Dans l'Aube Argentée, les esprits commençaient à chauffer.

– Fléau est ici ? s'inquiéta Lisa. Et il vous a dit qu'il les avait capturées ?

– L'enfoiré ! hurla Cap. Attendez un peu que je le trouve, cet enfoiré !

– Calmes toi, conseilla Athéna. Je te rappelle qu'on ne peut pas s'attaquer à eux comme ça, ils sont employés par les Lisoras. À la moindre erreur, on deviendra leur ennemi, alors nous devons agir prudemment.

– Tu veux que je me calme ? Comment peux tu rester aussi impassible ?

– J'ai l'air calme, selon toi ?

Athéna leva une main dans laquelle se trouvait les restes d'un gobelet de fer qu'elle était en train de tenir quand ses compagnons lui avaient exposé les faits. En voyant cela, Cap constata que son visage impassible n'était encore une fois qu'une façade.

– Je comprends ce que vous ressentez tous, mais si on s'y prend mal, ce sont Sophie et Lucie qui en feront les frais, expliqua la déesse. Alors nous n'avons pas d'autres choix que d'attendre Mélodie et Dark.

– Moi, je voudrais savoir où ils sont partis, c'est deux là... se demanda Théo à haute voix.

– C'est pourtant évident ! s'écria Lisa. Dans cette ville, il n'y a qu'une personne qui pourrait vraiment être de notre coté !

– Ouais, pourrait... Je te rappelle que le dernier Roi que Dark a rencontré l'a foudroyé, et ce n'était pas un pirate...

***

– Alors c'est là qu'il est ?

Après avoir rencontré les sous fifres de Jaws au port, Dark et Mélodie avaient appris que ce dernier était allé en ville afin de s'amuser avec quelques lieutenants. Guidé par un des pirates, ils étaient arrivés à l'entrée d'un des casinos de Triliana. Sachant qui étaient les propriétaires, Mélodie hésitait à en passer le seuil.

– Ne t'inquiètes pas, on va entrer ici comme des clients normaux, alors les Lisoras n'auront aucune raison de s'en prendre à nous, même s'ils nous reconnaissent...

– J'espère que tu dis vrai, car tu leur as laissé un message très clair en sortant de chez eux...

– C'est vrai, mais bon, c'est pas comme si on avait le choix maintenant... soupira Dark.

Ils entrèrent en restant sur leurs gardes. Ils ne furent pas pris en embuscade par des vampires, une bonne nouvelle qui fut bien accueillie après une journée passée à rencontrer les êtres de la nuit les moins recommandables de la ville. Autour d'eux, il n'y avait que des parieurs fortunés et des serveurs qui courraient dans tous les sens. Personne ne leur prêta attention dans cette foule.

– Génial, comment sommes-nous supposés le retrouver dans tout ce monde ? se morfondit Mélodie.

– Ne t'inquiètes pas, un Roi peut en reconnaître un autre. Il suffit que je le vois pour savoir qui il est. Quant à toi, garde les yeux ouverts et dis moi si tu vois quelqu'un qui me dévisage bizarrement.

– Quoi, comme toutes les personnes à qui tu as jamais adressé la parole ?

– Essaye de faire un tri alors...

En s'enfonçant dans le bâtiment, ils se retrouvèrent dans un espace plus calme où se rendaient les habitués. Ici, le casino ressemblait un peu plus à un cabaret.

– Je ne crois pas que les Lisoras ont engagé Jaws pour danser, Dark... Et puis, tu n'avais pas dit que ce coup ci, on allait tomber sur un homme ?

– Nous sommes en territoire ennemi, nous devons surveiller les environs...

– Alors arrêtes de surveiller les strip-teaseuses et concentre toi !

Soudain, ils se heurtèrent à un mur de muscles. En levant les yeux, ils pouvaient distinguer des mines patibulaires.

– Désolé, ceci est le carré VIP, personne n'est autorisé à passer sans autorisation.

– Je comprends, si je vois quelqu'un qui n'en a pas,je vous ferais signe...

L'un des colosses attrapa Dark par le col, le souleva sans mal et le reposa devant lui.

– Puis-je voir votre autorisation ? demanda-t-il avec patience.

– Vous savez, c'est drôle, mais je l'ai prêté à un ami qui se trouve déjà à l'intérieur, alors...

Cette fois ci, un bras l'empêcha d'avancer.

– Désolé, sans autorisation, vous ne pouvez pas passer.

Dark dévisagea la montagne et réprima son envie de lui montrer quel genre d'autorisation utilisaient les êtres des ténèbres d'habitude. La perspective d'attirer encore plus l'attention des Lisoras n'était pas alléchante.

– Tant pis ! se morfondit-il en faisant demi-tour. Ce sera pour la prochaine fois, alors !

Perplexe, Mélodie emboîta le pas au Roi, entendant les vigiles derrière eux ricaner. Elle savait que cela n'avait pas échappé à Dark, dont l'ouïe était sur-développée.

– Je suis ravie de te voir garder ton calme pour une fois, mais on a vraiment besoin de passer ! Il n'est pas dans le reste du casino, alors il doit être là-bas !

– Ne t'en fais pas, je sais comment faire... J'ai vu qu'il y a un système d'aération dans le coin, alors il doit être relié à un autre dans le coin VIP.

Il s'arrêta dans un endroit à l'abri des regards face à l'objet en question.

– Super, et ça nous avance à quoi tout ça ?

