Chapitre 2: Le sourire obscur (Partie 1)
Réscaf, une ville édifiée au cours des dernières décennies de chaos et de violence, fut bâtie de telle manière à repousser les folies du monde extérieur. Un imposant mur encerclait cette cité, si haut qu'aucun géant ne pouvait le gravir et si épais que nulle arme pouvait entamer sa résistance.
Cette défense était ornée d'imposants symboles, non pas comme démonstration de la force de Réscaf dans une époque si troublée, mais afin d'empêcher l'usage de la magie pour y pénétrer illégalement et repousser tout démons et autres créatures.
Magiciens et autres spécialistes des arcanes mystiques étaient les bienvenus en ville, mais ils devaient comme tous les autres visiteurs passer un contrôle qui, dans leur cas, était plus strict au vu de la menace potentielle qu'ils représentaient. C'était d'ailleurs le problème que rencontrait l'équipage de l'Aube Argentée.
– Et vous êtes sûre que vous n'avez rien à déclarer ? questionna le chef de la garde de la porte ouest.
Son interlocutrice laissa s'échapper un soupir. Elle avait l'habitude de ce genre d'individus. La protection des portes de villes comme Réscaf était souvent laissée aux mains de personnes dont la sécurité de la ville était le dernier de leurs soucis. Leurs seules motivations était de voir le visage ennuyé de ceux qu'ils importunaient et la perspective de pouvoir arrondir leur fin de mois en se montrant déraisonnablement pénibles.
– Évidemment, affirma-t-elle en glissant une petite liasse de billets sous le registre des passages de manière plus ou moins discrète. Nous ne désirons aucun ennui en ville, nous n'allons pas en créer nous-même, n'est-ce pas ?
Cette dernière partie fut adressée aux membres de son équipage qui semblaient soudainement très intéressés par la forme fort particulière des nuages qui parcouraient le ciel aujourd'hui.
– Très bien, lâcha le garde après avoir pu observé toute l'étendue de la bonne foi du capitaine avant de la ranger dans sa poche. Votre vaisseau pourra s'arrimer au quai cinq, plus au nord. Vous pourrez y charger toutes les marchandises que vous achèterez. Tâchez tout de même à ne pas vous faire trop remarquer, capitaine Hawk.
– Nous ferons très attention, croyez-moi... répondit-elle d'un ton menaçant qui ne semblait pas cibler le garde bien qu'elle continuât de le fixer.
Elle commença à s'éloigner lorsqu'elle fut retenue par le garde qui s'approcha. Elle eut envie de vomir en reconnaissant l'éclat qui brillait dans ses yeux, celui des personnes qui pensaient que tenter leur chance quand tout indiquait que c'était peine perdue pouvait leur donner ce qu'ils voulaient.
– Sinon, amorça-t-il avec un léger sourire, je pourrais vous faire visiter la ville plus tard, juste vous et moi. Je connais de très...
Il s'arrêta net lorsqu'il vit que les hommes de l'équipage commençaient à grimacer tout en faisant un pas en arrière, tandis que les femmes le regardaient avec un air amusé, comme si quelque chose de fort distrayant allait avoir lieu. Il commença à comprendre de quoi il en retournait lorsqu'il sentit quelque chose de pointu se presser sur son ventre. Hawk s'approcha lentement de son oreille avant de murmurer le meilleur avertissement qu'il aura jamais entendu.
– Finissez donc votre phrase, juste pour voir.
Il recula précipitamment en bafouillant qu'il plaisantait et leur souhaitait un agréable séjour. L'équipage s'éloigna donc dans un silence rompu uniquement par quelques ricanements discrets.
– Je savais que c'était un marrant, celui là ! s'exclama une jeune fille. J'ai adoré comment tu l'as envoyé balader, Mel !
– J'aurais préféré qu'il se tienne à carreau, celui-là, Lisa... soupira la capitaine. Enfin, ça m'a facilité la tâche qu'il soit aussi collant...
Le capitaine sortit une liasse de billets de sa poche et les compta. Elle n'était même pas entrée dans la ville, et elle était déjà un peu plus riche.
Le sourire aux lèvres, le groupe s'éclipsa en direction de leur vaisseau pour entrer en ville.
***
– Encore une assiette pour la douze !
Le restaurant de La fourchette de Léon était, comme à son habitude, bondé de monde. Il ne s'agissait peut être pas du meilleur restaurant de Réscaf, et certainement pas le plus aux normes au niveau de l'hygiène, mais il avait tout de même la réputation d'avoir une bonne ambiance et un personnel tout à fait charmant, sans oublier des prix plus que corrects.
