Chapitre 25

Les spéciaux. Ce fut le nom qu'ils donnèrent à ceux qui s'avérèrent positifs aux tests.

Ils avaient d'abord commencé par le camp 3, sans aucun résultat. Puis, sans logique, ils s'étaient préoccupés du camp 1. Les plus âgés s'étaient révélés être des spéciaux. Et alors qu'Ariane et Thys attendaient leur tour, ils virent Anna sortir de l'une des salles. Les élites Scientifique et Médecin étaient conviées pour cette expérience hors du commun.

- Madame Drake, demanda Ariane de sa voix douce. Qu'est-ce qu'il se passe ?

La médecin tourna la tête et s'avança vers les jumeaux.

- Ce n'est rien de grave, ne t'inquiète pas, les rassura t-elle quand elle arriva à leur portée.

Mais Ariane avait trop longtemps entendu ses parents lui mentir.

- Et en vérité ? demanda-t-elle ingénument, vexée qu'on la prenne encore pour une gamine. Elle avait presque douze ans, et avait côtoyé toute sa vie le mensonge pour ne pas le reconnaître.

Anna fut surprise, mais se ressaisit vite. Elle s'adossa finalement contre le mur de la P.T.B. Un groupe d'enfants du camp 2 attendait depuis des heures dans le hall d'un centre dont ils ignoraient tout : personne ne leur en avait jamais parlé avant, tout ce qu'ils savaient, c'était son nom : le centre des quatre apocalypses, lui même divisé en quatre camps, répartis par deux sur deux étages.

- Les scientifiques ont supposé que certains enfants possédaient peut-être une... mutation. Je ne sais pas sur quelle base ils se sont appuyés pour faire cette hypothèse, mais elle s'est révélée juste, puisque des dizaines d'enfants du camp 1 ont effectivement cette particularité. Il semblerait que certains d'entre vous aient une sorte de... contrôle, disons, de l'un des éléments de l'apocalypse. Il y a quatre camps, ici, et vous allez vous y rendre un par un.

Elle caressa le bras d'Ariane et reprit.

- On vous expliquera tout à l'intérieur. Ne vous inquiétez surtout pas.

- Et Wil ? Il est un spécial n'est-ce pas ? argua t-elle.

Anna hocha la tête.

- Un dit "spécial de l'air". Ce test là, vous ne le passerez pas aujourd'hui. Et ce n'est pas encore prévu. De toute façon, si vous vous révélez être des spéciaux de l'un des types d'éléments, il y a de fortes chances pour que vous n'ayez pas d'autres facultés.

Des facultés. Des mutations. Des particularités.

Des spéciaux.

Tous ces éléments nouveaux, alors qu'ils ne faisaient qu'angoisser le pauvre Thys, dont le cerveau bouillonnait déjà à la recherche d'informations, excitaient Ariane, qui n'avait pas attendu d'en savoir plus pour interpréter les propos d'Anna.

Pour elle, elle allait passer un test pour savoir si elle avait, ou non, des pouvoirs. Comme ceux des films et des livres. Ça n'avait rien d'effrayant ou d'inquiétant : c'était magique.

Quand vint son tour, on l'escorta jusqu'à une petite salle où l'on releva à nouveau son nom, sa date de naissance, et où on lui posa une dizaine de questions extrêmement gênantes.

- Quelle est ta plus grande peur ?

- As-tu déjà été harcelée ?

- Fais-tu des cauchemars récurrents ?

Ariane ne répondit à chaque fois qu'à demi-mots, et à la dernière question, elle secoua la tête, préférant garder pour elle son cauchemar au milieu de l'océan, celui qu'elle avait partagé à Orion sans pourtant en faire part à Thys.

- Bien. Nous allons te mettre en contact avec de la brume à très faible concentration, puis, au vu tes réponses, nous t'enverrons tout d'abord au camp de l'Esquive.

Ariane ouvrit des yeux ronds.

- Mais... protesta-t-elle. On m'avait dit qu'on ne passerait pas ce test aujourd'hui...

Le scientifique était très patient, et il offrit un sourire rassurant à la jumelle Olsen.

- Je t'explique. Il existe plusieurs concentrations de brume. Celle à très faible concentration, avec laquelle je vais te mettre en contact, est la composition actuelle du monde. Elle ne provoque aucune hallucination, mais nous supposons qu'elle déclencherait les mutations. Il n'y a que les brumes à moyenne et fortes concentrations qui peuvent être mortelles. N'aie aucune inquiétude.

