Chapitre 80

Je regardai un instant la quarantaine de personnes formant notre petit groupe de combattants passer les portes de la ville. En dehors de Math, perdu dans la foule, c'était la première fois qu'ils voyaient un semblant de civilisation d'entant, et ils semblaient particulièrement impressionnés.

- Allez, dit Télio en me donnant une tape sur l'épaule. Passons à l'étape numéro deux.

Je répondis d'un hochement de tête, puis sautai par la fenêtre pour voler jusqu'au sol pendant que Télio criait « frimeur ! » derrière mon dos.

- Math ! appelai-je en m'avançant à la rencontre de la foule.

- Ici ! dit-il en retour depuis le fond.

Il joua des coudes pour se frayer un chemin jusqu'à moi. Il retira le sac qu'il tenait à l'épaule, fouilla dedans, et en retira deux lampes torches et un paquet de batteries.

- Une pour toi, dit-il en me la tendant.

- Merci.

- L'autre pour... Simmer, dit-il en dévisageant les trois clones qui se tenaient près de lui en tendant la main. Heu...

- C'est moi, dirent-ils tous en même temps.

Math les regarda tour à tour, incertain. J'étouffai un rire alors que Télio arrivait près de moi, accompagné d'Hadrien qui avait enfilé les vêtements du garde.

- Je suis Simmer, s'énerva ce dernier en arrivant derrière les trois autres clones.

- Ah, ha, dit Math en lui donnant la lampe torche. Je savais. T'es celui avec une barbe.

- Je la fais pousser, moi aussi, s'indigna un clone – Arthur, je crois – en passant une main sur son menton, où il n'y avait que quelques poils solitaires. Où est Aël ?

Je dirigeai le fuseau de ma lampe torche vers la tour de garde de gauche – même si, dans ma position, ça donnait être ma droite.

- Là-dedans.

En disant ces mots, je vis Aël descendre l'échelle, habiller lui aussi d'un uniforme de garde.

- J'avais pas envie de rester là à ne rien faire, finalement, dit-il.

- Assez papoter, dit Simmer en m'éblouissant de sa lampe. Allons-y, avant qu'on se fasse voir.

- Attendez ! dit Aël en courant vers nous. Une dernière chose... J'ai trouvé ceci, dans la poche du garde.

Aël me présenta un pistolet, un grand sourire plein de fierté au visage. Je le lui prie des mains et son sourire s'évanouit aussitôt.

- Je voulais le garder, dit-il.

- Non, dit Simmer à ma place. T'es assez dangereux comme ça.

- Pas du tout ! dit-il tristement. J'ai plus de venin.

- Moi non plus, dit Hadrien. Et je m'en fous. C'est trop radical comme façon de tuer quelqu'un !

Avec un frisson de dégout, Hadrien ressortit un second pistolet de sa poche et le tendit à Télio qui était à côté de lui.

- Chance à Aël, j'avais même pas réalisé que j'en avais un sur moi !

- Mmm... marmonna Télio. Trop de mauvaises expériences. Qui le veut ?

- Je peux ? demanda Math en faisant un pas.

- Tu vas pas me tirer dessus quand j'aurais le dos tourné ?

- Probablement pas.

Télio haussa les épaules et lui tendit le pistolet.

- Moi aussi, dis-je en tendant le mien. Pour la prochaine étape, vaut mieux pour moi d'être désarmer.

- Arthur, prends-le, dit Simmer. Et Miö, maintenant... On y va.

Je hochai la tête et fis un dernier signe d'au revoir vers Math, qui me renvoya la pareille. Simmer mit sa main sur mon épaule et m'entraina avec lui dans la rue, mais lâcha ensuite mon épaule pour me laisser prendre les devants, puisqu'il ne connaissait pas le chemin. Un peu plus loin derrière, les autres nous suivaient, comme dans une parodie étrange de parade. Le faisceau de ma lampe croisait celui de Simmer, devant nous.

- Télio, dis-je dans un chuchotement, malgré qu'il était plusieurs mètres derrière moi, perdu dans la foule. Pour ce qui est de cette étape...

- Je sais, répondit-il. Toutes mes excuses, mais t'as été le premier à accepter le plan.

Je me renfrognai, préférant me concentrer sur la route. Dans le noir, malgré la lumière des torches, c'était un peu compliqué de se repérer.

Cette partie du plan, révéré par Télio dans sa plus grande désinvolture qui ne pouvait que me rappeler que, eh bien, c'est Télio... était celui qui risquait le plus de déclarer une guerre.

Pas une guerre mondiale, avait dit Math à Télio une semaine plus tôt, et qu'il m'avait répété cette partie. Plutôt une guerre d'état. Ou une guerre de ville...

