Chapitre 79

Quand nous arrivâmes dans la forêt autour de Digora, il faisait déjà sombre et tout le monde était épuisé. Les adultes étaient assis contre les troncs, se plaignant du mal dans leurs pieds et leurs jambes. Alors que nous, les clones, assis un peu plus loin, allions bien. Un peu épuisé, pour sûr, mais personne n'avait particulièrement mal. Pendant un instant, je crus que c'était grâce à nos supergênes de clones, avant de me rendre compte que Math, qui s'était assis avec nous, n'avait pas plus mal que moi... Sauf qu'avec ses entrainements, ils pouvaient pratiquement être considérés comme un athlète. Du coup, je ne savais plus trop quoi penser.

Nous attendîmes ici, cachés dans les arbres, jusqu'à ce que le soleil est complètement disparu, ce qui prit près d'une heure en plus. Enfin, le silence qui avait régné pendant tout ce temps se remplaça par des rumeurs impatientes.

- C'est bon, dis-je. À cette heure-ci, ils ont eteint l'électricité. C'est le temps de passer à l'action.

J'échangeai un regard avec Math, assis à côté de moi. Et retrouver mon père, semblait-il penser.

- Tout le monde se souvient de la première étape ? dit Télio, fier d'être le chef des opérations. Aël, Hadrien, Miö et moi, pour la première étape.

Pendant qu'il parlait, les adultes s'étaient approchés de nous, pour ne rien manquer. Sauf que tout avait déjà été dit et redit avant de partir. Tout ce qu'il nous restait à faire, c'était d'infiltrer Digora.

Je me levai, rapidement imité par les trois autres. Aël vint vers moi – du moins, je suppose que c'était lui – et Hadrien alla vers Télio.

- Je peux pas ravoir ma combie, hein ? dit Aël tristement.

- Non, dirent plusieurs adultes derrière nous.

Aël baissa la tête alors que j'éclatai de rire malgré moi. Toute cette histoire me rendait un peu nerveux.

- Allez, viens.

- Bonne chance, dit Math derrière moi.

Tous les quatre, nous allâmes à la lisière de la forêt. Nous étions assez cachés pour ne pas être vus, mais nous, nous voyons tout. Les deux tours de garde surveillant l'entrée sud de la ville, les grosses lampes pointant un peu partout à la recherche d'intrus. L'une des lampes passa près de nous et Télio m'agrippa le coude pour me forcer à me baisser.

- Allez, tout le monde, on se transforme, dit Télio.

- Aël, grimpe ici, dis-je en tapant sur une branche près de moi.

Pendant qu'Aël s'exécutait, Télio se transforma en hiboux et Hadrien en serpent à clochette. Télio attrapa le serpent entre ses serres, précautionneusement, puis s'envola. Je grimaçai en regardant l'étrange spectacle du serpent volant, puis me tournai vers Aël, qui s'était transformé sur sa branche.

- Prépare-toi à sauter, dis-je. Et à t'accrocher. Si tu me mords, je te tue.

Je me transformai à mon tour et, en volant, passai sous la branche où était Aël, et il sauta sur mon dos. Ses grosses pattes velues entouraient mon cou, je sentais ses énormes crocs m'effleurer la tête. À la taille qu'il était, comparé à moi, il aurait carrément pu me manger en quelques bouchés.

Aussi vite qu'il m'en était possible, je me rendis à la tour de garde à ma gauche, alors que Télio allait à droite. J'atterris sur le toit, sans avoir été vue par les gardes. Enfin, Aël se dégagea de mon dos et, sans faire le moindre bruit, passa par la fenêtre pour entrer. Je réprimai un frisson, dégouter du contact d'une énorme araignée sur mon dos. J'allais en faire des cauchemars pour un long moment.

Je m'envolai à nouveau et passai par la fenêtre. Aël était toujours caché dans son coin, attendant le meilleur moment. Les huit yeux d'Aël croisèrent les miens et, d'un étrange mouvement qui s'apparaissait à un hochement de tête, s'avança vers le garde par-derrière. Le garde avait les yeux rivés à la lumière produite par sa lampe, pointant le champ entre le mur et la forêt. Il avait l'air de s'ennuyer énormément.

Aël passa à l'action. Il sauta sur le soulier du garde et se mit à grimper doucement le long de son pantalon. Pendant ce temps, je me posai au sol derrière lui et me transformai sans un bruit, dans une position proche du plat-ventre. Je me redressai, lançant un regard vers Aël. Il était arrivé au niveau de la ceinture. Le garde dut sentir quelque chose, car il passa la main au-dessus d'Aël pour se gratter, mais Aël bondit sur le côté juste à temps. Il était maintenant dans son dos, sans plus boucher, attendant que les soupçons du garde disparaissent. Le but était qu'il se rende au cou pour le mordre et que le venin agisse le plus rapidement possible, mais malheureusement, ce ne fut pas le cas. Le garde remonta à nouveau la main pour se gratter le dos et, d'un même mouvement, se retourna pour me faire face. Ses yeux s'écarquillèrent en même temps que les miens.

