Chapitre 96

Léo

Ça faisait depuis ce matin, neuf heures, que j'étais sagement assis sur ma chaise, entouré de la majorité des autres clones dont j'avais oublié le nom – il y en avait trop – et j'en avais par-dessus la tête. Nous étions là pour apprendre à lire et écrire. Mais sérieux, il ne restait plus que dix minutes à ce cours qui avait duré sept heures, et j'avais envie depuis le début de me lever et de crier que je savais lire et écrire depuis mes neuf ans. Ce cours m'était complètement inutile ! Mais bien sûr, je ne pouvais pas. Je me devais de faire l'imbécile ; c'était ce que papa m'avait demandé de faire, et j'allais obéir.

Il y avait tous ces croâs autour de moi qui n'y comprenaient rien. C'était désespérant. Comment avaient-ils fait pour vivre avec un QI dans les négatifs ? La vie loin de papa, ça ne leur avait pas fait de bien.

Je levai la main bien haut. J'en avais par-dessus le cul d'être ici.

- Oui ? dit la prof en me voyant.

Elle ne prononça pas mon nom. J'avais même des doutes qu'elle sache associer mon nom avec le bon clone.

- Je peux aller aux toilettes ?

- Il ne reste que dix minutes au cours.

- Et alors ?

La prof haussa les épaules en soupirant. Elle en avait tout aussi marre que moi d'être là.

- Bon, vas-y.

Je ne me fis pas prier, me levant d'un bon de ma chaise pour sortir de la pièce sous les regards des autres clones. Je sortis dans le corridor, à la recherche de salle de bain, mais cette maison était immense. Heureusement que je n'avais pas réellement envie d'y aller.

J'entendis, depuis un corridor voisin, des bruits de course. Je m'arrêtai pour écouter ; c'était deux gardes qui criaient.

- Miö, t'as plus le droit de faire ça !

Miö, c'était lequel, celui-là, déjà ? Ah oui, bien sûr, pensai-je en serrant les poings. Celui qui veut tuer papa.

Sans prendre la peine de réfléchir une seconde de plus, je parcourus le reste du corridor pour prendre un tournant, où je trouvai les deux gardes qui attendaient derrière la porte. J'arrivai à temps pour voir le garde pousser Miö contre la porte avant de s'en aller en rageant. Miö resta là deux secondes de plus pour le dévisager, avant de tracer sa route.

J'attendis qu'il soit assez loin avant de le suive. Je savais qu'il avait les oreilles affutées, comme la plupart des clones qui tenaient d'un minimum de leur gêne animal, en dehors des transformations. Moi, tout ce que j'en avais tiré était un profond dégout pour la couleur orange.

Avec une infinie lenteur pour faire le moins de bruit possible, j'arrivai devant la porte où il s'était caché. Pour le temps que j'avais pris, j'avais surement manqué une bonne partie de la conversation. Je m'accroupis, l'oreille contre la porte.

- ... si quelqu'un essaie de me tuer, j'ai pas l'intention de me laisser faire !

Je pouffai de rire, pour ensuite m'empresser de cacher ma bouche de ma main. Il y eut un silence de l'autre côté.

- C'est surement Peter, dit le roi.

Je soufflai, soulagé. Le roi était vraiment un croâ.

La conversation continua, sans trop d'intérêt. J'étais sur le point de repartir à la recherche d'une salle de bain quand j'entendis quelque chose qui attisa ma curiosité... Miö voulait tuer papa. Il le voulait sérieusement.

Un frisson me parcourut l'échine et je me redressai, à bout de nerfs. Je ne pouvais pas le laisser faire. Je reculai lentement, un pas à la fois, pour faire le moins de bruit possible. Mais j'entendis cette fois Miö perdre les nerfs, se lever d'un bon et marcher vers la porte. Je perdis aussitôt toute discrétion pour m'enfuir en courant, me cachant derrière la première porte que je pus trouver, avec une grande table ronde et plein de chaises autour. Je me précipitai vers la fenêtre, l'ouvris et basculai à l'intérieur pour tomber tête première dans l'herbe, de l'autre côté. Je restais accroupi, m'aplatissant contre le mur, et Miö passa la tête par la fenêtre. C'était peut-être en raison qu'il était malade et, d'une certaine façon, ça atteignait son cerveau et son bon sens, car il ne pensa même pas à baisser la tête pour me voir. Au lieu de quoi, il soupira et tourna les talons.