Peut-être qu'en un peu plus de deux ans, l'élite avait appris comment se comporter avec les enfants, car le personnel était beaucoup plus compréhensif et apaisant qu'avant. Rassurée, Ariane entra dans une petite cabine au fond de la pièce, qu'on lui indiqua. Il y avait à peine la place pour un adulte, et des bouches d'aération recouvraient le plafond. Sans qu'elle ne se soit rendu compte de rien, la cabine s'ouvrit et le scientifique l'informa qu'il allait à présent l'emmener jusqu'au camp d'Esquive.

L'Esquive était situé au deuxième étage. Un petit ascenseur et des escaliers menaient jusqu'à une grande porte blindée. Le scientifique déverrouilla la porte et la laissa entrer, puis referma derrière elle.

Ariane examina l'énorme pièce.

Blanche. Vide. Totalement vide. Elle allait se retourner pour informer le scientifique qu'il y avait une erreur, quand les décors s'activèrent.

Les murs faisaient illusion d'une forêt tropicale magnifique, née au milieu des ruines du monde pré-apocalyptique. Le sol était un mélange de terre et de béton. Et le ciel était noir - à croire que l'élite avait une obsession pour le sombre - et couvert de nuages.

Soudain, un compteur, rouge, s'afficha sur chacun des murs. Dix secondes.

Mais dix secondes avant quoi ? Quand le compteur disparut, Ariane comprit. La foudre, avait dit le scientifique. Elle entendit le tonnerre, et les décors en relief sortirent un après l'autre du centre. De la végétation et des ruines, comme dans le centre deux étages plus hauts, celui ou Wilhem et Eyllée étaient allés en cachette avant Noël.

Elle repensa au soir de Noël. Sans Eyllée et Wilhem, parce qu'on leur avait dit qu'ils avaient été punis pour s'être enfuis du camp. Mais quand ils étaient revenus, quelques jours plus tard, la version qu'ils avaient donné à leurs amis était bien différente.

Des sortes d'éclairs sortirent du plafond pour s'écraser un peu partout sur le sol, et Ariane dut courir pour les esquiver, sautant par dessus les obstacles, roulant en dessous d'autres. Elle se révéla très douée et très agile, mais au bout d'une dizaine de minutes, un instructeur vint la chercher : elle s'était révélée négative au test de la foudre, et il l'emmenait à présent à celui de l'eau. En traversant le couloir qui la conduisait au camp Tsunami, Ariane commença à ressentir de l'angoisse. Elle n'avait pas peur de l'eau, mais ce cauchemar qu'elle faisait... L'océan qui l'engloutissait... Elle regretta de ne pas l'avoir dit au scientifique. Peut-être lui aurait-il évité ce test ? De toute façon, comment pourrait-elle se révéler être une spéciale d'un élément qui l'effrayait tant ?

Le Tsunami était au même étage que l'Esquive, mais la salle était deux fois plus grande, et les décors très simples. Une sorte de ville déserte, de nuit, parsemée de quelques ruines.

Un peu plus loin, un morceau d'océan. Calme. Ariane énuméra les États américains bordés par l'océan.

Californie, Washington, Floride, Texas, Oregon... Elle ne se souvenait pas des autres, ceux plus à l'Est. New York excepté.

Ariane ferma les yeux quand le compte à rebours s'activa. Elle était tétanisée. Essayer d'occuper ses pensées à n'importe quoi d'autre ne fonctionnait pas.

Quand le déclic se fit entendre, Ariane tremblait de tout son corps. Elle n'ouvrit les yeux qu'en sentant les premières gouttes d'eau lui chatouiller le visage.

De l'embrun. Ariane leva la tête. Le mur en face d'elle affichait à présent une mer déchaînée, et l'eau, réelle, qui se tenait devant elle était en train de former la plus grosse vague qu'elle n'ait jamais vue.

Contrairement à leurs amis, les jumeaux avaient déjà vu la mer, en France. Mais celle qui se tenait en face d'Ariane ressemblait plus à la matérialisation de l'horreur. Elle grandit si vite qu'Ariane n'eut pas le temps de se rendre compte qu'elle s'était mise à courir dans le sens opposé tout en hurlant. La première pensée qui lui vint à l'esprit fut destinée à l'élite : avaient ils conçu ces camps pour qu'ils soient sans danger, ou cela dépendait il du candidat qui y entrait ?

