Chapitre 8

Ils avaient attendu que tout soit en place avant de mettre leur plan à exécution. Le personnel du camp avait diminué ses gardes de jour en jour, laissant une plus grande liberté aux enfants. Il était à présent plus fréquent qu'on oublie de fermer une chambre à clé le soir : quel danger couraient-ils finalement ? Qu'un enfant s'enfuit ? Mais où ? Il n'y avait pas d'issue. Du moins c'était ce qu'ils pensaient, mais les architectes avaient tiré profit de la liberté qu'on leur laissait pour créer des passages qu'eux seuls connaissaient, car certains n'appréciaient pas vraiment la pensée d'être aussi enfermés. Ils avaient voulu avoir un avantage qui leur était propre, sans penser que certains passages pourraient être découverts.

Car la base était faite d'une façon bien singulière : le seul lien qui existait entre les camps des trois sous-sols était un ascenseur immense qu'il ne fallait pas espérer prendre sans se faire remarquer. Il était fermé en même temps que les chambres, de sorte qu'il était impossible de penser fuir par là.

Le septième soir, il fut donné l'occasion aux cinq enfants d'exécuter leur fugue. La porte restée ouverte, comme de plus en plus souvent dans leur couloir, Eyllée, Orion et Ariane sortirent de la case sans un bruit. Wilhem et Thys avaient pour mission de rester dans la chambre pour parer toute éventualité, et, bien qu'ils n'aient aucun moyen de communiquer, ils étaient là pour les couvrir en cas de menace. Eyllée était très reconnaissante envers ses amis de toute l'aide qu'ils lui apportaient et tous les dangers qu'ils étaient prêts à prendre pour elle. Elle était déterminée à revoir son frère, car sept jours était la période la plus longue durant laquelle elle s'était tenue loin de lui.

Orion mena les deux filles assez loin de leur case, et passa par plusieurs couloirs où ils firent attention de ne pas se faire remarquer. La vieille montre qu'Orion avait gardée sur lui leur avait permis de se repérer dans la nuit et de partir à une heure qui n'était proche ni du coucher ni du lever, afin d'éviter les tours de garde. Il était donc aux environs de deux heures quand ils atteignirent enfin le lieu qu'ils recherchaient.

Cela ressemblait à une cage d'escaliers en colimaçon, mais qui s'arrêtait brusquement quelques mètres plus bas. Sans ciller, Orion emprunta les quelques marches, suivi d'Ariane qui tremblait d'impatience, et d'Eyllée qui commençait à regretter leur dangereuse excursion.

Ils comptèrent dix marches avant de se retrouver face à un mur de pierre, à l'apparence infranchissable.

- Voilà, fit Orion, on y est. Tout le monde pense que ce n'est qu'un bout d'escaliers qui a été construit mais est demeuré inachevé, les architectes préférant l'ascenseur géant. Mais c'est un passage secret qui permet de rejoindre l'extérieur.

- L'extérieur ? demanda Eyllée, méfiante, tandis qu'Ariane fixait la pierre d'un air perplexe.

- Ouais... En fait... y a un tunnel qui contourne chaque sous-sol. On peut y accéder par là. Il y a alors un passage qui permet de rejoindre celui d'au-dessus ou d'en-dessous. C'est ce qu'on voit par la fenêtre des chambres qui en possèdent une... Ce tunnel-là !

Ariane tiqua sur sa dernière phrase, et elle fut satisfaite d'avoir trouvé une faille dans ses explications. Elle avait écouté et décortiqué attentivement chaque mot pour essayer de comprendre ce qui la tracassait.

- Tu nous avais dit qu'on avait la seule chambre avec une fenêtre ! triompha-t-elle.

- Bah j'ai menti, répondit Orion d'un air sec.

Sa réponse sincère ne satisfit pas la petite fille, qui s'attendait à une explication plus romanesque, ou digne d'un roman de science-fiction, ce qui la fit replonger dans son doute. Quelque chose lui échappait et elle avait du mal à le cerner.

