Chapitre 16
Le temps était calme, et c'était la première fois depuis longtemps. L'été était chaud, plus chaud que tout ce qu'ils avaient connu, ici, à Paris. Mais cela ne déplaisait qu'à très peu de gens. Après les violentes tempêtes de ces derniers mois, la douceur de l'été paraissait comme un paradis. Et pourtant, il y avait quelques années encore, peut-être même une seule, ils s'en seraient plaints. Ils n'avaient pas l'habitude des chaleurs extrêmes, qu'ils nommaient comme ça dès les quarante degrés, très vite dépassés dans les régions du sud.
La journée s'annonçait belle. Une semaine que tout paraissait s'arranger. Le violent cataclysme qui avait touché leur monde n'était plus qu'un mauvais souvenir. Partout, la vie reprenait des airs d'avant. Dans le monde entier, on reconstruisait. Plus solide, plus durable, de quoi les protéger longtemps. Sam était convaincu que le cauchemar était terminé. Il se sentait heureux de ne pas avoir de famille, d'enfants, même d'amis. C'était un loup solitaire, qui, à quarante ans, voyait le reste de sa vie exactement comme elle était dans le présent, et dans le passé. Sam n'aimait pas le changement. Il en avait horreur. On lui avait proposé d'être relogé, après les tremblements de terre, mais il avait refusé. A quoi bon ? Il avait bien survécu une première fois, non ? Et son immeuble avait tenu. Il avait eu la chance d'être dans une zone relativement épargnée par les séismes. Il ne tenait pas à prendre des précautions inutiles qui risqueraient de le tuer plus qu'autre chose. Et puis, il n'avait que lui à protéger. C'était déjà un avantage sur les autres.
Sam sortit sur la terrasse de ce qui avait été un richissime appartement, dans un richissime quartier. A présent, son logement ressemblait plus à un immeuble du début du siècle. Des années cinquante, disons. Au minimum. Pas pour l'architecture qui n'avait guère tant changé au cours de leur 21e siècle, mais pour la fragilité de la structure, et... son aspect délavé causé par les pluies et les orages incessants. C'était moche, il n'y avait rien à dire là-dessus. Mais Sam s'en foutait, à présent. Car il faisait beau. Et chaud. Et soleil. Trois choses si rares depuis quatorze mois que le déluge avait frappé la planète, qu'elles provoquaient la joie de la majorité de la population. Sam enfila un short et sortit sans rien de plus sur lui. Il avait beau en être ravi, la chaleur ici était assez inhabituelle.
Il croisa quelques personnes qui lui sourirent. Ça faisait longtemps. Sam le leur rendit. Il se sentait libre, comme si son quotidien commençait à reprendre son cours normal. Oui, la vie, comme d'habitude, s'imposait à nouveau. Indestructible. Ils avaient vécu une horrible catastrophe à laquelle l'humanité avait survécu avec brio. Que pouvait-il arriver de pire que ces séismes, ces orages, et tout le reste ? Sam ne voyait rien. Il était certain, au fond de lui, que tout était fini.
Il marcha une paire d'heures entre les rues de la ville, plus désertes depuis un an que jamais. Certains immeubles n'étaient plus là, et avaient disparu au profit d'un terrain vide. D'autres étaient endommagés, et très peu étaient encore en bon état. La chaleur se faisant de plus en plus pesante, même à l'ombre, Sam reprit le chemin de son appartement. Il leva la tête vers l'étoile responsable, qui brillait comme ils en avaient tant rêvé. Elle paraissait prendre toute la place dans le ciel. Mais il commençait vraiment à faire chaud. Sam finit sa balade en courant pour s'abriter dans son immeuble. Quelle folie de sortir par cette température ! Il commençait à s'en rendre compte. Épuisé, il se jeta sous sa douche et en sortit presque aussitôt, puis, sans même se sécher, se laissa tomber sur son canapé. L'eau courante était revenue très vite, et, par moments, il avait même la télé. Pas moyen par contre d'utiliser son portable. Il n'y avait pas de réseau.
