Jeudi Quatorze
Il était dix-sept heures passées quand monsieur D'Argencourt libéra sa classe d'éducation physique et sportive de leur séance dans la froideur hivernale. Tous les élèves se dépêchèrent de se rendre au vestiaire et de se changer, impatients de rentrer chez eux au chaud.
Seule une des jeunes filles ne l'entendait pas de cette oreille. Alya avait en effet très lourdement insisté auprès de son amie Marinette pour qu'elles aient une sérieuse discussion après les cours. Cette dernière prit donc tout son temps pour se changer, préparant à l'avance les réponses qu'elle pourrait offrir à la jeune métisse.
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Attablée autour d'un thé et de quelques pâtisseries chez Marinette, Alya ne tenait plus. Elle trépignait littéralement, attendant des explications de la part de son amie.
— Que tu avoues tes sentiments à Adrien était assurément une très bonne initiative de ta part, avait-elle assuré quelques minutes plus tôt. Mais tu aurais pu me prévenir, je crois. Surtout que tu nous as fait une belle peur ! Et après, tu lui parles plus, et personne ne sait rien ! J'admets que pour cette fois, tes raisons étaient compréhensibles, mais dans ce cas, pourquoi ne m'avoir rien dit quand tu as décidé de lui reparler ? Tu sais très bien que tu peux tout me dire, d'une part, et d'autre part à quel point j'aime avoir les informations avant les autres. Surtout que bon, au final, ça a vraiment servi, ce silence ? Parce qu'au vu de l'après-midi d'hier, je ne vois pas trop ce qui a changé. Et puis, c'est qui cette Kagami ? Tu ne m'as jamais parlé d'elle ! Tu la connais d'où ? Tu me présentes plus à tes amies ? T'as honte de moi, c'est ça ? Je plaisante. Enfin, un peu. Mais quand même !
Marinette sirotait de son côté tranquillement son infusion, et regardait d'un œil amusé son amie qui parlait sans jamais reprendre sa respiration. Elle connaissait bien la jeune fille. Elle savait qu'elle était faussement fâchée. Mais elle devait admettre qu'elle avait raison. Elle ne lui avait rien dit de la situation, et c'était toujours plus facile de contrôler une information lorsque l'on décidait de la diffuser soi-même. Parce qu'il y avait certains points qu'Alya ne devait pas savoir.
La bleutée reposa sa tasse, et leva les deux mains en signe de reddition.
— D'accord, d'accord, tu as gagné. Je vais tout t'expliquer. Pour Adrien, ma décision de lui avouer mes sentiments s'est faite sur un coup de tête, alors je n'ai pas vraiment pensé à te prévenir. Pourquoi j'ai pris cette décision ? Je cherche encore. Enfin bref, de toute façon, tu as été la première au courant, tu sais.
— Bien évidemment, on m'a appelé parce que tu étais presque en état de mort cérébrale !
— Tu exagères ! s'exclama Marinette.
— À peine ! Bon, et pourquoi tu t'es mise dans cet état ? Adrien a été si méchant que ça avec toi ?
— Absolument pas, il a été adorable. Mais, euh... C'est compliqué. Je ne sais pas à quoi je m'attendais vraiment avec cette initiative, mais sans doute pas à ce qu'il soit amoureux de Ladybug.
— Ah pourtant, moi, je vois très bien ! Cette combinaison moulante, cette façon de se balancer à travers Paris, ces muscles, aux bras, aux jambes, aux f...
— C'est bon, merci Alya !
La métisse était hilare. Elle savait exactement comment titiller son amie, et ça marchait toujours bien.
— Mais du coup, reprit Marinette. Je ne m'y attendais pas. Et, euh... Mon cerveau s'est éteint ? Tout ça pour dire que de toute façon, je ne risquais pas de te prévenir, puisque j'étais même pas vraiment consciente. J'ai aucun souvenir de comment je suis rentrée ici. Et ensuite, bah j'ai pensé que ne plus le fréquenter rendrait moins dur ce moment qu'il fallait passer. Mais comme hier c'était mercredi, bah je savais que j'allais devoir lui parler pour la réunion, surtout que tu me l'avais rappelé la veille, et donc je me suis dit tant pis.
— Je vois. Et à aucun moment tu n'as jugé utile de m'en informer ? demanda Alya en haussant un sourcil.
— Ben, euh, si, c'est juste que... J'y ai pas pensé ? hasarda la jeune fille.
— Ben voyons. Et Kagami, donc ? Parce que vois-tu, si tu n'en avais pas parlé hier, je ne vois pas trop comment j'aurais pu être au courant.
— Adrien aurait pu en parler. Enfin, le fait est que Kagami est une jeune fille d'origine japonaise, escrimeuse très douée, qui est revenue en France récemment et que j'ai rencontré à l'école d'escrime D'Argencourt. Tu te souviens bien que j'ai été sélectionnée pour l'école, au moins ? ironisa la bleutée.
