Dans l'obscurité de la nuit, une scène encore jamais vue se déroulait à Triliana. Victorieux d'un combat dont dépendait l'avenir du monde,pirates, vampires et loup-garous firent la fête sans se soucier de l'identité de la personne avec qui ils trinquaient. Pour la première fois jamais, les Lisoras et les Canire rirent ensemble tout en n'essayant pas de s'entre tuer. L'ambiance était particulièrement festive grâce à la présence des pirates, maître des flots et des soirées où l'alcool coule à flot.

À travers une des rares fenêtres de l'Aube argentée qui donnait sur l'extérieur, Fenris observa ce qui se passait, sans oser y croire.

–Moi qui pensais que nos deux peuples se haïraient jusqu'à la fin des temps... Je vois mes hommes ivres et joyeux aux côtés de Lisoras qui n'en profitent pas pour les égorger... J'en ai même vu un aider un des miens à sortir d'un tonneau plein dans lequel il était tombé !

–On ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve, pas vrai ?

Fenris se retourna. Depuis qu'il était arrivé à bord, une heure plus tôt,ses trois gardes du corps ne l'avaient pas lâché, tout comme Zac qui le gardait à l'œil, ordre de son capitaine. Comme à son habitude, il était sobre et était au garde à vous.

– Vous ne semblez pas apprécier ce moment de gloire, mercenaire...

–Tout comme vous, il me semble...

–Mon père est mort hier, et son assassin est hors de ma portée à cause de votre ami... grommela Fenris en se détournant. Je ne pense pas que m'amuser redeviendra une option un jour...

Tout en soupirant, Zac s'approcha de la fenêtre et scruta le ciel obscur étincelant d'étoiles.

–Hier, c'était ce que je m'était dis, aussi... Aujourd'hui, je me pose parfois la question pour ensuite vouloir éclater de rire sans savoir pourquoi la seconde d'après... Demain, qui sait ?

Fenris regarda Zac, intrigué.

–Vous aussi, vous avez perdu quelqu'un de proche ?

–Comme presque tout le monde à bord de ce navire... Je ne vais pas vous dire que tout ira bien, parce que vous êtes la seule personne qui peut décider si ce sera le cas ou non. À quoi bon passer son temps à haïr quelqu'un si on ne peut pas se venger ?

Fenris explosa alors de colère.

–Alors quoi ? Vous me conseillez d'abandonner ma haine et de refaire ma vie ? Si vous aviez vraiment vécu la même chose que moi, vous...

Il se tut en voyant le regard noir qu'arborait Zac.

–Est-ce que j'ai dit qu'il fallait arrêter de haïr ? Non, je dis juste qu'une personne qui ne vit que pour la haine n'arrive jamais à se venger. La plupart du temps, une seule et unique occasion de se venger ne se présentera jamais, mais elle ne vous servirai à rien si votre haine vous a déjà consumé ce jour là. Votre vie n'a pas pris fin, c'est juste qu'elle ne sera plus jamais la même...

–Alors c'est ce que vous faites ? Vous patientez ?

–L'homme que je veux tuer est aujourd'hui une figure importante d'une armée qui n'a jamais connue la défaite. Je serais mort avant de l'approcher, et les morts ne peuvent pas se venger. Pendant des années, je me suis convaincu que je ne pourrai jamais obtenir ma vengeance... Je sais que ma femme n'aurait jamais voulu que je meurs pour elle, et j'ai encore quelque chose à protéger ici, alors je me suis fait une raison, mais...

Il désigna la foule qui se trouvait plus bas.

–Quand je vois cette scène irréelle et que je pense à la personne qui a déjà accompli plus d'une fois l'impossible comme ici, je me dis que j'ai bien fait de ne pas totalement abandonner ma haine...

–Quelque chose à protéger... marmonna Fenris en observant son clan s'amuser.

Ils se retournèrent quand ils entendirent quelqu'un approcher et virent venir les autres membres de l'équipage, moins Théo et Dark. En comprenant que ce dernier n'avait pas terminé ce qu'il avait commencé, Zac soupira encore.

–Ils y sont encore, alors ?

–Pas que je sache, répondit Mélodie. On leur a laissé une demi-heure et Dark nous a dit de venir à cette heure ci, quoiqu'il arrive.

Ils se rendirent donc ensemble à la salle de réunion principale,suivant les consignes du Roi des Ténèbres. En ouvrant la porte, ils découvrirent Dark, Théo et Millia, exactement là où ils les avaient laissés. Une table avait été déplacée au centre de la salle et les deux êtres surnaturels disputaient une partie d'échec sous le regard médusé du jeune érudit qui n'avait jamais vu de partie aussi intense.

