Chapitre 11

L'I.T.B paraissait se fondre entièrement avec la terre. La lumière du véhicule éclairait à peine le devant du tunnel dans lequel il avançait. Le bâtiment, qui se dressait à gauche, aurait pu être confondu avec une route montante. Mais le tunnel le contournait légèrement pour finir sa course dans une vaste cour éclairée, et bordée de trois piliers. Quand on s'y trouvait, on pouvait voir juste au-dessus le bâtiment central, strié légèrement, épousant le sol comme s'il s'y était toujours trouvé. La cour était entourée des deux autres structures et de la terre. Seule la petite route en donnait l'accès. Les véhicules ressemblaient à une petite charrette qui glissait sur un rail presque invisible. Ils étaient conduits automatiquement, et pouvaient transporter quatre enfants à la fois au maximum.

La charrette qui transportait Thys et Eyllée repartit dans le sens inverse, dans un tunnel mitoyen à celui de l'allée. Ce mécanisme incongru faisait penser à un manège dans un parc d'attraction, avec un décor de mines. Quelques minutes plus tard, sur un autre véhicule où étaient transportés quatre enfants, ils aperçurent Wilhem qui les rejoignait. Les trois enfants avaient été choisis pour débuter les entraînements dans la base de formation intellectuelle. Thys avait été classé dans les trois premiers de son camp intellectuellement. S'il en était fier, il ne le montrait pas. C'était un garçon plein de modestie, qui avait quelques difficultés à s'ouvrir aux autres. Il s'enfermait souvent dans son cerveau, au milieu de ses calculs, de ses recherches, de ce qui était son refuge. Il avait l'impression que personne ne pouvait le comprendre, et l'extirper de ses pensées, hormis Ariane. Les deux faux jumeaux avaient un lien inexpliqué, et rare, d'autant plus que leur ressemblance se voyait plus sur leur physique que sur leur caractère. Ils avaient d'ailleurs un physique assez étrange, avec leurs yeux gris-roses pour Thys, gris-violets pour Ariane, qui semblaient figés depuis leur naissance. M. Brown avait d'ailleurs été très étonné de le remarquer. Mais c'était leur lien qui ne trompait personne : trouver l'un sans l'autre était quasiment impossible. C'était bien compréhensible : qui n'a jamais rêvé d'avoir une personne sur qui compter, à qui parler, et qui nous comprendrait dans les moindres détails ? Un miroir de notre âme, qui ne ferait que nous aider à avancer ? A côté de la leur, la relation entre Jack et Eyllée n'était rien, et pourtant elle restait si forte...

Les trois enfants réunis, ils commencèrent d'un accord commun à explorer la vaste cour si étrangement entourée de ces piliers et des murs de terre. Elle était relativement vide. Il n'y avait que quelques enfants de leur camp, qui s'émerveillaient comme eux de ce qui était "l'extérieur" de la base. Eyllée et Wilhem s'assirent sur un des bancs qui bordaient les bâtiments, et Thys resta debout, face à eux. Seule la curiosité qui les animait rendait l'atmosphère moins désagréable. On vint les chercher au bout de quelques minutes. La porte qu'ils prirent donnait un accès direct sur le centre de droite, qui les formerait. Ils débouchèrent immédiatement sur un grand escalier qui occupait une petite salle, et la femme qui les conduisait les emprunta. Les trois enfants la suivirent, et Eyllée remarqua, avant de gravir les marches, une porte, assez bien dissimulée, qui devait donner l'accès à l'étage du bas. On les emmena au premier camp de formation, et ils rejoignirent une petite salle de sept enfants.

- Bon, eh bien je crois qu'on peut commencer ! s'exclama Jennifer une fois qu'ils furent tous installés.

Son ton était enjoué mais trahissait une certaine pression, et peut-être de l'impatience, toute celle qu'elle avait accumulée durant cette longue année.

- Si vous êtes ici aujourd'hui, avant tous les autres enfants de votre camp, c'est parce que vous présentez un haut potentiel intellectuel. Cette base est faite pour vous aider à le développer, à en tirer le meilleur. Pourquoi ? Regardez où vous êtes. Sous-terre, dans une base censée résister à ce qu'il se passe dehors. Ce n'est un secret pour personne, le monde souffre à l'heure qu'il est. Les forces de la nature se déchaînent contre nous. Mais tant que vous resterez ici, vous serez en sécurité. Combien de temps en serez-vous obligés pour survivre ? C'est ce que vous allez tenter de déterminer tout au long des formations que vous allez subir. Plus vite vous parviendrez à vous adapter en exploitant la moindre de vos capacités, plus vite vous toucherez l'espoir, le... mirage, si j'ose dire, de reprendre une vie normale.