- Mi...

Je me précipitai pour lui cacher la bouche de mes mains et, sous la panique, Aël le mordit dans le dos, sans attendre d'être arrivé plus haut. Le garde eut un cri de douleur, étouffé par mes mains, et il essaya de se dégager en m'agrippant les bras à son tour. Mais il continuait de gémir de douleur, toujours un peu plus faiblement, et sans que j'aille à user d'une quelconque technique de défense, le garde s'effondra dans mes bras, inerte.

- C'était... c'était rapide, bredouillai-je. Il est inconscient ?

Je portai un doigt à son cou, mais je ne sentais aucun battement de cœur.

- Quoi, il est mort en à peine trente secondes ?!

- J'ai vidé mon stock de venin, dit Aël, qui s'était transformé et assis dans un coin, une jambe repliée pour cacher son intimité, le souffle court. C'est la première fois que je le vide d'un coup comme ça... Vrai que c'est efficace. J'ai l'impression d'avoir plutôt vidé mes cou...

- Tu crois qu'Hadrien aura autant de facilité ? dis-je en regardant vers la fenêtre ouverte qui montrait l'autre tour de garde, à a peine deux mètres.

À la fenêtre, je vis Télio en combie et Hadrien les bras autour de son torse nu. Télio me montrait un grand sourire, les deux pouces en l'air. Hadrien avait les yeux dans le vague, l'air tout aussi épuisé qu'Aël. Il avait dû y aller avec la dose maximum, lui aussi.

- Notre garde est mort, dit Télio fièrement. Le vôtre ?

- Tout autant, répondis-je.

- Tu connais la suite, dit Télio avec un clin d'œil.

Je répondis d'une grimace alors que je me tournai vers la corde suspendue au plafond par un système de poulie servant à ouvrit le côté gauche de la porte. Je le pris et tirai de toute mes forces pour l'ouvrir lentement. Télio faisait de même de son côté, ouvrant le côté droit.

- La suite, c'est dodo, hein ? marmonna Aël.

- Arrête, Riley te contamine.

Aël me répondit d'une grimace comme je l'avais fait une minute plus tôt à Télio.

- Vas-y, ferme les yeux, dis-je. Ton rôle est déjà terminé, de toute façon.

- C'est pas juste, ton rôle est plus gros que le mien.

- J'ai le droit, je suis plus vieux. Et en plus, c'est ma ville !

- J'aurais pu terminer ici, moi aussi ! s'indigna Aël. Je m'ange pas de viande.

- Tu manges des insectes, c'est pas mieux, dis-je en frissonnant.

Aël se renfrogna, croisa les bras sur son ventre en faisant la moue. Il baissa la tête et ferma les yeux.

- Venez me réveiller demain matin.

- Comme tu voudras.

J'étais enfin arrivé au bout de la corde. Je lançai un regard vers la fenêtre pour m'en assurer ; mon côté de porte, tout autant que celui de Télio, était grand ouvert. J'accrochai la corde par un crochet pour garder ma porte ouverte et sautai par la fenêtre en me transformant, l'espace de trois secondes, pour me retransformer en mettant pied à terre dans l'autre tour de garde, accompagné maintenant de Télio et Hadrien.

- Tout se passe comme tu le sens ? demandai-je en m'appuyant contre le mur pour regarder par une autre fenêtre, direction ville.

- Jusqu'à maintenant, on ne peut mieux, dit Télio. T'aurais vu Hadrien en pleine action, c'est trop top... tu te souviens de la scène avec monsieur Wesley versus Nagini ? C'était pareil !

Hadrien rougit férocement en secouant la tête. Mais puisqu'il était totalement nu, je préférai encore m'efforcer de l'ignorer. Je regardai le garde étendu au centre de la petite pièce et, voyant le sang qui barbouillait son visage, je n'eus aucune difficulté à me représenter la scène.

- Où est Aël ? demanda Hadrien.

- Dans l'autre tour. Il est épuisé, il a vidé ses cou... heu... son venin.

- Ouais, « son venin » dit Télio en faisant les guillemets avec les doigts. Bandes de petits cachotiers.

- Oh, t'es pénible, marmonnai-je.

Je changeai de fenêtre pour avoir cette fois la vue du champ, attendant les adultes et les clones qui allaient venir d'une minute à l'autre. Il était dit dans le plan qu'ils devaient attendre au moins cinq minutes, pour s'assurer que nous ayons eux le temps de faire notre part du boulot.

- Tu savais qu'une personne sur dix est gay ? dit Télio en se postant à côté de moi pour regarder vers le champ. Et nous sommes dix clones. Tu crois que, étant donné que nous sommes tous issus de la même personne, il est normal que nous soyons tous hétéros ? Ou bien les règles de la nature se foutent complètement de la science ? Si c'est le cas, je mise sur Aël.

- T'es vraiment pénible. Tiens, signalai-je en levant le doigt pour pointer ce que j'avais vu. Ils arrivent. Passons aux choses sérieuses, tu veux ?

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