Chapitre 1: La venue des ténèbres (Partie 2)
Quand ils virent que tout le monde avait les yeux rivés vers le ciel, ils firent de même. Un vent fort commençait à souffler. De nombreux nuages apparurent soudainement, assombrissant les environs. Au centre de cet amas se trouvait un tourbillon aussi noir que les abysses où mourrait toute lumière.
Ce qui se passait au-dessus des deux armées était identique aux histoires qu'ils avaient entendues au sujet des Miracles Vivants, mais quelque chose ne tournait pas rond.
Contrairement aux attentes des soldats de la confrérie, ce gouffre semblait obscur, malfaisant, le genre de passage qu'emprunterait la plus abominable des créatures pour semer destruction et désolation dans le monde.
De part et d'autre de la plaine, la peur occupa tous les esprits, car rien n'indiquait que ce qui allait apparaître choisirait un des deux camps.
Dans le campement de l'ordre, Rogue sortit de sa tente, leva à son tour les yeux vers les cieux et déglutit. Le démon avait défié ses pairs pendant des millénaires, torturé des âmes pendant autant de temps, et s'était élevé si haut dans la hiérarchie des enfers qu'il s'en était échappé et arpentait le monde des vivants pour commettre les pires des péchés. Il n'avait jamais reculé, même face à un ange, la peur était un sentiment que seules ses proies connaissaient.
Et pourtant, en fixant le typhon qui déchirait le ciel, le commandant des troupes de l'Ordre était dominé par une terreur qu'aucun démon n'avait jamais ressentie. Il était persuadé que ce qui arrivait était l'incarnation des forces les plus sombres de ce monde, mais il n'aurait pas su dire d'où lui venait une telle certitude.
Soudain, un rayon noir sortit du tourbillon dans le ciel pour s'abattre sur le sol dans un fracas assourdissant. L'onde de choc créée par cet événement balaya les environs, soufflant les tentes qui étaient trop proches de l'impact, pourtant situé à plusieurs centaines de mètres des deux camps. De chaque côté du champ de bataille, le silence régna dans la plus grande terreur. Rogue ne pouvait plus masquer son inquiétude, à juste titre.
Du côté des forces de la confrérie, le colonel s'était statufié. Une part de lui était abasourdie par leur improbable chance d'assister à l'apparition d'un nouveau Miracle. Le reste de lui, largement majoritaire, était terrifié à l'idée que ce qui venait d'arriver était peut-être pire que l'ordre.
– Quelqu'un sait ce qu'il vient de se passer ? demanda le lieutenant Wolf en voyant l'état de choc dans lequel était plongé son supérieur.
– Attendez, je vais voir ce qui a atterri, déclara un soldat qui sortit ses jumelles.
Il chercha quelques instants dans le nuage de poussière une quelconque chose qui sortait de l'ordinaire lorsqu'il aperçut une figure se redresser.
C'était celle d'un homme aux cheveux noirs portant un très long manteau de la même couleur. Il était impossible d'en dire plus à cette distance. Cependant, pour le soldat, il semblait que l'homme venait d'entendre le réveil et désirait dormir encore dix minutes de plus. Du moins, c'était l'impression qu'il donnait lorsqu'il se retourna dans sa direction.
Pendant un instant, le soldat eut l'impression que cet être l'avait remarqué et le regardait directement, bien qu'il fût à plus d'un kilomètre de lui. Il avait le désagréable sentiment d'être étudié, comme un insecte qui se retrouverait sous la loupe d'un entomologiste. L'écart entre les deux entités semblait approprié, autant sur le plan de la puissance que celui de la conscience. Le soldat se sentit insignifiant, plus encore qu'un microbe, en se comparant à ce qu'il voyait.
L'inconnu se tourna dans la direction opposée, délaissant la confrérie qui ne semblait plus l'intéresser, pour regarder les troupes de l'ordre.
Wolf remarqua l'état dans lequel était plongé le soldat et le secoua pour le réveiller.
– Ressaisissez-vous ! Que voyez-vous, bon sang !
Revenant à la réalité, le soldat, chassa de son esprit ses sombres pensées. Il essaya de se convaincre que sa crise existentielle n'était que le résultat de sa fatigue, mais il ne parviendrait jamais à s'en persuader.
– Je vois quelqu'un dans la fumée, répondit-il. Il a l'air perdu et déboussolé.
– Le contraire m'aurait surpris vu comment il est arrivé, grommela le lieutenant. A-t-il l'air dangereux ?