Son discours fut accueilli par un long silence, et des regards étonnés qui parcouraient la salle à toute vitesse. Jennifer Marino n'en attendait pas moins. Elle fut tout de même intimement satisfaite de n'avoir causé aucune rébellion parmi son auditoire. Il fallait savoir s'y prendre, avec les enfants, ici ! Jusqu'à leur faire penser que la base n'avait construit tout cela que par empathie pour eux, juste pour ces enfants-là. A leur âge, ils n'avaient sûrement pas le recul pour se demander pourquoi Mirage n'avait accepté que ceux de leur âge. Si c'était pour sauver, pourquoi s'étaient-ils arrêté aux enfants, en les triant de manière si cruelle ? Telle était la question qu'ils ne se poseraient jamais.

La base avait pour but de reconstruire l'humanité, une humanité nouvelle, résistante aux forces de l'apocalypse qui se déchaînaient sur leur monde. L'élite aidait ces enfants dans l'espoir de les sauver, certes, mais avec la conscience qu'en le faisant, ils s'assuraient également la protection et la sécurité de l'infrastructure de leur base. Chacun avait donc une motivation dans ce projet, quelque chose à y gagner, avec toujours au fond d'eux la volonté de mener leur mission à bien. Était-ce finalement un moyen de garder la conscience tranquille, face au reste du monde qui s'écroulait ? Peut-être. Mais, finalement, peu importait la raison pour laquelle chacun était là. Car c'était dans un même but. Prouver que les humains n'avaient pas dit leur dernier mot.

Ce fut avec peu d'enthousiasme qu'un homme, ancien explorateur reconverti, prit la place de la neurologue pour commencer son "cours". Il commença d'abord par une brève introduction de la situation actuelle du monde, puis détailla celle du continent, puis du pays, et enfin, de l'Arizona. Quand il eut fini d'achever les enfants de paroles dont ils ne comprenaient que la moitié, il projeta quelques photos, récupérées de quelques villes étrangères. Elles étaient toutes très angoissantes, et elles retinrent rapidement l'attention des enfants. Les villes étaient dévastées, il y avait partout des corps inertes, des flammes, un ciel qui n'en était plus un, comme brisé, froissé, et recouvert de nuages plus noirs et obscurs que la nuit. L'une d'elles retint l'attention de Thys. La France ! Il connaissait bien ce paysage, il l'avait vu plusieurs fois. C'était Paris. Saccagée. Ses parents avaient plusieurs fois dû les y emmener, ils savaient maintenant pourquoi. Au milieu de ce désastre et des bâtiments écroulés, brûlés, se dressait, toute-puissante et résistante au milieu de cet enfer, la tour Eiffel. Ce spectacle était aussi effrayant que majestueux. Il aurait aimé que sa sœur puisse voir cette photo.

- Le bilan matériel est considérable, reprit l'homme, mais ce n'est rien d'irréparable. Côté humain par contre...

Il marqua une courte pause, de façon à prendre un ton qui paraîtrait solennel. Il oubliait peut-être que les enfants ne s'embarrassaient pas de ces manières, et qu'un fait, dit d'une façon ou d'une autre, n'en était pas changé. Mais l'homme prenait sûrement ce ton pour lui-même, pour que ça ne lui paraisse pas aussi indifférent que ça lui était réellement. Mais ses auditeurs, eux, ne s'y trompèrent pas. Ariane aurait eu un régal à décortiquer le caractère de l'individu, qui agrémenta le sentiment de Wilhem sur l'hypocrisie des adultes.

- La population mondiale, continua-t-il enfin, a chuté de un pourcent... Un pourcent ! C'est considérable !

Cela ne parut pas impressionner qui que ce soit. Les enfants n'ont pas la notion du nombre, et encore moins du pourcentage.

- Rendez-vous en compte ! Plus de cent millions de personnes sont mortes ! ajouta-t-il alors. Cent millions ! Sur les dix milliards d'humains que nous sommes... C'est le double du bilan humain de la Seconde Guerre mondiale.

Le nombre de morts tombé, la salle s'affola. L'ancien explorateur en éprouva une certaine satisfaction. Il avait au moins réussi à les effrayer. C'était le début d'une classe qui serait à l'écoute, et pleine de volonté. Après tout, tout commence toujours par de la peur...

