Chapitre 26
Les dents serrées, Eyllée traversa le couloir qui menait jusqu'au réfectoire. Les choses s'enchaînaient trop vite, ces derniers jours. Ils n'étaient qu'au milieu du mois de Janvier, autrement dit seulement une vingtaine de jours s'étaient écoulés depuis qu'elle avait eu l'idée brillante de s'introduire en cachette dans le centre de la P.T.B avec Wilhem. Non seulement ils avaient failli mourir, mais en plus elle ne doutait pas que ce fut sous les yeux de bon nombre de scientifiques.
Quelques minutes après la déclaration de ses pouvoirs, le feu les avait poussés en dessous de la trappe, et, comme par magie, ils avaient entendu son déclic : elle venait de s'ouvrir. Ils s'étaient précipités dehors, où M. Brown et le professeur John les y attendait de pieds fermes, arborant une mine surprise.
"- Eyllée, Wilhem ! avait dit le médecin. Nous venons à peine de remarquer que vous étiez enfermés ici ! Dieu merci, vous n'avez rien. Nous avons fait le plus vite que nous avons pu pour venir vous chercher, dès que nous avons appris. Nous allons vous conduire au camp Destiny pour vérifier que tout va bien. Ne refaites plus une chose pareille, vous allez me tuer !"
La pensée immédiate qui était alors venue à l'esprit d'Eyllée avait été le souvenir de son rêve. "Vous avez tué mes parents !" avait elle crié à Mike, dans cette sorte de vision.
Elle avait immédiatement su, alors, qu'ils cachaient bel et bien quelque chose, que M. John cachait quelque chose, et que tout cela n'était pas seulement le fruit de son imagination.
Ils les avaient ensuite conduits, sans jamais croiser personne, jusqu'au camp Destiny. Et pour cause : ils étaient en plein milieu de la nuit. Alors que, tout le long du trajet, Eyllée avait ressenti la reconnaissance qu'avait Wilhem pour Mike, de son côté, elle avait eu l'impression qu'ils essayaient de les cacher. Que son ami n'ait pas le même sentiment lui avait brisé le cœur. Elle était persuadée que dans son cerveau s'était tissée une multitude de raisons pouvant justifier l'attitude plus qu'étrange des deux adultes. Tout pour ne jamais incriminer celui qui avait sauvé la vie du garçon plusieurs fois.
Et qui, paradoxalement, était peut-être responsable de la mort de ses parents à elle.
Une situation plus qu'insoutenable qui ne risquait pas de se terminer de si tôt.
La théorie d'Eyllée s'était avérée en partie quand Mike et Brown avaient aperçu Anna. Elle avait bien vu que les deux hommes avaient essayé de se montrer discrets et de l'éviter. Mais Wilhem avait couru dans sa direction et s'était jetée dans ses bras. Mike avait donc accouru pour annoncer au docteur qu'il était le héros de la situation, appuyé naïvement par le garçon, qui avait même tout raconté d'une traite à Anna, ce qui avait valu une grimace de colère du directeur de la base, un sourire gêné du professeur John, et une lueur de reconnaissance supplémentaire de la femme envers Mike. Ils avaient donc bien été obligés de tout raconter, et la nouvelle des « mutations » s'était alors répandue comme la peste au sein de l'élite. Leur petit secret évanoui, les deux hommes n'avaient pas pour autant oublié les deux enfants.
Pendant des jours et des jours, ils les avaient stockés dans deux chambres séparées au camp Destiny, leur rendant visite de temps en temps pour faire des expériences sur eux, sans qu'ils ne puissent se voir. Ils s'étaient retrouvés brièvement au nouvel an, à la fête du réfectoire, où chacun d'eux avait raconté sa version des faits à leurs amis. Eyllée s'était même confiée à Ariane sur ses doutes, et son amie les avait accueillis avec enjouement. Ils n'avaient plus pu se voir par la suite, et s'étaient retrouvés tous les deux dans la même chambre, où, sachant l'un comme l'autre qu'ils n'étaient pas du même avis, ils n'avaient pas échangé un mot.