Dark se changea soudain en une brume noire qui enveloppa entièrement Mélodie avant qu'elle n'eut le temps de dire quoi que ce soit. Le nuage se faufila alors dans le système d'aération et réapparu loin derrière les vigiles. Mélodie en sortit alors en titubant.

– Y a pas à dire, c'est quand même plus marrant de faire ça avec une femme ! ricana Dark en reprenant une apparence humaine.

– Ne refais plus jamais ça sans me demander avant ! pesta Mélodie en cherchant à ne pas se faire entendre par les gorilles.

Sa tête tournait, et une sensation de vide la pressait dans sa poitrine. Être plongée dans les ténèbres sans préparation était une expérience des plus déplaisantes.

– Allons-y, on ferait mieux de ne plus être ici quand ils feront leur ronde...

Sans un mot, Mélodie suivit son compagnon dans une large salle à peine éclairée où le seul son audible était celui de la musique étouffée qui était jouée dans l'autre pièce. Ici se trouvaient le genre de joueurs sérieux qui avaient l'habitude de jouer des choses plus précieuses que de l'argent, et parfois moins humaines, ou bien alors trop.

– Superbe ambiance... grommela Dark en évitant de croiser les regards discrets qui se posaient sur eux.

Mélodie s'apprêta à lui dire qu'ils feraient mieux de partir quand il s'avança soudain d'un pas assuré vers une table éloignée. Il s'arrêta derrière un large fauteuil qui dissimulait l'apparence de son occupant.

– Jaws, n'est ce pas ? Nous avons besoin de parler...

Un de ses hommes se leva, mais se rassit soudain envoyant le regard de son capitaine.

– C'est drôle, j'avais très envie de te rencontrer !

Surpris par la voix de qu'elle venait d'entendre, Mélodie ne put cacher son étonnement en voyant la tête d'un enfant avec un collier orné de dents de requin autour du cou dépasser du fauteuil.

– Ouais, c'est bien moi Jaws ! annonça-t-il. Alors, qu'est ce que je peux faire pour vous deux ?

***

Les oreilles bourdonnants encore, Al et Zac quittèrent la demeure des Canire. Le rire de Reys était encore plus bruyant que lorsqu'il avait rencontré Dark. Il fut ravi d'entendre quelle fut la réponse de Mélodie, et avait aimé l'audace dont elle avait fait preuve en l'ordonnant de l'aider. De plus, la perspective de retirer un atout du jeu des Lisoras était une raison suffisante pour lui de les aider. Fenris, en revanche, n'était toujours pas devenu plus amical.

– La prochaine fois, laissons Dark discuter avec eux... marmonna Al. J'ai bien cru qu'il allait nous sauter à la gorge en entendant notre requête !

– Encore une chance que son père a un sens de l'humour tordu ! Par contre, je n'ai pas vraiment envie de découvrir à quel point...

– Tu l'as dit !

Ils tournèrent à un coin de rue et se figèrent envoyant une scène qui leur glaça le sang. L'une des maisons avait été réduite en cendres, et au milieu de ces décombres se dressaient cinq immenses croix noircies par des flammes. À celles-ci étaient enchaînés des cadavres, dont deux qui ne pouvaient être que des enfants.

– Mais bordel, qu'est-ce...

– Tu la boucles et tu continues de marcher ! ordonna Zac en attrapant le bras du cuisinier pour le traîner après lui. Et ne croises pas le regard des locaux !

– Attends, on ne peut pas juste... Tu ne veux pas savoir...

– Bien sûr que non, putain ! J'ai vu ça trop souvent quand j'étais dans l'armée ! Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais cette famille a été massacrée rien que pour servir d'exemple ! Leurs voisins vont préférer se tailler eux-même les vaines plutôt que nous parler ! Pire, ils risquent de signaler aux monstres coupables de cette boucherie qu'on s'est montrés curieux ! Je n'ai pas envie de mettre les autres encore plus dans la merde parce qu'on a fourré notre nez dans les affaires des Canire et des Lisoras !

– T'es sûr que c'est eux qui ont fait ça ? demanda Al en se forçant pour ne pas fixer les fenêtres où il était persuadé d'avoir vu des mouvements.

Zac s'arrêta soudainement et agrippa le col d'Al pour amener son visage à quelques centimètres du sien.

– Tu crois vraiment que quelqu'un serait assez con pour laisser un tel message sur le territoire de deux des familles les plus dangereuses du monde ? Je sais qu'il y a quelqu'un d'autre en ville qui cherche la même chose que les Canire et les Lisoras, mais je sens que leur anonymat est leur meilleur avantage ! Prendre le risque d'être découvert en se donnant ainsi en spectacle ne leur servirait à rien !

Al bafouilla, réalisant juste combien vivre à Triliana, à la merci des Canire et des Lisoras pouvait être dangereux pour de simples mortels. Du coin de l'œil, il vit un visage les scruter. Il n'osa pas se tourner vers la femme qui les espionnait, craignant ce qui pourrait arriver. Le cuisinier put cependant lire une quiétude sans nom dans ses yeux. Le genre de calme qui n'existe pas quand on est rassuré, mais qui naît d'une terreur si intense que toute autre émotion est annihilée. Les habitants de cette ville étaient tellement habitués à vivre dans la peur qu'ils n'étaient plus capables de le montrer. Cette réalisation fit trembler Al.

– Allez, viens... soupira Zac qui avait remarqué la même chose. Rester ici ne nous servira à rien...

Al hocha la tête, dépité, avant de suivre le second de l'équipage.