Chapitre 81
Simmer s'agenouilla devant la trappe. Il y avait un énorme cadenas, impossible de le casser à main nue.
- Tu connais le code, Math ? demanda-t-il tout en tirant dessus.
- Je connais peut-être beaucoup de chose, mais pas à ce point-là, dit Math en secouant la tête. Et toi, tu saurais pas le casser, sous ta forme de loup ?
- Je suis fort, mais pas à ce point-là, dit Simmer sur le même ton.
Je m'agenouillai à mon tour près de la trappe, collant presque mon oreille dessus, et fis un tour complet avec la roulette.
- Qu'est-ce que tu fais, Miö ? s'étonna Simmer.
- Oh, je sais, dit Math avant que je ne puisse répondre. Il va craquer le code.
Je souris de fierté, me mordant la lèvre pour essayer de m'en empêcher, puis me remis assis en face de Simmer.
- Je pourrai, avouai-je en les regardant tour à tour. Mais je crois qu'il sera plus à l'aise de dire ce qu'il pense vraiment s'il croit qu'il nous est impossible de l'atteindre.
- Oh, tu te la joues psychologique, pouffa Math.
- Tu peux monter la garde devant la porte ? demanda Simmer. Si tu vois quelqu'un... t'aura qu'à crier.
- Ça, je sais le faire, dit Math en sortant le pistolet qu'il avait de coincer dans la ceinture et quittant la pièce.
Songeant que quelques informations supplémentaires ne seraient pas de trop, je me transformai, toujours au-dessus de la trappe, puis poussai un petit cri pour tenter de voir avec mes oreilles. Je secouai la tête en me retransformant.
- C'est trop épais, soupirai-je. Je peux pas « voir » en travers. J'ai aucune idée s'il est vraiment là-dedans.
- C'est pas grave, dit Simmer. (Il toussota dans son poing, avant d'élever la voix.) Hum, monsieur le roi ? Vous êtes là-dedans ?
Personne ne répondit. Simmer leva les yeux au ciel dans un soupir.
- Ah, j'ai l'impression que vous n'êtes pas là. Je vais devoir fouiller toute la ville en semant la mort et la désolation partout derrière moi !
- Poétique, ne pus-je m'empêcher de dire.
- La ferme, dit Simmer en me lançant un regard noir. Dernière chance ! Vous êtes là-dedans, ou pas ? On veut juste parler !
- Qu'est-ce que vous voulez ?! répondit quelqu'un.
Je grimaçai, levant les yeux vers Simmer. Cette voix semblait beaucoup trop jeune pour appartenir au gouverneur de Digora. En même temps, c'était encore pire d'imaginer qu'elle appartenait à un garde. Pour être de la garde rapprochée du roi, il fallait de l'expérience, à ce que j'en sais. Ce n'était pas ce qu'on pouvait obtenir comme premier emploi.
- Je veux parler au roi, répondit Simmer. Directement.
- C'est moi. Qu'est-ce que vous voulez ? répéta-t-il.
- Juste parler, dit Simmer. Vous êtes Mike ?
- Je m'appelle Mikaël.
- Cool, OK, bredouilla Simmer.
- Sa voix est bizarre, murmurai-je.
Simmer hocha la tête, le regard grave. Ce n'était pas seulement le fait qu'il soit jeune, il y avait aussi une étrange vibration dans sa voix.
- J'ai juste une requête, continua Simmer. Une place pour quatre-vingts personnes dans ta ville.
- Quatre-vingts personnes pleines de maladies, qui vont tuer les trois-cents habitants déjà présents ! Ce serait fou d'accepter.
- On a un docteur, à ce que j'en sais, répliquai-je. Il pourrait examiner et soigner tout le monde avant de les faire entrer.
- On n'a pas assez de nourriture pour tout le monde, continua Mikaël.
- On a un troupeau de vaches, et assez d'expérience en chasse et pêche, dit Simmer.
- Vous êtes des sauvages sans discipline, une bande de criminels ! Je veux pas de vous ici !
