Chapitre 98

Trois jours plus tard, j'en avais ma claque d'être enfermé. Nous étions mercredi et, étrangement, ce qui me crevait le plus, ce n'était pas seulement Debbie qui avait refusé de venir ici – je la comprenais, à avoir peur de Télio, s'il fallait croiser en plus huit autres clones, elle ne saura plus où donner de la tête – mais le fait que j'avais passer un mois et plus sans aller en cours, et que, maintenant que j'étais ici, je ne pouvais toujours pas y aller. Et je ne pouvais pas aller aux entrainements non plus. Du même coup, les autres clones qui s'amusaient à courir dans la cour refusaient que je me joigne à eux ; ils avaient peur que je m'évanouisse. C'était vraiment énervant.

Du coup, j'étais assis sur un banc, contre un mur extérieur de la maison, à regarder les autres courir entre les arbres et les fleurs soigneusement entretenus. Riley était ma seule compagnie, la tête appuyée sur mon épaule à regardant la course d'un œil mort. J'avais un peu de difficulté à les différencier, surtout à cette distance, mais j'étais à peu près sur que c'était Arthur qui était en train de gagner, Seth sur les talons. Quand on parlait de vitesse, c'était toujours ces deux-là.

- Riley, tu dors ? demandai-je sans quitter la course des yeux.

- Nah.

- Je peux te poser une question ?

Riley garda le silence, ce que je pris pour un oui. J'attendis un peu avant de poser la question, quelques clones passant devant nous à pleine vitesse.

- Est-ce que tu connais Léo ?

- Qu'est-ce qui te fait dire que je le connais ? s'étonna-t-il en se redressant pour me dévisager.

- Tu vas assez souvent chez le vieux, et c'est là que Télio a trouvé Léo.

Riley prit un moment avant de répondre, regardant Léo dans la cour. Il faisait partie de la course, mais il n'était pas meilleur qu'un autre. Tout ce qui le différenciait était sa queue de cheval.

- Non, dit-il enfin. Je l'ai peut-être aperçu, mais je pourrais pas faire la différence entre lui ou un autre.

- Même avec ces cheveux aussi longs ?

- Si je l'ai déjà vu, c'était il y a très longtemps. Assez longtemps pour que ses cheveux soient courts à ce moment-là. Pourquoi tu me poses des questions sur lui ? Tu veux m'accuser de quoi, au juste ? De trahison ?

- Quoi ? Non, j'étais juste curieux de savoir qui il est ! C'est quoi, cette histoire de trahison ?

Riley ne répondit rien, croisant les bras d'un air boudeur pour regarder la course. C'était devenu un peu plus sauvage qu'au début, où ils ne faisaient que courir ; maintenant, c'était sans pitié. Tout le monde se bousculait, se donnait des coups de coude. Quelqu'un tomba tête première dans les fleurs et hurla « TÉLIO ! » en levant le poing en l'air.

- Ils ont l'air de bien s'amuser, soupira Riley. C'est le genre de chose que je comprendrais jamais. Je peux pas courir trente secondes sans m'écrouler de fatigue... À croire que j'ai tiré la courte paille. (Riley soupira à nouveau, avant de lever la tête pour croiser mon regard.) Au moins, maintenant, on est deux !

- Mouais, dis-je dans une grimace. Sans vouloir t'offenser, j'espère que je saurais retrouver mon énergie au plus vite. J'ai un truc important à faire.

Je haussai les épaules, les yeux rivés sur la course. J'avais des doutes que ce soit une bonne idée de lui avouer mes envies de vengeance alors qu'il avait pratiquement passé sa vie avec le vieux. On sait jamais, un syndrome de Stockholm serait possible.

- Je sais pas encore, dis-je vaguement.

- Tu sais pas ce que t'as d'important à faire ? C'est louche.

Je grimaçai un sourire, sans répondre. Riley bâilla longuement, avant d'appuyer à nouveau sa tête sur mon épaule.

- Riley, pourquoi tu vas toujours chez le vieux, si c'est pour détruire un peu plus ta santé à chaque fois ?

Riley ferma les yeux en soupirant. Notre petite conversation semblait avoir eu raison du peu d'énergie dont il disposait.

- C'est pas ce que je veux, dit-il. C'est comme si j'avais pas le choix d'y aller, j'arrive pas à m'en empêcher. Et puis, c'est à peine si j'ai conscience de faire la route jusqu'à lui. C'est super bizarre, je sais ; j'arrive à peine à faire trente mètres par moi-même. J'ai aucune idée comment je fais pour parcourir autant de kilomètres sans problème.