Un chien m'avait remarqué, par contre. La cour était pleine de chiens. Il me fonça dessus d'un air menaçant, mais se mit plutôt à aboyer joyeusement quand il fut arrivé à moi. Je laissai échapper un rire en le grattant derrière les oreilles, puis levai les yeux à nouveau vers la fenêtre. Le danger était écarté.

Je me levai à nouveau, retirai mon teeshirt et me transformai ; le reste de mes vêtements tomba en boule au sol et le chien s'empressa de se rouler dedans en grognant de bonheur.

Les chiens sont croâ.

Je m'envolai, prenant autant d'altitude que possible. J'avais besoin de me sentir libre, au moins un peu. Ces deux jours passés avec ces clones m'avaient vraiment étouffé. Il était temps que je retourne à la maison, et là, j'avais même une très bonne excuse pour le faire.

Le voyage me dura environ trois heures. Trois longues heures de pur bonheur. Je me souviens de ces journées entières à voler, parfois c'était même des semaines. Quand je revenais enfin à la maison, bien sûr, papa ne se rendait même pas compte de mon absence. C'était un peu l'avantage d'avoir des frères identiques. Il m'oubliait facilement.

En arrivant à la ferme, je me transformai devant la porte d'entrée, pour ensuite aller à ma chambre pour enfiler quelques vêtements.

- Papa ? appelai-je en faisant le tour de la maison. Papa !

- Qui le demande ?

J'allai à la cuisine en soupirant. Bien sûr, il était encore dans la cave. Dernièrement, il y passait tout son temps.

- C'est Léo.

Je m'arrêtai devant la trappe. Papa arriva rapidement pour me l'ouvrir. Il avait une obsession de tout verrouiller derrière lui, ça aussi, c'était énervant. Il redescendit l'escalier et je le suivis, une main sur la rampe et l'autre dans mes poches de jeans.

- J'ai passé deux jours avec les autres clones, dis-je pour commencer la conversation. C'était vraiment barbant !

- Je suis heureux que tu l'aies fait, dit papa.

Je fronçai les sourcils, incertain. Parfois, papa se faisait des plans pour rien. Il croyait que la guerre faisait encore rage, à d'autres endroits du monde, et qu'il fallait se protéger. Mais cette fois, au moins, il avait raison.

- Les autres clones veulent te tuer.

Papa éclata de rire avant de se retourner vers moi. Je m'arrêtai de marcher une seconde avant de lui foncer dedans.

- Ça, ça fait longtemps que je le sais ! Mais ils n'ont jamais osé, et ils n'oseront jamais. Je suis leur père, après tout.

- Oui, mais cette fois, y'en a un qui est tombé malade à cause de ce que tu lui as fait. Tu sais, la chauvesouris ? Et là, il arrête plus de dire qu'il veut de tuer. Il en a même parlé avec le roi.

- Quelle importance, s'il est malade ?

- Il ne le sera pas éternellement ! m'énervai-je. Un jour, il ira mieux, et il passera à l'action.

Papa haussa les épaules et continua son chemin. Arrivé au fond de la cave, j'allai m'assoir dans l'un des lits pendant qu'il allait continuer à faire ce qu'il faisait toujours ; des trucs bizarres et scientifiques. Je passai un petit moment à le regarder faire, et je me rendis compte qu'il y avait un petit quelque chose de différent. Quelque chose flottait dans l'un de ses incubateurs. Je me levai pour aller voir de plus près, curieux.

- Qu'est-ce que c'est ? demandai-je en tapotant la vitre du bout de mon doigt.

- ATTENTION !

Je sursautai à son cri, sans rien comprendre, et papa m'agrippa par les épaules pour m'éloigner de l'incubateur et me faire tomber assis dans le lit.

- Quoi ?! m'étonnai-je. Qu'est-ce que c'est ?

- C'est fragile !

- On dirait une petite boule rose, c'est tout...

- C'est un embryon.

Je haussai les sourcils, étonné. Papa me tourna le dos pour continuer son travail.

