Chapitre 5
Thomas avait tenu à venir, se sentant mieux. L'hélicoptère survolait une zone dévastée par les séismes et le feu. La ville était méconnaissable. Jordan eut un frisson. Il n'aimait pas cette atmosphère, il n'avait qu'une hâte : rentrer à la base, où il se sentait malgré lui de plus en plus chez lui.
Quand ils arrivèrent enfin au-dessus de l'ancien immeuble d'Annie, ils comprirent tous deux qu'il n'y avait plus aucun espoir de retrouver les deux enfants. Ils étaient morts, sans aucun doute. Mais ils ne perdraient plus rien à tenter de les retrouver... Ils descendirent un peu en altitude avant de se poser dans un des rares endroits qui n'étaient pas ensevelis sous les débris. Thomas descendit le premier. Il fit quelques pas vers l'immeuble avant de s'arrêter net.
- Soyons réalistes, dit-il alors à son ami qui ne put pas être plus surpris que cela, nous ne les trouverons pas.
Jordan rejoignit Thomas et le regarda dans les yeux. Il ne l'avait jamais vu aussi défaitiste. Son ton était nonchalant et déprimé. Le secouriste remarqua l'air surpris de son ami et expliqua son attitude du mieux qu'il le put.
- Excuse-moi, c'est que je commence à me dire qu'on ne se sortira jamais de tout ça. On n'y est pas préparés ! Ça fait un an qu'on sait, et quand ça nous tombe dessus, on n'est pas encore prêts ! Les deux gamins sont sûrement morts à l'heure qu'il est, et alors ? On va tous y passer, de toute manière. Maintenant, demain ou dans six mois, ça ne change rien. C'est de la merde, leur projet. Que d'la merde j'te dis.
Devant tant de pessimisme, Jordan frissonna. Lui qui avait toujours pu compter sur son ami dans les moments les plus durs de sa vie, comme quand il avait perdu Matthias et quitté Annie, se devait d'être là pour Thomas à son tour.
- Ouais, t'as pas tort, commença-t-il d'un air ingénu. Qu'on meure maintenant ou à la fin de notre vie, on mourra de toutes façons. On a passé des dizaines d'années à vivre pour rien, en fait. A sauver des gens qui allaient mourir un jour quoi qu'il arrive. (Il fit demi-tour vers l'hélicoptère avec un sourire narquois aux lèvres). T'as raison, Tom, c'est que d'la merde la vie.
Jordan remonta dans l'appareil, laissant Thomas planté devant les ruines. Ce dernier ne put s'empêcher de laisser un petit rire lui échapper et il baissa la tête en considérant ses dernières paroles. Son ami avait raison, ce qu'il avait dit juste avant n'avait aucun sens. Chaque seconde de la vie était bonne à prendre. Chaque millième de seconde. Et c'étaient celles de Jack et de sa sœur qu'ils devaient à présent tenter de sauver.
Il tourna les talons et grimpa dans l'hélicoptère sans un mot. Il fallait survoler les ruines en lançant des appels lumineux et sonores pour que les petits aient une chance de les détecter et de venir à eux. C'est ce qu'ils firent.
En survolant de nouvelles ruines ils virent alors une petite fille faire de grands signes de détresse. Mais aucune trace du grand frère.
Heureux, Thomas se posa et courut vers l'enfant.
Eyllée n'en croyait pas ses yeux. Ils étaient venus les sauver, alors qu'elle commençait à perdre tout espoir. Le secouriste la prit dans ses bras et lui demanda son nom. Ayant eu la confirmation qu'il s'agissait bien de l'une des enfants qu'ils cherchaient, Thomas commença à l'emmener non sans précautions à ce qu'elle réponde à la question qu'il se posait : où se trouvait son frère. La petite fille lui démontra qu'il n'avait pas besoin d'user de tout ce tact, puisque, dès qu'elle eut remis les pieds au sol, elle le guida vers le lieu où se trouvait son frère. Celui-ci était étendu sur le sol, sous un arc de ruines qui leur servait de grotte et d'abri. Eyllée se pencha doucement pour le réveiller. Il avait fini par s'endormir il y a quelques heures de cela, sa fatigue prenant le pas sur la douleur atroce qu'il avait à sa jambe.
