Dans la mer de flammes, Mélodie affronta Alice avec ardeur, ne parvenant pas à créer une ouverture dans sa garde. Même en l'attaquant de tous les côtés à la fois, Alice ne montrait pas le moindre signe de faiblesse.

– Je n'ose pas imaginer l'entraînement que tu suis pour arriver à ce niveau là... reconnut Mélodie.

– On peut dire que j'ai eu des siècles pour devenir forte...

Alice s'apprêta à lui foncer dessus, mais elle sentit une violente douleur quand des lames sortirent du sol et transpercèrent ses pieds. Immobilisée, elle para difficilement les attaques de Mélodie.

– Désolée, mais je n'ai pas de temps à perdre avec toi !

Mélodie transperça la poitrine d'Alice, puis exécuta une pirouette pour la décapiter. Alors que le corps de son adversaire s'écroulait, Mélodie se retourna et fixa le ciel.

– Bon, et maintenant, comment je fait pour le rejoindre ?

– Je n'aime pas quand on m'ignore...

Un frisson parcourut Mélodie alors qu'elle sentit une violente pulsion meurtrière monter derrière elle. Abasourdie, la capitaine bloqua de justesse une attaque qui la fit reculer. Devant elle se dressait Alice, indemne. Elle n'avait pas une seule blessure et le sang qui coulait à flot un instant plus tôt avait disparu. La seule preuve de l'attaque que lui avait porté Mélodie fut le trou dans les vêtements de la combattante.

– Mais comment ? Je t'avais même tranché la tête ! Comment peux-tu...

– Juste pour que tu saches, ton coup ne manquait pas de détermination, il aurait pu tuer un dieu. Si tu n'as pas réussi à m'éliminer, c'est parce que rien ne peut me tuer.

Alice se jeta sur Mélodie, enchaînant plusieurs attaques sans se soucier de sa défense. Mélodie porta quelques ripostes, mais les plaies se refermèrent aussi vite qu'elles s'étaient ouvertes. Elle lui trancha le bras, mais il se recolla presque instantanément, résorbant même le sang qui avait jailli de cette entaille.

– On a tenté plusieurs moyens pour me tuer... Crucifixion, noyade, bûcher, décapitation... Même les armes et les sorts qui permettent de tuer les immortels ne me font rien. Le temps non plus ne semble pas pouvoir avoir raison de moi. J'ai cessé de vieillir en atteignant mes vingt ans, il y a cinq milles ans... Mes parents avaient rapidement découvert mon pouvoir car j'ai eu un accident peu de temps après ma naissance. J'aurais du en mourir, paraît-il, mais je m'en étais sortie sans une seule blessure. Au lieu d'être ravi de voir leur enfant sain et sauf, mes parents étaient horrifiés et ils m'ont traitée comme un monstre. Depuis que j'avais l'âge de raison, je n'ai connu que mépris et dégoût de la part de ceux qui auraient du m'aimer. Et ils n'étaient pas les seuls à me voir comme une abomination. Les cinquante premières années de ma vie, je n'ai connu que douleur alors qu'on me torturait pour savoir quelles étaient mes limites. J'ai fini par m'échapper et je me suis cachée. Malheureusement, mon supplice reprenait toujours au bout de quelques années d'errance, car les gens qui recherchent l'immortalité et ceux qui veulent la détruire sont prêts à aller jusqu'au bout du monde pour la trouver. Pendant cinq millénaires, je n'ai rien fait d'autre que me cacher et souffrir. Quand le monde a découvert l'arme atomique, certains pays ont prétexté des essais nucléaires pour vérifier si ça pouvait marcher sur moi, et il ne m'a fallut que quelques secondes pour guérir des cancers que ces explosions m'avaient donné.

Mélodie recula, ne sachant pas comment l'arrêter.

– Le plus drôle dans cette histoire, c'est que je ne savais pas comment j'avais obtenu ce pouvoir, et les centaines de mages, de scientifiques, d'alchimistes, et je ne sais plus quoi d'autre qui ont tenté de le découvrir ne trouvaient jamais rien, même en répétant encore et encore les expériences les plus horribles qui soient. Tout le monde m'a toujours traitée comme un objet, une chose qui ne méritait pas d'exister si ce n'était pas pour assouvir leurs désirs. Tout le monde, sauf lui !