- Il n'a pas totalement tort, murmurai-je. On s'est bien frayé un chemin à coup de tronçonneuse...
- Oui, on a fait des meurtres, dit Simmer en me lançant un regard noir, autant pour moi que pour Mikaël. Mais tout ce qu'on voulait, c'était vous poser la question, et vos foutus gardes nous en empêchaient. C'était pour nous le seul moyen de tenter de faire une place ici, à Digora. C'était ça, ou mourir de faim.
- On n'a pas assez de ressources pour vous ici, je l'ai déjà dit ! Vous allez autant mourir de faim ici que là-bas. On va tous mourir de faim.
- C'est faux, m'énervai-je, me penchant un peu plus au-dessus de la trappe comme pour me rapprocher du roi, en dessous de nous. J'ai vu à quoi ressemblent nos fermes et nos serres. On montre aux habitants le strict minimum, mais c'est un véritable buffet qui est servi à la famille royale tous les jours. Rien que là, c'est un gros gaspillage. On pourrait sauver beaucoup de bouffe, rien que là.
- Assez pour quatre-vingts personnes ? dit Mikaël d'un ton moqueur.
- Non, avouai-je, mais je parlais que du buffet. Il y aurait plein de façons pour nous permettre de produire plus de nourriture. Permettre aux animaux de se reproduire, ne pas tuer les femelles...
- Tu nous prends pour des cons, ou quoi ? L'air est tellement pollué que la moitié de nos femelles sont stériles. La reproduction va vraiment mal, si tu veux tout savoir.
Je levai les yeux vers Simmer, désespéré. J'avais oublié ce détail, pourtant assez évident ; les problèmes liés à la pollution. Il s'agissait pourtant de mon dernier argument.
- J'ai plus d'idée, murmurai-je.
Simmer balaya l'air de la main, l'air de dire « pas grave. T'as fait de ton mieux ».
- On a usé de la manière douce... maintenant, allons-y avec la manière forte, dit Simmer dans un haussement d'épaules. Miö, ouvre la trappe.
- Que la Force soit avec moi, dis-je pour moi-même.
Je mis la main sur le cadenas, puis fermai les yeux. Je fis lentement tourner la roulette dans le sens des aiguilles d'une montre, concentrer sur mon ouïe, jusqu'à ce que j'entende un léger déclic. Je refis mon manège dans le sens inverse, puis au sens inverse du sens inverse... jusqu'à obtenir trois déclics. J'ouvris les yeux pour le moment de vérité, puis tirai sur le cadenas, qui s'ouvrit. Simmer lâcha un « ouais ! » victorieux pendant que je retirais totalement le cadenas pour le lancer derrière moi dans le bureau.
- La trappe est ouveeeerte ! chantonna Simmer, un grand sourire au visage. Je vais vous sauter dessus et vous tuez jusqu'au dernier si vous ne nous donnez pas ce qu'on veut !
- Nous sommes armés ! hurla un quelconque garde depuis le fond de la trappe. Et nous sommes prêts à tirer !
- Bah, nous aussi ! dit Simmer. On est une dizaine, armé jusqu'aux dents, prêt à tirer dès que j'ouvrirais la trappe !
Nous n'étions que deux, et aucun de nous n'étions armés. Mais c'était beau de rêver.
- Ouvre quand même, murmurai-je. Rien qu'un peu, pour entendre ce qu'ils disent.
Simmer se leva et prit la poignée de la trappe à deux mains pour la soulever de tout juste deux centimètres. Les conversations arrivèrent aussitôt à mes oreilles.
- Monsieur, entendis-je un garde murmurer en dessous. Reculez dans le fond de la salle, j'ai l'impression que ça va bientôt commencer...
- Non, répondit Mikaël. Laissez-moi faire, je suis sûr qu'ils mentent. Ils ne sont que deux, en haut. Deux clones, probablement ; leurs voix sont pratiquement identiques. S'ils se sont transformés en chemin, ils n'auront pas pu apporter d'armes.