Jack ouvrit lentement les yeux. Quand il aperçut les secouristes, il eut un mouvement de recul provoqué par la surprise, et son cœur explosa de joie et de soulagement.
Mais Thomas ne lui laissa pas le temps de dire un mot que déjà, il examinait sa jambe, recouverte d'un bandage fait à partir des lambeaux de son pantalon. Il l'enleva avec précaution, mais Jack hurla de douleur. Dans un réflexe, Eyllée retira la main de Thomas, ne pouvant pas supporter de voir son frère souffrir à ce point. Mais le secouriste rassura la petite fille et continua son opération. Le quart de la jambe de Jack était recouvert d'une brûlure profonde, ce qui expliquait qu'il n'ait pas pu se lever pour aller chercher des secours. Thomas remit doucement le bandage et donna quelques instructions à Jordan qui l'aida à transporter le garçon jusqu'à l'hélicoptère, pendant qu'Eyllée suivait à pieds.
La blessure de Jack était grave, et s'ils ne le prenaient pas très vite en charge, il risquait de perdre sa jambe.
*
M. Brown observa une minute les deux jumeaux. Ils ressemblaient peu à leurs parents, mais étaient quasiment identiques entre eux. Quand il les considérait plus longuement, il trouvait en eux quelque-chose de bien singulier. Leurs yeux, d'abord, n'avaient pas le moins du monde une couleur normale, mais plutôt celle de nouveaux-nés. Ils étaient gris et portaient un incroyable reflet, rosé pour Thys et violet pour Ariane. S'ils avaient été du même sexe, songea-t-il, seule cette différence de teinte aurait permis de les différencier.
Quant à leurs cheveux, il y trouva également un côté assez surprenant. Ils étaient châtains foncés mais portaient des mèches rousses, qui paraissaient naturelles. Si les deux petits n'étaient pas tant sous état de choc, M. Brown le leur aurait demandé pour confirmer ou non cette intuition.
Et il se trouvait qu'elle était exacte. Ce n'était pas de naissance, mais au cours du temps certaines mèches de leurs cheveux s'étaient éclaircies. Cela était bien étonnant.
Ariane et Thys buvaient doucement l'eau que leur avait proposée le directeur. Ils étaient dans un état second. Ariane en aurait secrètement voulu à ses parents si la vue du cadavre de sa mère ne l'avait pas tant traumatisée. Quant à Thys, son cerveau bouillonnait. L'intello du duo analysait chaque détail du monologue de M. Brown qu'il avait pu comprendre. Tout paraissait surnaturel. Comment un événement aussi puissant que celui-ci n'avait pu être détecté que par quelques personnes puis caché par la suite à la population ? C'était tout simplement incroyable.
Une fois qu'ils eurent fini de boire, M. Brown reprit la parole.
- Ce soir, commença-t-il, le repas sera pris dans le grand réfectoire. Vous devez mourir de faim je crois, car les infirmiers vous ont injecté de quoi vous endormir pour la matinée. Nous viendrons vous chercher. En attendant vous pouvez prendre une douche si vous le souhaitez, on vous y conduira.
Il espérait peut-être que son ton détaché réussisse à faire oublier un peu aux jumeaux la situation actuelle. Par rapport à ce qu'ils venaient de vivre et d'apprendre, de telles banalités leur semblaient risibles. Cependant, Ariane était assez contente de pouvoir mieux découvrir la base, et Thys de prendre une douche.
Ils retournèrent donc dans leur chambre, plus aptes à faire la connaissance de leurs colocataires actuels. Edlina était une fille très gentille, et le petit Kaylan s'avérait être un garçon très attachant. Du haut de ses quatre ans, il remerciait déjà le destin de lui avoir permis d'intégrer une base qui le protégerait.
- N'a d'la chance, disait-il. Meci meci, ze suis en sécuhité mainant. Ze veux pus patir.
