Chapitre 82
Télio
Juste après le départ en traitre de Miö
Miö était parti comme un traitre, laissant tous les autres se battre pour lui. Je savais qu'il devait le faire, c'était moi qui avais trouvé le plan, et c'était moi qui avais dit : « À ce moment-là, Simmer et toi – Simmer parce qu'il sait parler, et toi parce que tu connais le chemin -, vous trouverez le roi et essayerez de trouver un arrangement. Pendant ce temps, on se battra pour notre vie, et advienne que pourra ». C'était exactement ce qui était en train de se passer, on pouvait même dire que tout allait « comme sur des roulettes ». Et pourtant, ça me mettait en rogne.
Tout le monde se battait contre tout le monde. Je m'étais transformé en hibou pour prendre un peu de hauteur, venant en aide à qui en avait besoin, par exemple, en tirant sur les cheveux d'un garde qui tenait dans le viseur je ne sais plus quel clone qui lui tournait le dos. Le garde sursauta, essaya de ce défaire de mon emprise, et je changeai de cible pour lui labourer le visage de mes serres et lui crever les yeux. Dès qu'il se mettait à hurler un peu trop fort, j'abandonnai ma cible pour reprendre de la hauteur, disparaissant dans l'obscurité sans attirer trop d'attention, et revenir à la charge un peu plus loin contre un autre garde.
Au départ de Simmer et Miö, il n'y avait que dix gardes à nous barrer le chemin. Maintenant, il n'y avait plus seulement des gardes, mais tout membre de la ligue confondu, possédant une arme à feu et ayant entendu le grabuge de la petite bataille qui se déroulait dans la cour du roi. Aux finales, il y avait plus d'adversaires qui arrivaient, que ceux qui mourraient. Nous serons assez vite écrasées sous le nombre, malgré les six machines de guerre vivantes restantes dans le groupe ; Arthur, Seth, Aël, Hadrien, Ulysse et moi.
Surtout Ulysse. Le petit discret qui parlait rarement, si ce n'est pour dire des conneries avec Aël et Hadrien. Il était le plus petit de la bande, en dehors de Riley qui était resté au village. Il n'avait que douze ans ; il n'avait pas sa place ici. Il aurait été l'une des premières victimes, écrabouillé par quelqu'un qui ne l'aurait pas vu à temps. Bien, sûr, je m'étais trompé sur toute la ligne... sauf la dernière.
La forme animale d'Ulysse, c'était un éléphant. Et merde que c'était impressionnant ! Malgré son jeune âge, il était aussi énorme qu'un éléphant adulte – du moins, il en donnait l'impression à ce que j'avais vu dans le livre de Math. Il avait des défenses de deux pieds de long, des pattes pour aplatir les gardes sur son chemin aussi surement que des crêpes. Une trompe pour repousser ceux qui s'approchaient d'un peu trop près. C'était beau de le voir aller, et j'avoue que j'avais un peu perdu de mon utilité, à regarder ses exploits.
Il y avait seulement un petit détail qui ne lui allait pas... sa taille énorme faisait de lui une cible idéale. Tous les gardes des alentours tiraient sur lui, les dizaines de balles s'enfonçant dans sa peau grise et épaisse... Ses exploits avaient été beaux, mais courts. Cinq minutes que la bataille était commencée, que Ulysse reprenait forme humaine, incapable de faire plus, pour ensuite tomber à plat ventre, le corps recouvert de sang.
Je crois me souvenir que je n'ai jamais adressé la parole à Ulysse. J'ai peut-être fait un sourire discret quand il s'était présenté, et c'était probablement le seul moment où nos regards se sont croisés. En dehors du fait que nous partagions le même ADN, je pouvais dire qu'on ne se connaissait pas. Et bien malgré moi, tout ce qui réussit, dans le fait de voir le pauvre petit Ulysse mort au milieu de guerrier qui piétinaient son corps, à me faire perdre une larme, fut d'imaginer – non sans grande difficulté – qu'il s'agissait du corps de Miö. Et de me dire : Tout ça est entièrement de ma faute.
Fou de rage, je piquai vers les ennemis, autour du corps de mon frère – on peut l'appeler comme ça, je suppose – et leur crevai les yeux à tour de rôle. Entendre ses gardes hurler de douleur, alors qu'aucun n'osait me tirer dessus puisque j'étais trop petit et qu'ils risquaient de tuer, plutôt, le garde sur lequel je m'acharnais à ce moment-là, me procurait un plaisir malsain. Comme si j'accomplissais enfin ce pour quoi j'étais née ; tué à la chaine. Comme la digne machine de guerre que j'étais.
Pourtant, je me rendis assez vite compte que tout cela était inutile. On continuait de tuer, les méchants continuaient d'affluer, et aux finales, il n'y aurait plus de ville à la clé ; elle sera complètement vide, et on se retrouvera avec des orphelins dans les bras. Il fallait que ça cesse avant d'en arriver à ce point.
J'abandonnai le champ de bataille pour me poser sur le rebord du toit de la maison, juste au-dessus de la porte d'entrée, et me transformai pour reprendre mon souffle. Personne ne me remarqua dans la nuit, et probablement aussi que tout le monde était trop occupé pour lever les yeux.
