Chapitre 27

Jack s'inquiétait. Voilà des semaines qu'il n'avait plus eu de nouvelles de sa sœur. Et ce n'était pas faute qu'il n'aille pas vérifier : il allait dans le souterrain presque tous les jours. Et, deux ans et demi après leur arrivée à la base, c'était la première fois qu'Eyllée ne donnait plus signe de vie pendant tout un mois.

Au début, il s'était rassuré : que pouvait il arriver, ici, dans une base fermée ? Mais ce qui avait fait remonter son angoisse à la surface, ça avait été la réaction d'Anna quand il lui en avait parlé. Elle avait non seulement esquivé la question, mais en plus, elle s'était énervée - chose si rare, chez elle -, et ne lui avait plus adressé la parole depuis.

Cependant, le jeune homme ne perdait pas espoir. Il continuait ses visites régulières, le soir, dans le tunnel, bien que la présence dans leur case de Lucas et des deux filles - Tess et Ashley - complique les choses. Le rythme de son cœur augmentait toujours de la même façon quand il retirait la pierre devant leur cachette.

Et, ce soir-là, il y avait quelque chose. Un grosse enveloppe blanche.

Impatient, Jack refit le chemin dans le sens inverse pour aller retrouver Jane. Si ça ne tenait qu'à lui, il l'aurait ouverte sur-le-champ. Mais il fallait rester prudent et discret.

Par chance, comme à leur habitude, leurs trois colocataires étaient repartis au réfectoire pour la soirée, afin de profiter des activités proposées par l'élite. On aurait dit une prison. L'entraînement militaire excepté.

Jane se trouvait donc sur sa couchette, seule, quand Jack déboula dans la case.

- Alors ? s'enquit la jeune fille.

- Il y a quelque chose ! s'exclama Jack.

Il avait attendu ce moment depuis ce qui lui sembla être des années.

- Viens !

Jane hissa le garçon sur son lit superposé, et celui-ci n'attendit pas d'y être totalement pour déchiqueter le papier de l'enveloppe.

Son contenu se déversa sur le lit.

Deux lettres. Jack prit l'une sans tarder, se délectant de l'écriture régulière de sa petite sœur. Cependant, cette fois, pas de longue description de ses journées dans son camp, de ce qu'elle avait appris à l'I.T.B ou bien encore des progrès qu'elle faisait au tir ou à la course. Non, cette fois, les mots se faisaient plus pressants, essayant tant bien que mal de dissimuler la peur et l'empressement de leur auteure. Pas de cette mise en forme abusive des lettres qu'Eyllée trouvait amusante et ne manquait pas d'utiliser. Un texte brut et concis, qui débutait comme ceci :

« Jack. Je suis désolée que tu reçoives cette lettre si tardivement. Je vais bien. Il m'est arrivé quelque chose, et je dois faire passer cette lettre entre les mains d'Ariane pour que tu la reçoives. »

Elle continuait ensuite sur la description rapide de ce qui était arrivé, même de son rêve, et des soupçons qu'elle nourrissait sur un certain professeur John. Toutefois, Eyllée avait pris soin, encore une fois, d'occulter le pouvoir de Wilhem ou encore la relation qu'il avait avec l'homme dont elle parlait. C'était une façon de le protéger. Finalement, la lettre se terminait sur un message décevant, qui imposait à Jack de ne pas se faire de soucis et précisait qu'il était normal qu'elle ne lui écrive pas durant un moment.

- Je ne pensais pas que l'élite était du genre à faire un truc pareil, s'insurgea Jane en terminant de lire.

Elle passa une main rassurante autour des épaules de Jack, qui, avide d'informations, s'était déjà emparé du second papier.

Pas la même écriture. Cette lettre-là l'intrigua dès les premières lignes, d'autant qu'elle était plus longue - et écrite en plus petit - que la précédente. Elle disait cela :

« Bonjour, Jack.