À cet instant, un sourire se dessina enfin sur le visage d'Alice. Un rictus qui fit frissonner Mélodie tant il contrastait avec le manque d'émotions qui habitait normalement l'immortelle.

– J'ai rencontré le maître il y a à peu près un mois et j'ai su qu'il était différent des autres ! Je l'ai vu massacrer un village entier juste parce qu'il désirait mettre la main sur le trésor que les habitants protégeaient ! Puis, quand il a réalisé que ce n'était pas un des objets qu'il recherchait, il l'a brisé sous les yeux du chef du village avant de le tuer. Je m'étais cachée pas loin de ce village, alors j'avais pu tout voir. J'ai essayé de m'enfuir, mais il m'a retrouvée sans mal. Son sourire était de loin plus cruel et ses yeux plus impitoyables que ceux de toutes les personnes qui m'ont fait souffrir. Il s'est apprêté à me tuer, mais il a hésité. J'ai pu voir dans son regard qu'il ne voyait aucune peur dans le mien. Je ne craignais pas la mort, et même chose pour la douleur.

– Et alors quoi, il t'a épargnée ?

– Non, il a d'abord arraché ma colonne vertébrale, juste par principe... Quand il m'a vue me relever, il m'a décapitée... Ensuite, il m'a démembrée, puis éparpillé les morceaux aux quatre coins du monde... Il avait gardé ma tête pour voir ma réaction quand mes membres m'ont retrouvée au bout de quelques heures... Puis, plus rien... Après ça, il ne m'a plus jamais torturé et il n'a plus jamais tenté de me tuer. Il m'a alors fait une proposition: le servir et regarder le monde brûler de mes mains en rétribution pour ce qu'il m'a fait. En acceptant, j'ai cessé de souffrir, et c'est à présent moi qui montre aux gens ce qu'est la douleur !

– Décidément, vous faites la paire, tous les deux ! Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre ! Vous formez un joli couple de tarés !

Mélodie esquiva de peu une attaque furieuse d'Alice. Elle posa sur le capitaine un regard haineux.

– N'insulte pas le maître, traînée... Il est le seul qui me voit comme un être vivant, alors qu'il est l'être le plus cruel qui soit... Quand je le vois, je n'ai plus l'impression d'être celle qui ne devrait pas exister... C'est ce monde qui est dans le tort ! Vous portez tous un masque d'hypocrisie, vous dites que vous tendez la main vers les autres, mais ceux qui sont différents sont exclus ! Ce monde de mensonges n'est qu'injustice, il ne mérite pas d'exister ! Maître Corvus va purifier ce monde et lui permettre de devenir le paradis sanglant où plus personne n'aura à mentir et pourra assouvir tous leurs désirs sans retenue ! Tout ceux qui cherchent à l'en empêcher doivent...

Il y eu une explosion de débris, de flammes et de poussière alors que quelque chose percuta le sol là où se trouvait Alice. Mélodie leva les yeux et vit l'Aube Argentée voler au dessus d'elle. Rust se leva lentement et fixa Mélodie.

– Salut, je suis venue te donner un coup de main !

– Heu... Lisa... Qu'est-ce que tu fous là, au juste ?

– Bah, en fait, quand on a appris que les autres arrivaient pour nous aider, j'ai décidé de monter à bord pour mettre mon armure ! Puis, Lucie a dit que tu avais du mal à éliminer la subordonnée de Corvus, alors j'ai demandé à Cap de survoler l'endroit où tu étais et j'ai sauté ! Au fait, elle est où ?

Mélodie pointa du doigt la flaque de sang dans laquelle marchait Lisa. Le liquide semblait se concentrer en un point précis et Lisa hurla de terreur quand elle réalisa que ce qui dépassait de sous ses pieds continuait de gesticuler.

– Mais c'est quoi cette horreur ? s'écria la mécanicienne alors qu'Alice se relevait péniblement.