Il essaya justement, comme une dizaine de fois par jour, d'allumer l'appareil sur la seule chaîne qui diffusait encore : les informations. En boucle. Tous les jours. Pour que le maximum de personnes puisse intercepter les dernières actualités, les recommandations et précautions du gouvernement, ainsi que l'évolution dans le monde. Sam était très intrigué par la situation aux États-Unis. A la télé, ils en parlaient avec prudence et curiosité. Le gouvernement Français n'avait pas révélé à la population qu'ils étaient au courant de ce qui allait toucher la planète et n'avaient pas voulu le concevoir.
Ce que tout le monde trouvait étrange en Amérique, c'était justement le titre principal des informations à ce moment-là. La télé de Sam s'était enfin allumée, grésillant de temps en temps. Il pouvait cependant entendre le maximum de ce que disait la journaliste, et, même si l'image était assez endommagée et vacillait sous ses yeux, il était rare qu'il capte aussi bien.
Le titre était, comme le plus souvent, "États-Unis : La population disparue". Évidemment, l'information éveillait toujours beaucoup de curiosité. On écoutait alors d'une oreille attentive tout en lisant les "flash info" juste en bas, qui en disaient un petit peu plus. Quand le sujet évoqué par le titre apparut, Sam le relut, espérant qu'ils aient appris de nouvelles choses depuis la veille. Il fut un peu déçu. Il était dit "États-Unis/cataclysme : une partie de la population, médecins, scientifiques, etc. semble s'être volatilisée." Le "flash info" suivant apportait une réponse partielle : "Disparitions États-Unis : la population s'est peut-être réfugiée dans des bunkers géants décelés dans chaque état". Il n'y avait rien de plus.
Sam n'était pas convaincu par tout cela. Il avait l'impression qu'on essayait de leur faire oublier le cataclysme, et il n'aimait pas ça. Après tout, quelle importance ? Cent millions de personnes étaient mortes pendant la catastrophe. Ce n'étaient pas quelques dizaines de milliers de disparus qui changeraient la donne, même s'il devait avouer que c'était étrange. Surtout s'ils étaient protégés dans un bunker sous-terrain. Sam trouvait cela amusant : ils n'avaient plus rien à craindre. L'apocalypse était finie. Le savaient-ils, au moins ? Peut-être allaient-ils passer le restant de leurs jours là-bas, alors que la vie reprendrait partout dehors. A avoir voulu jouer les privilégiés...
Tout à coup, Sam fut pris d'un violent mal de tête. Il se leva en s'aidant de ses mains et se rendit jusqu'à sa salle de bain. Il avait sûrement trop pris le soleil. En tremblant, il sortit un doliprane de sa pharmacie et l'avala d'une traite. Puis il retourna s'asseoir sur son canapé, en s'appuyant sur les murs. Son crâne lui faisait mal. A la télé, le sujet principal avait changé. Sam monta le son.
- ...De chaleur semble envahir le pays. Il est recommandé de ne pas sortir, de ne pas laisser les vitres ouvertes et de s'hydrater. Le climat est anormalement affecté, ce qui ne rassure pas les scientifiques, qui disent subir les conséquences du réchauffement climatique et de la pollution du début du siècle. Ce pourraient être, d'après eux, les causes du cataclysme qui a touché le monde au mois de juin de l'année dernière. La chaleur semble augmenter de manière démesurée. En cinq jours, la température a augmenté de près de trente degrés. On semble être passés d'un plein mois d'hiver londonien à une canicule du sud du pays. Ce choc n'a pas échappé au gouvernement qui dit déployer de grands moyens pour protéger sa population.
De grands moyens... Sam avait envie de rire. De grands moyens... Comme s'il leur en restait. Ils cherchaient encore à les rassurer. Mais ce n'était qu'une simple canicule, un épisode de chaleur extrême. Il n'y avait pas à s'inquiéter, pas à s'in...
Sam prit à nouveau sa tête entre ses mains. Quelle idée de sortir par cette chaleur ! Il avait été inconscient. Tout à fait inconscient. Il éteignit sa télévision qui était revenue sur le premier sujet, s'allongea et ferma les yeux. Il fut pris dans un rêve, comme un mirage dû à l'insolation, contre lequel il ne put pas lutter. Alors il se laissa aller dans son sommeil.