- Les risques sont trop grands ; pensez d'abord à votre sécurité. Nous aurons besoin de vous après cette nuit d'enfer.
- Bah moi, je vois les choses autrement. Poussez-vous.
J'entendis les gardes reculer, ne pouvant refuser un ordre direct de leur roi. Je levai les yeux vers Simmer, qui semblait aussi inquiet que moi. Qu'est-ce qu'il pouvait préparer, pour se croire capable de battre Simmer et moi ?
- Vous l'ouvrez, cette trappe, oui ou non ? s'énerva Mikaël. Allez !
Simmer secoua la tête, se mordant la lèvre inférieure, puis ouvrit la trappe un peu plus grande. Je penchai la tête pour voir, par l'ouverture, une silhouette grimper l'échelle. J'étais inquiet, mais encore plus curieux. Je poussai la trappe d'une main pour que le roi puisse passer ; Simmer l'avait ouverte rien qu'assez haut pour que le roi se frappe la tête dessus.
Mikaël le roi émergea enfin de la trappe à quatre pattes, à côté de moi, puis se leva aussitôt, recula de quelques pas et nous dévisagea à tour de rôle. Il portait un jogging gris et teeshirt noir en guise de pyjama, et il ne semblait pas avoir plus de vingt ans, vingt-cinq au maximum. Ses cheveux étaient de plusieurs teintes de bruns, comme s'il les avait passés dans la poussière. Et ses yeux étaient verts... Le même vert que moi. Ou plutôt, que nous.
- T'as de beaux yeux, dit Simmer qui semblait avoir pensé à la même chose que moi.
Il lâcha la trappe sans laisser le temps au garde d'en sortir, produisant un grand bang à l'impact.
- Ouais, ouais, dit Mikaël en rougissant, l'air étrangement en colère à la remarque. On s'en fout. Vous êtes pas là pour parler de mes yeux, il me semble.
- Ni de ta voix... c'est quoi, t'as la grippe ?
- La ferme ! s'énerva Mikaël en serrant les poings. Vous êtes censé être gentil pour essayer de me convaincre de vous donner une place dans ma ville. Vous me donnez plutôt envie de vous tuer !
- C'est réciproque, répliqua Simmer. T'as déjà dit plusieurs fois que tu refusais. Tout ce qu'il me resterait à faire, c'est de te tuer et de gouverner à ta place.
- Tu serais déçu.
L'un comme l'autre était rouge de colère, à deux doigts de se lancer dans une bataille à mort. Simmer semblait même coincé entre ses deux formes, ne sachant plus laquelle était meilleure en cette circonstance. Ses crocs s'étaient allongés, ses yeux luisaient d'un éclat jaune. Il ressemblait plus que jamais à un loup-garou au premier effet de la pleine lune.
Je me mis devant lui, les mains en l'air.
- Ça va, on se calme, dis-je aussi doucement que possible. Ce serait injuste d'user d'un pouvoir qu'il n'a pas pour le tuer... Si tu veux vraiment gouverner, ce serait pas comme ça. Les habitants n'auraient que peur de toi.
- C'est vrai, dit Mikaël qui avait tout entendu. Ce serait injuste. Et puis, rien que le fait de me tuer tournerait toute la ville contre vous. En plus, tu es un clone. Pas totalement humain, en fait, personne ne voudrait se mettre derrière une bête comme toi.
En disant la dernière phrase, il semblait plutôt réciter un texte. Un argument qu'il aurait préparé à l'avance.
- Tu proposes quoi, alors ? dis-je en me tournant vers lui. Va falloir que tu trouves un arrangement, parce qu'on ne partira pas d'ici.
- Eh bien, tout ce que je vois, c'est de vous faire partir par la force.
- Essaie ! répliqua Simmer derrière moi. J'aimerai bien voir ça.
- Ouais, c'est sur que t'aimerais voir, dit Mikaël en montrant les dents, de la même façon que Simmer.