Oui, réalisai-je avec beaucoup trop de retard. On avait grandement manqué de tact, sur ce coup. Nous n'aurions pas dû commencer par une tentative pacifiste en tuant deux gardes...

Je voulais répéter mes soupçons à Simmer – lui, peut-être, saurait ce qu'il vaudrait mieux de faire – mais si je ne faisais que me pencher à son oreille et chuchoter aussi bas que possible, tous les clones derrière nous allaient nous entendre et propager la rumeur chez les adultes. Tout ce que je pouvais faire, sur le coup, était rien. Sauf continuer à faire ce qui était dit dans le plan.

Trop rapidement à mon gout, nous arrivâmes en vue de la clôture entourant la maison du roi. Je sentis mon ventre se tordre de nervosité.

- Prêt ? dit Simmer à mon oreille.

- Ouais, dis-je dans un souffle. Sauf que... Oh, et puis non, m'énervai-je en me retournant pour faire face aux autres derrière moi. On peut pas faire comme dans le plan, là, ça va pas marcher. On peut pas tuer tous les gardes sur notre chemin pour parler pacifiquement au roi !

- En quoi ça pose problème ? dit Télio en levant les sourcils. Ils vont pas nous laisser passer, de toute façon. Faut y aller par la force.

- Et tu crois que le roi acceptera de nous parler, après ça ?

- Il n'aura pas le choix, puisque, comme je viens de le dire, on va utiliser la force !

- La Force, tu veux utiliser ? Inutile, ce sera.

Simmer posa une main sur mon épaule et me força à reculer pour regrouper l'attention sur lui.

- Je sais où tu veux en venir, Miö, mais Télio à raison.

- Ça me brise le cœur, grognai-je en croisant les bras et regardant ailleurs.

- De toute façon, où on en est rendu, il faut bien faire quelque chose. Arrête de chialer, et viens.

La main toujours enserrée sur mon épaule, Simmer m'entraina avec lui vers la clôture. Là, appuyé contre le mur, il n'y avait qu'un seul garde, qui s'amusait à faire tournoyer des clés autour de son index, promenant le faisceau d'une lampe torche tantôt à gauche, tantôt à droite. Quand il regarda à droite, ses airs d'ennuis s'envolèrent d'un coup ; il venait de remarquer la foule qui se dirigeait vers lui.

- Oh, merde, murmura-t-il tout bas. Ah tien, c'est Miö, et... et Miö, et Miö...

Malgré le peu de lumière, j'arrivai à voir son visage prendre une étrange teinte de vert quand il eut remarqué que les trois premières lignes de la foule étaient composées de clones, ayant tous le même exact visage. Les seules différences entre nous étant nos vêtements, notre taille et la longueur de nos cheveux.

- Laisse-nous entrer, dis-je.

- J'ai pas le droit, dit-il dans un couinement.

- Bah tu vois, faut user de la force, dit Télio en faisant craquer ses jointures dans son poing et s'avançant vers le garde.

- Non, dis-je en lui lançant un regard noir. Le garde a peur et, tu vas voir, dans dix secondes, il se sera déjà enfui en courant, et...

- C'est bon, il est parti.

Je me retournai pour voir le garde qui, en effet, s'était enfui en courant dans la direction opposée, les bras en l'air et hurlant : « J'en ai rien à foutre, je hais ce job ! » j'échangeai un regard avec Télio, avant de m'avancer vers la clôture et de l'ouvrir en poussant dedans. Un soupir de soulagement passa chez les adultes derrière nous, l'air de croire que c'était déjà fini. Je secouai la tête, préférant ne pas prendre le rôle du casseur d'ambiance. Ils allaient se rendre compte assez tôt que c'était loin d'être fini. Genre, dans trois secondes.

Un, deux, trois...

Le type devant la clôture n'était pas le seul garde dans les environs. Étant donné les circonstances – Télio ayant foutu la merde partout, entre autres – la sécurité avait dû être renforcée. Nous avions à peine traversé le jardin que cinq gardes rappliquaient déjà, pistolet en main et cocker enragé à leurs côtés.

- Hé ! s'écria l'un d'eux. Sortez tout de suite de la propriété, où nous ouvrons le feu !

- Hé ! répliquai-je sur le même ton. Laissez-nous passer, ou on va se venger !

- Ça, c'est mon petit frère, dit Télio, plein de fierté.

- La ferme, soufflai-je.

- On vous laisse cinq secondes, dit à nouveau le garde. Si vous êtes encore là, j'aurais pas le choix de vous tuer.

