Chapitre 84

J'entendis brièvement des hurlements dans la foule, mais je n'y faisais pas attention. Tout le reste du monde disparut de mon esprit ; il ne restait plus que moi, Math et ce grizzli.

- Ça y est, on meurt, murmurai-je.

- Bouge ! hurla Math.

Il me tira à son tour par le poignet, courant parmi la foule qui se sauvait dans tous les sens. Je le suivis, complètement perdu. Je n'arrivai plus à comprendre quoi que ce soit, avec tous ces hurlements de panique.

- Miö, il faut que tu t'envoles, dit Math, haletant.

- Je t'abandonne pas.

- C'est toi, qu'il veut !

- Il nous veut tout les deux !

Comme pour me confirmer, j'entendis le grizzli grogner derrière nous, contrarié que ses proies se sauvaient dans la foule. Puis, comme pour le provoquer, le hurlement d'un loup se fit entendre, et ensuite le feulement d'un félin ; un guépard. Simmer et Seth, derrière nous, s'attaquaient à Mikaël. Je me permis enfin d'arrêter, cacher au coin d'un petit entrepôt dans le jardin de la maison du roi. Le loup faisait face au grizzli, babine retroussée, alors que le guépard, derrière le grizzli, lui sautait sur le dos, enfonçant ces griffes dans le dos et ses crocs dans le cou. Le loup lui mordit une patte avant, le grizzli l'envoya balancer d'un coup de la même patte, puis s'ébroua pour faire tomber le guépard. Ils revinrent rapidement à la charge, mais je remarquai rapidement que, cette fois, Simmer boitait.

Math me tira par les épaules, m'obligeant à reculer et me faire perdre de vue le combat. Je me sentais trembler de tout mon corps, j'avais les yeux qui me brulaient sous l'envie de pleurer.

- Ils vont pas le faire, murmurai-je difficilement. Mikaël va gagner. C'est un putain de grizzli !

- Taie-toi ! murmura Math. S'il gagne et qu'il veut vraiment nous tuer, il s'aura pas nous flairer. (Il fit un signe du doigt vers la foule qui s'éparpillait un peu partout dans le jardin, à la recherche de la sortie.) Trop d'odeur contradictoire. Par contre, il risque toujours de nous entendre. (Math lança un regard en direction du combat, grimaçant.) Il voudra me tuer pour avoir dévoilé son petit secret. Et toi parce que t'es un clone... Je suppose qu'il va vous traquer jusqu'au dernier.

J'essuyai une larme qui s'était mise à couler le long de ma joue.

- Je me doutai qu'il était timbré, mais à ce point ? Pourquoi il veut tuer les clones, s'il en est un lui-même ?!

- Tu l'as dit toi-même... Il est timbré. Et dire que le roi d'avant l'avait choisi...

- Mais justement, dis-je en me frappant le front, venant tout juste de comprendre. Il finançait le projet de clonage. J'aurais dû me douter qu'il en avait gardé un pour lui.

- Je croyais que c'était toi, celui qu'il avait gardé.

- Non. Moi, il m'a juste trouvé, après coup.

Un hurlement d'animaux à l'agonie me fit redresser les poils sur tout le corps. Je me levai d'un bon et allai voir où en était le combat ; Simmer version humaine était étendu de tout son long devant Mikaël le grizzli. Seth le guépard essayait encore de l'atteindre, mais toutes ses attaques semblaient le laisser ni chaud ni froid. Le grizzli leva la patte, prêt à l'abattre sur Simmer et le tuer une bonne fois pour toutes.

Je me retournai vers Math, qui était toujours assis dans l'herbe devant moi, prit le pistolet à sa ceinture, retirai le cran de sureté, visai, tirai. La balle toucha l'intérieur de la patte du grizzli, qui grogna de douleur. Ses yeux se plantèrent dans les miens, puis il s'élança vers moi. Je lançai le pistolet vers Math et m'envolai juste à temps, trop haut pour qu'il puisse m'atteindre. Math, pendant ce temps, tira une seconde balle sur le grizzli, puis une troisième. Le grizzli s'élança alors vers lui, et Seth le guépard lui sauta à la gorge, faisant gicler le sang. Le grizzli tenta de le repousser d'un coup de patte, lui labourant le ventre au passage, mais Seth tint bon.

Derrière eux, Simmer se relevait péniblement, se tenant le ventre à deux mains. Il était couvert de sang et avait le teint particulièrement blême, mais réussi tout de même à se lever, puis à s'approcher lentement. J'allai me poser près de lui.

- Simmer, laisse tomber, murmurai-je. Seth est sur le point de l'avoir.

Simmer secoua la tête, agacé. Il prit une grande inspiration, se transforma et se lança dans le tas. Il mordit le grizzli dans le cou, du côté opposé de Seth. Math lui envoya une quatrième balle, dans le flanc cette fois.

Mikaël le grizzli redevint Mikaël l'humain, pissant le sang d'un peu partout. Seth et Simmer le lâchèrent, reprenant eux aussi forme humaine. Comme preuve que le danger était écarté, Arthur, Télio, Aël et Hadrien sortirent de leur cachette, qui était au coin de la maison.