Orion exécuta toute une série de gestes et de dessins invisibles sur le mur de pierre, et une gravure apparut, une fois qu'elle fut découverte de poussière. Pour une gravure... Il s'agissait en fait de l'encadrement d'une porte. Orion expliqua qu'il fallait suivre un schéma précis, pour ne pas que ce qui était en fait une porte refuse de s'ouvrir. Il dit aussi qu'une fois refermée, un mécanisme ajoutait à nouveau de la poussière sur le mur entier pour qu'il ne garde aucune trace de ce schéma secret. Il poussa donc la porte et les trois enfants se retrouvèrent dans une petite salle étroite, où étaient empilés quelques masques marrons. Le garçon en distribua aux deux filles, en leur disant que c'était indispensable d'en avoir pour ne pas s'étouffer dans le sous-terrain.

Ce fut à ce moment qu'Ariane comprit ce qui ne collait pas. Orion était là depuis seulement une demi-journée de plus qu'eux... En admettant que la sélection ait été plus rapide... Disons deux jours, au maximum. Mais comment avait-il découvert cela en seulement deux jours, alors que tout était fait pour que personne n'accède à ce passage, pas même le personnel ? Et comment lui-même l'avait-il su, et était-il au courant de toute l'architecture de la base ? Ariane ne manqua pas de le lui demander. Gêné, il s'appuya contre un mur et baissa la tête.

- En fait, je vous ai menti. Mes parents n'ont pas payé pour que je sois là... Ils auraient pu, mais n'en ont pas eu besoin. Mon père est architecte, il a aidé à la construction de cette base, il était au courant de tout, donc. De l'apocalypse, du plan du gouvernement, et il n'a fait ça que pour moi. Pour me protéger, me permettre d'intégrer Mirage. Oui, Mirage, on l'appelle comme ça, répondit-il à l'air interrogateur d'Eyllée. Et avec les autres de sa profession, il s'est mis en tête de créer des passages qui leur laisseraient une marge de manœuvre au cas où les choses tourneraient mal. Et il m'a tout expliqué en détail. C'est pour cela que je connais si bien la base, et ce passage. Voilà tout.

Ariane ricana en levant les yeux au ciel. Elle était assez satisfaite d'avoir décelé la faille qui s'était glissée dans leur plan. Une fois tout cela réglé, Orion pardonné (du moins pour Eyllée), et les trois enfants équipés, ils sortirent enfin pour découvrir le mystérieux tunnel qu'ils voyaient de leur fenêtre, scellée par des barreaux.

Il était assez étroit, mais laissait assez de place pour que les trois amis puissent marcher côte à côte sans se gêner. Orion guidait les deux filles sans douter, et elles le suivaient, intriguées, baissant la tête quand ils arrivaient près d'une fenêtre. Ils avaient pris une petite lampe de poche, encore par l'initiative du garçon qui, grâce à ses parents, avait pu emporter un certain nombre de petits objets comme celui-ci. Son père se trouvait à la base, et avait été affecté au camp des plus petits, mais sa mère, comédienne, n'avait pas pu y être intégrée. Il s'inquiétait beaucoup pour elle, et espérait qu'il ne lui soit rien arrivé.

Au début, le père d'Orion avait insisté pour rester auprès de sa femme, mais protéger leur fils et veiller sur lui était devenu indispensable. Même après avoir effectué leur tâche, les architectes et autres professions de l'élite (hors personnel médical et scientifiques) devenaient gardes d'enfants, cuisiniers, surveillants, et s'occupaient de faire fonctionner la base. C'était ainsi que Jil avait été affectée au camp 2, et s'occupait à présent de nourrir les petites bouches affamées des enfants, qu'elle affectionnait beaucoup. Anna, quant à elle, se trouvait au camp 3, avec Jack, qu'elle avait pris sous son aile presque comme Wilhem auparavant.

L'adolescent ne s'était pas bien remis de sa brûlure à la jambe, et boitait toujours un peu. Il pensait à sa sœur tout le temps, cherchait lui aussi un moyen de la retrouver, mais tous ses efforts étaient vains. Alors il s'était adressé, en désespoir de cause, à Anna. Et il n'avait pas eu tort : la jeune femme, toujours pleine de compassion, avait été touchée par l'amour qu'il avait pour sa sœur, et la façon dont il l'avait élevée presque seul. Elle était, de plus, dans une excellente position pour savoir comment il pourrait la rejoindre. En effet, Jil était de mèche avec le groupe d'architectes "rebelles" dont faisait partie le père d'Orion. Elle connaissait des passages tenus secrets dans tous les recoins de la base. Et, évidemment, comme chacun des membres de cette élite assez méfiante, elle n'avait pas omis de faire part des plans à ses proches, en l'occurrence sa sœur, Anna.