Ignorant son instinct qui lui hurlait qu'il avait devant lui une créature qui inspirerait la terreur aux enfers et au paradis, le soldat étudia l'homme au manteau noir, le voyant se gratter la tête.
– Non, il a l'air de s'ennuyer. Il regarde les deux camps d'un air... blasé, je crois... Ah, là, je crois qu'il parle tout seul !
– Et qu'a-t-il l'air de dire ?
– Vu la tête qu'il fait et la situation dans laquelle il se trouve ? Je pencherai pour un truc du genre « Et merde... » !
***
Il n'était pas entièrement sûr de ce qui lui arrivait. L'esprit embrumé par une prise de conscience aussi soudaine qu'inattendue, l'homme en noir sentit un flot d'informations sans fin se déverser dans sa tête en un instant, n'arrangeant pas son état. Les yeux plissés, il scruta les environs.
À l'ouest, une armée composée d'humains, de quelques elfes, et une poignée d'autres espèces. Le nouveau venu pouvait sentir une forte dévotion en émaner, ce qui lui faisait deviner qu'il avait affaire à un groupe religieux. Il n'avait vraiment pas la tête à ça.
À l'est, il sentait déjà que l'ambiance n'était pas la même. En plus de l'oppressante aura démoniaque qui se dégageait du camp, le ténébreux pouvait sentir une forte onde magique typique des nécromanciens. En se concentrant, il vit que les soldats avaient une apparence difforme et grotesque, certains ayant même fusionné avec leurs armes.
L'homme en noir baissa la tête en la secouant et soupira.
– Bon, je pense que le choix est vite fait...
Il se leva en se dépoussiérant, s'attarda un instant sur le long manteau noir qui lui arrivait presque aux chevilles et siffla d'approbation. Même s'il aurait préféré arriver dans un endroit moins dangereux, il devait reconnaître qu'il avait la classe.
Le ténébreux tourna le dos au soleil qui déclinait déjà sous l'horizon et se mit à courir. D'une foulée lasse et surprenament rapide, il arriva à la première ligne de l'ordre, se confrontant à un mur de morts. L'homme en noir sourit et concentra de l'énergie dans le creux de sa main, la faisant tourbillonner. Quand il vit les premiers cadavres bouger dans sa direction, il balaya l'air devant lui avec son bras, le pouvoir qu'il avait accumulé s'étirant en une lame obscure qui faucha tout ce qui se trouvait en face sur une dizaine de mètres.
L'obscure accéléra sa course avant de bondir au-dessus du reste de l'avant garde. Les bras levés, il rassembla énormément de mana dans une boule crépitante qui gonfla au point de faire sa taille. Le sort fut lancé au loin et s'écrasa au sol avant d'exploser. La déflagration fit voler des morceaux de chairs et d'os dans tout les sens en creusant un cratère gigantesque.
Atterrissant dans cette nouvelle brèche au milieu des forces de l'Ordre, le ténébreux poussa son avancée plus loin. Il ne comptait pas perdre son temps à massacrer toute l'armée à lui tout seul, il préférait se concentrer sur la source du problème. La localiser n'était pas un souci, car sa cible ne faisait rien pour masquer sa présence intimidante.
L'homme en noir se retrouva vite face à des troupes vivantes, mais d'apparence grotesque. Devinant que ses adversaires avaient eu leurs apparences altérées pour devenir plus forts, il n'hésita pas à déployer plus de puissance pour s'en débarrasser.
Il incanta deux sorts qui dévastèrent les troupes sur sa droite et sa gauche et fonça sur les soldats qui se trouvaient au milieu. Des griffes obscures recouvrirent ses mains et il commença à se déchirer un chemin à travers la foule monstrueuse, déchiquetant chair, écailles et métaux sans la moindre difficulté.
Une vibration magique attira son attention. Au loin, plusieurs mages s'étaient réunis pour combiner leur mana et préparer un puissant sort, sans se soucier de leurs alliés qui seraient sûrement pris dans la déflagration. Le ténébreux ricana et lança une bille noire dans leur direction. Celle ci s'arrêta juste devant le nez de l'un d'eux, troublant sa concentration. La boule commença à tout aspirer autour d'elle, semblable à un trou noir, avalant mages et soldats qui n'eurent pas le temps de hurler de terreur ou de douleur avant de disparaitre. Le sort prit de l'ampleur, dévorant toujours plus de victimes.
