Chapitre 71

Au final, Télio n'eut aucun problème pour « chasser ». À la nuit tombée, il n'y avait plus aucune lumière dans la cité, absolument aucune. Sans tenter de se transformer, car ça lui aurait fait trop mal après la balle qui lui avait traversé le ventre, il voyait tout de même assez bien dans le noir, grâce à sa seconde nature de hiboux. Assez pour guider Tom, qui était venu avec lui, au cas. Math et moi, nous étions restés dans notre planque, quelque part dans le côté ouest, à essayer de dormir. Je n'avais pas le courage de partir en expédition, dans mon état. Aussi, j'avais pris l'habitude des trois jours de congé après une opération à me la couler douce.

- Tu dors ? chuchota Math.

Il avait parlé tellement bas que j'avais presque confondu sa voix avec le vent, qui frappait fort cette nuit. Mais c'était surement fait exprès ; j'avais l'ouïe tellement sensible qu'il aurait pu me réveiller facilement, si je dormais.

- Non.

- C'est pas moi qui viens de te réveiller, hein ?

- Non, dis-je dans un rire. T'inquiètes pas.

- OK... en fait, tu ne m'as toujours pas dit ce que c'était, le truc que tu m'aurais apparemment expliqué deux fois, mais que j'aurais pas compris.

- Pardon, tu disais ? Je crois que je me suis endormie, l'espace d'une seconde.

- Miö, joue pas à ça, soupira Math.

Je poussai un soupir de lassitude, puis me tournai sur le côté pour tenter de voir Math, même s'il faisait trop sombre pour y voir quoi que ce soit. Je glissai une main sous ma tête pour un minimum de confort, puisque, avec toutes les trouvailles de Math, il n'avait pas pensé aux oreillers. En gros, il n'avait apporté que deux teeshirts et deux joggings – pour Télio et moi -, deux couvertures qu'il avait arrachés de mon lit, et une cage à hamster, va savoir pourquoi. Et des fruits que j'avais carrément avalés en cinq minutes, à peine.

- Plus j'y pense et plus je la trouve ennuyante, cette histoire, et c'est pire si je dois l'expliquer à tout le monde. Mais, bon, je suppose que j'ai pas le choix. Surtout si, ton père et toi, vous quittez la ville et que vous vous rendez au deuxième village – pas celui de Télio, mais un autre, beaucoup plus loin -, vous risqueriez de faire une attaque, si vous n'êtes pas préparé... Donc. Tu te souviens, quand j'étais chez toi et qu'on écoutait Jumanji ? Je t'ai dit que j'étais un clone, t'as cru que je disais clown, et ensuite t'as cru que clone était synonyme de jumeau. Enfin, je sais pas, c'est peut-être le cas, mais c'était pas ça que je voulais dire. Je suis un vrai de vrai clone, créer en laboratoire, et il existe plein d'autre copie de moi-même. Il y en a huit dans le deuxième village. Il y a Simmer, Arthur, Albert, Aël, Riley... heu... Seth... j'ai oublié le reste. Il y en a probablement d'autres encore qui vivent dans les alentours, je sais pas trop où. Mais beaucoup sont morts depuis longtemps, aussi, parce que notre papa en avait marre de changer nos couches.

Math garda le silence un long moment, et je crus qu'il s'était endormi. Ou bien qu'il fût en état de choc, les yeux ronds fixés au vide devant lui ; je savais déjà qu'il était allongé sur le dos, trop raide pour dormir, alors la seconde option était probablement la bonne. Mais au bout d'un moment, Math laissa aller un petit rire de soulagement.

- Ouf, ça va, je croyais que tu voulais m'expliquer quelque chose de bien pire... Clone, donc. Ça va. J'étais déjà au courant de la rumeur – tu sais comme j'ai pratiquement passé ma vie chez le roi d'avant – et je l'avais entendu, un peu malgré moi, dire un truc qui ressemblait à ça. Attends si je me souviens bien... il disait qu'on avait un clone. C'est ce qu'il a dit, on a un clone, il sait être utile. Maintenant, je comprends ce qu'il voulait dire. Il parlait de toi et de ton « coup de pouce » pour la médecine.