Elle se retourna vers la vague quand elle heurta finalement le mur, avec tant d'élan qu'elle put à peine amortir le choc avec ses deux mains. La vague avait perdu de l'ampleur, mais elle arrivait à toute vitesse vers elle. Ariane ferma les yeux. Quelle probabilité avait elle d'être une spéciale de l'eau, dans l'absolu ? Une chance sur trois. Et en prenant en compte son aversion pour cet élément ? Zéro. C'était une tactique de Thys pour évaluer les situations. Absolu, relatif. Or les mathématiques n'aimaient pas Ariane, car sur ce coup là les probabilités n'étaient pas avec elle.

Le temps sembla figé quand les images du crash lui revinrent à l'esprit. Quelles avaient été leurs chances de survivre, Thys et elle ? Infimes. Et pourtant. Pourtant.

Dans un regain d'espoir, Ariane pensa à ce que lui avait expliqué Eyllée à propos de la déclaration de ses pouvoirs. Elle imagina donc la mer former une carapace autour d'elle, juste à temps.

Mais elle l'engloutit et elle se retrouva sous l'eau. Non, elle n'était pas une spéciale de l'eau. Alors qu'attendaient ils pour la sortir de là ? Ils avaient bien vu, pourtant, qu'elle avait essayé ! N'y avait-il plus personne qui regardait ce qu'elle faisait ? Y avait-il eu, quoi, un incendie ? Une explosion ? L'avaient ils oubliée ?

Les nerfs d'Ariane commençaient à lâcher tandis qu'elle se débattait, et elle ressentait à présent une haine profonde, peut-être injustifiée, envers Mirage et tout ceux qui contribuaient à transformer leur vie en une formation militaire.

Quand elle ressortit la tête de l'eau, elle lâcha un cri et tendit ses bras autour d'elle, souhaitant de tout son cœur et avec toute la puissance de sa haine que cette foutue eau la laisse tranquille, qu'elle s'éloigne d'elle et ne revienne plus jamais.

Alors que son cri s'éternisait pour se perdre au fond de sa gorge, elle tomba violemment sur le sol, n'ayant le temps de se rattraper que d'une main.

L'eau avait obéi.

Les probabilités avaient encore une fois failli.

Ariane se retrouvait spéciale d'un élément qu'elle craignait.

Elle maîtrisait ce qui auparavant la maîtrisait.

Et, alors que, toute dégoulinante et au sol, elle commençait progressivement à se rendre compte de cela, l'énergie d'un plan se profila aussi.

Contrôler ce qui la contrôlait, hein ?

Il n'y avait plus qu'à appliquer cela contre la base...

*

Orion attendait, seul, dans la case, quand Ariane fit son entrée aux environs de deux heures de l'après-midi, ses cheveux bruns aux mèches rouges encore humides et des cicatrices sur le visage et sur les mains.

Le garçon fit un saut en avant pour l'accueillir en voyant son expression de visage.

- Alors ?

- Eau, fit-elle en français, comme une allusion à son cauchemar et à son voyage en France.

Il la prit par les épaules.

- Mais raconte !

- On s'en fiche. J'ai une question à te poser.

- Dis toujours.

- As-tu des doutes sur Mirage ? Aimerais tu t'affranchir de tout ce qu'ils nous font subir ?

Orion eut un rire amer et surpris, du fait de la façon de parler décalée et snob que son amie avait empruntée, et de la proposition implicite qu'elle lui faisait. Il la lâcha, passa une main dans ses cheveux et s'assit sur son lit.

- Tu veux qu'on...

Il laissa échapper un nouveau rire avant de poursuivre.

- Tu veux qu'on s'enfuie ?

Ariane sourit.

- Réponds d'abord à ma question.

- Oui, non, enfin... Je ne doute pas particulièrement de l'élite. Ils sont un peu ennuyeux, c'est vrai, mais pas dangereux. Comme des vieux quoi. Bref, si t'as un truc à proposer, je te suis quand même. C'est mon côté rebelle.

Ce qu'il appuya avec un clin d'œil.

- Que dirais tu d'une alliance ?

Orion fronça les sourcils.

- D'une alliance ? Toi... et moi ? On n'est pas déjà amis ? Attends, non c'est vrai, tu ne m'as même pas demandé quel spécial j'étais.

Ariane leva les yeux au ciel.