L'homme en noir put enfin voir de ses propres yeux le démon qui dirigeait l'armée. Avec un sourire mauvais, il sauta, prit appui sur le visage d'un soldat, et se propulsa dans sa direction, rebondissant sur plusieurs guerriers.
Rogue serra son arme de ses deux mains en hurlant des insultes en démoniaque, arrachant des gémissements à ceux qui entendaient cette langue impie. Il se rua vers l'inconscient qui osait se dresser contre lui et ses forces, décidé à faire de lui un exemple mémorable.
Le ténébreux atterrit devant Rogue qui le toisa d'un regard veiné de hargne. Avec un rictus moqueur, il leva la tête face à son colossal adversaire qui le regardait de haut.
– Je vois que tu t'es bien amusé, toi ! Monter une petite armée pour faire le plus de carnage possible... Pourquoi les démons sont-ils tous aussi prévisibles...
Un mouvement attira l'attention de l'homme en noir. D'un regard, il dissuada la garde rapprochée de Rogue de tenter quoi que ce soit. Ils étaient certes des guerriers émérites, ils sentaient que tenter quoi que ce soit serait suicidaire.
–Tu te crois malin, peut-être... grogna le démon. Des petits cons comme toi, j'en ai bouffé par dizaines! Qu'est-ce qui te fais croire que tu vas faire mieux que les autres?
Rogue leva sa hache et l'abattit devant lui en hurlant. L'énergie maudite qui se dégageait de sa lame amplifia la puissance de ce coup qui avait plus d'une fois ouvert la terre pour y faire tomber des légions entières.
Le démon sentit une violente douleur dans ses bras quand son arme refusa soudainement de bouger. Avec horreur, il vit que l'homme qu'il dépassait de cinq têtes venait d'attraper le tranchant d'une seule main et l'immobilisait. Rogue fit parler ses muscles, mais sa hache ne bougea pas d'un millimètre.
– Tu dois être en bas de l'échelle infernale... soupira l'homme en noir. Que de la gueule, et rien dans les bras...
Il serra son poing, brisant la hache qui vola en éclat. Effaré par ce qu'il voyait, Rogue ne réalisa que trop tard que son adversaire était maintenant à quelques centimètres de lui et avait plaqué ses deux mains contre son torse.
–Alors que moi, j'ai de la gueule...
Un rayon de ténèbres déchira la poitrine de Rogue qui cracha du sang. Il tituba en arrière avant de s'effondrer de tout son long. Le ténébreux se massa la nuque et fixa le cadavre putride avec condescendance.
–... et la force qui va avec!
Il se retourna, ignorant les soldats qui fuyaient avant de devenir ses prochaines victimes. De l'autre côté du champ de bataille, la confrérie s'était enfin réveillée et chargeait l'ordre dont les forces venaient d'être amoindries.
–Bon, ça c'est fait... Sur ce...
Le corps de l'homme en noir se dissipa en une brume obscure qui vola vers le sud, disparaissant de la vue de tous.
***
Une semaine s'était écoulée depuis cet incident. Cent cinquante kilomètres au sud-ouest de Sarcad, un aéronef baptisé l'Aube Argentée se déplaçait lentement dans la direction d'une ville du nom de Réscaf. Ce navire, comme son nom l'indiquait, brillait d'un éclat vif.
À divers moments de la journée, l'Aube reflétait une teinte plus nuancée, laissant la lumière du soleil se mêler à la beauté naturelle du navire. En début de journée, elle dégageait une nuance mariant l'or et l'argent dans une grâce somptueuse, apaisante, tandis que la couleur de base du vaisseau embrassait parfaitement la lueur écarlate du crépuscule, offrant aux passants l'image d'une intense flamme qui embrasait les cœurs.
D'allure noble et fière, cet aéronef avait l'apparence d'un véhicule de jeunes riches qui partaient en voyage. Ce qui arrangeait ses possesseurs, car les éventuels pirates qui pouvaient s'attaquer à l'Aube sous-estimaient l'équipage qui était d'une toute autre trempe.
Il était la propriété d'un groupe de mercenaires qui tiraient parfois avantage de l'apparence de ce navire. Tantôt pour tromper la vigilance des bandits qu'ils pourchassaient, tantôt pour amadouer plus facilement les gardes des villes qui avaient alors l'impression d'avoir affaire avec des personnes respectables. Ce qui était loin d'être le cas.