— Bien sûr que je m'en souviens, vu que tu me l'as dit !
— Bien. Et donc Adrien l'a invitée à la fête avec sa mère. Et donc... Mais ! s'interrompit soudainement la jeune fille. Dis-donc, tu l'as vue, la liste ! Et à aucun moment un nom inconnu sur la liste des participants ne t'a posé problème ?
— Euh... Tiens, c'est marrant, j'en ai pas souvenir. Mais la question n'est pas là ! Même si je l'avais vue sur la liste, tu aurais pu m'en parler bien avant. Ça fait plusieurs semaines, déjà, non ?
— La première leçon était le huit. Donc non. Je l'avais entraperçue lors des sélections, mais je ne lui avais pas parlé.
Si on exceptait l'akumatisation et sa transformation en Ladybug, bien sûr. Mais c'était un secret. Un jour, peut-être, Alya serait au courant. Mais pour le moment, c'était hors de question.
— Je disais le huit, reprit Marinette. Et le neuf, elle m'a envoyé un sms – elle a récupéré mon numéro auprès d'Adrien – pour me dire qu'elle participait à la fête et qu'elle voulait savoir si je pouvais lui confectionner une tenue. Alors j'ai dit oui, bien sûr. En résumé, on a été choisir du tissu ensemble, et j'ai été chez elle ensuite. Tu savais qu'elle peint aussi ? Elle est très douée !
— Évidemment, que je le savais... Comment voulais-tu que je le sache ?
— Tu le sais, maintenant. Elle a aussi une salle de sport chez elle, du genre dojo ! Tatamis au sol et tout. J'ai rencontré sa mère aussi. Une femme impressionnante. Et euh... Elle m'a proposé de m'entraîner. Alors j'ai dit oui.
— T'as dit oui ? Et ça non plus, pas besoin de me le dire ? Mais t'as le temps ? Tu y vas quand ?
— Quand je veux, en fait, elles sont super cools à ce niveau-là. Et si, je comptais te le dire, mais à part la première fois, je n'y suis retournée qu'une seule fois, mardi soir. C'est éprouvant, mais ça fait du bien. Après, je ne sais pas trop si c'est utile, mais je te tiendrai au courant, précisa la jeune fille en tirant la langue.
— J'espère bien !
— Niveau temps, bah, je sais pas. J'ai toujours l'impression que je vais jamais y arriver, mais en y réfléchissant, je me dis que ça avance quand même bien, et puis, je suis pas toute seule, et ça, c'est cool !
— N'est-ce pas ? Il ne faut jamais oublier que nos amis sont là pour nous. Tu n'oublieras plus, hein ?
— Promis ! assura la bleuté en souriant.
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Après s'être entraîné quelques dizaines de minutes sur son piano, Adrien avait commencé à parler tout seul. Puis Plagg, son kwami, l'avait rejoint dans sa discussion, s'y intéressant tout particulièrement.
Le jeune homme ne savait plus que penser. Marinette et Ladybug se ressemblait physiquement, d'accord. Mais cela restait une preuve mince derrière un costume et un masque. Sauf que le problème, car il y en avait un, était l'odeur qu'il avait sentie. Il ne disait pas que les deux jeunes filles avaient le même parfum, non. Elles avaient la même odeur. Et ça, c'était bizarre. Mais Marinette ne pouvait pas être Ladybug, non c'était impossible. Il y avait trop de problèmes derrière cette possibilité.
— Déjà, lors de l'akumatisation de Chronogirl, Marinette et Ladybug sont apparues en même temps. Oui, mais il y avait deux Ladybug, ce jour-là. Avons-nous vu Marinette avec les deux Ladybug en même temps ? Raah, je ne sais pas. Dans ce cas, avons-nous une autre possibilité ? Quand Nathaniel s'est fait akumatiser, par exemple. Marinette était là. Mais pas Ladybug. Mais elle m'avait dit qu'elle avait une mission secrète. Elle m'aurait menti ? Parce que Marinette devait être là pour le Dessinateur ? C'est horrible, cette histoire.
— Tu sais, intervint le kwami, si tu as autant de doute, le plus simple serait encore de demander à l'une des deux si elle est aussi l'autre. Mais pourquoi donc trouves-tu autant horrible cette histoire ? Il y aurait-il un problème dans le fait que Ladybug soit Marinette ?
— Non, bien sûr que non ! Enfin, si. Enfin, non ! Je ne sais plus !
Adrien avait simplement l'impression de tourner schizophrène. Non, ce n'était pas un problème que Ladybug soit Marinette. Mais ça voulait dire qu'il avait repoussé Ladybug. Cette pensée l'horrifia. Elle ne voudrait plus jamais de lui, c'était certain. Mais il était fou amoureux. Restait quand même une question.