- Tu fabriques de nouveaux clones ? demandai-je. Depuis quand ?

- Ça fait un moment que j'essaie de récolter l'ADN dont j'ai besoin. J'en ai assez pour en sacrifier un peu pour en faire un nouveau. Il n'a que deux jours, c'est pour ça qu'il ne ressemble encore à rien.

- Où tu as « récolté » de l'ADN ? demandai-je sans rien comprendre.

- Sur Riley. Ça fait un petit moment qu'il est chez l'ennemi, mais dès qu'il peut, il vient m'aider.

- Je comprends pas...

Papa se retourna vers moi, s'appuyant sur le bureau en lâchant un grand soupire d'impuissance.

- Quand j'ai eu terminé de créer mon dernier clone, il y a dix ans, mes coéquipiers m'avaient abandonné et détruit les échantillons d'ADN de mon fils, et aussi d'animaux. Il ne me restait plus rien pour en faire plus. Mais là, avec l'aide de Riley, je refais mes stocks. C'est facile de lui prendre quelques cheveux, mais pour l'ADN animal, c'est un peu plus compliqué. Il faut absolument qu'il soit transformé pour que l'ADN soit bon. T'as compris, là ?

- Un peu. J'ai toujours pas compris pourquoi tu veux faire plus de clones. On n'est pas déjà assez ?

- Justement, vous êtes même trop, mais vous êtes tous contre moi – sauf toi, bien sûr. Si les autres attaques, je veux une armée.

Je pouffai de rire, mais papa était toujours sérieux.

- Mais quoi, avec Riley ? Tu vas te faire une armée de chat ? Et elle ne sera pas prête à combattre dès la naissance ! Miö n'attendra pas gentiment quinze ans avant de passer à l'action.

- J'y ai pensé aussi, dit papa en souriant de toutes ces dents, comme quoi il avait hâte que je pose la question. Regarde ceci... (il prit une fiole sur son bureau et la leva pour que je la voie bien. Le liquide à l'intérieur était parfaitement transparent, j'aurais pu croire que c'était simplement de l'eau. J'avais pourtant l'étrange impression que c'était un peu plus que ça.) Voici ce qui s'appelle de la somatotropine. Ou l'hormone de croissance. Ça fait plusieurs mois déjà que je la récolte dans les embryons. Ils meurent ensuite, mais c'est pas grave, car si ça marche, ce bébé (il pointa l'incubateur de sa fiole) ne prendra peut-être pas plus d'une semaine à atteindre les neuf mois. Et il grandira tout aussi vite après ! Tu imagines le nombre de clones que je pourrais faire en si peu de temps ?

Je hochai la tête, incapable de répondre quoi que ce soit. Vraiment, mon papa était le plus fou, mais surtout, il était le plus intelligent.

Papa se retourna pour continuer ses travaux sur son bureau. Je levai les yeux vers l'embryon ; s'il allait grandir si vite en neuf mois, pour sûr, je ne voyais aucune amélioration en deux minutes.

- Il reste que ce ne sera qu'une armée de chat, dis-je au bout d'un moment.

- De chat et de corbeau, dit-il sans se retourner. Également de chauvesouris, de cheval, de chien... Riley n'est pas le seul à m'apporter un peu d'aide – de gré ou de force.

- Pourquoi tu dis corbeau ? Tu ne m'as jamais transformé de force avec ton truc bleu...

- Pas encore. (Papa se retourna vers moi, une étrange lueur dans les yeux.) Hein, mon petit Léo, tu accepteras bien de m'aider un peu ?

Je sentis mon cœur rater un battement à sa demande. J'avais vu ce que ça donnait aux autres ; à Riley, surtout. Et même à Miö, qui était présentement malade. Je n'avais aucune envie de subir le même sort. Mais, en quoi avais-je le choix ? Je ne pouvais pas, comme les autres, abandonner égoïstement mon père.

Je baissai les yeux, puis hochai la tête.

- Bien sûr que je vais t'aider, murmurai-je platement.

Je levai à nouveau les yeux, mon cœur battant toujours de plus en plus fort. Ça va aller, ça va aller, me répétai-je en bouche. Devant moi, mon père préparait déjà la seringue.

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