- Ulysse, murmura je ne sais quel clone derrière moi. C'est ton heure de gloire.

- Il faut seulement qu'on parle au roi, insistai-je en faisant un pas de plus, les mains en l'air.

- Prends rendez-vous pendant le jour, et évite d'emmener tes guerriers avec toi, la prochaine fois.

- Vous m'auriez tué si j'avais essayé, dis-je dans un rire sans joie.

- Bien vue.

Le garde appuya sur la gâchette. Un cri s'échappa malgré moi de ma bouche sous la panique et ma lampe torche me glissa des doigts, mais avant même que la balle ne me frappe, un énorme mur d'obscurité intercepta la balle. Je tombai par en arrière dans le bras de Télio, qui m'aida à me remettre sur pied. Je ne voyais toujours rien devant moi, mais j'entendais parfaitement les gardes hurler de panique, tirant un peu partout, et un bruit qui s'apparentait au cri d'un animal inconnu.

J'attrapai ma lampe torche que j'avais laissé tomber et la braquai sur ce qui semblait être une énorme masse mouvante. Avec un peu de lumière, je me rendis compte que c'était... un éléphant.

- Oh, mon Dieu ! s'écria Télio derrière moi. C'est... c'est plus petit que ce à quoi je m'étais imaginé.

- Viens, Miö ! s'écria Simmer en m'agrippant le bras.

Je rendis ma lampe torche à Télio avant de me laisser entrainer dans la maison. Avant d'y entrer, j'eus un aperçu de la bataille la plus bizarre qui m'était donné de voir. Une dizaine de gardes – d'autre avait rappliqué entre temps – étaient de prise contre un éléphant, un guépard et un cheval. Une bonne vingtaine d'adultes s'étaient mêlés à la fête en hurlant comme des sauvages.

Puis, nous entrâmes dans la maison, éclairée par la seule lampe de Simmer. C'était un contraste effrayant où, de l'autre côté de ses murs, la guerre faisait rage. Alors qu'ici, il n'y avait que ces corridors sombres.

- Viens, murmura à nouveau Simmer en m'entrainant dans la maison. Faut que tu me guides.

- Ouais, murmurai-je à mon tour. Seigneur, on aurait dû prendre le temps de se faire un meilleur plan. Ils vont tous se faire tuer.

J'eus une pensée pour Math, qui était perdu dans la foule de combattants. Math, mon meilleur ami. Il allait se faire tuer, lui aussi.

Mes jambes défaillirent à cette idée. Si Math meurt... Je crois qu'il ne me resterait plus qu'à mourir par solidarité.

- Je peux pas abandonner Math, dis-je en me dégageant de l'emprise de Simmer.

Je me retournai, prêt à courir me mêler à la bataille pour sauver la princesse, mais je fis face à face avec, justement, la princesse en question. J'échappai un cri de surprise, et Math haussa les sourcils, sans rien comprendre.

- Ah, Math ! s'écria Simmer. Parfait, tu nous évites un contretemps inutile. Maintenant, magnez-vous !

Math hocha la tête, prit la lampe torche des mains de Simmer, et se mit à courir dans les corridors.

- Qu'est-ce que tu fais là ? demandai-je.

- Bah, je suis pas un guerrier, dit-il. J'avais pensé que j'aurais plus d'utilité ici. Je connais cette maison comme le fond de ma poche.

Math tourna au coin d'un corridor, fit face à face avec un garde et poussa un hurlement aigu sous la surprise. Le garde leva son pistolet pour nous attaquer, mais au même moment, un loup lui sauta à la gorge et la trancha d'un coup de dent. Simmer reprit forme humaine, le sang dégoulinant sur son menton, puis continua à courir. Il n'avait même pas perdu ses vêtements, ils s'étaient adaptés à sa forme de loup. Dommage qu'il faisait aussi sombre, j'aurais bien aimé voir un loup habillé d'un jean et teeshirt.

- Continue ! dit Simmer.

Livide, Math tourna les talons et continua son chemin.

Et rapidement, nous arrivâmes à destination, devant le bureau du roi. Encore quelques gardes, qui ne posèrent aucun problème à Simmer. Nous entrâmes dans la pièce, qui était vide. Elle était plus ou moins identique à l'avant-dernière fois que j'y étais venu (c'était un peu le chao, la dernière fois, avec les milliards de chauvesouris et Télio qui en profite pour tuer le roi). Les seules différences étaient le simple plastique qui recouvrait les fenêtres éclatées et le tapis au sol qui avait été retourné, montrant l'ouverture hermétiquement fermée de la trappe. Le roi était, de toute évidence, caché dans son bunker.

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