Chapitre 18

Jack frappa la vitre de toutes ses forces, avec rage et peur. Mais la porte tenait bon. S'il s'était donné la peine de réfléchir, il aurait trouvé son geste inutile. Briser une porte censée résister à l'apocalypse, à coups de poings, était simplement impossible. Mais il continuait à frapper sans s'arrêter, avec tant de force que ses poings étaient en sang. Et toujours pas la moindre égratignure sur le verre.

Il changea de tactique, et prit le peu d'élan qu'il lui était possible de prendre pour enfoncer la porte. Encore une fois, il échoua. Il ne sentait même pas la douleur, ne se rendait pas non plus compte de l'état dans lequel il était. Son coude droit, pourtant, était enveloppé d'un liquide rougeâtre.

Cela ne faisait que quelques secondes qu'il avait perdu Jane dans le brouillard épais qui fonçait sur lui. Il en avait peur, et ne savait pas réellement pour quelle raison. Ce n'était peut-être que de la brume. Il n'y avait peut-être aucune raison de la craindre. Son amie était peut-être encore vivante. L'idée qu'il avait pensé qu'elle pouvait être morte le répugna. Peut-être, peut-être. Jack retrouva un peu d'espoir, soudain. Il respira pour se calmer, et réfléchir quelques minutes. Le nuage s'était comme immobilisé, et il venait simplement de s'en apercevoir. Il prit le parti d'aller chercher Jane. Il s'en voulait de l'avoir attirée dans cette histoire.

Alors qu'il allait pour se jeter dans le brouillard, Jack se rendit compte de la chaleur qui pesait sur ses épaules. Une chaleur anormale. Le monde avait-il tant pu changer en quatorze mois qu'ils étaient confinés dans cette base ? Cette base qu'il considérait, moins de dix minutes avant, comme le diable, et qui était à présent sa seule échappatoire à cet enfer qu'était devenu l'extérieur...

Le garçon eut un moment l'image de la première apocalypse, des flammes qui entouraient sa sœur, et de ce qu'il avait fait ensuite. Risquer sa vie pour la sauver. Pour sauver la personne qu'il aimait le plus au monde.

À présent, il allait faire pareil pour Jane. Il se devait de la sauver.

Jack respira une seconde fois, puis ferma les yeux. Sans plus réfléchir, il se jeta dans la brume.

*
*       *

- En rang ! Dépêchez. Par case.

La femme qui avait donné cet ordre froid aux enfants du camp 3 avait été nommée dans l'urgence par M. Brown. Il avait désigné un responsable pour chaque camp, afin de gérer l'agitation grandissante.

Pendant que les adolescents, surpris, obéissaient sans rechigner, Anna rejoignit Thomas à l'autre bout du réfectoire. Le regard inquiet qu'elle lui lança en arrivant à son niveau l'interpella. Ces deux-là se comprenaient sans même parler, et ils ne s'en rendaient pas compte. Le secouriste réfléchit alors à toute vitesse pour comprendre ce qui la perturbait, stimulée par son arrivée. Rapidement, il scruta la pièce à la recherche de l'objet de son inquiétude. Ce fut à ce moment qu'il comprit. Il n'était pas là. Jack était absent.

Quand Anna arriva, il put lui lancer, avec une fierté dissimulée par l'angoisse de ce qu'il venait de remarquer :

- J'ai vu. Peut-être que...

Mais la médecin secouait déjà la tête.

- Non, il n'y est pas non plus. J'en reviens à l'instant.

Thomas réfléchissait à toute allure. Il craignait le pire. Ayant soudain une idée, il tira son amie par la main et l'emmena hors du réfectoire. Derrière eux, la femme criait déjà le nom des deux absents.

- Dépêchons-nous. Il doit être allé voir sa sœur. Faudrait pas que "Mme de Trémaine" aille fouiller du côté du sous-terrain. On risquerait d'avoir des ennuis. Surtout lui.