– Ça, c'est la sociopathe immortelle qui sert Corvus... D'après ce que j'ai compris, je pense que même Dark n'arrivera pas à la tuer...

– Sérieux ? Et tu as un plan pour la neutraliser ?

– Ça dépend, est-ce que t'as un trou noir dans lequel on pourrait la balancer ?

– Pas sur moi, non...

– Bon, ben dans ce cas, il n'y a pas trente-six solutions ! On va la cogner jusqu'à ce qu'elle arrête de se relever ! J'aurais bien besoin de ton aide pour ça !

– Pas de problème, j'aime bien ce plan !

– Parce que vous croyez avoir plus de chances à deux ? demanda Alice qui venait de finir de se régénérer.

– Tu feras moins la maligne quand on aura broyé toutes tes articulations ! grogna Rust en serrant ses poings.

***

Un instant plus tôt, Dark et Corvus étaient encore en train de se battre en combat singulier. Aucun d'entre eux ne semblait prendre le dessus dans ce combat apocalyptique.

– Est-ce vraiment tout ce dont tu es capable ? demanda Corvus en ricanant. Tu n'aurais jamais du laisser Mélodie Hawk brider tes pouvoirs, car tu ne peux pas employer ton plein potentiel !

– C'est moi qui lui a demandé de faire ça ! Si elle ne l'avait pas fait, je serais devenu un monstre comme toi !

– C'est moi, le monstre ? Ne me fais pas rire ! Tu protèges un monde rempli d'individus qui font perpétuellement le mauvais choix ! Cette société créait des monstres par centaines, j'essaye juste de l'arrêter !

– Redis moi ça sans le sourire sadique et peut être que je te prendrais au sérieux !

Corvus fut alors touché par un tir et Dark se tourna vers le vaisseau qui approchait.

– Bien joué, Snipe, en plein dans le mille ! s'écria Cap à travers le système de communication du vaisseau. Continue comme ça !

– Graaah ! lâcha Ébène sur son épaule en battant furieusement des ailes.

Les canons de l'Aube firent tous feu sur Corvus qui esquiva facilement les projectiles.

– C'est inutile, ce n'est pas avec quelque chose comme ça que...

Il se tut quand il sentit une présence derrière lui et dévia la lance d'Athéna qui volait sur le dos d'une chouette géante.

– Penses-tu pouvoir tous nous affronter en même temps ? demanda la déesse.

– Athé, ne fais pas ça ! hurla Dark. Enfuis toi avec les autres, vous n'avez pas la moindre idée de qui vous affrontez !

– Parce que tu crois qu'on va te laisser avoir le beau rôle ? grommela Cap. C'est toujours toi qui prend tous les risques, alors c'est à nous de t'aider pour une fois !

Corvus para chaque coups d'Athéna alors que les tirs s'intensifiaient. Dark tenta de s'approcher, mais les efforts de ses compagnons pour l'aider l'en empêcha.

– Vous êtes bien gênants, pour des insectes... soupira Corvus.

Athéna parvint à sectionner une des ailes de Corvus et il perdit l'équilibre.

– Maintenant !

La déesse recula et chargea son pouvoir divin dans la pointe de sa lance. Snipe redirigea toute l'énergie disponible dans le canon principal pour porter une attaque décisive. Corvus tombait lentement, cerné par les mercenaires.

– Feu !

Les deux tirs touchèrent leur cible en créant une déflagration qui souffla une partie de l'incendie en dessous d'eux. Les soldats regardèrent la scène avec horreur alors que les mercenaires se réjouirent de cet exploit. Seuls Dark et Mélodie ne semblaient pas fêter l'événement. Alice, quand à elle, ne s'inquiéta pas

– Tu vois ça, Dark ? T'es pas le seul qui arrive à...

– Ça fait mal, moucherons...

Choqué, Cap se tut et fixa le nuage de fumée. Peu à peu se dessina la figure d'un homme ailé. Il avait de longs cheveux noirs qui flottaient dans le vent, des griffes à la place des mains et des pieds, et un masque noir aux allures de corbeau. Cette scène était effrayamment familière pour les mercenaires.