Chapitre 72

Télio
Une heure plus tôt

Ce devait faire un peu plus de dix minutes que Miö et Tom étaient partis à la recherche de corde pour escalader le mur entourant la ville, ce qui représentait à peine le temps de sortir de cette bâtisse. J'étais adossé à l'un des murs, Math en face de moi. Sans faire attention à lui, j'avais les yeux fixés sur la bouteille de morphine, presque vides à cause de Miö qui les mangeait comme des bonbons. J'aurais voulu en prendre une, si ça pouvait apaiser le mal que je ressentais dans mon ventre, mais j'en étais sérieusement incapable.

- Tu pourrais la manger en même temps qu'un peu de poulet, proposa Math qui avait deviné mes pensées. Tu gouterais moins le médicament.

C'était peut-être une bonne idée, alors j'essayai. Je pris une bouchée de poulet, mastiquai bien, puis juste avant d'avaler, mit la pilule dans ma bouche et l'avalai avec le reste. Je m'étouffai aussitôt, toussant à m'en éclater la gorge. Math fit rouler une bouteille d'eau vers moi et je la bus en quelque gorgée. J'en avais les larmes aux yeux.

- Elle a passé ? demanda Math.

- Ouais, marmonnai-je d'une voix étrangement aigüe. Ouf, c'est du sport, ce truc !

- Enfin, c'est tout ce que j'attendais. Ça, et que Miö soit assez loin pour ne plus nous entendre.

- À l'autre bout du monde, Miö nous entendra encore. Quoi, qu'est-ce que tu veux ?

Math s'était penché légèrement par en avant, les mains sur les genoux, une étrange lueur lui sortant des yeux.

- C'est peut-être mon dernier jour dans la cité, aujourd'hui. Je veux en profiter.

- Tu veux qu'on fasse une fête ? dis-je en riant.

- Non ! Je veux récupérer un maximum de truc, chez moi.

- Ah non, tu ne sors pas d'ici. Si t'es pas là quand les autres reviendront, ils vont croire que je t'ai tué et caché ton corps quelque part.

- Mais non...

Math s'interrompit, les sourcils froncés, et leva les yeux au ciel, comme pour réfléchir à la question.

- Ouais, t'as surement raison, finalement. Bah, toute façon, je veux que tu viennes avec moi.

- Si je suis plus là, moi aussi, ils vont croire que j'ai pas encore fini de te tuer.

- Arrête, t'es cinglé, mais pas à ce point-là. Tu vas venir avec moi !

- Non.

- Viens, j'ai besoin de toi !

- J'en ai rien à foutre, je bouge pas d'ici !

- Mais je croyais que t'étais un voleur ! C'est ton trip de voler des trucs, non ?! Et tu veux pas m'aider ?!

- Je croyais que c'était tes trucs à toi que tu voulais récupérer.

- Bah... Ouais. Mais ça revient au même qu'un vol, plus ou moins, puisque je peux plus retourner légalement chez moi !

- Je suppose, capitulai-je dans un haussement d'épaules. C'est quand même non.

Math grogna d'impuissance alors que je me roulai dans la couverture et me calai confortablement contre le mur. Je fermai les yeux, essayant de dormir. Math faisait sa petite crise, mais il allait bien comprendre que c'était dangereux et inutile. Tant qu'à risquer nos vies, autant que ce soit pour quelque chose d'important. Comme des cordes, pour ces pauvres humains sans ailes.

- Si tu viens pas avec moi, j'y vais seul, insista Math.

- Tu ne vas aller nulle part. Et éloigne-toi de l'ouverture, dis-je sans même ouvrir les yeux. J'entends parfaitement tes pas.

- Sinon quoi ? Tu vas me tuer ?

- Je commence à en avoir une sérieuse envie.

Math éclata de rire, comme si c'était une bonne blague. Il commençait vraiment à me taper sur les nerfs. Je passai ma tête sous les couvertures pour étouffer le bruit et bien lui faire comprendre que la conversation était terminée. Math se mit à rire encore plus fort, produisant des « HA ! HA ! HA ! » pas du tout naturel. Je plaquai mes mains sur mes oreilles, hurlant à mon tour des « TA GUEULE ! TA GUEULE ! TA GUEULE ! » Je hurlai ainsi aussi longtemps que je le pus, mais quand je m'arrêtai pour reprendre mon souffle, je me rendis compte qu'il n'y avait plus personne pour hurler de rire. Le salop, il m'avait forcé à faire du bruit pour que je ne l'entende plus, et il était parti !