Anna hocha la tête et ne put s'empêcher de sourire à cette comparaison. La nouvelle directrice du camp n'était pas à son avantage. Tout en marchant à pas rapides, la jeune femme se demanda si Wilhem avait un meilleur responsable que cette folle. Elle l'espéra de tout cœur, l'imaginant se prendre d'affection pour son protégé, avant de ressentir un élan de jalousie face à cette image. Perturbée, elle chassa cette pensée en clignant des yeux. Elle aimait le garçon comme son fils, et trouvait insupportable de réagir de la sorte. Cela l'emmena à imaginer la possibilité qu'ils se séparent, un jour. La tristesse la prit à la gorge. Ils formaient une si belle famille, Mike, Wil et elle...

Anna fut tirée de ses inquiétudes par la voix de Thomas qui faisait remarquer qu'il était sûrement parti avec Jane. Elle avait presque oublié la présence de son ami un instant. Ils arrivaient près du tunnel. Après avoir vérifié que personne ne les surprendrait, ils descendirent par la porte dissimulée. Le secouriste alluma une lampe torche qu'il gardait toujours sur lui. Il éclaira le sol. Des traces de pas bien visibles stationnaient un peu plus loin. Ils avaient dû hésiter à ce stade de leur escapade, car la terre était assez creusée. Il entraîna Anna vers ces indices, prêt à continuer sa route vers le camp 2. Mais il fut surpris de voir que les traces n'allaient pas plus loin.

- On fait quoi, maintenant ? demanda-t-il, à court d'idées.

Anna fut prise au dépourvu, elle qui jusque-là avait laissé la situation entre les mains de Thomas. La médecin ferma les yeux quelques secondes, pour visualiser dans son esprit le plan des sous-terrains que lui avait donné Jil. Heureusement que sa chère petite sœur trouvait toujours un moyen de contester l'autorité, même quand celle-ci les protégeait de la mort. Il fallait qu'elle pense à la remercier pour sa prévoyance.

Soudain, elle rouvrir les yeux, et fixa Thomas avec horreur. Une idée qu'elle détestait avait germé dans son esprit.

- Non, il n'a quand même pas... s'entendit-elle murmurer d'une voix presque inaudible.

Sans donner plus d'explications, elle se mit à courir dans la direction opposée à celle dans laquelle ils se dirigeaient. Les battements de son cœur n'en finissaient pas de s'accélérer.

"Jack, Jack, Jack, tu as failli mourir brûlé, Jack. Ne cherche pas à courir après la mort." ne pouvait-elle s'empêcher de penser.

Son ami l'avait suivie. Il la vit grimper le long d'une échelle avec agilité sur plusieurs étages avant de relever une trappe, bien plus haut. Thomas ne s'était jamais aventuré là. Il n'utilisait presque jamais le sous-terrain en réalité, surtout depuis que la libre circulation de l'élite entre les camps avait été autorisée.

Anna déboucha sur le centre de commandement. Le secouriste allait lui faire remarquer qu'ils auraient pu passer par l'intérieur, mais la découverte de ce passage l'intriguait, et malgré la peur qu'il ressentait, il aimait s'aventurer dans les tunnels avec elle.

Il pensa quelques secondes à Jordan. Qu'aurais-il dit, s'ils les voyaient là, tous les deux, à fuguer comme des gamins, complices comme s'ils se connaissaient depuis toujours ? Le vieux secouriste - il le considérait comme vieux à cause des vingt ans qu'ils avaient d'écart - en aurait rit. Il se serait gentiment moqué de lui.

Thomas sourit malgré lui à la pensée de ces choses aussi futiles dans une situation pareille. C'était idiot. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher.

Un juron de son amie le tira de ses pensées. Jack était bien passé par là. Thomas s'en voulut soudain d'apprécier cette excursion. Si l'adolescent était sorti de la base, il était mort à l'heure qu'il était. Et ça, l'un comme l'autre ne se le pardonnerait jamais.
Mais il ne fallait pas s'alarmer : c'était un garçon intelligent, et il n'aurait pas choisi la nuit de la seconde apocalypse pour fuguer s'il en avait eu la moindre envie. Et il ne serait jamais parti sans sa sœur. Jane et lui étaient peut-être simplement allés fouiller dans le centre de commandement une quelconque information, profitant de l'agitation qui régnait.