Aujourd'hui s'annonçait comme une bonne journée, car un client qui s'était comme matérialisé à une table n'avait de cesse de commander des plats. Ayant déjà fait le tour du menu et de la carte des vins, il se contentait de laisser le choix des plats suivants au cuisinier.
Il avait dévoré plusieurs steaks de grizzly-tigres dont la chair était dure à mâcher. Il n'avait fait qu'une bouchée des laitues arc-en-ciel dont chaque feuille avait un goût différent selon sa couleur. Il n'eut aucune pitié envers la tourte de champignons de braise et de vache des glaces dont le mariage des températures laissait tout le monde sans voix. Les serveurs furent surpris de voir quelqu'un encore debout après quatre assiettes de la Spécialité Verdoyante du Chef qui en avait terrassé plus d'un après quelques bouchées.
– J'y crois pas, c'est un trou noir son bide ou quoi ? s'écria le chef.
– Même un trou noir aurait besoin d'aller passer quelques jours aux toilettes après quatre SVC ! Ce qu'on a là est hors catégorie !
– Amène lui donc un cinquième et fait le passer à la caisse ! S'il continue comme ça, on sera incapable de servir les autres clients !
Le serveur s'exécuta et amena cet ultime plat à la table douze, la plus reculée du restaurant.
– Le pauvre, murmura le serveur en se frayant un passage à travers la clientèle. Avec ce qu'il a bu et mangé, il aura du mal à marcher, ce sera dur pour lui de se faufiler à travers les clients. Le porte-feuille vide, en plus !
Cette particularité était un des atouts de cet établissement. Il y avait tellement d'habitués qu'il était dur de partir sans être repéré. Tous les piques-assiettes ne faisaient pas deux pas avant d'être arrêté par une masse imposante et mécontente de voir un individu qui cherchait à voler ce bon vieux Léon. De plus, le patron avait en sa possession une pierre de défense dimensionnelle, un bibelot ayant appartenu à un mage qui n'avait pas pu payer son repas. Il empêchait toute personne d'entrer ou sortir par téléportation, qu'elle soit un fait magique ou psychique. Nul ne pouvait quitter le restaurant sans avoir payé. En théorie.
Tout en se demandant comment ce client avait pu arriver à la table du fond sans se faire remarquer, le serveur s'arrêta devant ce qui pouvait être appelé la Grande Muraille d'Assiettes qui dominait la table douze. Il avait tenté de débarrasser la table au fur et à mesure que le client engloutissait les plats, mais il s'était résigné à les laisser là, car le client en dévorait une dizaine en une seule minute.
– Et voilà, cher client, avec les compliments du chef ! s'exclama le serveur en posant son plat. Je suis par contre au regret de vous dire que nous n'aurons bientôt plus rien en réserve, donc nous sommes contraints de vous demander de partir une fois la note payée.
Le cliquetis de couverts cessa de l'autre coté de la barrière.
– Je comprends, se fit entendre une voix saoule, combien je vous douaaaa aaaa...
Un important éternuement secoua le bâtiment. Le serveur disparut soudainement sous l'avalanche d'assiettes causée par la déflagration. Les clients les plus proches se ruèrent vers ce dernier pour le tirer de là. Une fois sur pied, il put constater que la chaise de l'autre coté de la table était vide. Tous les clients scrutèrent chaque recoin du restaurant, mais ils ne trouvèrent pas le mystérieux homme en noir qui était parti sans payer l'addition.
***
Si le mur de Réscaf n'avait rien de bien attirant, la ville en elle même l'était, avec son air paisible.
À l'abri du chaos du reste du monde, de nombreuses échoppes avaient pu s'y installer, faisant de cette ville une grande plaque tournante du commerce de cette partie du monde. À coté de ces nombreux magasins se formèrent de nombreuses guildes en tout genre, où se réunissaient des spécialistes divers et variés.
La guilde qui intéressait Mélodie Hawk à cet instant précis était la guilde des mercenaires, car l'état actuel des caisses de l'équipage était des plus préoccupant.
– Poua, ça schlingue ! se plaignit une adolescente qui la talonnait. Ils ont trop abusé des parfums, dans le coin !
– Tiens-toi tranquille, Lisa ! Ne nous attire pas d'ennuis ! ordonna son capitaine.