Je m'appelle Ariane. Peut-être que tu ne te souviens pas de moi, mais j'avais accompagné Eyllée la première fois, dans le tunnel. Tu as sûrement dû te rendre compte, en lisant sa lettre, qu'elle ne te demandait pas d'aide, seulement quelques informations sur l'accident.

Cependant, je crois qu'elle en aura besoin.

Elle m'a demandé de mener une enquête sur le professeur John, et M. Brown. Elle pense qu'ils auraient quelque chose à voir avec la mort de vos parents. Et je sais où trouver les informations nécessaires, seulement voilà, il me faut les clés. Il y a, dans la salle de commandement de chaque camp, des archives, et je suis persuadée que l'on pourrait obtenir pas mal d'informations. Peut-être que tu connais un adulte qui pourrait nous aider ? Eyllée m'avait dit que tu connaissais Anna. Ne lui en parle pas, Wilhem dit qu'elle est amoureuse du professeur John. Ta sœur veut qu'on présente à Anna les preuves qu'on trouvera peut-être contre lui, pour qu'elle fasse en sorte de la sortir de là. Je crois que seuls les chefs de camp possèdent une clé de la salle de contrôle. Si tu pouvais récupérer celle de mon camp ou du tien, toi ou moi pourrions l'aider. De mon côté, et n'en parle à personne, je vais créer une alliance pour récupérer un maximum d'informations de tous ceux qui accepteront de se liguer contre Mirage. J'aurais besoin que tu diriges cette alliance dans ton propre camp, si tu acceptes. Voilà comment je l'avais imaginée. »

Quand Jack et Jane eurent lu le descriptif de l'alliance secrète, Jack se tourna vers la jeune fille.

- Je sais à quel point c'est dur pour toi d'admettre que la base nous cache des choses, parce que ta famille s'est battue pour que tu y sois intégrée. Mais tu me crois, maintenant ? Est-ce que tu veux bien m'aider ?

En réponse, elle prit la tête du garçon entre ses mains et pressa ses lèvres contre les siennes, avant de s'excuser.

- Je suis désolée, Jack. Je comprends que la base ne soit pas toute blanche, mais tu penses vraiment qu'elle est impliquée dans la mort de tes parents ? Eyllée fait reposer ces accusations sur quoi, sur... un rêve ? Pour moi, ça ne fait pas le poids, mais si tu comptes mener l'enquête, je te s...

Mais Jack ne la laissa pas terminer. Il enleva violemment le bras qu'elle avait posé sur ses épaules et descendit du lit.

- Mais tu comprends rien ! cria t-il. Tu es aveugle ? Ils nous cachent quelque chose, et si ma sœur a des doutes, je ne vais pas attendre ton approbation pour les prendre en compte ! C'est ma sœur, merde. Tout ce qu'il me reste ! Je l'aime plus que n'importe qui au monde, et jamais je ne laisserai personne lui faire du mal. Je n'ai pas besoin de ton soutien.

Sur ce, il sortit de la case, énervé, et se dirigea vers le réfectoire. Il allait mener l'enquête, ça oui. Avec ou sans Jane. Il allait d'ailleurs demander de l'aide à une tout autre personne, qui était extrêmement bien placée pour avoir des informations sur le professeur John, pour la haine qu'il devait sans aucun doute lui conférer. Thomas. La relation qu'il avait avec Anna n'avait pas échappé à Jack, et il ne doutait pas qu'il puisse être jaloux de M. John.

Peut-être lui indiquerait il comment récupérer la clé de l'une ou de l'autre des salles de contrôle, lui qui dormait au premier niveau, là où se trouvait le bureau officiel du directeur Brown.

Thomas accueillit la requête avec sympathie. Il s'insurgea d'abord de la façon dont Eyllée était visiblement traitée, puis promit de ne parler à personne de cette petite enquête.