Les trois enfants lui souriaient alors. Kaylan avait raison. Ils avaient une chance incroyable dans toute cette malchance...
Après avoir savouré une bonne douche chaude, Ariane et Thys traversèrent à nouveau la base pour arriver à la cafétéria. Ils remarquèrent alors qu'ils se trouvaient sous-terre, et qu'ils avaient eu beaucoup de chance d'accéder à l'étage émergé l'heure d'avant, quand M. Brown les avait convoqués. C'était peut-être la dernière fois avant longtemps qu'ils verraient l'extérieur, même à travers une vitre. Mais ils n'avaient pas encore conscience de cela...
Quand ils débouchèrent dans le réfectoire, la vue d'autres enfants leur fit chaud au cœur. Ils avancèrent aux côtés d'Edlina et de Kaylan - qu'ils tenaient par la main - vers une table où se trouvaient déjà quatre autres enfants, dont un qui se trouvait de dos. Ariane fit quelques pas en avant, intriguée. Quand le garçon tourna la tête, Ariane crut s'évanouir.
- Wilhem ! cria-t-elle.
Tout le réfectoire tourna la tête vers elle, tant elle avait hurlé. Mais Ariane ne le remarqua pas. Elle se jeta dans les bras de son ami et l'enlaça. Elle commençait à réaliser doucement ce qu'elle voyait : il n'avait aucun appareil sur lui, de ceux qui lui permettaient de respirer. Et il était vivant - elle se rendait compte petit à petit qu'avant qu'elle ne le voit là, ce n'était pas une évidence.
Thys n'en croyait pas ses yeux non plus. Il était resté planté là, devant le regard étonné d'Edlina, et Wilhem ne l'avait pas encore vu. Quand il lâcha Ariane et qu'il aperçut son ami, toute l'anxiété de Wilhem s'était envolée. Il avait retrouvé des repères, et c'était la seule chose qui avait le pouvoir de lui redonner sa bonne humeur et sa joie de vivre. Sans un mot de plus, les trois amis s'assirent à la table, Wilhem d'un côté, les jumeaux en face.
La première chose que chacun se demandait, c'était comment l'autre s'était retrouvé ici. Wilhem était intelligent et réfléchissait aussi vite qu'il faisait le lien entre les choses - comme un vrai détective - et il comprit vite que le cataclysme les avait touchés durant leur voyage en avion. Il leur demanda des détails. Ce fut Ariane qui s'en chargea, car elle savait plus de choses que son frère, et également parce qu'elle avait mieux eu le temps de digérer la mort de leurs parents, et qu'elle pouvait à présent en parler sans fondre en larmes. Du moins, c'était ce qu'elle se disait. Elle commença à narrer toute l'histoire à son ami, mais quand elle arriva au moment où elle avait aperçu le cadavre de sa mère, elle se mit à sangloter doucement. Pourtant elle continua, jusqu'au moment où Thys avait été touché par la foudre. Là, elle s'effondra sur la table, pleurant toutes les larmes de son corps.
Edlina la regardait avec pitié, et Kaylan se blottit contre elle pour la rassurer tandis que Thys, assis à sa droite, demeurait paralysé, dans l'impossibilité de consoler sa sœur ou de sauver la situation, si pathétique à ce moment-là.
Quand l'orage fut passé, Wilhem raconta à son tour son aventure. Devant Edlina, Kaylan et les autres, Ariane et Thys ne le montrèrent pas, mais tout collait avec ce qu'ils avaient appris de M. Brown. La base, les gardes, son médecin qui était au courant de certaines choses, tout coïncidait parfaitement. Ariane adorait : c'était comme une enquête, tout se réunissait pour former quelque chose de cohérent bien qu'étonnant.
Le petit groupe fut étonné quand ils apprirent de Wilhem que la base n'était alimentée qu'en oxygène pur, et Ariane sauta de joie à la pensée que grâce à cela, son ami n'avait plus à endurer de ces gros appareils dont elle ne comprenait pas l'utilité.