Au bout d'un certain temps, on les avait autorisé à aller se laver aux douches du camp 2, escortés par des gardes, afin que les rumeurs indésirables cessent et que tout le monde continue de penser qu'ils étaient punis. Ça avait été ce qu'on leur avait ordonné de dire le jour du nouvel an, ordre respecté par Wilhem mais pas par Eyllée, qui avait d'ailleurs été celle qu'avait crue Ariane.
Quand Eyllée avait appris ce qui s'était tramé durant sa soi-disant punition, à savoir les tests, les spéciaux et toute l'histoire qu'elle avait engendrée, tout s'était éclairé pour elle. Elle avait compris que Wilhem et elle, en tant que premiers sujets qui s'étaient révélés être des spéciaux, avaient été les cobayes d'expériences. Cela l'avait mise hors d'elle, et elle avait été décidée, pendant un laps de temps, à faire couler Mirage, avant de se rendre à l'évidence : c'était impossible, et tous les enfants dépendaient totalement de cette organisation.
Toujours était il qu'elle avait réussi à s'éclipser, ce soir-là, des douches, sans que le garde qui l'escortait - ils réduisaient petit à petit la sécurité autour d'eux - ne s'en aperçoive.
Ce fut comme cela qu'elle put se retrouver à marcher d'un pas ferme dans le couloir, sans qu'aucun adulte ne bouge un sourcil à son passage. Car personne n'osait remettre en question une possible décision de M. Brown. La situation était trop parfaite pour qu'Eyllée n'en tire pas parti. Déjà qu'elle avait l'impression d'avoir laissé passer sa chance au nouvel an.
Quand elle arriva au réfectoire, c'était le repas du soir pour les enfants du camp 2. Elle déambula entre les tables, la tête haute, puis repéra ses amis.
De façon très naturelle, elle s'assit à côté d'Ariane, qui ouvrit grand les yeux de surprise, et arbora un sourire réjoui.
- M. Brown m'a autorisée à venir manger avec vous, malgré ma... punition.
À ces mots, Ariane sursauta. Eyllée n'avait jamais prétendu avoir été punie, elle affirmait auparavant que c'était un mensonge.
- Et Wilhem ? demanda-t-elle, prudente. Il n'est pas avec toi.
- Il n'a... pas pu venir, répondit Eyllée avec un regard appuyé pour son amie.
Ariane se leva brusquement.
- Je ne me sens pas bien. Je crois que je vais vomir. Tu m'accompagnes aux toilettes, Eyllée ?
Thys paniqua.
- Tu ne vas pas bien ? Tu veux que je vienne ? s'inquiéta-t-il.
- Non, ça va aller. Eyllée m'accompagne.
Le ton sec de sa sœur ne lui permit pas de répliquer. Thys comprit qu'elle mentait quant à sa soi-disant nausée, et la laissa s'éloigner avec Eyllée.
Les deux filles traversèrent le couloir à la hâte, sans échanger un mot. Quand elles arrivèrent enfin à leur case, Ariane ferma la porte derrière elle et s'assit sur le lit d'au fond, en dessous de la fenêtre, fixant Eyllée avec étonnement
- Qu'est-ce qu'il se passe ? la pressa-t-elle.
- J'ai besoin de ton aide.
- Je t'écoute.
- Je me suis, disons... éclipsée des douches pour venir te voir. J'ai laissé l'eau couler. Je n'ai pas beaucoup de temps avant que le garde ne pense que j'ai fait un malaise, aille alerter quelqu'un et qu'ils ne s'aperçoivent que je n'y suis plus.
- Tu es folle, sourit Ariane.
Eyllée laissa échapper un petit rire.
- Bref. Ils font des expériences sur nous. Comme nous avons été les premiers spéciaux déclarés, ils nous étudient. Tu as passé le test ?
