avaient réellement été présents.

Son futur mari, quant à lui, était aussi beau qu'à l'accoutumé. Sa silhouette élancée était rehaussée par son costume trois pièces noir. Quelques fleurs de jonc étaient attachées à sa boutonnière, ses pétales d'un rose pâle apportant une touche de couleur à l'ensemble. Combien de fois avait-elle admiré de loin ce visage aux joues creuses, ces fossettes malicieuses, ces cheveux bruns ? Et elle serait bientôt sa femme ! Qui aurait pu imaginer que la fille Gaunt épouserait le fils Jedusor ? Personne, à commencer par le moldu lui-même...


Cette nuit-là, lorsqu'ils s'étendirent sur le lit conjugal en tant que Mr et Mrs Jedusor, pas une fois il ne vint à l'esprit de Merope qu'elle abusait de son mari de toutes les façons possibles.



Plusieurs mois s'écoulèrent. La nouvelle Mrs Jedusor découvrait la douceur de la vie maritale. Son quotidien n'avait finalement pas énormément changé du temps où elle était à Little Hangleton, lorsqu'elle s'occupait de toutes les tâches ménagères. À la différence près qu'elle l'avait choisi. Elle était heureuse d'être la maîtresse de maison, de cuisiner pour son mari, de veiller à la propreté des lieux. Et cela changeait tout.

Elle n'utilisait que peu sa baguette. Ses capacités n'étaient pourtant plus bridées par l'effroi. Elle sentait la magie couler dans ses veines, elle électrisait tout son être, mais elle ne ressentait pas le besoin de la déverser. Merope était une sorcière qui avait décidé de vivre comme une moldue, au détriment d'une sévère éducation où la pureté du sang était souveraine.

La seule exception était la préparation du philtre d'amour. Elle devait veiller à renouveler régulièrement son stock, car les effets de la potion n'étaient pas éternels. À plusieurs reprises, elle avait ressenti une bouffée de panique en voyant Tom cligner des yeux, hébété, les sourcils froncés, l'air d'essayer de se rappeler quelque chose. Son regard paraissait s'éclaircir, comme si un voile se soulevait. Dans ces moments, elle se précipitait pour lui servir un verre d'eau ou un morceau de nourriture trafiqués.


Un dimanche matin, peu après le début de la nouvelle année, le couple était allongé dans leurs draps. Merope avait la tête posée sur l'épaule nue de son mari et suivait du bout des doigts le tracé de ses pectoraux. Son visage était illuminé d'un sourire de contentement et de fascination. En écoutant le son de sa respiration, elle comprit que Tom s'extirpait lentement de sa torpeur nocturne. Il bougea doucement et elle se redressa sur un coude pour l'admirer. Ses paupières papillonnèrent quelques instants, ajustant sa vision, puis ses pupilles se posèrent sur elle. Ses yeux s'écarquillèrent d'effarement et Merope eut la sensation d'avoir été frappé par un enchantement de glace.

    - Qu'est-ce que...

Elle bondit brusquement du lit, à peine vêtue, et se rua dans la cuisine. Elle ouvrit les placards à la volée, bouscula des ingrédients, renversa des casseroles. Elle était agitée de violents tremblements tandis que des sons étouffés lui parvenaient de la pièce voisine. Merope s'empara désespérément de sa baguette.

    - Accio philtre d'amour !

Une fiole sauta enfin dans sa paume, au moment où Tom titubait hors de la chambre. Il s'était habillé de pied en cap, sa chemise largement ouverte sur son torse, des chaussettes dépareillées aux pieds, les cheveux ébouriffés. Sa bouche remuait, mais aucun son ne parvenait à Merope dont les oreilles bourdonnaient d'affolement. Elle n'avait pas d'autre choix.

    - Impedimenta !

Le maléfice d'Entrave cueillit le jeune Jedusor en plein mouvement. Elle fit maladroitement sauter le bouchon du flacon et versa le liquide entre ses lèvres. Elle se haït pour son geste, mais ne baissa pas la main. Sa volonté de l'avoir pour elle toute seule, son amour, étaient plus forts que tout. Elle attendit ensuite anxieusement que le sortilège se dissipe. Le désarroi, la colère... ils se volatilisèrent pour ne plus laisser apparaître qu'une expression de béatitude sur le visage de Tom. Il la dévisageait à nouveau avec adoration. Comme s'il ne s'était rien passé. Seuls attestaient de l'incident le désordre et le long frisson qui dévala la colonne vertébrale de la sorcière.

À compter de ce jour, Merope augmenta les doses et la fréquence d'administration.



Elle tomba enceinte en avril, alors qu'ils étaient mariés depuis huit mois. Cette nouvelle fut le point le culminant de son bonheur. L'enfant à naître serait le ciment de leur couple. Et même plus encore. Merope voyait se dessiner pour son bébé un avenir prodigieux, où il serait le lien entre leurs deux mondes. Il était issu de l'union de la dernière descendante de Salazar Serpentard et d'un moldu, et de ce fait, il serait à même de concilier les sorciers et les êtres non dotés de magie. Oui, Merope était persuadée que le fruit de leur amour serait destiné à de grandes choses. Elle avait foi.

Les jours passaient et le ventre de Mrs Jedusor s'arrondissait progressivement. La grossesse comblait les tourtereaux de joie. Tom se montrait encore plus prévenant envers son épouse, tenant ses cheveux lors de ses nausées, massant ses pieds douloureux... Il était aux petits soins. Il avait pris l'habitude de caresser avec émerveillement la peau tendue derrière laquelle se cachait leur enfant. Pour toutes ces raisons, Merope était convaincue que Tom était véritablement tombé amoureux d'elle, sans que le philtre ne soit plus nécessaire. Car l'ensorcellement ne pouvait simuler pareille félicité, pareille tendresse, n'est-ce pas ? Ses yeux brillants, son sourire resplendissant, ils ne pouvaient lui être dicté par la potion.

C'est pourquoi, vers la mi-septembre de l'année 1926, alors qu'elle entamait son cinquième mois de grossesse, elle détruisit toutes ses provisions.

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