- Tu me diras après avoir répondu à ma question. Je parlais d'une alliance secrète, avec tous ceux qui ont des doutes sur Mirage, pour tenter de découvrir la vérité !

- Donc ça ne t'intéresse pas du tout de savoir quel spécial je s...

- Orion !

Le garçon croisa les bras, vexé.

- Oui bah si tu veux, opina-t-il finalement. Bon tu veux savoir ou pas ?

Ariane se mit à rire.

- J'en déduis que tu ne seras pas disposé à développer cette idée à mes côtés tant que je ne t'aurais pas supplié à genoux de me dire quel est ton élément.

- Tu n'es pas curieuse, aussi. Toi, Ariane, pas curieuse ! Je n'y crois pas. Ça me vexe.

- Tu craches le morceau ?

- Je n'ai plus envie de te le dire.

La jumelle Olsen lui asséna une petite tape sur l'épaule.

- Tu m'énerves.

En réponse, Orion haussa les épaules.

- Je te dirai si tu me supplies.

Dans un geste qu'elle fit passer pour un effort gigantesque, Ariane se mit à genoux, moqueuse, et joignit les mains devant elle.

- Bon, concéda finalement Orion. Je suis un spécial du feu.

- Wouah, fit-elle, faussement impressionnée, avec un sourire en coin.

Le garçon la dévisagea, perplexe.

- Tu savais.

- Anna me l'a dit.

- Je me disais bien que ce détachement ne te ressemblait pas.

Ariane grimpa sur son lit, et Orion la suivit.

- Tu... as vu Eyllée, lui demanda-t-il quand il eut gravit le dernier échelon. C'est une spéciale du feu comme moi. J'aimerais le lui dire.

- Oui, je sais ce qu'elle est, répondît Ariane avec indifférence, mais je ne l'ai pas vue. J'ai croisé Wilhem aux douches, hier soir. Il était escorté par des gardes et il n'a pu me lancer qu'un seul regard pour me rassurer. Ça voulait dire « tout va bien, ne t'inquiète pas ». On utilisait ce code, avant, quand il recevait la visite de médecins et qu'on n'avait pas le droit de faire de bruit.

- Ok.

Ariane fronça les sourcils.

- Quoi ?

- Tu vas inclure Eyllée dans ton alliance ?

- Évidemment ! Elle, plus que nous tous, a d'énormes doutes sur l'organisation. Pourquoi tu es tout rouge, eh Orion ? Tu as de la fièvre ?

L'intéressé rougit de plus belle.

- Non... Est-ce que je peux te confier quelque chose ? Tu es ma meilleure amie et je ne sais pas à qui parler sinon...

- Un choix par défaut si je comprends bien ? plaisanta-t-elle, sans obtenir le moindre sourire en retour.

- Ariane ! râla Orion.

- Oui, quoi ?

Le garçon prit une profonde inspiration.

- Je crois que je suis amoureux d'Eyllée.

La première réaction d'Ariane allait être de l'ensevelir sous un tas de commentaires enthousiastes comme « c'est trop chou » « dis-le lui » ou encore « enfin quelque chose de joyeux ici ! », mais une pensée la stoppa. Une pensée qui transforma son intention de prendre son ami dans ses bras en l'idée de le faire tomber du lit superposé.

Et cette pensée avait un nom. Un nom à qui elle serait toujours fidèle. Elle s'appelait Wilhem, et elle regardait Eyllée en baissant les yeux, triste, quand celle-ci semblait plus s'intéresser à Orion.

Wilhem aussi, aimait Eyllée. Et Wilhem était son meilleur ami de toujours. C'était comme son frère. Elle ne pouvait pas le trahir. Et pour cette raison elle était en colère contre Orion d'avoir ces sentiments là, car elle savait pertinemment qu'il ne les contrôlait pas.

Furieuse, elle lança finalement un regard noir à son ami.

- Tu sais quoi ? C'est la pire chose qui aurait pu t'arriver. Elle ne t'aime pas, c'est sûr ! Laisse tomber. Formons l'alliance secrète, et oublions cette histoire. Oublie ça, d'accord ? Sors toi cette idée de la tête. Elle ne t'aimera jamais.

Du moins, c'était ce qu'Ariane espérait, car, si elle put supporter de sortir de la chambre en entendant Orion fondre en larmes - pour la première fois depuis qu'elle le connaissait - jamais elle ne pourrait voir Wilhem dans le même état. Jamais. Et il ne lui restait plus qu'à espérer que ça n'arriverait pas.

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