Dimanche Dix
C'est un dimanche ensoleillé qui succéda à un samedi grisâtre. Aujourd'hui, Nadja Chamack, journaliste préférée des Parisiens, avait demandé à Marinette de garder sa fille Manon pour l'après-midi, alors qu'elle était exceptionnellement appelée pour une émission spéciale. C'est donc une Manon emmitouflée dans une grosse parka mais tout aussi énergique que d'habitude que Marinette vit surgir de sa trappe sur les coups de treize heures.
— Merci beaucoup de la garder, Marinette. Tu n'imagines même pas à quel point tu me rends service !
— C'est un plaisir, Mme Chamack, rétorqua celle-ci. Et puis, Manon est une petite fille adorable, n'est-ce pas Manon ?
— Toujours ! affirma-t-elle, un grand sourire aux lèvres.
— Parfait. Oh et surtout, si vous sortez, n'oublie pas son manteau et son écharpe, elle attrape vite froid.
La fillette était restée piégée dans un bloc de glace lors de l'attaque de Climatika alors qu'elle était en manches courtes et n'avait pourtant pas été malade. Marinette doutait donc de cette affirmation. Néanmoins, elle promit de la couvrir si elles sortaient. Sortie déjà prévue par le cerveau en ébullition de Marinette.
En effet, Adrien avait une séance de photographies qui se déroulait au parc l'après-midi même, et Marinette avait bien prévu d'aller le voir. Elle devait tenir l'engagement qu'elle s'était faite, et lui parler. Avoir la discussion.
— Tu penses à quoi ? À ton amoureux ?
Marinette sourit. Les enfants étaient tellement innocents, c'était mignon !
— Ce n'est pas encore mon amoureux, petite Manon, lui répondit-elle en lui tapotant le nez. Mais aujourd'hui, c'est le grand jour. Je lui annonce que je l'aime !
— Oooooh !
Mais, et s'il ne l'aimait pas ? Et s'il aimait vraiment Kagami ? Et s'il en aimait une autre ? Elle avait pesé le pour et le contre, débattu avec Tikki pendant des heures, et les arguments du kwami avaient finalement eu raison d'elle. Après tout, si elle ne lui demandait pas, elle ne saurait jamais. Peut-être n'aimait-il pas Kagami, malgré les apparences, et malgré toutes les qualités de la Japonaise. Peut-être l'aimait-il. Peut-être n'osait-il pas le lui avouer. Beaucoup trop de peut-être au goût de Marinette, mais elle devait en avoir le cœur net. Et puis Tikki l'avait prévenue : « vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets ». Philosophie kwami, sans doute...
▬ ▬ ▬
Une demi-heure plus tard, Marinette et Manon dégustaient des marrons grillés confortablement assises sur un banc face à la fontaine. Sur celle-ci, un Adrien probablement peu réchauffé présentait la dernière collection hiver de son père à un photographe italien qui lui tournait autour en prenant cliché sur cliché à grand renfort de « mama » et de « plat de spaghetti ». Encouragements italiens, probablement.
Lorsque le photographe déclara cinq minutes de pause, le temps de boire un café, Marinette leva un bras et cria pour attirer l'attention de l'élu de son cœur. Ce dernier l'aperçut et, tout sourire, se dirigea vers le banc où elles étaient assises.
— Salut Marinette, salut Manon ! lança-t-il gaiement. Vous êtes venues prendre l'air au parc ? Oh ! Des marrons !
— Tu en veux ? proposa la petite fille en lui tendant son cornet. C'est Marinette qui les a achetés !
— Je peux ?
— Évidemment ! Priorité à ceux qui travaillent, assura la bleuté.
Ce n'était pas un réel travail, mais cela faisait chaud au cœur d'Adrien de savoir qu'il pouvait compter sur des amies comme Marinette. Elle était venue le voir alors qu'il faisait zéro au thermomètre, et qu'il posait sans bouger pendant des heures pour satisfaire son père. En même temps, c'était une condition de sa participation à la fête, alors cela valait bien tous les sacrifices.
— Adrien ? Euh... J'aurais voulu te parler. Juste quelques mots, je ne veux pas te déranger !
— Tu ne me déranges pas, voyons, je suis content que tu sois venue me voir.
Lajeune fille s'était levée, et paraissait gênée. Elle avait les joues et le bout du nez légèrement rosés, et triturait le sol du bout de sa chaussure. Elle passa une main dans ses cheveux, regarda le jeune homme, déglutit, et ouvrit la bouche, pour la refermer aussitôt.
— Tu sais que tu peux tout me dire, Marinette, l'encouragea-t-il. Nous sommes amis.
Cette certitude qui transparaissait dans le ton d'Adrien eut raison de Marinette. Elle rouvrit la bouche.
— Je...
Elle passa ses mains sur son visage, et soupira.
— Adrien, je t'aime ! Voilà, c'est dit.
Elle rougit entièrement et un sourire extrêmement gêné se forma sur son visage.
— Oh ! Euh, comment dire... Ça me touche, Marinette, vraiment ! Ça me touche beaucoup, mais, euh... J'aime quelqu'un d'autre.