– Trouvons un boulot qui paye bien, parce qu'on est limite, là !
Le jeune homme qui venait de parler répondait au surnom de Cap. Son adresse à la barre lui donna le poste de pilote du navire et sa faculté de toujours maintenir le cap en toute circonstance lui avait valut ce surnom. Cependant, il n'était pas aussi adroit avec les mots qu'il ne l'était dans une cabine de pilotage. Il se passa la main dans ses cheveux blonds et scruta les ruelles sombres de la ville de ses yeux sombres, se méfiant des potentiels bandits qui auraient les yeux plus gros que le ventre. Cap porta sa main à sa ceinture pour vérifier qu'il avait bien sa dague, avant de s'assurer que sa planche volante miniaturisée était toujours dans sa poche.
– Y a intérêt ! rétorqua Lisa. Les machines sont dans un triste état, il va y avoir du boulot !
Âgée d'à peine quinze ans, elle était malgré tout l'une des meilleures mécaniciennes au monde, ce qui lui valut le statut de génie de l'aéronautique. Elle excellait aussi dans la plupart des autres sciences. Cependant, le talent ne peut s'exprimer si on ne possède pas les outils adaptés. Lisa était aussi incapable de dompter ses cheveux bruns en bataille, ce qui lui donnait toujours l'air de s'être à peine réveillée. Les taches d'huile qui constellaient sa tenue de travail froissée signalaient que son apparence ne lui importait absolument pas.
– Tu n'avais pas dit que l'on pourrait encore tenir six jours dans cet état ? lui demanda un jeune homme à lunette.
– C'est qu'une estimation, frangin ! pesta Lisa. Même les génies peuvent se tromper de temps à autre, tu le sais bien !
Elle parlait à son frère, Théo, qui était de quatre ans son aîné. Bien qu'étant complètement perdu quand on parlait de mécanique, il n'avait pas son pareil dans le domaine du savoir et de la recherche magique. Si une partie de l'équipage utilisait la magie, il était le seul à l'avoir réellement étudiée. Même s'il n'était pas capable d'employer toutes les magies qu'il connaissait, son savoir s'était montré plus d'une fois utile au cours des missions de l'équipage. Il conseillait ses compagnons dans l'emploi de leurs magies respectives et était écouté par tous, son indiscutable génie en la matière ayant été reconnu. Cependant, il ne pouvait pas nier que ses recherches avaient parfois des effets inattendus. Rencontrant le même problème que sa sœur du niveau capillaire, il essayait tout de même de prendre plus soin de lui qu'elle, ce qui se reflétait dans sa tenue de mage irréprochable.
– S'il te plaît, ne mentionne plus cet événement... se morfondit Théo.
– C'est vrai que ce n'était pas très sérieux de se balader dans un vaisseau rose vif, grommela Zac.
Zac était un ancien militaire qui était devenu mercenaire après sa rencontre avec Mélodie. Il était le second de l'équipage et se voyait donc ainsi comme le bras droit du capitaine. De tout le groupe, il était le seul à encore la vouvoyer et n'avait de cesse de réprimander les autres pour leur insubordination permanente et leur manque de discipline.
– J'ai juste fait une erreur dans le calibrage du champ infra-visuel du vaisseau ! Le vaisseau est resté de la même couleur, c'est juste la perception des gens qui était altérée !
– Je crois que ceux qui se sont foutus de nous pendant une semaine ne s'en sont pas rendus compte... soupira Snipe.
Tireur d'élite du groupe, Snipe avait acquis son surnom par son incroyable précision. Ayant perdu son œil gauche il y a fort longtemps, il utilisait un globe oculaire artificiel pour réaliser des tirs impossibles en temps normal. Cette adresse n'était pas due uniquement à sa prothèse, car il réalisait des prouesses que même des robots construits spécialement pour ce genre de tâches ne pouvaient pas concevoir. Ses longs cheveux noirs étaient retenus en une queue de cheval qui tombait jusqu'au milieu de son dos, ne les ayant pas une seule fois coupés depuis qu'il avait rejoint cet équipage. Il affirmait qu'il avait lu un texte ancien de son pays d'origine, loin à l'est, que c'était de cette façon que ses ancêtres prouvaient leur loyauté. Snipe admettait aussi qu'il avait eu du mal à déchiffrer les phrases et qu'il avait probablement mal compris ce qui y était écris, mais il continuait d'entretenir ses cheveux ainsi par habitude.
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