Chapitre 90
Si mon cerveau ne ressemblait pas à un cerveau, il ressemblerait probablement à du Jell-O. Flasque et inutile dans le tableau alimentaire.
J'ouvris faiblement un œil. Il faisait complètement noir dans la pièce, mais je parvenais tout de même à voir un peu. Le meuble près du lit, la télécommande qui trainait près de ma main, la cloche juste à côté. J'étais dans ma chambre du sixième. Qu'est-ce que je faisais ici, maintenant ? On m'avait opéré où, cette fois ?
J'actionnai la télécommande. Le lit se redressa légèrement, et s'arrêta de monter aussitôt que je retirai mon pouce du bouton. Il me fallut de longues secondes pour comprendre que ça voulait dire qu'il était plus de sept heures du matin, puisqu'il y avait de l'électricité. Et encore plus de temps pour réaliser que je n'avais mal nulle part, du moins pas autant qu'après une opération.
J'étais chez le vieux. Juste avant, j'étais chez le vieux, et il m'avait eu. Et il m'avait fait quelque chose. Je repensai à Riley, qui « s'était fait avoir » par le vieux depuis toujours, et comment il était toujours fatigué. Moi, tout de suite, j'étais très fatigué, j'avais les yeux qui voulait se refermer, mais c'était normal, je venais tout juste de me réveiller. Hein, que c'est normal ? Je n'allai pas devenir aussi paresseux que Riley, au moins ?!
D'un coup, je me sentis un peu plus réveiller. Je pris une grande inspiration, soulager. Une deuxième grande respiration, un peu plus saccadée. À la troisième, je me levai d'un bon de mon lit et courus à la salle de bain pour vomir dans la cuvette.
- Miö ?
Je sortis la tête de la cuvette, les bras et le menton toujours appuyé dessus, pour voir qui se tenait derrière moi.
- Télio ? marmonnai-je faiblement.
- Seth. Télio était un peu occupé... Heum, tu veux que j'appelle le docteur ?
- Oui... Amène-moi Jeremy.
- Eh, le docteur s'appelle...
Je n'entendis pas la suite, trop occuper à vomir mes tripes. J'avais mal au cœur, la tête qui tournait sérieusement, j'arrivais à peine à garder mes yeux ouverts. Mais pour le peu que j'avais vu – Seth avait allumé avant de partir – ce n'était pas mes tripes que j'avais vomies. L'eau de la cuvette était souillée de sang.
Qui sait, peut-être qu'en mon absence, Remi avait prêté ma chambre à une patiente qui avait ces règles, mais j'avais quelques doutes.
Je sentis quelqu'un me secouer l'épaule en murmurant mon nom et je relevai la tête vers Remi. Je venais sérieusement de m'endormir la tête dans les toilettes.
- Dis-moi ce que tu ressens, Miö.
- J'ai mal, murmurai-je, la voix étrangement rauque. Tête... Ventre... Partout...
Remi posa une serviette humide sur mon front, puis baissa les yeux vers la cuvette dans l'intention de tirer la chasse. Il s'arrêta au milieu de son geste en remarquant qu'elle était pleine de sang.
- Oh, merde, murmura-t-il.
- Ça va, dit Seth qui était près de la porte. Pour Riley, c'est pareil à chaque fois. Arthur s'est fait avoir aussi, une fois, et il va très bien.
Remi hocha la tête en se mordant la lèvre. Il ne semblait pas particulièrement rassurer par ce que disait Seth.
- Arthur, c'est lequel, déjà ?
- Le cheval. Il est parti un peu après Miö et Télio pour aider le village à déménager.
Remi hocha à nouveau la tête. Il était peut-être un peu plus convaincu. Juste un peu. Il tourna la tête pour croiser mon regard torve.
- Tu peux te lever, Miö ? Tu veux de l'aide ?
Je secouai la tête puis me levai, m'appuyant de mes bras tremblant sur la toilette. Remi passa ses bras autour de mes épaules pour m'aider malgré mon refus et m'entraina jusqu'à mon lit. Je me laissai tomber sur le matelas, à bout de force, et fermai les yeux. Je sentis Remi remonter les couvertures sur mes épaules. J'ouvris un œil en l'entendant s'agenouiller devant moi, juste à temps pour me faire éblouir par une petite lampe. Je refermai aussitôt mon œil par réflex en gémissant.