S'il ne fallait pas que le bruit s'ébruite trop, il convenait de ne pas confier les plans à n'importe qui, mais à des personnes sûres, et en moindre mesure : le petit groupe était d'avis de dire qu'en aucun cas il ne fallait révéler l'histoire de ces passages. Dans le cas contraire, si les architectes responsables étaient mis en cause, ils encouraient de graves problèmes et un renvoi immédiat de la base. Et personne en ces temps-là n'avait envie de se retrouver en pleine apocalypse.

Ainsi, tous les deux jours environ, Jack se rendait dans le tunnel de son camp, et, petit à petit, prenait connaissance des lieux, pour espérer un jour pouvoir entrer au camp 2. Mais il y avait une certaine difficulté que chacun des deux frères et sœurs allait rencontrer : ils ne savaient pas où se trouvait la case de l'autre. Orion n'avait pas oublié de prendre en compte cet élément, et les trois amis avaient convenu de ne venir ce soir-là qu'en repérage. Pour la suite, ils aviseraient. Mais Eyllée était prévenue, leur opération était dangereuse, et prendrait du temps.

Ariane avait perdu un peu de son entrain. Cela faisait près d'une heure qu'ils avaient quitté leur case, et elle avait l'impression d'avoir fait déjà deux fois le tour de la base, alors qu'ils n'en avaient pas contourné un quart. Orion accéléra un peu le pas, comme l'impatience le gagnait. Ils approchaient du passage qui reliait les deux camps. Eyllée descendit en premier, tandis que les deux autres éclairaient son passage. Elle se retourna, et, alors qu'Ariane la rejoignait, aperçut une ombre au loin. Elle fit des gestes à son amie qui remonta aussitôt.

- Y a quelqu'un ! chuchota-t-elle pour calmer la surprise d'Orion en la voyant remonter.

Le garçon éteignit alors la lampe, et Eyllée se figea, n'osant plus respirer. Il était trop tard pour remonter, elle entendait le souffle de la personne se rapprocher. Elle ferma les poings, les yeux, se concentrant sur sa respiration, croisant les doigts pour que l'individu ne soit qu'un garde et qu'il ne connaisse pas le passage entre les deux camps. Si c'était le cas, il la remarquerait forcément, puisqu'elle se trouvait juste devant l'entrée.

Chacun des trois enfants retenait son souffle. Ils n'osaient pas même avaler leur salive, par peur de faire du bruit. Et la peur, c'était ce qui les oppressait en ce moment même. Ils étaient plongés dans l'obscurité, et donc ne pouvaient voir ce qui les entourait. Eyllée était la première à en pâtir. Elle fermait les yeux pour essayer d'évaluer par l'oreille la distance à laquelle se trouvait l'individu. Elle entendait ses pas, frappant doucement et à coups réguliers le sol en terre. La fillette était toute raide, et tous ses muscles étaient contractés. Son poing était fermé à s'en faire mal, et son cœur frappait sa poitrine de plus en plus rapidement.

Et puis, soudain, ils n'entendirent plus rien. Ils attendirent quelques secondes, et au-dessus, Orion décida de rallumer la lampe pour éclairer à nouveau Eyllée.

- Je crois qu'il est parti, murmura-t-il.

Mais Eyllée n'en était pas sûre du tout. Elle savait qu'il était encore là. Il était là, posté devant elle. Et elle ne parvint pas à répondre assez rapidement pour stopper Orion dans son geste.

La lumière à nouveau revenue, la fillette vit avec effroi une silhouette dressée devant elle. Elle était apparue, d'un seul coup, à moins d'un mètre d'elle. Elle hurla, si fort qu'elle aurait pu être entendue par toute la base. Mais l'individu plaqua une main sur sa bouche. Elle se débattit, sous les cris interrogateurs de ses deux amis qui ne voyaient pas la scène. Tout était digne d'un cauchemar, d'un film d'horreur. Eyllée fermait les yeux en même temps qu'elle frappait son agresseur, toujours sous la faible lumière de la lampe torche.

- Eyllée... entendit-elle vaguement dans son oreille.

Son nom, chuchoté par l'individu, la stoppa net. Elle n'osait pas ouvrir les yeux. Mais ses paupières glissèrent pourtant lentement tandis que l'autre commençait à la lâcher.

