Chapitre 34
La phase 4 était en préparation pour décembre. Depuis un an, l'élite avait formé les enfants du camp 3 à réaliser la mission qui leur serait attribuée. Jack et Jane avaient réussi à être assignés ensemble à des postes scientifiques : ils resteraient, le temps venu, à la base. Pas question pour Jack de s'éloigner de sa sœur. À quelques jours de la troisième apocalypse, la déferlante, la spécialisation des deux jeunes adultes prenait fin.
Le garçon avait été assigné au suivi des enfants envoyés aux quatre coins du monde. Sa mission était de suivre leurs déplacements, leurs actions et leur santé quand ils seraient dispatchés.
Jane, elle, devrait s'occuper de la communication entre les pays. Ses énormes connaissances en informatique et ce qu'elle savait des inventions de son frère lui permettaient d'avoir une longueur d'avance sur tous les scientifiques chargés du secteur robotique. L'élite comptait sur elle pour rivaliser d'ingéniosité afin de de ne pas rompre le contact avec le reste du monde malgré les apocalypses qui rendaient cette tâche plus difficile de jours en jours.
Quand le moment tant redouté de la déferlante arriva enfin, ils étaient prêts. Le centre de commandement, émergé, avait été évacué dans le cas où l'eau devait se propager plus loin et avec plus de puissance que prévu.
La grande porte horizontale coupe-feu en métal qui séparait ce centre du camp Destiny fut fermée pour garantir la sécurité de la base. À l'I.T.B et à la P.T.B, le même protocole avait été appliqué, isolant à chaque fois l'étage à risque.
Le camp Destiny aussi avait été évacué par mesure de précaution.
La sécurité était renforcée plus que jamais, de sorte qu'il était impossible de s'attendre à ce qui allait arriver. Et que personne ne put l'empêcher...
Aux alentours de 17h, tout le monde était rassemblé dans le réfectoire de son camp. L'organisation n'avait rien à voir avec le désastre du démon rouge. Tout était cadré à la perfection.
Des écrans avaient été installés un peu partout, montrant deux lieux clés : les Maldives, heureusement évacuées, dont les caméras s'apprêtaient sans aucun doute à filmer la disparition, et New York. Le film était pris d'un point extrêmement haut, installé pour l'occasion, avec en plein dans son champ la statut de la liberté.
- Il faut que les enfants comprennent à quel point leur rôle est indispensable, et quelles sont les enjeux, avait expliqué Dionée quelques mois plus tôt, quand ils avaient compris l'ampleur que prendrait la déferlante.
- Ce sont vos ordres ?
- Ceux que j'ai reçus du QG, oui. Savez vous qu'ils veulent installer la direction en Virginie ?
- Je l'ignorais.
- Ils ont une base immense, là-bas, bien assez grande pour l'accueillir.
- Et pourquoi ne pas la laisser au QG, à New-York ?
- Parce qu'il serait englouti. Le système de repli lui-même est en danger. Il s'agit au-delà de sauver les survivants de nous protéger, nous.
- Les enfants ?
- Particulièrement, bien entendu.
- Ils vont évacuer l'Etat tout entier ?
- Les côtes, premièrement. Mais ils ne se font pas d'illusion, c'est clair qu'il sera une cité sou-marine à la fin de l'année. Vous comprenez pourquoi vous devez appliquer ces ordres ? Avant de partir, ils vont installer les caméras là-bas. On aura également accès à celles que des amateurs avaient posées aux Maldives. Les enfants doivent comprendre. Ici, ils sont comme dans un cocon. Je crois qu'il manque un élément évident à leur réussite, qui fait qu'ils ne sont pas vraiment préparés à ce qui les attend.
Les trois chefs de camp avaient froncé les sourcils. Celui du camp 3, qui tenait tête à Dionée depuis le début, avait alors repris la parole, intrigué. Depuis cinq ans qu'ils préparaient les enfants, personne n'avait pensé qu'ils leur manquait un quelconque élément dans l'optique de leur réussite.
- Lequel ?
- La peur.
- La peur paralyse.