- Je suis une spéciale de l'eau, Thys de la foudre, et Orion du feu.
- Bien. Je t'ai dit que mes pouvoirs s'étaient déclarés lors de notre escapade dans la jungle et les ruines. Mais je ne t'ai pas dit que je suis persuadée qu'ils ont tout suivi en direct, et qu'ils ont attendu de voir des choses intéressantes avant de nous sortir de là. Et je pense que Mike est impliqué dans la mort de mes parents. Parce que plus le temps passe, plus j'ai le sentiment qu'elle n'était pas accidentelle. Et...
Eyllée s'arrêta de parler alors qu'elle allait évoquer l'autre pouvoir de Wilhem : celui de lire dans les pensées. Non, elle avait promis. C'était leur secret à eux, avec leur lien émotionnel, malgré les différents qu'ils avaient ces derniers temps. Elle enchaîna donc sur autre chose, et lui tendit un papier replié.
- Je voudrais que tu poses cette lettre à Jack, dans le tunnel. Elle contient mes doutes, ce qu'il m'arrive en ce moment, et je lui y pose des questions sur l'accident, pour y voir plus clair. Écoute moi jusqu'au bout, s'il te plaît, ajouta-t-elle quand elle vit son amie sur le point de la questionner. Quand tu auras la lettre réponse, ouvre la, lis-la, et sers toi en pour avoir des infos. Je sais que c'est risqué, mais c'est ma seule chance. Ça va faire un mois qu'on est sous le contrôle de M. John et de M. Brown, et je ne peux rien faire dans cette situation. Quand tu auras des informations incriminantes sur Mike, parle en à Anna, en lui rapportant ce que je t'ai dit, sur ce qu'ils ont fait, comment ils nous traitent... Elle n'est pas bête, et elle aime Wilhem. C'est la seule qui puisse nous aider, Wil et moi. Je t'en prie, accepte.
Ariane la prit par la main et la fit asseoir à côté d'elle.
- À toi de m'écouter, maintenant. Je sais comment aller dans la salle de commandement du camp. On l'avait déjà fait, avec Orion, au tout début. Ils y ont des archives. Des copies de celles qui se trouvent dans le bureau de M. Brown, sûrement. C'est dans un tiroir fermé à clé mais... Enfin je sais l'ouvrir. Donc je pourrais peut-être avoir des infos, seulement... Ils risquent de nous surveiller après ta petite fugue. Et il y a des centaines de témoins qui t'ont vue partir avec moi. Donc impossible de mentir. Mais je peux essayer. Avec l'aide d'Orion. On a formé une alliance secrète, et on comptait recruter d'autres enfants ayant des doutes sur Mirage. C'est très compliqué à mettre en place, car n'importe qui pourrait nous dénoncer, donc l'idée, c'est que chacun rapporte ses propres infos à un chef de groupe de haute confiance, qui ne révèlerait pas notre identité, la tienne, la mienne et celle d'Orion. Je doute que Thys veuille nous rejoindre, et Wilhem... Je te laisse en décider. C'est un système qu'on pourrait élargir, en créant plusieurs niveaux de sécurités, comme ça seuls les chefs de groupe d'un niveau inférieur connaîtraient l'identité de ceux du niveau supérieur. Histoire de minimiser les chances d'être dénoncés. Nous n'aurions qu'une ou deux personnes sachant que nous sommes les créateurs de l'alliance, qui nous rapporteraient les infos que les autres ont obtenues.
Ariane marqua une pause.
- Ce n'est pas encore bien au point, mais c'est une idée. Et on va tous t'aider à découvrir la vérité. Je pensais, si tu es d'accord, ajouter avec ta lettre un petit mot expliquant l'idée de l'alliance secrète à ton frère, pour qu'il soit le chef de notre organisation au camp 3.
Eyllée dévisagea son amie, émue.
- Merci. Tu es géniale, ton idée est... merveilleuse. Wouah, merci, je ne sais pas comment...