- Jack ! cria-t-elle en se jetant dans ses bras, quand elle le vit enfin.

Cette fois, des larmes de joie et de soulagement coulaient sur ses petites joues rosies par la peur. Le garçon la serra dans ses bras, ne revenant pas de sa surprise. Il commençait à réaliser lentement le courage dont avait fait preuve sa sœur, qu'il chérissait tant, pour parvenir dans son propre camp. Quand il la lâcha, il la détailla un moment. Il avait l'impression de l'avoir quittée depuis une éternité, alors que cela ne faisait qu'une dizaine de jours. C'était pourtant la période la plus longue durant laquelle il avait été tenu loin d'elle, et la revoir lui procurait un immense soulagement.

Ariane et Orion avaient rejoint la petite fratrie. Le garçon était fier d'avoir accompli sa mission, bien qu'il fut assez étonné de voir qu'il n'était pas le seul à connaître ces passages. Mais pour le frère de sa nouvelle amie, il pouvait bien faire une exception, et en être satisfait plutôt que contrarié.

Ils s'étaient promis de se revoir très vite, et même de s'écrire : ils s'étaient dit que, s'il leur arrivait de manquer un de leurs rendez-vous, ils déposeraient une lettre dans un petit coin à l'abri des regards. Cela devint vite leur moyen de communication favori. Ils parlaient de la base, de leurs nouveaux amis, de ce qu'ils avaient appris. Ils se confiaient parfois, quand ils en avaient besoin, se donnaient un rendez-vous pour se voir. C'était une routine qui les faisait tenir. Les semaines passaient, puis les mois, et Eyllée s'épanouissait plus que Jack n'aurait pu l'espérer. Elle ne lui faisait pas part pourtant des expériences qu'elle et Wilhem subissaient. Ils n'en parlaient d'ailleurs ni entre eux, ni à personne. C'était à se demander s'ils avaient réellement conscience de leur existence même.

Orion s'était avéré être une personne sincère, compréhensive, et il se montrait d'autant plus à l'écoute avec Eyllée. La fillette, elle, appréciait de plus en plus le garçon, et se rapprochait jour après jour de Wilhem, qu'elle n'aurait jamais pensé considérer comme son frère.

Au réfectoire, les repas étaient de plus en plus ignobles, mais les cinq enfants commençaient à s'y habituer. Deux mois après leur arrivée, la base était redevenue pour eux un repère. Contrairement à l'impression qui leur avait été donnée au départ, c'était bien dans une ambition humanitaire qu'on les avait emmenés ici. À présent, après chaque repas, on leur répétait la même phrase, qui parfois leur était angoissante, parfois encourageante : "Vous êtes le futur". Mais Eyllée craignait que ce futur n'arrive jamais. Dehors, le monde ne parvenait pas à se relever de la première apocalypse. Le pire était sûrement de se dire que ce ne serait pas la dernière : tout portait à le croire. Si ça avait été fini, ils les auraient déjà relâchés, et ne leur répéteraient pas sans cesse qu'ils portaient sur eux l'espoir d'un monde nouveau. L'apocalypse avait fait des ravages, mais il n'y avait eu qu'une minorité de victimes. C'était bien loin du bilan humain qu'attendait l'élite. Une question se posait alors : si ce n'était que le début, quand sonnerait la fin ? Et quelle serait-elle, cette fin ? La fin de cet enfer... Ou bien la fin de l'espèce humaine ?

L'élite et la base Mirage travaillaient pour empêcher cela. Ils avaient un seul objectif en vue : entraîner suffisamment leurs petites recrues pour surmonter les difficultés que leur poserait le monde. Ils avançaient, tête baissée, en s'efforçant de ne pas songer à leur doux passé, mais de penser au futur...

Car au point où ils en étaient, ils ne pouvaient que remonter.
C'était ce qu'ils se disaient pour tenir bon, en espérant, de tout leur cœur, que ce ne soit pas qu'un Mirage...

*** Note d'auteur ***

Chapitre 9 disponible le SAMEDI 31 juillet !

Tout s'accélère pour les personnages (et mon rythme d'écriture aussi, tiens !) et je pense que vous avez assez fait leur connaissance pour que je puisse vous demander celui que vous appréciez le plus... Et celui que vous détestez ! (je sens que c'est la fin de M. Brown XD) Alors ?

A très vite !

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