Quand il rentra, le soir, au centre de commandement et déposa ses affaires sur son lit, Thomas se posta devant la grande vitre qui laissait apercevoir le paysage dévasté du désert d'Arizona. Il avait follement envie d'agir ce soir. Peut-être était-ce prématuré. Peut-être aurait-il dû en discuter avec Jordan. Mais il avait promis de garder le secret. Et depuis le temps qu'il attendait que sa propre enquête sur M. Brown et le professeur John soit relancée ! Et puis, Jack lui avait dit qu'une fois toutes les preuves réunies, il irait voir Anna. Elle allait enfin s'apercevoir qu'elle commettait une erreur en faisant confiance à ce Mike. Ce moment là ne méritait pas d'attendre une seconde de plus. Si, peut-être quelques heures, le temps que M. Brown déserte son bureau. Mais après ce délai, il agirait.

*

Quand le directeur tourna la clé dans la serrure, Thomas se trouvait déjà derrière le mur opposé à l'observer, depuis déjà une heure.

M. Brown posa ensuite sa main sur le détecteur d'empreintes, et la porte se verrouilla. Son bureau était assez sécurisé, mais rien qui ne puisse effrayer Thomas. Il comptait réutiliser la technique du scotch que Jane lui avait expliquée, après son escapade, pour neutraliser le détecteur d'empreintes. Concernant la clé, il allait ruser.

Il savait d'expérience qu'après son travail, M. Brown passait par les douches communes - sa qualité de directeur ne lui permettait pas d'avoir sa propre salle de bain, sinon cela aurait fait parler.

Thomas le suivit. Brown avait beau être extrêmement prudent, il laissait ses affaires pendre sur le bord de la cabine de douche. Et les clés étaient là, à portée de main.

Sans bruit, le secouriste décrocha la petite clé rouge et alla rapidement ouvrir la serrure du bureau. Puis il remit la clé à sa place. Certes, le lendemain matin, M. Brown allait trouver la salle ouverte. Mais au moins, en sortant de la douche, il ne se douterait de rien.

Une fois que l'opération délicate fut réalisée, et que le directeur s'en alla dans sa case, l'enquête put commencer. La technique du scotch était pour le moins efficace, et en quelques secondes Thomas se retrouva dans l'immense bureau. Il fut impressionné de découvrir les écrans disposés sur le côté, et qui filmaient en continu chacun des camps de la P.T.B. Donc c'était vrai, ce qu'avait dit Jack à propos d'Eyllée. S'il y avait des caméras à la jungle et les ruines, cela signifiait qu'ils avaient été au courant de l'escapade des deux enfants bien avant qu'ils n'aient failli mourir.

Une première preuve. Thomas sortit son téléphone pour l'avoir à portée de main. C'était un élément intéressant, mais pas suffisant : et s'il l'était, il n'aurait pas pu incriminer Mike John.

Il fallait creuser un peu plus. Le secouriste s'approcha du bureau du directeur. Il n'avait jamais vu autant de tiroirs dans un seul meuble. En tous cas, cet homme était ordonné. À droite, les documents de ces trois dernières années concernant les apocalypses, le programme de sauvegarde de l'espèce humaine des États-Unis, et la base Mirage ainsi que ses différentes formations. Thomas fouilla de ce côté-ci. Il ne trouva rien concernant la P.T.B à propos de Jack, Eyllée ou même Wilhem, dont Anna lui avait tant parlé. Mais quand il regarda les documents de l'I.T.B, ce fut différent. Il dénicha un rapport de Jennifer Marino sur l'intelligence de chaque enfant des camps. Chose assez improbable, la sœur Iven et le petit Steel présentaient apparemment le même profil intellectuel. Thomas ne sut pas si c'était important, mais c'était bon à prendre. Il scanna le document avec son téléphone et le rangea dans le dossier spécialement créé pour l'occasion, codé "E.J1/2" pour "Enquête Jack de janvier de l'an 2".