- Ouvre les yeux. Ça va, je vais faire vite.
Il lui fallut douze secondes pour examiner mes yeux. C'était long, quand on luttait contre la fatigue.
- C'est fini ? marmonnai-je.
- Presque. Je veux prendre ton pouls.
- Je suis pas en train de mourir...
- Je le sais bien, Miö. C'est pourquoi je veux seulement prendre ton pouls. Ça ne serait que de moi, je te ferrais une IRM.
Je frissonnai à l'évocation de cette machine. J'y avais déjà eu droit une fois, elle faisait un tel boucan, pour mes pauvres oreilles, que je m'étais tortillé pour en ressortir et je m'étais sauvé en courant pour me cacher dans un coin de la tour. Je consentis enfin à m'assoir dans le lit pour me mettre droit devant le docteur. Remi me fit un petit sourire, abaissa un peu la fermeture éclaire de ma combinaison et appuya le bout de son stéthoscope sur ma poitrine.
- Tu ne préfèrerais pas un pyjama pour te reposer ? demanda Remi.
- Mouais...
Je ne me sentais même pas assez fort pour changer de vêtement, mais il est sûr que ce serait plus confortable. Je levai les yeux vers le meuble qui renfermait quelques vêtements. Il me semblait si loin ; au moins un mètre cinquante.
- Maintenant, t'as fini ? demandai-je au bout d'une minute.
- Presque. Maintenant, je vais prendre ta pression.
Je levai les yeux au ciel en désespoir.
- S'te plait, Remi, je suis épuisé... Tu le feras plus tard, OK ?
- OK, soupira Remi. Excuse-moi.
Je répondis d'un petit sourire ennuyé. Remi se leva et alla vers le meuble de vêtement pour en ressortir un pyjama et me le lancer. Il me frappa en pleine figure sans que je fasse le moindre mouvement pour l'attraper. Il fit ensuite un mouvement de main vers Seth qui était toujours là, assis dans le fauteuil à se faire oublier. Seth se leva et se posta près de Remi.
- On peut te laisser seul ? demanda Remi. Tu vas pas mourir dans ton sommeil ?
- M'étonnerais.
- Je repasserai un peu plus tard pour t'apporter à manger.
Je hochai la tête. Remi sortit de la pièce. Seth s'avança pour le suivre, mais je l'interpelai avant.
- Eh, Seth... Est-ce que Riley va bien ? J'ai réussi ma mission, en tout ?
- Ouais, c'est bon, dit Seth dans un petit rire. Il est dans une autre salle, Hadrien veille sur lui. Aux dernières nouvelles, il ne s'est pas encore transformé, mais c'est normal que ça prenne plus de temps, pour lui.
- OK... Et Télio ? T'as dit tout à l'heure qu'il était occupé.
- Il va bien aussi, mais vaut mieux pas trop lui en demander, pour l'instant. Il s'est trouvé un caneton. Tu vois, un bébé canard, expliqua Seth devant mon incompréhension. Les canetons prennent pour leur maman la première chose qu'il voit. Il veut plus le lâcher...
- Le caneton... ?
- Le clone, dit Seth en éclatant de rire. Télio a trouvé un clone.
- Il se transforme en caneton ?
- Nah, en corbeau.
- Pourquoi tu parles de caneton, je comprends plus...
- Peu importe ! Fais pas attention ; couche-toi, c'est tout. Tu iras mieux demain.
Seth sortit de la pièce. Je me laissai tomber de côté dans le lit. Je m'étais déjà endormi avant même de remonter ma couverture.
Remi me réveilla quelques heures plus tard pour m'apporter une assiette pleine de fruits. Je me réveillai encore un peu après pour me remettre à vomir du sang. Et encore un peu plus tard, il n'y avait plus de sang, rien que de la bile.
Je m'étais encore endormi quand quelqu'un entra dans ma chambre. J'ouvris un œil pour voir un clone, sans le reconnaitre. Même dans mon état normal, il m'aurait fallu un petit moment pour lui donner le bon nom.
- C'est qui ? marmonnai-je.
- Télio.
Il se retourna pour verrouiller la porte et allumer la lampe. Je m'appuyai contre la tête de lit pour lui faire face.
- Ouh, t'as l'air épuisé, dit Télio en s'asseyant sur la chaise près de mon lit. Comment tu te sens ?