La jeune fille enfouit ses mains dans son visage. Et voilà ! Elle savait qu'elle n'aurait jamais dû lui annoncer. C'était une mauvaise idée. Adrien était amoureux de Kagami, et c'était compréhensible. N'importe qui aurait fait la même chose, à sa place. Elle devait néanmoins vérifier. Un son incompréhensible s'échappa de sa gorge en même temps qu'un sanglot rauque.
— Je te demande pardon ?
Elle réitéra sa question.
— Tu es amoureux de Kagami, n'est-ce pas ?
— Non.
Marinette eut un hoquet. La surprise le disputait à l'incompréhension.
— Mais alors... De qui ?
— Je suis amoureux de Ladybug.
Les larmes qui avaient commencées à poindre disparurent aussitôt. À la place, les genoux de la jeune fille se dérobèrent sous son corps, et elle tomba comme une masse. Prostrée sur le sol, elle émit un son à mi-chemin entre le rire et la plainte. Manon, qui s'était éloignée le temps de la conversation, accourut en voyant Marinette par terre.
— Marinette ! Ça va pas ? Qu'est-ce qu'il y a ?
La jeune fille ne répondit pas. Adrien, en revanche, prit les choses en main. Il tendit son téléphone à la petite fille en lui demandant de prévenir Alya. Il souleva ensuite son amie de terre, passa un bras sous ses aisselles et la porta jusqu'au banc. Il parvint avec difficulté à la faire tenir assise. Tous ses muscles semblaient avoir lâché. Elle ressemblait à une marionnette de chiffons dont on aurait coupé les fils.
— Alya arrive, annonça Manon. Pourquoi Marinette elle est comme ça ? Tu lui as fait du mal ?
— Je n'ai pas voulu lui faire de mal. Mais je pense que d'une certaine manière, oui. Et crois bien que j'en suis désolé.
Alya arriva en un temps record. La voix inquiète de Manon utilisant le téléphone d'Adrien l'avait incitée à se presser. Elle jaugea la situation et demanda un résumé au jeune garçon.
— Elle est venue m'annoncer qu'elle m'aimait, commença-t-il, gêné.
Alya cligna des yeux. Elle avait fait quoi ? Marinette, la fille incapable d'aligner trois mots sans bafouiller devant l'élu de son cœur, lui avait déclaré son amour ? Il y avait de quoi être étonnée. Ou impressionnée. Ou les deux.
— Crois bien que ça ne me fait pas plaisir, mais j'ai dû lui annoncer que j'aimais quelqu'un d'autre. Et c'est depuis qu'elle sait qui qu'elle est dans cet état.
— Et je peux savoir de qui il s'agit ?
— Ladybug.
Alya eut un haussement de sourcil étonné. Adrien était amoureux de Ladybug ? Intéressant. Oh, que l'héroïne fasse fantasmer de nombreux hommes n'avait rien d'étonnant, mais Adrien avait annoncé ça avec un tel aplomb qu'on ne pouvait que le croire. Et si c'était réellement de l'amour, Marinette devait déjà imaginer que sa vie était foutue.
— Je vois. Je m'occupe d'elle, maintenant, merci Adrien.
— C'était le moins que je pouvais faire, c'est de ma faute si elle est dans cet état.
Le jeune homme, la tête rentrée dans les épaules et la mine renfrognée, retourna près de la fontaine où son photographe l'attendait.
Manon, toujours assise à côté de Marinette, regardait cette dernière avec inquiétude. Elle voyait bien que la jeune fille n'allait pas bien, alors qu'elle était toujours souriante. Il s'était passé quelque chose de grave.
— Manon, je vais avoir besoin de ton aide, on va ramener Marinette chez elle, d'accord ? demanda Alya.
— D'accord. Pourquoi elle fait cette tête ? Elle est fâchée ?
— Non, elle est triste. Mais ne t'inquiète pas, elle ira mieux, on va l'aider. Tu vas m'aider, hein ?
— Bien sûr !
Alya attrapa le bras de Marinette, la forçant à se relever. Manon lui prit l'autre main, et elles commencèrent à avancer. La jeune fille traînait des pieds, les yeux perdus dans le vide. C'était inquiétant, jugea Alya. En temps normal, ses sentiments se lisaient très clairement sur son visage. Tristesse, peur, colère, amour, on voyait tout. Là, c'est comme si toute sensation avait déserté son corps. Plus rien. Elle était tombée dans un état léthargique préoccupant.
Elles arrivèrent néanmoins toutes les trois chez les parents de Marinette. Alya sonna à la porte. Ce fut Sabine qui ouvrit. Elle plaqua ses mains contre sa bouche et un air horrifié se peignit sur son visage.
— Oh mon Dieu, Alya ! Que s'est-il passé ?
— Rien de très grave, je l'espère. Chagrin d'amour, Adrien aime quelqu'un d'autre. Elle s'en remettra, mais il faudra un peu de temps. Il faut déjà la faire sortir de sa torpeur.
Elles conduisirent Marinette jusqu'au salon, où elles l'assirent sur le canapé. Toujours aucune réaction. Les yeux perdus dans le vague, la jeune fille semblait partie loin. Très loin.