Quand j'eus retrouvé assez de souffle, je me levai à nouveau, en équilibre sur le toit, mit mes mains en portevoix, et hurlai à pleins poumons :
- TREEEEEEEEEEVE !
Le peu de survivants restant se retourna vers moi, surprit. Un garde leva son pistolet vers moi, un adulte de mon camp s'élança sur lui pour le lui arracher des mains, et la guerre reprit sans plus de cérémonie, l'enjeu étant maintenant de les empêcher de me tirer dessus.
- Trêve, j'ai dit ! ARRÊTEZ !
En continuant de hurler ainsi, je parvins enfin à imposer une trêve provisoire. Si j'avais eu Mathématique avec moi, il aurait pu me faire un petit calcul approximatif de la durée estimé de cette trêve ; plus ou moins dans les dix secondes. Je n'avais pas de temps à perdre.
- Ça sert à rien, les mecs ! On a perdu ! Foutez le camp ! S'il faut tuer tout le monde pour avoir cette ville, c'est qu'on mérite pas de l'avoir ! Moi, je me barre ! OK, on est venu ici pour vivre en paix, sérieux ! C'est pas ce que j'appelle la paix.
- C'était ton plan, Télio, me rappela Arthur un peu plus loin dans les rangs, complètement nu et couvert de sang.
- Télio ! s'écria un garde.
Il leva à nouveau son pistolet vers moi, et encore une fois, un adulte s'élança vers lui pour essayer de le lui arracher.
Énervé que le contrôle fût à deux doigts de m'échapper, encore une fois, je hurlais un « STOP » si fort que la maison, sous mes pieds, en trembla sérieusement, et les fenêtres se fissurèrent. Les quatre clones éparpillés dans les rangs se firent particulièrement remarquer en hurlant, se cachant les oreilles de leurs mains et se pliant en deux. Pour ma part, je parvins de justesse à éviter cette impulsion, malgré que mes mains s'étaient mises à trembler. Je serrais les poings, essayant de reprendre contenance.
- C'est bon, on arrête ? On retourne à la maison ?
- Mais t'es con, ou quoi ? dit à nouveau Arthur. Notre maison, c'est ici ou nulle part. On a trop donné pour abandonner maintenant.
Une rumeur affirmative s'éleva dans les rangs, du côté des alliés. Dépité, je me laissai tomber assis sur le bord du toit, balançant mes jambes dans le vide.
- C'est con, y'a déjà la moitié de ceux qui voulaient cette nouvelle maison qui sont morts. Y'en aura encore plus de morts par après, à cause de ton obstination. Comme Ulysse.
Cette fois, Arthur ne répliqua rien. Il sembla enfin se rendre compte qu'il manquait une tête rousse à l'appel. Son visage blêmit à l'extrême alors que ses yeux fouillaient la foule. Hadrien se mit à pleurer sans discrétion, Aël s'élança dans les bras de Seth qui était à côté de lui. Les autres adultes se lancèrent des regards incertains, l'air de se dire : « Quoi ? Je croyais qu'ils étaient immortels, ces gamins ! »
- Ulysse avait douze ans, pas vrais ? Cette nouvelle maison valait la peine qu'il meurt, vous croyez ?
- La ferme, espèce de taré ! hurla Aël, toujours pendu au bras de Seth. Pas la peine de remuer le couteau dans la plait...
Aël se mit à pleurer à son tour, alors que Seth s'efforçait de le consoler. Il avait les yeux dans le vide, les lèvres tremblantes. Il semblait sur le point de s'y mettre, lui aussi.
- Je veux partir d'ici, murmura Aël avec l'énergie qui lui restait.
- Vous savez quoi ? dit un garde en levant les bras au ciel. Je sais même pas pourquoi on vous empêche d'entrer. Moi, je me bats plus.
D'autres gardes hochèrent la tête. Ils remirent leurs pistolets dans leurs ceintures, convaincus.
- Miö est en ce moment même en train d'argumenter avec le roi, dis-je. Eux, ils décideront de qui aura gagné.
- Ça me va, marmonna un garde.
- Toute façon, si quelqu'un doit mourir, ce serait seulement toi et Miö, dit un autre garde. Les autres, j'ai rien contre eux.
- Pas de problème, dis-je en haussant les épaules. Je sais que t'as raison... Pour moi, pas pour Miö. Tu le tues, je te tue aussi.
- Je te tuerais en premier.
- J'éviterais de mourir.
Le garde leva les yeux au ciel, désespéré.
- C'est une trêve, alors stop les menaces de morts !
- C'est toi qui as commencé, grognai-je.
- C'est vous qui avez attaqué.
- OK, OK, c'est bon ! dis-je en levant les mains pour essayer de le calmer. J'ai compris le message. On a tous compris.
Je levai les yeux vers les autres clones et les adultes, qui hochèrent la tête. Même les gardes hochaient la tête.
- Trêve, répétai-je dans un soupir de soulagement. Reste plus qu'à voir qui va gagner...
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