Au repas, il fut servi quelques légumes - du moins c'est ce qu'ils supposèrent - en gelée, et un peu de viande en poudre. Les jumeaux n'avaient jamais mangé quelque chose de si ignoble, et la cuisine française commençait à leur manquer.
Après une gelée d'abricot - l'été en était la saison - en dessert, ils furent priés de rejoindre leurs chambres après que le directeur soit venu en personne faire une annonce. Thys se demanda s'il allait éclaircir la situation aux autres enfants. Mais il n'en fut rien, il communiqua simplement une information qui ne pouvait pas plus les intriguer. Seuls les jumeaux pouvaient en comprendre le sens.
- Mes Chers enfants, commença-t-il d'un ton plein d'affection qui avait de quoi donner des frissons, vous vous demandez sûrement tous, ce que vous faites ici. Vous le saurez. Demain ! dit-il en parlant plus fort de façon à créer de la surprise.
Cela déclencha dans la salle un nuage de murmures. Puis il reprit un ton plus bas.
- Vous le saurez demain.
On aurait pu croire qu'il jouait une pièce de théâtre.
- Et demain, répéta-t-il en reprenant un ton plus fort, arrivera aussi un grand moment : nous déciderons où vous affecter. (il murmura presque les mots suivants) Et si nous vous affectons...
Les deux frères et sœurs comprirent qu'il s'agissait de ce dont leur avait parlé M. Brown un peu plus tôt. Ils étaient très surpris par l'attitude qu'il venait de prendre durant son discours, qui ne collait pas à la première impression qu'ils avaient eu de lui. C'était comme si ce n'était plus la même personne, qu'il avait changé drastiquement de caractère en l'espace de deux heures.
Les enfants se levèrent, sans vraiment comprendre ce qu'ils faisaient et où ils se trouvaient, et se dirigèrent vers leur chambre. Le trio d'amis se demanda s'il y avait eu quelques rébellions un peu plus tôt dans la journée, car à présent tous les enfants étaient dociles comme des moutons. C'en était effrayant.
Les jumeaux quittèrent Wilhem un couloir avant leur chambre. Le petit garçon se dirigea seul vers la sienne. En passant, il croisa le regard d'une fille un peu plus jeune que lui, qui suivait un infirmier. Il la suivit des yeux un moment avant de passer le seuil de la porte de sa chambre.
*
Eyllée suivit l'homme dans les couloirs. Il l'avait emmenée de force au réfectoire où elle n'avait rien pu avaler, et il la reconduisait maintenant jusqu'à sa chambre, où se trouvait Jack. Elle vit sans vraiment le remarquer un enfant la fixer, avant de s'engouffrer dans un dortoir juste à côté du sien.
Quand elle entra, son regard se posa immédiatement sur son frère, le visage déformé par la douleur. Le médecin marmonnait quelques mots en direction d'une femme à côté de lui. Il injecta quelque chose dans le bras de Jack et il s'apaisa instantanément. Puis l'homme ressortit de la pièce.
Eyllée s'assit sur le lit en face de son frère. L'infirmier qui l'avait accompagnée était toujours là. La fillette en profita donc pour lui demander ce qu'il adviendrait d'eux deux à présent.
- Tout ira bien, pour ton frère et pour toi, si demain vous êtes intégrés.
- Intégrés ?
- Si vous pouvez rester ici plus longtemps, sous notre protection, je veux dire.
- Ah. Et si nous ne pouvons pas ?
Il se frotta le menton.
- Ne te préoccupe pas de ça, vous n'en n'êtes pas là.
- On sera ensemble ?
- Ça m'étonnerait beaucoup, on vous répartira par tranches d'âge.
- Ah.
Eyllée n'avait aucune envie d'être séparée de son frère, mais elle se refusa de protester ou de montrer quelque désaccord. Après tout, ils avaient sauvé Jack. Elle ne voulait pas se retrouver une seconde fois au milieu des ruines, livrée à elle-même. L'homme se leva, se dirigea vers la porte, et avant de la refermer derrière lui, s'adressa une dernière fois à la petite fille.
- Demain, vous connaîtrez votre destin...
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