- Comme si j'avais pas dormi depuis des semaines, dis-je en prenant une poignée de bleuets dans mon assiette. Je comprends Riley d'être aussi paresseux. Mais je vais mieux que ce matin. Et toi, ça va ? Pourquoi t'as verrouillé ma porte de chambre ?
- Physiquement, je vais super bien. Mentalement, j'ai envie de tuer quelqu'un.
- Comme toujours.
- Il me tape sur les nerfs ! s'écria Télio en levant les bras au ciel. J'aurais sérieusement dû le tuer, plutôt que de le ramener ici. C'est la faute de Riley. J'aurais dû le laisser crever.
- Tu penses pas ce que tu dis.
- Sûr, que je le pense ! Il me suit partout. J'ai même foncé dans les autres clones et je me suis fait passer pour Aël, qui était à côté de moi à ce moment-là. Ça a pas marché. Je sais pas comment il fait, mais il me reconnait à chaque fois.
- Peut-être parce qu'il se fit à tes vêtements, pas à ta tête.
Télio baissa la tête pour regarder la chemise bleue qu'il portait. Une chemise qui m'appartenait, comme à chaque fois.
- C'est pas fou, avoua-t-il à regret.
Télio se leva de sa chaise et fonça vers mon meuble de vêtements en même temps de déboutonner sa chemise, qu'il lança au pied de mon lit. Il enfila en échange un simple teeshirt noir.
- Et maintenant ?
- Tu ressembles toujours à toi. Avec un peu plus de noir. Ce qui te représente bien, puisque t'as toujours des idées de meurtres.
- J'ai pas toujours des idées de meurtres. J'ai juste... (Télio pinça les lèvres, les yeux au ciel. Il poussa un long soupir en secouant la tête.) Laisse tomber. Je vois pas comment dire ça sans ce que soient des mensonges. T'as raison, y'a toujours quelqu'un que j'ai envie de tuer.
- Tu dois te faire soigner.
- T'es pas bien placé pour parler, dit Télio en m'envoyant un regard noir. C'est qui le malade, hein ?!
Je ne répondis rien, continuant de manger les petits fruits dans mon assiette. Je commençai à manquer d'énergie et bientôt, j'allais devoir replonger dans le sommeil.
Télio revint s'assoir sur sa chaise dans un soupir désespéré. Il prit une fraise dans mon assiette, mordit dedans et recracha le fruit au loin dans une grimace. Il mit le reste du fruit dans sa bouche, feuille comprise, et le recracha dans un autre coin de la pièce.
- J'ai faim. C'est dégueu.
- Arrête de gaspiller mes fraises. Va dans un resto.
- C'est pas gratuit et j'ai pas un sou.
- Bah va chez Tom. Chez le roi, je veux dire... Il a bien proposé de tous nous héberger, alors forcément que la bouffe est comprise.
- J'ai peur de croiser Léo, dit Télio en croisant les bras.
- C'est le nouveau clone ?
- Ouais... Il m'énerve !
- Il se transforme en quoi, déjà ?
- Corbeau.
- Ah, je vois, dis-je dans un rire. Ça aussi, c'est le karma.
- Karma ? Mais il n'en a pas marre, lui ?!
- Tu m'as collé au cul. Et maintenant, il te colle au cul. C'est normal.
- Je croyais qu'on était quitte, karma est moi, soupira tristement Télio.
- Apparemment non.
Télio se leva d'un bon de sa chaise en rugissant de rage et donna un coup de pied dans ma table de chevet.
- J'en ai marre ! Je vais tuer le vieux.
- T'es sérieux ?
- Ouais ! Regarde-toi, coincé dans ton lit depuis plus d'une journée entière et t'es toujours aussi fatigué. Regarde-moi, coincé avec Léo ! C'est la faute du vieux. Je vais le tuer. Il vit depuis trop longtemps, de toute façon. Il est temps qu'il meure. Et il est temps que je mange, j'ai faim !
Télio donna un second coup de pied dans ma table de chevet qui se renversa, emportant dans sa chute mon réveil, un carnet où j'avais parfois gribouillé quelques dessins et un verre d'eau qui tacha mes couvertures. Télio alla ensuite à la porte qu'il déverrouilla, regarda longuement à gauche puis à droite, puis courut à pleine vitesse en direction de l'ascenseur.
Sans faire plus de cas, je me couchai à nouveau dans mon lit et m'endormit presque aussitôt.
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