Sam est assis sur son fauteuil habituel. Il est noir, mou, confortable. Et il tourne. Ça l'amuse. Il aimait bien cela quand il était petit. Il lève la tête vers le reste de l'auditoire. Six personnes, quatre femmes, deux hommes. Il s'éclaircit la voix, remet en ordre ses papiers, les regarde un à un. Il ressent un mélange entre excitation et peur. Un petit peu de peur, quand même. C'est important. Tous les gens en face de lui sont importants. Il doit présenter leur société, les chiffres clé. Il doit les convaincre. Ce partenariat, son entreprise le recherche depuis longtemps. Et voilà qu'ils acceptent de les prendre en compte. Sa société, et lui. Sam commence. Il explique, décortique, ne jette presque aucun coup d'œil à ses notes. Ses yeux se posent tour à tour sur chacun d'eux, pour essayer de déceler une réaction. Une femme lui sourit toujours, acquiesçant de temps en temps. Elle lui fait penser à une examinatrice. Il a l'impression de passer un concours. Ce sentiment soudain d'infériorité le déstabilise alors. Il change de personne. Ils ont tous la même expression, impassible. Alors, tout en parlant, il s'imagine que la femme qui lui sourit est séduite par sa présentation. D'où son air. Il la fixe. Ça lui donne du courage. Mais, soudain, il bute sur un mot, et son visage se renferme. Elle n'est pas satisfaite. Sam se fixe sur l'homme, à côté. Son expression a changé, il semble plus à l'écoute. Alors il se concentre sur lui. Il arrive vers la fin. Tout se joue maintenant. Son avenir, celui de son entreprise. Maintenant.
Mais il est coupé dans son élan. Une alarme. Affolé, tout le monde sort. Sam ne pense pas au danger, seulement au fait que tout tombe à l'eau. Il aurait tout donné pour qu'on lui donne l'occasion de terminer sa présentation. Mais tant pis. Une prochaine fois.
C'est là que tout a basculé. Le jour de l'apocalypse. Ils sont rentrés chez eux, Sam est resté dans son appartement. Il s'en souvient très bien. C'est de cela dont il est en train de rêver. Mais, là, alors qu'il reste enfermé chez lui, son souvenir change. Il se voit maintenant. Là, au mois d'août, quatorze mois après. Il éteint la télé. Il l'a fait cinq minutes avant. Il ouvre les volets. Ça, il ne l'a pas fait. Et puis, au fond, il voit un nuage. Un énorme nuage. Il a peur. Il monte sur le balcon. En équilibre. Il saute. Il atterrit juste devant le nuage. Il se retourne. Essaye de courir. Fait du sur-place. Il refait face au nuage. Il l'enveloppe de brume. Sam suffoque, il tousse, tousse encore.
Sam se réveilla en toussant. Comme dans son rêve. Il se releva. Il était tout secoué. L'air lui manquait. Il courut vers la fenêtre et l'ouvrit en grand. Il fut aussitôt envahi par la chaleur et la referma presque en même temps. Il avait peur, à présent. Et il avait chaud. Horriblement chaud. Il retourna presque en courant vers sa salle de bain et s'arrosa le visage d'eau. Il avait l'impression que le liquide chauffait instantanément au contact de sa peau. Alors il saisit le pommeau de la douche et s'aspergea avec. L'eau dégoulina sur le sol, mouillant la pièce.
Il avait vraiment peur. Plus que la première fois. Car il avait, bien présent, le souvenir du premier cataclysme. Ce n'était donc pas fini... Il ne pouvait pas le croire. L'espoir si vif qu'il avait ressenti s'évanouit d'un seul coup, avec tout son courage, sa force, et le reste. Avec son âme, semblait-il. Il se sentait vide, vide de toute son énergie. Il se laissa tomber sur le sol, dans l'eau, sur le carrelage blanc. On entendit un petit "flop". Sam commençait à voir trouble. Il allait s'évanouir.