–Alors, qui a le dessus, Théo ? demanda son capitaine.

Le mage adressa à Mel un regard vitreux.

–À ce niveau là, même moi, je ne suis pas sûr de le savoir...

–Je dois admettre que je suis impressionnée... intervint Millia. Je perfectionne ma technique depuis plusieurs siècles, et jamais personne n'a jamais réussi à me tenir tête aussi longtemps. Vous êtes plus doué que vous en avez l'air, monsieur Raven.

Tout en observant un cavalier blanc qu'il était parvenu à prendre, Dark s'adressa aux nouveaux arrivants.

–Mettez vous à l'aise, parce que le vrai spectacle va à présent commencer...

–Quel spectacle ? demanda Lisa en fronçant les sourcils.

–Parce que vous croyez que nous nous sommes réunis pour rire ?

Déstabilisés, tout le monde fixa avec stupeur un écran magique qui venait de se matérialiser sur un mur. Tout le monde excepté Dark. Sans quitter le jeu des yeux, il fit les présentations.

–Mes amis, je vous présente le haut conseil de Séveria. Ce sont les têtes pensantes de leur monde. J'ai organisé une petite entrevue avec eux...

–Le fait que vous nous avez envoyé une lettre de menace tout en démolissant un de nos monuments historiques les plus précieux nous a convaincu d'écouter ce que vous aviez à dire...

Alors que plusieurs personnes dans ce monde posaient des regards qui étaient soit noirs, soit amusés sur Dark, l'intéressé bougea une pièce, rappelant à Millia que la partie était encore en cours.

–Je voulais être sûr d'avoir votre attention... Si je désirais vous parler, c'était pour aborder le sujet de votre reddition...

–Comment ça, notre reddition ?

Sous le regard pétrifié de tout son auditoire, Dark continua son discours.

–En plus de cela, vous me ferez le plaisir de cesser d'espionner ce monde et vous ne tenterez plus jamais de nous envahir, est-ce bien clair ?

–Mais pour qui vous vous prenez ? explosa un membre du conseil. Vous nous imposez des conditions, sans raison, et vous pensez que nous allons vous obéir ? Vous devez être désespéré, ma parole ! Vous avez fini par comprendre que...

Il s'arrêta net quand Dark leva une main à la vue de tous. Il tenait un carnet.

–J'ai trouvé ceci sur un de vos morts... D'après ce que j'ai pu en lire, il faisait parti de ceux qui savaient pour la libération de Merzek... Il était très paranoïaque, alors il avait consigné toutes ses activités, ainsi que celle de ses associés. Il y a beaucoup de noms dedans, dont un certain Ylo Milin...

Un des conseillers commença à tousser nerveusement mais ses confrères n'étaient pas particulièrement rassurés.

–Vous avez été élus à vos postes actuels, n'est-ce pas ? Je me permet donc de vous rassurer : si je rend cette liste publique pour votre peuple, il n'y aura pas besoin de nouvelles élections. Cependant, ce sera parce que votre système politique tout entier s'écroulerait si je le faisais. Votre système financier aussi, d'ailleurs. Les têtes ne cesseraient jamais de rouler si une seule page venait à m'échapper, car tout finirai par s'effondrer, tel un château de cartes...

–Ce carnet ne peut pas exister ! On a tenu votre monde à l'œil, nous ne vous jamais vu approcher...

La voix du membre du conseil commença à perdre en force alors qu'il se souvenait de quelque chose.

–Je suppose que vous vous rappelez des petits problèmes que vous avez rencontré il y a à peu près vingt-quatre heures ? Je me suis arrangé pour que vous ne puissiez plus voir ce qui se passait dans ce monde par magie. Mon sort a tenu jusqu'à ce que mon duel avec Merzek commence...

Sacré coïncidence... pensèrent en cœur ses compagnons qui voyaient à la tête que faisaient les séveriens qu'ils n'avaient rien manqué de ce combat.

–D'ailleurs, en parlant de Merzek, le sort qui le rend impuissant ne restera actif qu'aussi longtemps que je le désire... Si je le désactive, vous savez très exactement quel sera son premier arrêt dans son plan de vengeance...

À cet instant précis, les membres du conseil regrettèrent d'avoir investi autant de temps et de moyens pour obtenir leurs postes. S'ils avaient su qu'un tel jour devait arriver, ils ne seraient pas devenus des crapules pour mettre la main sur le pouvoir.