Chapitre 85

Je me fis réveiller le lendemain par mon réveil-matin, dont j'avais oublié d'éteindre depuis... un long moment. J'appuyai sur le snooze pour continuer à dormir un peu, mais Aël et Hadrien étaient réveillés. Ils se levèrent d'un même mouvement pour dévisager le réveil-matin.

- Qu'est-ce que c'est ? demandèrent-ils en même temps.

- C'est... un réveil-matin, marmonnai-je, incertain. Ça sert à se réveiller, le matin.

- Ça marche à l'électricité ?

- Ouais.

Aël sauta en bas du lit, se prenant les pieds dans la couverture pour atterrir à quatre pattes, et se mit à suivre le fil du réveille, jusqu'au mur. Il le débrancha et regarda avec curiosité les deux morceaux de métal qui en dépassaient. Ennuyé, je lui pris le fil des mains et le branchai à nouveau dans la prise.

- Vous allez pas vous émerveiller de tout ce que vous allez trouver, hein ?

- C'est électrique, marmonna Aël en faisant la moue.

J'entendis un bruit de pas, ailleurs dans l'appartement. Cynthia était réveillée, elle aussi. Je poussai un long soupir de lassitude, avant de me retourner vers les clones, Aël au sol à dévisager le réveille-matin, Hadrien assis dans le lit à regarder un peu partout, l'air incroyablement débile.

- Je reviens dans cinq minutes. Ne touchez à rien, OK ?

Ils hochèrent la tête en faisant la moue, et je sortis de ma chambre à la recherche de Cynthia. Je la trouvai rapidement, assis à la table de la salle à manger à boire un verre d'eau, la tête appuyée dans la main à essayer de se réveiller.

Je me raclai la gorge, incertain. Cynthia leva des yeux étonnés vers moi, s'étouffant du coup avec sa gorgée d'eau. J'attendis patiemment qu'elle se reprenne, allant s'assoir en face d'elle sur la table.

- Je t'ai pas entendu entrer, dit-elle enfin. Merde, Miö... Ça fait depuis combien de temps que t'as pas posé les pieds ici ?

- Je sais plus, j'ai arrêté de compter, avouai-je platement. Une semaine ?

Cynthia secoua platement la tête, prit une seconde gorgée d'eau.

- T'es revenu pour de bon ?

- Je crois... (Je baissai les yeux sur mes mains, sur la table.) Ma vie a été un peu compliquée, dernièrement. Mais je crois que c'est fini. Tout est en ordre.

- J'ai droit à des explications ?

- Non.

Je levai les yeux pour voir ceux, sévère, de Cynthia. Mais je n'allais tout de même lui annoncer les faits !

Télio a tué le roi, je l'ai aidé à s'enfuir, ensuite j'ai tué les gardes, avec l'aide de mes clones, et ensuite on a mené une révolution la nuit dernière, j'ai tiré une balle en pleine tête au nouveau roi, je lui ai éclaté la cervelle. On s'est amusé comme des petits fous !

- Cynthia, dis-je, je veux pas m'éterniser là-dessus, tu pourrais pas comprendre. Je voulais juste savoir si tu allais me chasser d'ici et qu'il faudrait que je me trouve un nouvel endroit où dormir.

- Pourquoi je te chasserai ? s'étonna-t-elle. OK, tu es certainement le gamin le plus difficile à plaire, mais je sais que tu n'as que moi. Et je n'ai que toi. Alors, on va bien ensemble, non ?

- Peut-être bien. Mais je ne suis pas seul... Vraiment pas, en fait. Tu sais, Télio, c'est pas mon jumeau ; c'est mon clone. Et j'en ai huit autres un peu partout.

- Sept ! cria Aël depuis ma chambre.

- Sept ? répétai-je en me tournant vers ma porte de chambre.

- Ulysse est mort.

Je gardai le silence, étonné. Je ne m'étais pas attendu à ce genre de nouvelle à huit heures du matin.

- Qui est dans ta chambre ? demanda Cynthia.

- Des clones. Pouvez sortir ! criai-je.

La porte s'ouvrit sur Aël et Hadrien. Ils regardaient toujours un peu partout, impressionnés de tout.

- Venez vous assoir, m'impatientai-je.

Ils s'exécutèrent, prenant chacun une chaise à chaque extrémité de la table.

- C'est ta « mère » ? demanda Aël en mimant les guillemets.

- En quelque sorte...