Le hall du centre de commendement était vide, blanc, vaste, triste. Tout ce qu'il y avait de plus triste. C'était à peine si on osait le traverser. Rien que le bruit de leurs pas heurtait les murs pour retourner jusqu'à leurs oreilles, ce qui donnait un effet assez solennel. Comme dans une église.

Alors qu'ils marchaient vers les bureaux, passant devant la porte de sortie à la vitre tintée qui ne laissait pas voir l'extérieur, Anna se stoppa net, tendant une main pour indiquer à Thomas qu'il devait faire pareil. Ils recentrèrent leur attention sur ce qu'ils entendaient. Au loin, presque inaudible, une voix étouffée leur parvenait.

Ils ne savaient pas exactement ce qu'elle disait, mais une chose était sûre : c'était un appel à l'aide.

*

Des larmes de désespoir coulaient le long de ses joues.

- Au secours ! Aidez-moi ! S'il vous plaît ! ne cessait-il d'implorer.

Et pourtant, de l'autre côté de la vitre, de l'autre côté de ce passage qu'il désirait plus que tout franchir, personne ne répondait. Il criait dans le vide, espérant que derrière cette porte qui l'empêchait de voir la base, quelqu'un l'entendrait.

Les joues rosies pas les larmes et la chaleur, les bras rougis pas le sang, il criait comme s'il avait une chance de s'en sortir.

Dans ses bras, il tenait Jane, inerte.

Cela ne faisait que quelques minutes qu'il s'était jeté dans la brume pour tenter d'aller la secourir. Au début, la fumée lui avait brûlé les narines, il avait toussé, sa vision se floutant.

Puis il avait trébuché. Sur un corps. Dans le nuage qui l'aveuglait, il s'était retourné pour ramasser Jane et la traîner hors de la brume. Quand il avait enfin pu apercevoir son visage, elle avait ouvert les yeux, faiblement. Ses lèvres avaient articulé muettement un mot. Un mot que Jack s'était forcé de deviner. Elle l'avait répété, répété encore jusqu'à ce qu'un son ne vienne éclairer sa signification. Et, alors, le cœur de Jack s'était brisé en mille morceaux.

- Adieu.

Un mot, rempli de tristesse, de tendresse et de peur. Un mot, le dernier qu'il entendrait d'elle, rempli d'espoir et de désespoir à la fois.

Rempli d'amour, aussi.

À ce moment-là, elle se sentait mourir au plus profond d'elle-même. Elle avait la certitude que jamais plus elle ne pourrait revoir son ami, alors ses yeux luttaient pour rester ouverts, pour qu'elle puisse le voir le plus longtemps possible. Encore un peu, encore un peu, suppliait-elle. Mais ses forces étaient en train de l'abandonner.

Puis ses yeux s'étaient fermés. Alors Jack avait glissé ses doigts dans son cou pour lui prendre le pouls. Et, d'un seul coup, des larmes résultant d'une atroce souffrance avaient brûlé ses joues, dans un torrent inarrêtable qui, lui semblait-il, ne prendrait jamais fin.

Elle était morte. Jane était morte. Par sa faute.

Fou de tristesse, il s'était laissé tomber à côté d'elle, sanglotant, hurlant toute sa rage. Il mourrait ici, à ses côtés.

Et il avait fermé les yeux. Immédiatement, l'image d'Eyllée s'était imposée à lui. La petite fille était toujours là pour lui rappeler qu'il avait l'obligation de vivre. Jack s'était relevé, et avait traîné le corps de son amie, qu'il ne pouvait pas laisser là, jusqu'à la porte.

Et il frappait encore en implorant de l'aide, à cet instant, Jane dans ses bras, le regard vide.

- Au secours ! S'il vous plaît ! hurla-t-il encore une fois.

Sa voix se faisait de plus en plus basse. Le bout de scotch était resté dans la brume. Il n'y pensait plus, et même s'il l'avait eu sous la main, il n'aurait pas eu la force de s'en servir. Ses bras se faisant de plus en plus faibles, il laissa malgré lui le corps de Jane s'écraser à ses pieds. Sa tête lui tournait terriblement. Ses jambes ne tenaient plus. Quand il vit la porte bouger doucement sous ses yeux, alors que l'espoir l'avait quitté, il crut délirer. Il bascula en arrière, ne pouvant même plus lutter pour rester debout, et sa tête atterrit sur la poitrine de son amie, à quelques centimètres de son visage.