Il secoua la tête, soupirant pour essayer de se calmer, et alla s'assoir dans le fauteuil derrière le bureau. Il se trémoussa un peu sur la chaise, grimaçant.
- Les fesses de mon oncle sont imprimées dans cette chaise... Mes deux fesses entrent en entier dans une seule... Va falloir que je demande un nouveau fauteuil. C'est pas du tout confortable.
Il avait presque l'air professionnel, derrière son bureau. Sa remarque avait tout gâché.
- T'as été élu par vote ? demandai-je en allant m'assoir dans l'un des fauteuils pour visiteur devant le bureau.
- Pourquoi cet air de surprise ?
- Je connais plusieurs personnes qui auraient fait un meilleur travail que toi. Et pour dire, je connais très peu de gens, dans la ville... Je suis curieux ; pourquoi ils ont voté pour toi ?
- OK, j'avoue, soupira Mikaël en haussant les épaules. Le testament de mon oncle entrait dans l'équation. Ce n'était pas en son pouvoir de me choisir comme roi, mais plusieurs ont voté en fonction de qu'il voulait.
- Ah, c'est cool ! Moi qui croyais qu'il était plutôt du genre oncle Vernon. Au moins, il ne t'a pas enfermé dans le placard.
Mikaël serra les poings sur son bureau. Il ne semblait pas apprécier ma remarque. Qui sait, peut-être avait-il vraiment été enfermé dans le placard. Ça expliquerait que Math ne le connaisse pas, alors qu'il venait assez régulièrement ici.
- Tu viens d'où, en fait ?
- T'as pas fini, avec t'es question ?! s'écria Mikaël.
- J'aime bien tourner autour du pot, j'ai pas particulièrement hâte que ça se termine sur Simmer qui te tue.
Simmer hocha la tête, debout à côté de moi. Vraiment, Simmer n'attendait que ça.
- En fait, je viens d'avoir une idée, qui n'impliquerait le meurtre de personne. Il nous faudrait seulement un peu de temps pour l'exécuter... Attends... Nah, ça marcherait pas. Ou plutôt, peut-être qu'on... Mmh... Non plus. Non, vraiment, y'a rien à faire, faut que vous partiez. Et que vous ne reveniez jamais, de préférence.
- Et là, c'est le moment où je te tue, dit Simmer. T'es déjà avertie qu'on ne partira pas. T'as vraiment la mémoire courte !
- J'ai une mémoire sélective, je préfère oublier ce que je n'ai pas envie de savoir.
- Je peux t'exploser le cerveau, c'est tout aussi efficace.
Mikaël leva des yeux ennuyés vers Simmer, poussant un long soupir de lassitude. L'attitude de Simmer ne l'impressionnait pas le moins du monde. Mikaël se leva de son bureau, nous tournant le dos, et regarda par le plastique de la fenêtre.
- Tiens, la bataille est finie, dit-il pour lui-même.
Je me redressai, ne m'étant pas rendu compte que, effectivement, je n'entendais plus un son, en dehors de ce bureau.
- Qui a gagné ? demandai-je nerveusement.
- Difficile à dire... c'est trop sombre, j'arrive pas à reconnaitre tous ces corps... Et si on se faisait un arrangement en fonction des gagnants ? dit Mikaël en se tournant de moitié vers nous, montrant un grand sourire pervers. Si mes gardes ont gagné, ils vous tueront aussi. Si c'est le contraire, je serais seul – avec mes deux autres gardes toujours enfermés là-dedans – et ce sera vous qui me tuerez, je suppose. Ce sera amusant, comme jeux.
- Comme jeux ? s'écria Simmer, qui semblait toujours sur le point de se transformer. Vous êtes tordu, Mikey !
Mikaël se redressa, les yeux lançant du feu. Il fit un pas vers Simmer, prenant ses airs menaçants. Ils étaient exactement de la même grandeur.
- Ce surnom ne me va pas du tout, dit-il, la voix encore plus tremblante que d'habitude. Tu vas bientôt t'en rendre compte.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top