- Non ! Non ! La peur... gargarise, vous voyez ? Elle prend le contrôle du corps, y laisse une énergie incroyable, et s'évapore quand il faut faire face à la situation. Mais surtout, elle sécurise. Elle empêche de courir des dangers inutilement.
- Elle empêche de se lancer ! Elle insinue le doute !
La femme du camp 2 avait hoché la tête.
- Moi je pense surtout que tout le monde ne réagit pas pareil à la peur, donc on ne peut pas prévoir.
Le sourire de Dionée associé à son regard avait justifié pleinement le nom qui lui était donné.
- Alors espérons que nous sommes tombés sur les bons enfants.
*
Eyllée était ce genre de personne dont parlait Dionée. Jamais paralysée par la peur, celle-ci, si elle lui faisait effet, lui donnait plutôt des ailes et les moyens d'agir.
Mais c'était rare. Car depuis la première apocalypse, Eyllée n'avait presque plus jamais peur. Et de moins en moins. Les trois dernières années, elles aussi, avaient été favorables à son évolution. Il était peu dire que les différentes formations avaient fait d'elle une guerrière prête à affronter n'importe quelle situation. Mais Eyllée n'en perdrait pas pour autant son esprit rebelle et décalé. La base ne ferait pas d'elle ce qu'elle voudrait. C'était Eyllée qui s'en servait, pour son propre intérêt et celui de ses amis.
Elle était assise sur une table, les yeux fixés sur l'écran qui montrait New York, calme pour l'instant. La pièce était plongée dans le noir, et le visage de la jeune fille n'était illuminé que par la lumière bleue des appareils éléctroniques.
Ariane se hissa à côté d'elle.
- Ça va ?
- Tu crois qu'on va voir des gens mourir ?
Son ton était égal, à première vue, mais Ariane sentit bien qu'il était empli d'émotion.
- Ils ont prévenu les populations du monde entier il y a des mois. Je suis persuadée que non.
- Ariane ?
Wilhem rejoignit les deux filles. Même s'il ne parlait presque plus directement à Eyllée quand ils n'étaient pas seuls tous les deux, elle sentait toujours ses émotions. Et il ressentait exactement la même chose qu'elle, à ce moment. Alors qu'Orion, quelques minutes avant, lui avait dit à quel point il était excité de voir l'apocalypse en direct. Car lui n'y avait jamais encore assisté : il était arrivé le matin avant la première. Il ne se rendait pas compte de la chance qu'il avait. Mais elle l'aimait quand même. Pourquoi se sentait elle obligée de se le rappeler ?
Elle reconcentra sur le moment présent et reporta son attention sur Wil, faisant un effort pour lui parler. Après tout, ils n'avaient pas de raison valable d'être fâchés. Mais cette histoire de clonage neurologique les avait perturbés pour toujours, semblait il.
- Les enfants ?
La directrice du camp 2 apparut dans le réfectoire, criant un peu pour se faire entendre. Quand Dionée était arrivée, elle s'était adoucie, s'étant fait volé le rôle de la sorcière.
- Les communication à New York ont toutes été coupées. On suppose que c'est à cause de la forte activité orageuse au large. Par conséquent le tsunami ne devrait plus tarder.
Elle hésita quelques secondes avant d'ajouter :
- S'il y en a qui ne se sentent pas de regarder, qu'ils me le disent maintenant.
Personne ne broncha.
- Bien. Je reviens tout à l'heure.
Thys et Orion rejoignirent leurs amis quelques minutes plus tard.
Thys se hissa sur la table à côté d'Eyllée.
- T'aurais pas vu Immy ? lui demanda t-il.
La jeune fille secoua la tête.
- C'est vrai que je ne l'ai pas croisée... Je croyais qu'elle devait nous rejoindre ?
- Oui, c'était ce qu'elle m'avait dit... Elle doit être avec ses colocataires de case.
Ariane passa la tête derrière le dos d'Eyllée et fixa son frère.
- Tu l'aimes bien, hein ?
Thys rougit jusqu'aux oreilles. Son visage prit presque la même couleur que ses mèches rousses.
- Elle est gentille.