*

Thomas en était revenu à consulter son ami. Comme toujours. Jordan aurait pensé éprouver plus de contentement en apprenant le nom du mystérieux interlocuteur de M. Brown. Et ils ne connaissaient encore que son prénom... Et son camp ! C'était déjà un début. Thomas lui avait raconté qu'il l'avait aperçu grâce à une femme, Anna Drake, qui apparemment le connaissait. Elle et lui avaient sympathisé juste avant que le dénommé Mike ne fasse irruption, ce qui donnait aux secouristes un avantage : à défaut de soutirer quelque information à l'homme, il pourrait au moins le faire par l'intermédiaire de ce médecin. Ils en avaient convenu ainsi.

Du côté d'Anna, elle avait été très heureuse de revoir Wilhem, après trois longs mois sans avoir de ses nouvelles. Elle s'était félicitée qu'il soit si malin : il avait simulé une crise de nerfs en hurlant le nom de son ange gardien, et ils avaient fini par craquer. Elle l'avait retrouvé dans sa chambre, avec les autres enfants qui la partageaient, et en avait été très heureuse. Ils étaient tous, d'après elle, véritablement adorables. Elle avait été ravie d'apprendre qu'il avait pu être affecté avec ses deux seuls amis, les jumeaux Olsen, et, quand elle avait su que c'était grâce à Mike, son estime pour lui n'avait fait qu'augmenter. Il savait toujours devancer les désirs des autres, et les satisfaire. De cette façon-là, il attirait autour de lui la confiance et l'admiration qui s'alliaient avec le respect qu'il inspirait. C'était un leader né.

Ariane était toujours aussi adorable que dans ses souvenirs, si ce n'était plus, et elle avait toujours autant d'affection pour Wilhem. Le timide Thys avait également une sincère amitié pour lui. Quant au plus grand, Orion, il avait des airs assez supérieurs d'un enfant gâté, mais ne paraissait pas s'attaquer à Wilhem. Peut-être même l'appréciait-il quelque peu. Il faudrait bien, de toute façon, que ce soit le cas un jour ou l'autre, car les cinq enfants risquaient de demeurer ensemble, dans cette même chambre, un long moment. Et il y avait aussi cette petite fille, la plus jeune, Eyllée. La petite sœur de Jack. Encore une fois, Anna fut très étonnée de l'incroyable coïncidence de la retrouver là. Elle ne savait pas que tout cela n'était pas le fruit du hasard. Elle avait immédiatement compris pourquoi Jack et elle avaient un lien si fort. La petite fille ne parlait que de lui. Elle ne mentionna d'ailleurs à aucun moment qu'elle le voyait grâce au souterrain, et Anna en fut soulagée. Eyllée ne savait pas que c'était grâce au docteur que tout cela était possible. Elle prouva par son silence, et celui des autres enfants, qu'elle était digne de confiance, et que leur secret ne risquait rien. La fillette s'entendait apparemment très bien avec Wilhem. Anna eut envie de penser que c'était même un lien très fort. La joie qu'elle en éprouva était sans pareil.

Elle promit à son protégé qu'elle reviendrait le voir dès que possible. Sa visite l'avait remise d'aplomb, et elle se rendit dans la chambre de Mike, au centre de commandement, pour le remercier. Elle frappa, et une voix lointaine lui répondit d'entrer. Elle s'exécuta. Mike était dans sa douche. Il avait eu un certain privilège d'en avoir une dans sa case. Anna parcourut la pièce jusqu'au lit, puis jusqu'au meuble qui se trouvait à côté. Son regard se posa sur le tiroir du haut. La poignée était usée. Il devait beaucoup l'avoir utilisée... Un clou était même légèrement sorti, et de travers. La jeune femme essaya de le redresser, par réflexe. Mais il tomba entièrement, entraînant la poignée avec lui, qui s'écrasa au sol à grand bruit.

- Tout va bien ? entendit-elle derrière le fracas de l'eau qui s'écrasait sur le sol de la douche.

Elle répondit d'un air assuré, puis ramassa ce qui était tombé. Après quelques efforts, elle réussit à tout réassembler, puis, pour vérifier que tout tienne à nouveau, elle ouvrit le tiroir par la poignée. Il était rempli jusqu'en haut, d'une pille de papiers. Le premier avait une pochette bleu délavé, et possédait une étiquette marquée "confidentiel". Cette inscription était stupide. Rien de mieux qu'un message de mise en garde comme celui-là pour éveiller la curiosité de quelqu'un. Anna n'échappait pas à la règle, mais gardait une certaine discrétion qui l'empêchait d'y jeter un coup d'œil.