Mais les archives offraient de bien meilleures informations. Triées par année, elles relataient de toutes sortes de choses : évènements importants, catastrophes naturelles, rapports expériences, d'enquêtes ou compte rendus scientifiques. Thomas chercha dans les documents consacrés à l'an - 5, celui de l'accident des parents de Jack. Un document noté secret, avec une pochette bleue, attira son attention. Il s'agissait d'un rapport d'enquête, et pas n'importe lequel : celui-ci était à propos de la mort d'un couple percuté en voiture pas un bus. Le chauffeur s'était enfui et n'avait pas été retrouvé. Mais pourquoi avoir un tel document dans les archives de la base si ce n'était pas parce que M. Brown avait un lien avec cet événement ? Rien qui n'incrimine Mike, malheureusement. Une fois ce merveilleux souvenir immortalisé dans son intégralité, Thomas s'intéressa au reste. Beaucoup d'informations sans rapport avec ce qu'il cherchait. Sauf juste ici, sous ces document... Le secouriste s'était bien dit que ce tiroir était trop grand pour contenir autant de choses ! Une sorte de faux sol se soulevait légèrement sur le côté. Surpris, Thomas jeta par terre tout ce qui l'obstruait et le souleva.

Les documents qui s'y trouvaient étaient très clairs. Ils citaient bel et bien Eyllée et Wilhem et parlaient de plusieurs expériences.

Les premières informations avaient douze ans. Elles disaient ceci :

25 décembre : le sujet présente un trouble respiratoire rare qui le rend intolérant à certaines molécules contenues dans l'air. Il nécessite une mise sous oxygène durant les premiers mois de sa vie. Cet imprévu ne doit cependant pas entraver le cours de l'expérience. Le clone neurologique de Wilhem est en cours d'élaboration. Il sera intégré à un embryon qui doit être implanté dans peu de temps dans le cadre d'une PMA. Nous faisons tout notre possible pour maintenir le sujet en vie afin de poursuivre le suivi de l'expérience.

12 janvier : l'embryon a été implanté. Les futurs parents ne sont pas au courant de l'expérience menée, car elle ne devrait normalement n'avoir aucune conséquence sur leur enfant. Dès qu'il sera né, nous étudierons les conséquences du lien neurologique créé. Nous ne savons pas encore leur nature, mais cette expérience a de grandes chances de s'avérer révolutionnaire.

2 février : La grossesse a débuté son cours normalement. Wilhem semble sorti d'affaire mais il nécessite encore d'être gardé en soins intensifs.

17 mai : L'enfant Iven est apparemment en bonne santé. Il s'agira d'une fille.

11 octobre : La petite Eyllée Iven est née. Elle est en excellente santé. Nous avons prétexté aux parents un problème de moindre importance afin de la faire revenir tous les deux mois pour commencer le suivi de l'expérience.

11 décembre : Les enfants, bien que très jeunes, semblent exercer une influence l'un sur l'autre. Quand nous les mettons dans la même pièce, s'ils sont agités ou pleurent, ils se calment immédiatement. Ils manifestent parfois un mimétisme singulier, surtout de la part du clone neurologique envers le sujet. En effet, Eyllée semble imiter les émotions de Wilhem : elle pleure quand il est triste, rit quand il est joyeux. Nous suivons ce phénomène de près.

11 février : La thèse du mimétisme émotionnel est réfutée : Wilhem s'est mis en colère, et Eyllée s'est mise à pleurer systématiquement, alors qu'ils ne pouvaient pas se voir. Nous ne comprenons pas ce phénomène.

Le document continuait comme ceci durant un an. Puis les dates s'espaçaient. Le document se terminait sur cette petite phrase, qui risquait de faire basculer beaucoup de choses, ici. Une toute petite phrase qui dessina une expression horrifiée - plus qu'elle ne l'était déjà - sur le visage de Thomas.

Expérience dirigée par le professeur John.

*** Note d'auteur ***

Fin de ce chapitre des révélations (publication spéciale pour mon anniversaire) !

À votre avis, quelle peut être l'explication qui n'avait pas été trouvée par les scientifiques à l'époque, à propos du lien neurologique entre Eyllée et Wil ?

Je vous laisse réfléchir, et à vendredi pour savoir si la vérité va éclater au grand jour... ou si quelqu'un va se mettre en travers de son chemin...

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