- Pas de soucis, Eyllée. On est amies. On est tous amis. Et crois moi, je hais Mirage peut-être autant que toi. On a toutes les deux perdu nos parents, et leur mort est chacune implicitement liée à l'élite. Tu devrais y aller. Bonne chance pour justifier ton escapade.
Sur ce, Ariane prit son amie dans ses bras, puis Eyllée sortit de la case pour aller rejoindre les douches. L'opération pouvait commencer. Ni une, ni deux, Ariane se dirigea vers la petite infirmerie locale. Son plan d'action était dans le prolongement de son mensonge et convenait parfaitement à la situation. Son idée était simple : voler le trousseau de clé de l'infirmier qui s'y trouvait et se rendre de nuit, avec la complicité d'Orion - elle ne lui avait pas encore pardonné d'être amoureux de la même fille que Wilhem, mais il s'agissait de leurs amis : les rancœurs n'avaient pas leur place - à la salle de commandement du camp. Ariane avait le sentiment qu'il y aurait des choses intéressantes là-bas, voire compromettantes, peut-être sur la mort des parents d'Eyllée.
Alors que le réfectoire était au centre du camp, entouré du cercle des cases, l'infirmerie était une petite pièce située à l'extrémité ouest, là où étaient les chambres des adultes. Elle s'y rendit en prenant soin de passer le plus inaperçue possible.
L'infirmier était un homme d'une quarantaine d'années, qui n'était pas vraiment surchargé de travail. Ariane savait qu'il se trouvait à l'infirmerie le matin et durant le repas du soir, pour organiser la salle. Le reste du temps, il était appelé quand quelqu'un avait besoin de lui.
Il ouvrit la porte avec détachement.
- Qu'est-ce qui t'amène ?
- Je... (Ariane scruta la pièce à la recherche du trousseau. Il était posé sur une armoire, au fond.) je crois que j'ai mangé un truc qui n'est pas passé.
L'infirmier haussa les épaules.
- Je ne sais pas ce que je peux faire.
Non. Ça s'annonçait très mal pour la fillette. Il fallait qu'elle ruse.
- C'est que... Je suis partie en plein milieu du repas, et euh...
Ariane n'avait pas d'idée. Elle savait juste qu'elle devait réussir à faire sortir l'infirmier de la pièce. Mais par quel stratagème ? Elle n'en avait pas la moindre idée.
- Je ne suis pas sûre qu'ils apprécient si je ne reviens pas. Pouvez-vous leur dire que je suis malade ?
Cette solution était totalement débile. Orion était beaucoup plus fort à ce jeu-là, et pourtant il n'était pas plus malin qu'elle. Juste plus habile.
Et ça ne marcha pas. L'infirmier se mit à grogner et saisit son téléphone pour informer quelqu'un de la situation. Ariane en profita tout de même pour se glisser jusqu'au bureau et saisir le trousseau. C'était une clé rouge, assez petite... Qui ne s'y trouvait pas. Comment avait elle pu faire une erreur pareille ? Il y avait des mois que la sécurité avait été renforcée ! Depuis la seconde apocalypse, pour un « incident au camp 3 ». Ils avaient fait un plan de resécurisation global et avaient dû empêcher l'élite de détenir des doubles de la salle de contrôle. Dans ce cas, qui en avaient l'accès ? Les chefs de camp et le directeur. Une idée se profila dans la tête d'Ariane. Elle avait tout fait à l'envers. Sans réfléchir. Il fallait à présent reconsidérer les choses et agir de façon ordonnée.
Ariane cria à l'infirmier qu'elle se sentait mieux et sortit en courant de la salle, direction la case. Une seule chose était possible, à présent. Demander de l'aide. Et pas à n'importe qui. À quelqu'un qui saurait quoi faire, pour avoir assumé un rôle difficile durant cinq ans. Quelqu'un qu'elle n'avait aperçu qu'une seule fois, dans le souterrain. Et qui saurait comment récupérer les clés.
Jack.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top