- Math ! hurlai-je.

Aucune réponse.

Hurlant de rage, je me levai d'un bon, repoussant ma couverture, et passai dans l'ouverture en me tortillant. J'entendais les pas de Math ; malgré qu'il faisait noir, il courait, un étage en dessous de moi. Il n'avait pas peur de se frapper quelque part, il avait dû enregistrer le trajet la première fois que nous y étions allés. Ce fils de pute ne s'appelait pas Mathématique pour rien.

Perdant patience, je retirai mes vêtements avant de me transformer, pour ensuite coincer mes vêtements dans mes serres et de m'envoler vers lui pour le rattraper. Je passai à toute vitesse dans le long corridor dévasté, qui semblait particulièrement lugubre avec pour seule lumière celle qui me sortait des yeux, tout semblait être entre deux teintes de noir et de gris. Je m'attendais presque à voir surgir à tout moment un zombie du coin d'un corridor et me foncer dessus pour me bouffer.

Arrivé à la cage d'escalier, je plongeai tête première pour me rendre d'un coup à l'étage d'en dessous, et sans attendre de trouver la porte, je passai par une fenêtre éclatée, passant de justesse dans l'ouverture. Aussitôt arrivé dehors, je repris un peu d'altitude, cherchant Math des yeux. Je le trouvai au bout d'une dizaine de secondes, à courir comme un dératé dans la rue, à toute vitesse. Je flairai une étrange odeur de sang qui venait de lui, et je me rendis compte que ça venait de ses genoux et de ses paumes ; il allait si vite qu'il était tombé à plusieurs reprises contre les gravats, mais il s'était relevé à chaque fois. Un peu malgré moi, je devais admettre qu'il avait du cran.

Je le rattrapai en quelques battements d'ailes et, sans qu'il ait pu m'entendre venir, je lui attrapai les épaules de mes serres. Math en fut tellement surpris qu'il hurla en tombant face au sol. Je me dégageai de lui, me transformai et m'habillai à nouveau avec les vêtements que j'avais trainés avec moi.

- T'es vraiment chiant, tu sais ? m'énervai-je en me tournant vers lui une fois habillé.

Math se releva d'un bon, les jambes tremblantes. Il s'était pris tellement de coups sur les genoux en peu de temps que ces jambes commençaient à avoir de la difficulté à le soutenir.

- Si tu veux pas m'aider, j'y vais tout seul ! T'as qu'à retourner dans la cachette à attendre Miö et mon père, tu leur diras où je suis.

Math me tourna le dos et continua son chemin. Je serai les poings, ne sachant plus quoi faire pour la cause. Si seulement j'avais pu le tuer...

- OK ! capitulai-je en le rattrapant. Parfait, je vais te suivre ! Mais si des gardes nous tombes dessus, je me servirai de toi comme bouclier, et je te laisserai mourir. Tant pi pour toi !

Math s'arrêta de marcher pour me montrer un grand sourire, fier de lui. Ne pouvant plus me retenir une seconde de plus, je lui enfonçai mon poing en pleine gueule et Math tomba encore une fois au sol, se tenant la mâchoire en me regardant avec des yeux écarquillés. Je levai le pied pour le lui enfoncer dans le ventre, et devinant mes intentions, Math se leva et s'éloigna aussitôt de plusieurs pas, les mains en l'air.

- Ça va, c'est bon ! J'ai compris ; tu m'en veux !

- J'ai envie de te tuer ! grognai-je.

- Ah, non, non, c'est ton côté mytho qui ressort. N'y fais pas attention !

Math me tourna le dos et continua à courir. En rageant, je le suivis, laissant une bonne distance entre nous. J'avais réellement envie de le tuer.

En dix minutes de course – il faut croire qu'il avait quand même peur que je le tue, car il n'avait pas ralentie une seconde, malgré son souffle qui se faisait de plus en plus haché – nous étions arrivé devant l'immeuble où habitait Math. Enfin, Math s'arrêta, les mains sur un point de côté, le souffle court. Il leva une main pour pointer sa fenêtre, au quatrième étage, et la laissa retomber contre son flanc.

- J'ai oublié mes clés, dit-il dans un rire.

- Non, mais t'es sérieux ?! murmurai-je pour ne pas réveiller les autres habitants de l'immeuble. Tu m'as fait faire tout ce chemin pour rien ?!

- Non, du tout. Ça aurait été pour rien si tu avais refusé de me suivre. Regarde ; ma fenêtre est encore ouverte. Donc, il faudrait juste que tu entres par là et que tu viennes m'ouvrir cette porte-là.