- Vrai que c'est bizarre...

- Peut-être qu'ici, ça va changer. Après tout, y'a une clôture autour de la ville, c'est pas comme si je saurais passer au-dessus. Enfin, j'espère...

- Je suis sûr que tout ira bien pour toi.

Riley marmonna un « mouais » avant de bâiller à nouveau.

- Tu voudrais pas retourner à ta chambre ?

- Nah, il fait beau ici... Pas trop chaud, un petit vent...

- Les nuages sont plutôt gris, il pourrait se mettre à pleuvoir n'importe quand.

Riley grogna. Tant pis pour lui. Je levai les yeux vers la course juste à temps pour voir Arthur gagner ; il avait les bras en l'air en criant des « ouaaaais ! » Seth le suivait de près en rouspétant.

Télio vint s'assoir à côté de moi, le souffle court. Son visage était rouge après l'effort, mais il souriait.

- Tu te rends compte ? dit-il en s'enfonçant dans le banc et fermant les yeux. Ça fait trois jours qu'il ne s'est rien passé. Tom gère trop bien, hein !

- Il gère pas assez vite à mon gout. Je commence à me sentir enfermé, ici... Même Debbie ne veut pas venir ici, elle a peur de voir trop de clones en même temps.

- Elle va s'habituer. Moi, je m'y suis bien fait. Et c'était pire pour moi ; je suis un clone ! Ça me prend dans les tripes ! Mais bon, moi aussi, j'aimerais bien sortir un peu. Voir ma mère et ma tante, elles ont eu leurs apparts ensemble et je ne les aie toujours pas vu ! (Télio regarda longuement de gauche à droite, regardant suspicieusement le garde qui était assis dans un banc un peu plus loin à nous surveiller d'un œil mort.) Et si on fuguait, cette nuit ? dit-il dans un murmure.

- Vous allez vous faire coincer, pouffa Riley.

- Hé, je croyais que tu dormais !

- Riley a raison, dis-je en secouant la tête. Y'a des gardes partout, cette maison en est pleine. On pourra jamais se rendre loin, et Tom sera en colère s'il apprend ce qu'on aura essayé de faire.

- Oh, Miö, je vais devoir tout recommencer du début, les progrès que j'avais faits sur ta personne ? Moi qui avais retiré le ballai que t'avais dans le cul, tu t'en es enfoncé un autre quand je regardais pas ? La sensation t'avait manqué ?

- Que... ? demanda Riley d'un air scandalisé.

- Surveille ton langage, y'a des enfants, ici ! dis-je en cachant les oreilles de Riley.

Riley se dégagea de mes mains en grognant de dégout et repartit à l'intérieur. Télio haussa les épaules, sans faire plus de cas. Il attendit qu'il soit assez loin avant de reprendre :

- Sérieux, avec ou sans toi, il faut que je sorte. C'est bien beau que Tom nous permette de nous transformer ici, mais j'ai besoin d'espace ! Et je sais que c'est pareil pour toi. Tu sais quoi ? Tu n'as qu'à y réfléchir. Je reviendrais te voir dans ta chambre, cette nuit.

Je hochai la tête dans un soupir, et Télio alla rejoindre les autres qui félicitaient Arthur pour sa victoire – sauf Seth qui boudait encore. La défaite lui faisait mal, pour un animal réputé pour son incroyable vitesse.

J'avais passé le reste de la journée à réfléchir à la proposition de Télio. La seule et unique chose qui me retenait était Tom ; je n'avais pas envie de me le mettre à dos, déjà qu'il me regardait un peu de travers après lui avoir avoué mes envies de meurtres. Après tout, il avait demandé une semaine, et trois jours étaient déjà passés. Il allait forcément trouver quelque chose d'ici là, ce n'était pas la peine de s'impatienter.

Quand Télio arriva dans ma chambre en passant par notre salle de bain commune, à plus de onze heures trente du soir, je portais déjà ma combinaison. J'avais été incapable de me raisonner.

- Génial ! murmura Télio pour ne pas se faire entendre par les voisins de chambres. T'as même mis ta combinaison, je dois donc assumer que tu vas venir avec moi ?

La lumière était éteinte et je ne voyais pratiquement rien. Je ne me guidais que par le son de sa voix. Télio, bien sûr, voyait suffisamment dans le noir pour reconnaitre mes vêtements.