— Mais Plagg, si c'est le cas, comment expliques-tu que je ne l'ai jamais remarqué ? Je vois Marinette tous les jours, et Ladybug presque aussi souvent ! Certains détails auraient dû m'interpeller !
— Tu veux dire, comme sa coupe de cheveux ?
Adrien cligna les paupières, éberlué. C'est vrai qu'il ne connaissait cette association de coupe et de couleur que chez deux personnes dans tout Paris. Mais en même temps, il ne pouvait pas admettre sans mentir qu'il connaissait tout Paris.
— Ce n'est pas suffisant. Et puis, ma transformation me fait un peu pousser les cheveux, peut-être qu'elle agit différemment sur Ladybug. Non, non, il doit y avoir une autre explication.
Mais plus il avançait dans son raisonnement, et moins il trouvait d'explication cohérente. Il était forcé d'admettre que la ressemblance était frappante, tant physique que morale.
— Il est vrai que Marinette est finalement plus crédible que Chloé comme Ladybug, admit le jeune homme qui se souvenait d'une ancienne hypothèse. Mais il doit quand même y avoir une autre explication.
— Je ne vois vraiment pas pourquoi cela te pose un tel problème. C'est de ne pas l'avoir vu, qui t'inquiète, ou c'est ta ou sa réaction si cela s'avérait ?
— Je ne sais pas, je ne sais pas ! Plagg, est-ce que tu te rends compte que l'amour de ma vie était sous mes yeux depuis tout ce temps ?
— Oui, je me rends compte, c'est récurrent chez les différents Chat Noir. Ils connaissaient tous plus ou moins Ladybug depuis bien avant leur première transformation. Et ils ont tous été surpris quand ils l'ont appris. Pour ceux qui l'ont finalement découvert, bien sûr.
Adrien était surpris. Ainsi, l'histoire se répétait ? Dans ce cas, Marinette ne répondait pas totalement aux critères, vu qu'il l'avait rencontrée le même jour que Ladybug. Ce serait néanmoins un beau signe du destin. Un peu en mode « Tiens, je te donne la fille de tes rêves deux fois, t'as plus qu'à profiter ! » Et lui qui ne voit rien.
— Remarque, je suppose que je peux en conclure qu'elle non plus n'a rien vu. Il faut dire que je suis beaucoup plus libre transformé en Chat Noir. Adrien est beaucoup trop sérieux. Chat Noir est plus proche du vrai moi, mais personne ne le connait. Sauf Ladybug. Ladybug qui, par conséquent, ne me prend pas au sérieux. Je ne sais pas si tu te rends compte de la situation, Plagg !
— Ah si, totalement. J'hésite d'ailleurs entre totalement ridicule et totalement incroyable. Mais je penche plutôt pour ridicule, vois-tu !
— Merci de ton soutien, ça fait toujours chaud au cœur.
— Mais de rien, mon cher enfant. Ma longue expérience me permet de partager tout un tas de secret avec toi. Tu en veux un ?
— Je t'écoute.
— En amour, le plus important, c'est le chemin. Jamais l'arrivée.
— Et tu sors ça d'où ?
— Aucune idée ! affirma le kwami après un instant de réflexion. Sans doute un Chat Noir philosophe. Mais admet tout de même que ça sonne bien.
Adrien soupira. Le kwami n'avait peut-être pas tort, après tout. Mais la destination ne valait-elle pas le coup, tout de même ? Et si Ladybug était Marinette, accepterait-elle son amour ? Rien n'était moins sûr, au vu de sa réaction du début de semaine. Il ne pouvait bien évidemment pas la blâmer, mais il lui resterait sans nul doute un goût amer dans la gorge si elle le repoussait à son tour.
Le blondinet secoua la tête. Il devait prendre l'air, il n'en pouvait plus de réfléchir.
— J'ai envie de me jeter dans la Seine, ça me rafraichira les idées.
— Il n'en est pas question ! rétorqua Plagg. Tu sais que j'ai horreur de l'eau !
— Bon, bon. Partant pour une petite ronde de fin de journée, alors ? Ou de début de soirée, comme tu l'entends. Nous serons de retour pour le repas, ne t'en fais pas, assura le garçon, prévoyant la réponse de la petite créature noire.
— Dans ce cas, allons-y. Si tu peux arrêter de penser à cette histoire cinq minutes, ça ne peut pas te faire de mal !
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C'est un Chat Noir vidé mais heureux, qui passa par la fenêtre du manoir Agreste une demi-heure plus tard. Il avait parcouru Paris de long en large, s'assurant qu'aucun akuma n'était de sortie. Il avait même arrêté un jeune voleur de sac à main au détour d'une rue. Il était fatigué, mais il était désormais en paix. Il irait parler à Ladybug dès que possible.
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