- Arrête, Ariane, intervint Eyllée, un sourire en coin qu'elle essaya de dissimuler. Laisse le tranquille ! Et c'est vrai qu'Immy est super sympa.
La jumelle Olson prit un air contrarié.
- Plus que moi ?
- Beaucoup plus, affirma Wilhem. On a même demandé à ce qu'elle te remplace dans notre case. Ne me regarde pas comme ça, c'est ton frère qui voulait.
Cette fois, Ariane eut une expression outragée quand elle s'adressa à son frère.
- Comment as-tu pu ?
Puis ils éclatèrent tous les cinq de rire. Thys resta quelques minutes inquiet, mais la présence de ses amis chassa ses angoisses. Il se détendit enfin en attendant le tsunami. C'était un peu vu comme un spectacle par les adolescents du camp 2, dans la mesure où l'élite leur avait assuré qu'il n'y aurait aucun mort. Du moins sur les images qu'ils verraient.
Beaucoup s'étaient désintéressés des Maldives, pourtant elles furent recouvertes en premier. Un immense vague les submergea, mais les caméras disparurent avec avant d'avoir pu filmer plus. Sur l'écran montrant New York, tout était toujours calme. Puis ils aperçurent quelque nuages au large, et des éclairs. Et l'eau commença à remuer. Les conversations cessèrent et tous les regards se tournèrent vers l'écran. Le silence, au réfectoire, était complet. La vague grandissait incroyablement vite tout en se rapprochant, ce qui accentuait l'effet. Quand elle fut arrivée à hauteur de la statue de la liberté, quelques-uns hurlèrent de surprise. Elle était aussi grande qu'elle, arrivait presque à son sommet.
En fait, ça avait l'air d'un film catastrophe plutôt banal, où la scène la plus impressionnante du film était celle durant laquelle la grande statue était entièrement engloutie par l'eau. Sauf que ce qu'ils voyaient étant réel, c'était la chose la plus effrayante à laquelle ils avaient assisté de toute leur vie.
La vague continua sa route sans ralentir, emportant la flamme de la liberté éclairant le monde. Le reste de la statue tint le coup mais fut grandement endommagé. La scène que la camp 2 voyait à travers l'écran était si intense qu'ils eurent l'impression d'y être absorbés, et que quelques-uns se couvrirent la tête de leurs mains en pleurant.
Mais quand l'alarme de la base se déclencha et que les écrans s'éteignirent, tout le monde fut ramené à la réalité brutalement. Et la panique gagna à nouveau les enfants.
La dernière fois qu'ils avaient entendu cette alarme, c'était quatre ans auparavant, durant la seconde apocalypse. Alors au début, les cinq amis ne bronchèrent pas, se disant que celle-ci était pour la même raison : la troisième apocalypse devait être arrivée jusqu'ici. Mais petit à petit, le personnel s'agita. L'élite se dispersa bientôt aux quatre coins du camp, cherchant vraisemblablement quelque chose. Ou quelqu'un. Puis leur directrice, que personne n'avait vue revenir, prit la parole, un micro à la main, essayant de garder son calme.
- Josh Essen, Immy Wright, Ashe Müller, Renz Ivanov ? Vous êtes attendus au réfectoire. Je répète, Josh Essen, Immy Wright, Ashe Müller, Renz Ivanov. Où que vous vous trouviez, vous êtes attendus en urgence au réfectoire.
- Immy ! s'écria Thys. Qu'est-ce qu'il se passe ? Elle est où ? Qu'est-ce qui lui arrive ?
Ariane prit son frère par les épaules alors qu'il était à deux doigts de faire une crise d'angoisse.
- Respire, Thys respire. Regarde moi dans les yeux. Inspire, expire.
- Il y a Ashe et Renz aussi, maugréa Eyllée. Ashe est le garçon qu'avait battu Ariane en duel à la P.T.B, expliqua-t-elle à l'attention des garçons.
- Et Renz fait partie de notre groupe à l'I.TB, compléta Wilhem. Je ne sais pas qui est Josh, par contre.
- C'est un spécial du feu, expliqua Orion. L'un des meilleurs, je crois. Depuis qu'Ariane a battu Ashe au combat, en tous cas.