- Je ne peux pas ne pas y aller, soupirai-je en haussant les épaules. La tentation était trop forte ! Y'a un truc en particulier que tu voulais faire ?

- Pas spécialement. On se promène, c'est tout ! Sentir le vent dans les plumes, dit-il d'un air nostalgique.

Je laissai aller un rire, puis lui tournai le dos pour ouvrir la fenêtre. Dehors il pleuvait un peu, mais si peu qu'on ne parlait pas réellement de pluies, plutôt de brume. J'avais trop envie de voler pour m'en soucier.

- Je passe devant ! dit Télio avec impatience.

Il m'enfonça le coude dans les côtes pour passer le premier. Mais alors qu'il enjambait la fenêtre, j'entendis des bruits de pas depuis le corridor. J'agrippai Télio par le dos de sa combinaison et le tirais vers moi. Télio lança un « hé ! » en me tombant dans les bras.

- Chut !

Télio se figea ; il avait entendu la même chose que moi.

- C'est un garde, tu crois ? murmura Télio.

- Je sais pas.

Les pas s'arrêtèrent devant ma porte. Je retins mon souffle ; on était sur le point de se faire prendre à une tentative de fugue. Tom ne sera pas content !

- Retourne dans ta chambre ! dis-je en poussant Télio vers la salle de bain.

Télio se précipita dans cette direction, mais il n'eut pas fait trois pas que la porte s'ouvrit sur... un clone en pyjama. Télio grogna en s'arrêtant de courir et je me précipitai pour fermer la porte derrière lui. Ce n'est qu'en voyant son dos, où pendait une queue de cheval, que je me rendis compte que c'était Léo. Télio grogna encore plus fort quand il s'en rendit compte.

- Vous faites quoi ? demanda-t-il. J'avais entendu des voix.

- Ça te regarde pas ! s'énerva Télio. Retourne te coucher !

- Vous sortez ? Je peux venir aussi ?

- Non, t'es pas nocturne.

- Et alors ? Je suis pas fatigué.

Léo se frotta un œil de son poing pour faire disparaitre la fatigue. Il n'était très bon menteur, à ce que je voyais.

- Qu'importe si t'es fatigué ou pas, on veut pas de toi ! dit Télio.

- Je vais dire à un garde que vous partez.

J'échangeai un regard avec Télio. Lui bouillait d'envie de meurtre.

- C'est bon, tu peux venir, dis-je. C'est pas plus grave que ça, ajoutai-je pour Télio qui s'apprêtait à répliquer.

- Je veux pas de lui, il m'énerve ! dit Télio en levant un doigt vers Léo, qui restait bêtement là devant la porte. Il me suit tout le temps partout !

- Non, c'est pas vrai, dit Léo en croisant les bras. J'ai changé de cible.

Léo croisa mon regard, une étincelle dans les yeux.

- Ah, parce que tu veux me suivre ? Pourquoi ?

- T'as l'air plus gentil que Télio.

Je haussai les épaules, avouant que c'était un bon argument. Télio envoya un coup de pied rageur contre ma table de chevet.

- T'as une combinaison ? demandai-je.

- Nah, pas besoin.

Léo retira en deux mouvements tous les vêtements qu'il portait, se montrant à poil devant nous. Je tournai la tête en grimaçant, et Léo se transforma en corbeau pour s'envoler par la fenêtre. J'échangeai un regard avec Télio.

- T'es trop gentil avec lui. Tu vas voir, il voudra plus te lâcher la grappe !

- Pourquoi tu t'inquiètes autant ? Regarde, dis-je en pointant la fenêtre du pouce, les corbeaux n'ont pas de vision nocturne et pas d'écholocalisation. Il va se perdre et on ne le reverra pas de la nuit.

- Oh, c'est vrai, dit Télio en éclatant de rire.

Enfin, Télio se transforma et sortit par la fenêtre. Je le suivis une seconde plus tard. Et enfin, je me sentis libre, pour une première fois en trois jours.

J'avais dans l'idée de profiter de l'occasion pour aller voir Debbie, mais je préférais vironner un peu dans le ciel en premier. Voler m'avait trop manqué. Je suivis donc un peu Télio, qui volait une vingtaine de mètres au-dessus de moi. Comme je l'avais prévu, Léo était introuvable. Il s'était déjà perdu.

-------------------
Ceci étant un chapitre exessivement long, j'ai décidé de le couper en deux. Vous aurez la suite prochainement ❤

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top