- T'as un père, aussi ? demanda Hadrien.

- Ou... non.

- Ou non ? Oui ou non ?

- Non.

Hadrien haussa un sourcil, un petit sourire au coin des lèvres. J'avais vraiment l'impression d'avoir Télio devant moi. Pour cause ; j'avais presque dit oui, pensant à Jeremy. Hadrien l'avait remarqué.

De son côté, Cynthia avait chaque main appuyée sur les tempes, l'air de se dire : « Des Télio partout ! Au secours ! »

- Peu importe ! m'énervai-je. Vous pouvez rester ici ? Je vous retrouve dans peu de temps. J'ai un truc important à faire.

- Et on fait quoi, nous ? demanda Aël en se redressant. On sait même pas où sont les autres.

- Restez ici, répétai-je. Je vous retrouverai dans peu de temps.

Sans leur laisser le temps de répliquer, j'allai à ma chambre et fermai la porte. Je me débarrassai de mon pyjama, le laissant trainer dans le plancher, et enfilai ma combinaison – ou plutôt celle que j'avais donnée à Aël, qui l'avait donné à Télio, qui l'avait donné à moi – puis sautai par la fenêtre pour m'envoler. Je me sentais un peu mal de les abandonner avec Cynthia, mais je ne pouvais plus attendre une seconde de plus ; il fallait que je voie Debbie.

J'arrivai devant la fenêtre de son appartement en moins de cinq minutes. Debbie était là, me tournant le dos, ne portant rien de plus que des sous-vêtements. Je me transformai en m'asseyant sur le rebord de fenêtre qui était ouverte, me raclant la gorge pour signaler ma présence. Debbie sursauta en se retournant, se cachant le corps de ses bras.

- Télio, grogna-t-elle.

- Je suis Miö.

- Prouve-le.

Je soupirai, dépité. Ce sera comme ça, maintenant ; il faudra que je prouve qui je suis, à tout le monde. Peut-être que je devrais me faire un badge « Je suis Miö » et me le coller sur le front.

Je tirai sur la fermeture éclair de ma combie, montrant mes cicatrices. Debbie hocha la tête, satisfaite, puis s'élança pour me prendre dans ses bras. Je me levai pour l'accueillir, les bras grands ouverts.

- Tu étais passé où, depuis tout ce temps ?

Avec Cynthia, j'avais refusé de parler. Avec Debbie, toute l'histoire sortie d'un coup de ma bouche, sans même prendre le temps de me demander si je devrais ou pas. J'expliquai même la fin, où je tuais le roi d'une balle entre les deux yeux. Il y eut ensuite un long silence, le temps qu'elle digère l'information.

- T'as rien inventé ? demanda-t-elle enfin.

- Je suis pas Télio.

- Non, mais, sérieux ! Tu as tué combien de personnes, en tout ?

Debbie se dégagea de mes bras pour mieux me dévisager. Je rougis, baissant les yeux. Debbie me tourna le dos pour enfiler des vêtements, pigé au hasard dans sa garde-robe.

- Je sais plus, marmonnai-je. J'ai perdu le compte.

Debbie ne dit rien, continuant d'enfiler ses vêtements. Je m'assis à nouveau sur le rebord de la fenêtre.

- Est-ce que tu m'aimes encore ? demandai-je timidement.

Debbie se retourna enfin vers moi, plaçant le bouton de ses jeans devant la fermeture. Je baissai à nouveau les yeux, intimidé.

- Malheureusement, oui, dit-elle enfin. Mais ça devient trop bizarre, même pour moi. À chaque fois que je te vois apparaitre à ma fenêtre, c'est toujours pour des mauvaises nouvelles.

- J'en ai une bonne, dis-je en relevant la tête. Tout est fini. Je ne partirais plus. Plus rien ne va m'empêcher de retourner en cours, de suivre les entrainements, de passer autant de temps que tu voudras avec moi.

- Vraiment ? Tout est complètement fini ?

- Ouep.

- Complètement ?

- Oui ! m'impatientai-je. Je sortirai plus de la ville avant un bon moment ! Enfin... (Je levai les yeux au ciel en soupirant, venant tout juste de penser à un truc.) Il faut encore propager la nouvelle jusqu'au village, et ça ne m'étonnerais pas que ce soit Télio et moi qui nous retrouvons avec ce boulot, étant donné qu'on peut voler, ce sera beaucoup plus rapide ainsi... Mais c'est l'histoire d'une journée, et c'est tout ! Un simple aller-retour !