A la place de cela, elle leva un à un les dossiers pour en regarder le titre, par simple curiosité, et pour passer le temps également. Au fond du tiroir, une feuille se détacha de l'un d'eux. La date attira directement l'œil d'Anna, et lui évoqua immédiatement d'étranges souvenirs. C'était à une époque où elle venait juste de terminer ses années d'études. Elle s'occupait de Wilhem depuis cinq ans déjà, grâce aux stages en hôpital qu'imposaient ses études. Elle venait de connaître Mike, et, à cette époque, ne l'appréciait pas beaucoup. Il ne lui inspirait aucune sympathie, et même plutôt de la méfiance. En y repensant, Anna se pensait stupide à cette époque. Elle se disait qu'il ne fallait jamais s'arrêter sur les premières impressions. Et pourtant, elles avaient été plus proches de la réalité que ce qu'elle ne pouvait le croire.

La date qui y était inscrite correspondait à une période qui avait éveillé en elle plus de doutes que jamais. C'était cinq ans auparavant. A cette époque, l'état de santé de Wilhem s'était considérablement aggravé. Il avait été réintégré à l'hôpital, ce qui ne s'était pas produit pendant quatre ans. Mais cela n'avait rien d'alarmant, et il s'était très vite remis. Seulement, cette rechute avait donné l'occasion à Mike et Anna de se revoir, et de se connaître réellement. Elle l'avait beaucoup fréquenté, et cette période de sa vie restait gravée dans sa mémoire, indélébile. Jamais elle ne s'était sentie aussi perdue qu'avec lui. Il était très avenant avec elle, mais, d'un autre côté, il lui inspirait beaucoup de méfiance. Il avait parfois des conversations téléphoniques extrêmement étranges, et, s'il elle n'avait pas été sûre du contraire, elle l'aurait cru membre d'une mafia. Ce n'était pas le genre de Mike, évidemment. Elle qui le connaissait alors certainement si bien... Et puis tout s'était terminé très vite, et de manière très perturbante. Elle aurait juré avoir vu Jack à l'hôpital, maintenant qu'elle le connaissait. Mais elle n'avait pas alors fait attention à son visage pour en être certaine...

Perdue dans ses pensées, Anna n'eut pas le temps de lire l'intitulé du document, car déjà Mike arrivait dans son dos. Surprise, elle lâcha la pille de papiers et referma le tiroir.

- Je... J'ai... remis la poignée, bégaya-t-elle.

Mike lui sourit et s'approcha d'elle à pas lents, sans dire un mot. Anna ne put s'empêcher d'avoir peur une fraction de seconde. Puis elle se ressaisit. Il était son ami depuis si longtemps, et avait fait tant de choses pour elle...

- Je voulais te remercier, dit-elle.

- Encore ? fit-il amusé.

Anna rit, et baissa la tête d'un air gêné.

- Pour Wilhem, je veux dire. Je ne savais pas que tu avais affecté ses amis avec lui. Tu sais, les jumeaux Olsen ? Merci, vraiment.

Mike répondit qu'il l'avait fait pour le petit, et en pensant à elle. Il ne parut à aucun moment gêné par son mensonge, et appuya même le fait que tout avait été fait dans l'intérêt de Wilhem. Jamais il ne laissa l'ombre d'un doute. Et il l'avait pourtant fait sans même penser que ces deux gamins étaient les amis du garçon, et seulement contre M. Brown. Anna fut pourtant touchée par cette sollicitude mensongère. Elle le regarda dans les yeux.

Mike avait encore les cheveux mouillés, et il avait enfilé un T-shirt et un vieux short sur lesquels dégoulinaient les gouttes d'eau qui tombaient de ses cheveux blonds. Il fit un pas de plus vers elle et la prit par les épaules. Elle ne le lâcha pas du regard. Elle avait eu si tord de se méfier de lui autrefois. Si tord...

Dans un élan irréfléchi, elle prit sa tête entre ses mains et l'embrassa.

*** Note d'auteur ***

Chapitre 12 disponible SAMEDI 14 août !

J'avais arrêté d'écrire quelques jours, en manque d'inspiration, mais ces derniers temps c'est revenu, et j'écris ces lignes une dizaine de jours avant la publication du chapitre (une avance incroyable XD) Je vous remercie encore une fois pour votre soutien qui me donne envie d'écrire autant ! Vous êtes géniaux, vraiment, merci !

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