Voilà, ils mourraient ici, tous les deux.

Jack l'avait accepté.

C'était terminé.

La mort l'emportait de ses deux bras, le soulevant dans les airs, l'arrachant à Jane. Non, il ne voulait pas la perdre dans ce monde aussi. Il ne voyait plus rien, mais il sentait que son âme se déplaçait vers sa gauche. Et puis, soudain, la chaleur s'estompa brusquement. Cette fois, il avait bel et bien quitté le monde des vivants. Il eut mal au cœur à la pensée de sa mère, Eyllée, qui devait beaucoup s'inquiéter pour lui. La pauvre femme ne savait pas encore qu'il était mort. Au départ, il devait simplement partir pour une randonnée avec ses amis. Une simple randonnée. Si seulement sa sœur, Jane, qu'il aimait tendrement, ne l'avait pas fait trébucher. Il ne serait pas tombé dans ce précipice, il ne serait pas mort. Et elle, elle serait bien vivante.

Voilà que le chemin de son âme était terminé. Jack reposait sur quelque chose de mou, que son esprit n'eut pas de mal à définir de maintes façons différentes. L'adolescent était en plein délire. Anna et Thomas le regardaient avec inquiétude.

Il était étendu sur le lit de l'infirmerie du centre de commandement, quatre étages au-dessus du camp 3. Thomas avait proposé de le descendre au camp Destiny, mais son état de santé était trop fragile pour cela. Les deux membres de l'élite avaient renoncé à cacher l'escapade des deux adolescents au reste de la base. La situation était trop grave, et Anna ne pourrait pas les prendre en charge tous les deux. Alors que le secouriste était parti chercher de l'aide plus bas, la jeune femme bandait les bras de Jack après les avoir nettoyés à l'eau claire. Sa peau était ouverte au niveau de ses coudes et de ses poings. Il s'était vidé de toute son énergie en frappant comme un fou contre la porte, et cela n'avait rien arrangé à son état.

Jane était allongée sur le lit d'à côté. Le visage de la jeune fille était figé, sans qu'aucun sursaut ne vienne troubler son repos. Mais Anna ne se préoccupait pas d'elle. Elle faisait son possible pour soigner les blessures de Jack.

Thomas était descendu au camp Destiny, qui, quand il n'y accueillait pas d'enfants, servait d'hôpital pour ceux malades ou blessés. Il y trouva le directeur qui revenait des autres camps. Quand celui-ci l'aperçut, il lui lança un regard dédaigneux.

- Vous êtes ? lui lança-t-il en détournant les yeux.

- Tho... mas.

M. Brown esquissa un sourire amusé.

- Je me fiche de votre prénom, mon garçon.

Le secouriste ignora sa remarque.

- Il y a deux adolescents, au centre de commandement, qui sont sortis de la base. On les a retrouvés inanimés. Ils sont à l'infirmerie, dans un état critique.

Le directeur garda son calme, mais l'inquiétude commençait à grandir en lui. Il ne supporterait pas de perdre l'un de ses pensionnaires. Malgré tout ce qu'on disait sur lui, il avait un cœur, et se sentait responsable de tous les enfants de la base.

- Qui sont-ils ? demanda-t-il en sortant son téléphone de sa poche.

- Jane... je ne connais pas... son nom, et... et Jack Iven, bégaya Thomas.

Il vit M. Brown blanchir à ce dernier nom. Puis il prit une voix autoritaire pour appeler quelques médecins au centre de commandement. Quand il raccrocha, il jeta un simple regard au secouriste.

- Venez, Thomas. Nous allons faire tout notre possible pour les sauver.

*** Note d'auteur ***

Chapitre 19 disponible le MERCREDI 13 octobre !

Je sais, je sais. J'ai déjà testé sur ma sœur, elle a fondu en larmes...

Mais bon, comme j'aime bien le suspens, je vais en rajouter une couche en vous disant que vous ne vous attendez sûrement vraiment VRAIMENT pas à ce qui va suivre... La deuxième apocalypse n'aura bientôt (presque) plus de secrets pour vous !

Alors, à la prochaine...

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