- Ouais, soupira Debbie. Et je suppose que ce sera aujourd'hui.

- Probablement.

Je me mordis la lèvre, nerveux. Je lançai un regard vers la rue, depuis la fenêtre ; tous les passants semblaient se diriger vers la tour. Sauf que cette fois, je remarquai que les gardes aussi prenaient cette direction, ce qui était étrange. Ils n'avaient généralement rien à faire là-bas.

- Je crois qu'il y a un truc, dehors... C'est probablement l'annonce de ce qui s'est passé hier soir, mais il vaudrait peut-être mieux que j'y aille, dis-je en levant les yeux vers Debbie.

- Vas-y, soupira-t-elle. J'ai l'habitude de tes absences prolongées.

- Mais tu peux venir toi aussi ! m'empressai-je d'ajouter. Toute la ville y sera, à ce que je vois.

Debbie eut l'air de réfléchir pendant deux secondes, avant de hocher la tête et de sourire. C'était son premier sourire sincère depuis que j'étais arrivé ici.

- J'y avais pas pensé, avoua-t-elle dans un rire. J'ai un peu l'habitude que tu fasses tout par toi-même... Enfin, toi et Télio, plutôt.

- C'est fini, dis-je en secouant la tête. Maintenant, c'est les vacances ! Tu viens ? Il faudrait pas trop trainer, ou on va manquer le début.

- Ouais, mais je peux pas passer par la fenêtre, dit Debbie en riant. Viens.

- Euh... Attend, je vais pas passer par là... devant tes parents, en portant que ma combie ! Et même, c'est pas la mienne, c'est celle d'Aël, qui est un peu plus petit que moi, et... ça me moule bien, disons...

Debbie éclata de rire, secoua la tête pour se reprendre, puis alla vers sa penderie pour en ressortir un jean et teeshirt.

- C'est à toi, me rappela-t-elle. C'est là depuis longtemps, en fait, j'ai jamais pensé à te les rendre.

J'éclatai de rire à mon tour, me souvenant que, dans mes premières visites nocturnes chez Debbie, j'avais une fois apporté des vêtements chez elle, au cas où. Ils ne m'avaient jamais servi, en fin de compte... jusqu'à aujourd'hui.

J'enfilai les vêtements et Debbie m'apporta ensuite une paire de souliers.

- Prêt à affronter mes parents, maintenant ?

- Non, dis-je avec un sourire crispé.

Ses parents n'avaient jamais approuvé notre relation ; de un, nous étions trop jeunes ; de deux, c'était moi. Ils auraient préféré que leur fille tombe amoureuse de n'importe quel gars, tant qu'il n'est pas bizarre comme moi. Ce n'était pas seulement parce que j'aime voler que je passais toujours par sa fenêtre, mais plus sérieusement parce que ces parents me faisaient peur.

- Viens, Miö, soupira Debbie en me prenant la main. Ils vont pas te bouffer.

- Je suis probablement pas comestible, marmonnai-je dans un haussement d'épaules.

Debbie m'entraina à sa suite dans l'appartement. Je regardai partout un peu nerveusement ; j'étais passé par là une seule fois dans ma vie, quand je m'étais rendu compte que ses parents me détestaient. Avec un peu de chance, peut-être étaient-ils déjà partis. Je voyais la porte d'entrée toujours de plus en plus proche, il fallait juste traverser les deux mètres restants...

Et c'est là que j'entendis les bruits de pas, dans la pièce voisine. Je pris les devants de la marche, dépêchant Debbie d'avancer plus vite.

- Debbie ? appela sa mère. Tu pars déjà ?

Sa mère arriva enfin dans la pièce. Elle figea en me voyant, je baissai les yeux en lâchant la main de Debbie, reculant vers la porte. Debbie vint derrière moi et me poussa légèrement dans le dos, me forçant à avancer.

- Bonjour, Miö, dit enfin la mère de Debbie.

- Salut.

Je levai les yeux, pour voir cette fois le père faire son apparition. Il vint se mettre au côté de sa femme, un bras autour de sa taille d'un air protecteur. Il restait là, sans rien dire, comme une sentinelle. Ou... comme un garde. Je plissai les yeux, essayant de l'imaginer en uniforme, et... oui. Pas de doute, c'était un garde. Il savait tout de la nuit d'hier, bien sûr.

- Ça fait longtemps que tu es ici, Miö ? demanda la mère.