Eyllée se prit la tête entre les mains. Dire que les chose avaient recommencé à tourner rond depuis la disparition de Mike et de M. Brown ! Mais il y avait quelque chose de pas net, dans cette histoire. Immy, Ashe, Renz et Josh faisaient apparemment partie des meilleurs du camp dans un domaine spécifique. Ils ne se connaissaient pas tous, ne partageaient pas la même case, et n'étaient pas du genre à fuguer. Pourtant il était clair qu'ils avaient disparu. Mais le jour de la troisième apocalypse ? La sécurité était telle qu'il était presque impossible d'aller aux toilettes sans être escortés par une centaine de gardes.
La jeune fille jeta finalement un regard à Wilhem, et lui désigna d'un signe de tête la directrice qui était au téléphone avec quelqu'un. Vue la situation, peut-être Dionée ou l'un de leurs professeurs.
Le garçon hocha la tête. Il avait compris. Il s'approcha de la femme et entreprit de lire dans ses pensées. Dès qu'il capta son regard, il entra dans sa tête. Plus il le faisait, plus cela devenait facile pour lui. Il arrivait même, maintenant, à aller au-delà d'elles et à visualiser certains souvenirs proches. Celui dans lequel il tomba fut un autre appel, cette fois-ci commun, avec les autres directeurs de camp et Dionée.
- Certains enfants de mon camp ont remarqué la disparition de deux camarades, Immy Wright et Ashe Müller.
- Je n'ai rien de suspect de mon côté, informait le directeur du camp 3.
Celle du camp des plus petits s'affola.
- C'est pareil pour moi, une dizaine d'enfants sont introuvables ! Je ne comprends pas.
Dionée les coupa.
- Vérifiez qu'il n'y ait pas d'autres disparitions que celles que vous avez remarquées, puis répertoriez les et envoyez moi la liste, avec ce que chacun a de particulier.
- Ce sont tous des spéciaux, fit remarquer la directrice du camp 1.
- Je crois qu'on a eu une intrusion, expliqua Dionée. Ça paraît fou, mais durant quelques minutes, certaines caméras ont cessé de fonctionner. J'ai peur qu'il ne s'agisse d'un kidnapping organisé.
- Comment c'est possible ?
- Ceux qui en sont à l'origine ont forcément des complices ici, autrement une telle action est irréalisable. Je vais déclencher l'alarme. Faites ce que je vous demande, s'il vous plaît. Je contacterai le nouveau QG de Virginie.
Wilhem se déconnecta du souvenir et courut rejoindre ses amis. Il se stoppa dans son élan en voyant Thys recroquevillé, par terre, en train de pleurer. Ariane essayait de le rassurer et l'entourait de ses bras. Le garçon fit donc un signe à Eyllée qui se mit à l'écart.
- Alors ? chuchota-t-elle.
- D'après eux, ils se sont fait kidnapper. Dans le camp 1, aussi.
- Tu penses à ce que je pense ?
- Brown.
- Et Mike. J'en étais sûre, on a pas fini d'avoir des problèmes avec eux. Qu'est-ce qu'ils vont faire des enfants ? Tu crois qu'ils veulent se venger ?
Wilhem secoua la tête.
- Non, ils chercheront dans tous les cas à tirer partie de la situation. Ils sont trop intelligents pour faire ça simplement par rancœur. À mon avis, ils vont leur faire ce pour quoi ils sont les plus forts.
- Des expériences.
Il acquiesça.
- Ils risquent de les tuer pour étudier leurs cerveaux où je ne sais quoi d'autre. Ils sont en énorme danger. S'ils ne sont pas déjà morts.
Il fixa son amie, dont le visage s'assombrit.
- Et nous aussi, par la même occasion, complêta-t-elle.
*** Note d'auteur ***
Le tout dernier chapitre du Tome 1 de Mirage sera en ligne lundi, et l'épilogue mercredi !
Hâte de vous y retrouver, en tous cas soyez sûrs, chers lecteurs, et tout particulièrement ceux qui me suivent depuis le début, que vous aurez une place toute désignée dans les remerciements et dans mon cœur...
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