Soudain, il entendit un grésillement. Puis une voix. Celle de la journaliste. La télévision s'était allumée d'elle-même. En urgence. Ils avaient réussi à contrôler cela à distance, de façon à allumer les radios, télévisions, et tous autres moyens de communication automatiquement. Sam essaya de tendre l'oreille pour saisir le maximum de mots. Il entendit le terme "urgence" répété plusieurs fois. La journaliste était affolée. Elle disait qu'il fallait évacuer rapidement. Que le gouvernement venait de communiquer l'ordre de se rendre dans des bunkers sous-terrains. Il n'en avait jamais entendu parler. Ils avaient dû le construire en secret. Comme les Américains. Elle disait aussi que la chaleur augmentait de façon démesurée, et qu'on avait eu l'information que le soleil se rapprochait de Terre. Encore quelque chose qu'ils tenaient des États-Unis. La France faisait partie des pays qui avaient retenu la leçon donnée par la première apocalypse.
Sam se releva. Il n'avait plus qu'une seule chose en tête : fuir, rejoindre le bunker. Sauver sa vie, encore une fois. Il s'appuya contre les meubles, glissa dans l'eau, s'écroula par terre. Puis il recommença, essaya de retrouver un certain équilibre, puis atteignit la porte. Arrivé devant, il hésita, et fit demi-tour. Il ne pouvait pas partir sans son pendentif. Il lui avait été offert par ses parents. Il y tenait plus qu'à tout au monde. Il était ovale, et contenait en son creux une photo d'eux. Il le serra dans la paume de sa main et retourna vers la sortie. Il devait fuir. Coûte que coûte.
Sam sortit dans la rue. Il se rendit compte qu'il ne savait pas où aller. Il s'abrita à l'ombre pour réfléchir, et choisit de suivre le flux de personnes tout en longeant les immeubles. La peur lui faisait mal au ventre.
Son mal de crâne le poursuivait. Les gens couraient, s'affolaient, partaient parfois dans des directions opposées. Mais Sam ne se laissait pas perturber, et suivait ceux qui paraissaient savoir où ils allaient. Il aurait dû écouter la journaliste jusqu'au bout. On entendit alors, dans la rue, le même message. Avec, cette fois, l'adresse du bunker. Le son venait de hauts-parleurs géants déployés dans toute la ville. C'était si fort que même le plus sourd aurait pu l'entendre. Ayant repris un peu de vigueur, il partit dans la direction indiquée. La foule le fit trébucher, mais il se releva, bien décidé à ne pas mourir ce jour-là. Il serrait toujours dans sa main le pendentif.
La chaleur était de plus en plus intenable. Encore quelques minutes et ils mourraient tous sur place, grillés comme des poulets. Sam vit enfin se dessiner à l'horizon sa porte de sortie. Cela ressemblait à des escaliers pour accéder au métro, et les gens se jetaient dedans comme des sauvages. Il y était presque. Plus que quelques mètres et il serait sauvé. Mais, alors qu'il avançait vers sa bouée de sauvetage, sûr à présent qu'il était sain et sauf, tout bascula.
Quelques personnes crièrent d'abord, puis se figèrent sur place. Horrifié, Sam tourna la tête dans la direction qu'ils regardaient tous. Il y vit un nuage, énorme, gris, qui recouvrait la ville, les habitations, les personnes. Un nuage qui paraissait être la frontière entre le monde et le vide. Quand, à une époque, ils croyaient que la Terre était plate, ils auraient sans aucun doute fait de ce nuage le gardien des bords de la carte.
C'était un nuage qui, engloutissant des humains, les tuait à l'instant même. Un nuage qui avançait vers eux à toute allure...
Les gens se remirent à courir. Sam aussi. Comme un fou. Il était à une dizaine de mètres du bunker. Mais il trébucha. Son pendentif tomba quelques centimètres plus loin. Il rampa pour l'attraper et le serra contre lui. Il mourrait avec. Désespéré, il resta immobile, tandis que le nuage engloutissait les personnes à côté de lui. Sam ferma les yeux, se laissant emporter dans le vide à tout jamais...
*** Note d'auteur ***
Le chapitre 17 sera publié à une date indéterminée pour l'instant. Je ferai une annonce pour vous prévenir, ainsi que du rythme prochain de publications.
Pour ce chapitre, on retournera à la base, qui, elle non plus, n'était pas vraiment prête à faire face à cette nouvelle apocalypse...
Bonne rentrée à vous tous !
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