- Tu sais que t'en demandes beaucoup à un type qui veut te tuer. Vraiment, c'est dommage que Miö t'aime bien et que si je te tue, il va aussi me tuer. Parce que c'est vraiment la seule chose qui m'en empêche.

- Et depuis quand tu penses à Miö avant d'agir ?

Je pris un moment pour réfléchir à la question, essayant de me rappeler à quel moment exactement je me suis mit à peser le pour et le contre avant d'agir. Pour sûr, c'était depuis très peu.

- Tu connais l'histoire du clonage ?

- Ouais.

- Bah, depuis que je l'ai sue. Il y a... deux ou trois semaines.

- Donc avant que tu aies tué le roi. Bah si tu te compares à ça, t'es toujours aussi con avant qu'après.

J'essayai de trouver une bonne répartie, mais n'en trouvant aucune, je préférai encore abandonner ma cause et de me déshabiller et de fourrer mes vêtements dans les bras de Math – Il grimaça en fermant les yeux – et je m'envolai pour passer par la fenêtre de sa chambre. Aussitôt arrivé, je me transformai à nouveau pour mettre pied à terre puis allumai la lumière au plafond. Qui refusa de s'allumer. En grognant, je me dirigeai vers la porte, mais avant d'avoir fait un seul pas, je remarquai un trousseau de clés sur le bureau. Supposant que c'était les clés de l'appart, je les laissai tomber par la fenêtre pour que Math aille ouvrir sa porte lui-même, puis me mis à explorer sa chambre à la faible lueur de la lune.

Je m'étais pris un jean dans sa penderie et j'avais trouvé son atlas animalier quand Math arriva enfin. Il se mit à rattiser la pièce et à tout mettre ce qui était important sur le lit ; ces vêtements, des lampes torches, un bon gros paquet de batteries, pendant que je restai là à regarder les photos de son livre, dans la section Afrique. Les animaux de là-bas étaient grandement différents de ce qu'on avait par ici...

- Oh, t'as vu ? m'écriai-je en pointant une photo dans le livre. Le plus gros animal au monde s'appelle un éléphant ! Ah, je vois ! Y'a un des clones, je sais plus qui, qui se transforme en éléphant. Wow, ces géants... ce sont vraiment des géants, merde ! Et ce que c'est laid, ils ont une espèce de bras à la place du nez !

- T'es con ou tu le fais exprès ? s'énerva Math.

- Bah non, quoi ?

Math continua de me fixer avec intensité, et je baissai les yeux en haussant les épaules. Je tournai la page du livre, me sentant rougir.

- T'avais vraiment jamais vu un éléphant avant ? demanda Math.

Je haussai à nouveau les épaules, me sentant particulièrement stupide. Math me prit le livre des mains, le ferma d'un coup sec et le fourra dans son sac.

- Tu pourras regarder dedans autant que tu voudras, dit-il. Mais là, pas le temps. Et d'ailleurs, dit-il en bouclant le sac et le passant sur son épaule, l'éléphant est le plus grand animal terrestre. Mais la baleine est plus grosse.

- Donc c'est quoi, exactement ? demandai-je en faisant la moue. Un animal extraterrestre ?

- Marin. C'est un gros poisson.

- Oh.

Math sorties un deuxième sac, plus petit que le premier, et mit cette fois des vêtements et plusieurs paires de souliers. Il avait terminé en deux minutes et il me tendait maintenant le sac.

- Tu voudrais le porter, celui-là ?

J'avais envie de dire non, mais je le pris tout de même pour passer mon petit moment de honte sur les éléphants.

- T'as fini ? demandai-je.

- Oui, je crois que j'ai tout. Maintenant, j'aimerai aller...

- On part ! m'énervai-je. On retourne là-bas avant que ton papa retrouve les places vides et décide de me tuer.

- Ah, t'as peur de mourir, mais pas de tuer, c'est paradoxal.

- C'est ce que j'appelle l'instinct de survie. Allez, bouge ton gros cul, Mathématique.

Math me fit une grimace, puis me tourna le dos pour sortir de la pièce. Je le suivis à nouveau, parce que j'avais hâte de regarder dans son livre. J'étais curieux de savoir ce qu'il disait sur les hiboux.

Puis nous retournâmes dans notre cachette. Tout simplement. Aucun garde ne se pointa pour essayer de nous tuer.

Dommage, ç'aurait été un bon moyen de me débarrasser de Math...

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