La cabine de pilotage ornait le sommet du vaisseau. Elle était entourée par un pont, offrant à quiconque s'y trouvant une splendide vue panoramique des environs. Sur celui ci se tenait une jeune femme, ses longs cheveux bruns flottant dans la douce brise du soir. Elle portait un long manteau bleu ainsi qu'une rapière à sa ceinture. Ses yeux azurés brillaient au centre d'un visage qui avait charmé plus d'un homme, sans en laisser un seul l'approcher.
Quand elle avait besoin de réfléchir ou de se changer les idées, elle se rendait souvent là, où le vent caressait sa peau et lui apportait un calme rafraîchissant.
Elle observait l'horizon avec grand intérêt. Ce fut alors qu'un homme musclé de peau noire, de grande taille, apparut derrière elle. Chauve et impeccablement rasé, sa façon de se déplacer et se tenir trahissait sans mal un passé militaire qui marquait encore son présent par sa rigueur et son sérieux. Dans son dos était accrochée une massue énorme dont le volume attestait de sa force.
Il toussa pour attirer son attention en se mettant au garde-à-vous.
– Capitaine, nous serons arrivés dans une demi-heure.
– Je sais... soupira la jeune femme. Je vois ça. Préviens le reste de l'équipage et dis leur bien que je ne veux plus d'incident comme l'autre fois. Le premier que je surprends en train de faire le malin devra laver les toilettes pendant une semaine. Et si après ça, j'en surprends un autre en train de faire le con, il enviera rapidement le premier abruti, compris ?
– À vos ordres ! s'écria-t-il.
Il disparut, la laissant seule pour scruter l'horizon. Alors qu'elle admirait la vue qui s'offrait à elle, elle se demandait quelles aventures attendraient son équipage à Réscaf.
La capitaine baissa les yeux et remarqua la route arpentée par des centaines de voyageurs. Réscaf était connue comme étant une des quelques villes du monde qui n'acceptait que les humains. D'autres communautés permettaient à plusieurs races de cohabiter, mais des tensions survenaient souvent dans ces cas là. Bien des personnes préféraient la compagnie de leurs semblables, persuadés que ce n'était qu'ainsi qu'ils pouvaient garantir leur survie.
La demoiselle sortit des jumelles d'une de ses poches et scruta les murailles de la cité. Au pied de cette dernière, elle identifia un bidonville qui s'étendait sur un kilomètre. La capitaine se douta que la plupart de ses résidents étaient soit des humains trop pauvres pour se payer le droit d'entrée, soit des non-humains qui préféraient vivre sur le paillasson d'une société qui ne voulait pas d'eux plutôt que de se risquer à s'aventurer dans un monde rempli de dangers indescriptibles.
La jeune femme soupira en passant ses mains dans ses cheveux. Elle était habituée à voir de tels tableaux, la misère plongeant bien des personnes dans des situations compliquées dont elles ne pouvaient pas s'échapper. Elle se félicitait de ne pas être à leur place.
– J'espère qu'on n'aura pas d'emmerde comme la dernière fois... marmonna-t-elle en se remémorant ce qu'il s'était passé trois jours plus tôt.
Suite à une bavure de plusieurs membres de son équipage, ils avaient dû quitter précipitamment la dernière ville qu'ils avaient visitée. Ce fait en lui même étant suffisant pour l'ennuyer au plus haut point, cela avait eu lieu alors qu'elle prenait son bain à l'hôtel, lui laissant à peine le temps d'attraper sa rapière et son manteau avant de s'enfuir. Le silence glacial qui avait régné à bord pendant les jours suivants avait été très dur à vivre pour tous.
– Avec un peu de chance, peut être qu'on trouvera un travail qui paye bien... soupira-t-elle. Ça fait un moment déjà qu'on n'a pas eu de mission intéressante...
***
Non loin de la ville de Réscaf, dans la direction opposée à celle de l'Aube Argentée, s'approchait un homme titubant. Il n'avait rien trouvé à manger depuis quelques jours, et il manquait de forces pour se servir de sa magie afin de chercher de quoi se nourrir. Il leva la tête et fixa la ville droit devant lui comme s'il s'agissait des portes du paradis.
– Enfin, c'est pas trop tôt ! J'espère que la nourriture y est bonne, parce que j'ai un appétit d'ogre !
Cette figure s'avança lentement mais sûrement en direction de la ville ainsi qu'au devant des nombreux ennuis qu'il allait y causer. Il ne se doutait pas du véritable sens que prendrait la rencontre qu'il allait y faire, ni de son importance future.
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