- Je viens juste d'arriver, dis-je en baissant à nouveau les yeux. Et... je vais y aller.

Je me retournai vers la porte, mais une main sur mon épaule m'en empêcha.

- Pas si vite, Miö ! dit le père, mettant sa deuxième main sur mon autre épaule pour m'encercler. Je voulais juste te dire un petit truc... J'étais présent, hier. J'ai vu, j'ai participé... Je sais que vous êtes nombreux, mais si je te vois à nouveau avec ma fille – toi ou un autre, qu'importe – je te tue. OK ?

Il avait un sourire aimable au visage, l'air de dire : « fait attention à toi, il annonce une tempête aujourd'hui. OK ? »

- Oh... OK, bredouillai-je.

- Papa ! s'écria Debbie. Tu peux pas...

- Oh que oui, je peux ! Merde, Debbie, il est même pas humain ! Ils étaient au moins huit, tous identiques !

- Je suis aussi humain que toi ! m'énervai-je. Et les autres aussi. On se ressemble, mais on n'est pas tous pareil...

Je grimaçai, réalisant un peu tard que mon argument était plutôt pourri. Je secouai la tête en soupirant.

- Si vous essayez de me tuer, moi ou un autre, je vais vous tuer en premier.

- Miö, dit Debbie dans un gémissement.

- Hé, je vous comprends de vouloir protéger votre fille, mais je ne lui ferais jamais aucun mal. Ni moi ni mes clones. Pas même Télio – lui, je vais le surveiller de près. Je peux rien vous promettre de plus.

Je me dégageai des bras du père de Debbie autour de mes épaules et sorti de l'appartement en coup de vent. Je marchai vite, énervé, essayant d'oublier les sons de dispute que j'entendais derrière mon dos. Mon nom revenait souvent dans l'équation, mais aussi celui de Télio et, étrangement, celui de Simmer. C'était bien une preuve qu'il était là hier soir, je suppose, pour connaitre Simmer.

Ça faisait une éternité que je n'avais pas vu Debbie. Et maintenant que c'était fait... Ça donne ça.

Je sortis de l'immeuble, prit une grande inspiration d'air frais, et me fendis dans le trafic, en direction de la tour. Valait mieux oublier et essayer de parler à Debbie une autre fois, je suppose...

- Miö !

C'était la voix de Debbie, qui courrait derrière moi pour me rattraper. Une autre fois était venue plus vite que prévu...

Je ralentis le pas, enfonçant mes mains dans mes poches. Debbie arriva enfin à ma hauteur et se mit à marcher à mes côtés.

- Je suis désolé, souffla-t-elle.

Je marmonnai un « Hum, hum », sans grande conviction. Elle ne semblait pas se rendre compte que des menaces de mort n'étaient pas particulièrement agréables à recevoir.

- Miö ! Je suis désolé ! insista-t-elle, tirant sur mon bras pour que je m'arrête de marcher.

- Oui, je sais. C'est pas à toi que j'en veux. C'est ton père !

- Maman lui a fait son discours. Elle est pas d'accord avec ce qu'il a dit. Et mon père n'a pas beaucoup dormi, cette nuit, alors tu peux le pardonner pour ces paroles en l'air. Il n'essayera pas de te tuer. Ni toi ni tes innombrables clones. Tu peux en être sûr.

- J'espère bien... Mais je te jure, je passerais plus par la porte.

- Ma fenêtre sera toujours ouverte pour toi. Et puis, tu m'as pas dit... les autres clones, ils savent voler, eux aussi ?

- Non, t'inquiètes pas, dis-je dans un rire. Y'a que Télio et moi. Les autres sont à quatre pattes. Ou à huit, dis-je, pensant à Aël. Voir aucune patte, pour Hadrien... Mais ça va aller, je te jure. Télio était le pire, mais les autres sont gentils. Aël a un peu tendance à insulter tout le monde, mais je crois pas qu'il le pense vraiment.

- Et vous êtes combien, en tout ?

- Dix. Bah, plutôt neuf... Ulysse est mort hier soir, soupirai-je en baissant les yeux. Il avait que douze ans.

- Je suis désolé.

Je répondis d'un sourire incertain, regardant distraitement le trafic autour de nous dans la rue.

- On devrait y aller, insistai-je. On va vraiment manquer le début.

Debbie hocha la tête, sans rien ajouter. Je l'embrassai rapidement, et nous reprîmes notre route.

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