Alors que Sabine partait prévenir Tom, Alya s'assit aux côtés de son amie. Elle essaya tant bien que mal de lui murmurer des paroles rassurantes, lui expliquant que ce n'était pas grave, que les sentiments pouvaient évoluer, qu'Adrien n'était peut-être pas complètement amoureux de Ladybug, que c'était juste passager.
Manon, assise de l'autre côté, serrait toujours fort la main de Marinette. Elle voyait bien que la jeune fille n'allait pas bien, mais ne savait pas quoi faire pour l'aider. Elle attendait donc, en lui tenant la main, essayant de lui transmettre son réconfort par simple contact.
Sabine revint alors, une tasse de thé à la main, accompagnée par Tom qui semblait avoir dévalisé la boutique de l'étage inférieur tellement il apportait de gourmandises en tout genre.
La table basse fut rapidement remplie, mais personne n'y toucha. Alya essaya de faire manger Marinette, qui n'affichait toujours aucune réaction, mais la jeune fille ne semblait que peu réceptive à l'odeur sucrée des gâteaux.
La jeune métisse regarda successivement les parents de son amie. Tous les trois étaient dans l'incompréhension, et ne savait pas quoi faire. Quand un léger mouvement à la périphérie du champ de vision de la jeune fille attira son attention. Un clignement de paupière. Marinette avait bougé.
Elle battit une deuxième fois des paupières, puis prononça son premier mot depuis l'annonce d'Adrien.
— Ladybug...
— Marinette ! Tu m'entends ? Est-ce que ça va ?
Ses yeux semblaient se raccrocher à la réalité. On voyait presque la mise au point se faire sur ce qui l'entourait. Ses parents, Manon, Alya, la table couverte de gâteaux. Et puis, son cerveau se remit en marche. Le parc, Adrien, sa déclaration, Ladybug. Ladybug... Ladybug !
Marinette éclata de rire, rire qui ressemblait étrangement à un sanglot. Adrien était amoureux de Ladybug. Il était amoureux d'elle. Mais il ne le saurait jamais. Elle ne pourrait jamais lui dire. Adrien resterait à jamais inaccessible pour elle. Et elle inaccessible pour lui.
Rassuré quant à la santé mentale de sa fille, Tom se permit d'attraper une de ses préparations. Sa femme lui lança un regard exaspéré.
— Bah quoi ? Elle va s'en remettre, on a tous déjà eu un chagrin d'amour !
— Parle pour toi ! rétorqua-t-elle.
Il lui jeta un regard surpris, mais ne répondit rien. À la place, il prit un autre gâteau.
Marinette s'était calmée. Alya, à côté d'elle, lui massait le dos, alors que Manon lui tenait toujours la main.
Soudain, la jeune fille se leva d'un bond. Elle se dégagea, attrapa une pâtisserie, puis deux, puis trois. Elle but d'une traite le thé que lui avait apporté sa mère, se brûla la gorge, et se rassit en toussant.
Une tempête faisait rage dans le cerveau de Marinette. Des pensées s'entrechoquaient violemment, tandis que des idées étaient arrachées à la logique habituelle de la jeune fille pour disparaître dans un maelström d'imbécilités.
Adrien était amoureux de Ladybug. La situation était tellement improbable qu'il valait probablement mieux en rire, mais c'était trop dur pour le moment. L'envie de suicider lui traversa l'esprit, mais elle l'attrapa, en fit une boule, et la détruisit. Idée débile. Elle était triste, mais ce n'était pas une raison.
— Marinette, tu vas bien ?
De nouveau Alya qui, n'ayant pas eu de réponse à sa question, s'inquiétait toujours.
— Euh... Oui, je... suppose ?
— Bon, écoute. J'imagine que ça doit être dur pour toi, comme situation. Mais t'es pas toute seule, d'accord ? On est tous là pour toi.
— Merci, Alya.
Marinette eut un faible sourire. Dure, la situation ? Elle n'était pas dure, elle était tellement ironique ! L'amour impossible était un concept récurrent en fiction, mais là, on atteignait un certain point. Elle savait que devenir Ladybug n'était pas une bonne idée, au final. Détrônée en amour par son alter-égo.
Alya, jugeant que la situation – et la jeune fille – s'était stabilisée, décida de rentrer. On était dimanche et l'après-midi était déjà bien avancée. Elle partit donc en assurant à son amie que, si cette dernière avait besoin de quoi que ce soit, elle n'hésite surtout pas à l'appeler, et qu'elles se voyaient le lendemain, au collège.
▬ ▬ ▬
Avant de partir, Manon fit un gros câlin à Marinette. Sa mère la remercia pour la garde, et Marinette se retrouva en tête à tête avec ses parents.
— Je comprends tout à fait que tu ne souhaites pas en parler, commença son père. Mais ton amie Alya a raison. Si tu as besoin, on est là pour toi.
— Merci papa. Je vous aime fort, tous les deux.
La soirée se déroula néanmoins dans le silence, et Marinette s'effondra dans son lit juste après le repas.
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