- C'est bon... z'avez gagné, marmonna faiblement Mikaël, se tenant la gorge à deux mains.

Je pris le pistolet des mains de Math, m'approchai de Mikaël, et lui tirai une balle en pleine tête. Il tomba par en arrière, étendu au sol, les bras en croix.

- J'aime pas qu'on s'attaque à mes amis.

Je remis le cran de sureté en place avant de rendre le pistolet à Math. Il en fut tellement étonné qu'il le laissa tomber au sol, comme répugné de le toucher. Je lui lançai un regard intrigué, et fut étonné de me rendre compte que tout le monde me regardait avec les mêmes expressions au visage ; l'incompréhension, la peur, le dégout.

- Miö, dit Télio en faisant un pas vers moi. C'est le genre de truc que j'aurais fait. Mais avec un couteau... Je suis pas à l'aise avec les armes à feu.

Je grimaçai un sourire, nerveux. Télio venait de me confirmer que j'avais vraiment agi comme un fou débile.

- C'est bon, Miö, dit un garde au loin, sortant à son tour de sa cachette. (Je reconnus Creg, le garde rebelle.) J'avais pas voté pour lui, de toute façon. Et moi aussi, je lui aurais tiré dessus, si j'en avais eu l'occasion. Tu l'as dit, dit-il en pointant Simmer, un soldat ne peut pas être roi. Lui particulièrement. Il était complètement fou... En tout cas, bravo. Bienvenue dans la cité.

- Sérieux ? demanda timidement Aël. Juste comme ça ?

- Ouais. Y'a plus de roi, alors, soyez gentil jusqu'à ce qu'il y ait un nouveau. Il verra bien, lui...

- Et ça va recommencer, grogna Simmer.

- Non, dit Creg dans un rire. Ce sera pas un clone, cette fois-ci, on s'en assurera. Ce sera... un ancien garde, probablement.

- Comme vous ?

- Non, moi, je suis toujours un garde.

Il fit un clin d'œil plein de sous-entendus à Math. Ses yeux s'agrandirent comme des billes.

- Mon père ?

- Il ne pourra plus jamais être garde, dit Creg dans un haussement d'épaules. Sa jambe s'est cassée en plusieurs points, il aura trop de mal à courir. Un garde doit être en pleine forme. Alors, peut-être qu'il pourrait faire un roi. Moi, du moins, je voterai pour lui.

Math souriait maintenant de toutes ses dents, hochant vigoureusement la tête.

- Et il est où, mon père ? À l'hôpital ?

- Ouais... et je crois que vous devriez tous y aller.

Simmer grogna un « ouais », les deux mains toujours plaquées sur son ventre. Du sang et des poils de loup imbibaient ses vêtements.

- Qui veut des soins me suivent ! s'écria Math.

Il se mit à courir à pleine vitesse pour sortir de la cour du roi, et ensuite dans la rue, où il disparût rapidement dans l'obscurité. Simmer me lança un regard ennuyé.

- Viens, tu peux me suivre, dit Télio dans un rire. Je connais le chemin.

Télio, suivit par Simmer et Seth, sortirent à leur tour de la cour, en direction de l'hôpital. Il ne restait plus que Aël et Hadrien.

- Et vous, pas blessé ? demandai-je.

- À peine, répondit Aël. C'est rien de grave.

- Moi, je suis juste... vraiment fatigué, ajouta Hadrien.

- Venez. Je vais vous conduire chez moi. (Je lançai un regard vers Creg, incertain.) C'est sur que plus personne ne va essayer de nous tuer ?

- Je peux rien vous promettre. Mais dès que le soleil se pointera, on commencera à organiser tout ça. Donner des apparts à tout le monde, par exemple.

- Des apparts, murmura Aël, comme pour gouter au mot exotique. On devra payer un loyer ? Parce que j'ai pas un sous. Mais je suis prêt à travailler !

- Et t'as quel âge ?

- Quatorze ans.

- T'es un peu trop jeune pour travailler, dit Creg dans un rire. Ne vous inquiétez pas de ça. On en reparlera demain. Allez vous coucher.

Creg nous abandonna, allant rejoindre d'autre villageois pour leur transmettre la nouvelle. Donc, j'entrainai Aël et Hadrien avec moi.

Sans avoir eu besoin de se transformer depuis l'épisode des portes, ils étaient tous les deux toujours vêtus de leur uniforme de garde trop grand pour eux. L'un à ma gauche et l'autre à ma droite, j'avais l'impression d'être quelqu'un d'important, qui ne se déplace jamais sans ses gardes personnels.

Arrivés devant mon appart, nous passâmes par la fenêtre pour ne pas réveiller Cynthia. Ça faisait une éternité que je ne lui avais pas parlé, et malgré tout, je n'étais pas pressé de m'y remettre.

Je prêtai des pyjamas à Aël et Hadrien, et nous dormîmes à trois dans mon lit double. C'était un peu serré, mais nous étions tellement épuisés que nous sombrâmes en quelques minutes.

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