Maintenant, c'était à mon tour d'être sous le choc. Je m'étais tellement attendu à quelque chose du genre : « Quoi ?! Non, c'est pas possible ! Clone, ça fait tellement Science-fiction ! Du coup, t'es du genre Terminator, comme Arnold Schwarzenegger ? Ou genre supermachine de guerre, comme Chuck Norris ?! »

- Cool, marmonnai-je au bout d'un long moment. J'aime ta réaction.

- Bah, c'est pas ce que t'es qui va me faire peur. T'es déjà roux, que demander de plus ?

- C'est raciste.

- Même pas, c'est couleurdecheveuriste.

Je gardai le silence, ne sachant plus quoi répondre à ça.

- Si Télio avait été le seul représentant de l'espèce rousiste, par contre, je serais très probablement couleurdecheveuriste.

- Va vraiment falloir que tu trouves un meilleur nom.

- Désolé, mais Google est mort. Sinon, je ferais tout de suite la recherche pour trouver comment s'appelle la phobie des cheveux roux. Je suis sûr qu'il existe un vrai nom là-dessus.

- Tu veux me faire plaisir ?

- En quoi ?

- La ferme et dors.

Il y eut à nouveau un long silence. Finalement, Math marmonna un « bonne nuit », et j'eux la désagréable impression de l'avoir fait mal avec ma pique. Après tout, j'avais, un peu malgré moi, été influencé par les blagues nulles de Télio, qui finissait toujours par moi qui réplique « La ferme », ou « ta gueule », et tout ce qui veut dire plus ou moins la même chose. Je n'avais pas l'habitude d'en lancer à Math alors que je sais qu'il ne faisait que blaguer. Mais le temps que j'en vienne à cette conclusion, Math s'était déjà endormie.

Le lendemain, à mon réveil, Tom et Télio étaient de retour dans la pièce, dormant toujours profondément. Au centre de la pièce, dans plusieurs sacs plastiques, il y avait une quantité de nourriture suffisante pour nous quatre pendant deux jours, à condition de ne pas manger à sa faim. L'un des sacs ne contenait que des fruits et légumes, les autres, de la viande froide. Il y avait aussi quelques bouteilles d'eau.

Je me levai lentement pour me mettre en position assise, appuyé contre le mur froid, et levai mon teeshirt pour vérifier ma toute nouvelle cicatrice. Elle faisait dix centimètres de long, passant en travers de trois autres cicatrices. Elle était sur mon côté droit, déviant légèrement vers mon torse. C'était sur mes côtes ; qu'est-ce que Remi avait bien pu avoir à faire dans ce coin-là ?

Un bruit me fit sursauter et j'abaissai aussitôt mon teeshirt, sentant mon cœur battre à toute vitesse. C'était Télio qui avait bougé dans son sommeil. Soupirant, j'attrapai la bouteille de morphine, qui était juste à côté de moi, et en avalai deux, la flemme d'aller me chercher une bouteille d'eau.

Le reste de la journée se déroula ainsi ; ne rien faire. Tous les quatre, nous nous tournions les pouces dans la petite pièce, à attendre que Télio et moi guérissions pour tenter de partir. Je sentais la douleur diminuer au cours de la journée, et quand je vis Télio se pencher pour attraper un des sacs de nourriture, ce qui était un mouvement peu recommandé vu le type de blessure qu'il avait, je savais qu'il était près d'être totalement guéri.

Arrivés le soir, alors que le peu de lumière restante passait difficilement par les espaces d'éboulis de béton qui nous entouraient, nous étions assis en cercle autour de notre repas improvisé. Télio ne mangeant que la viande froide, moi ne mangeant que les légumes commençant à se faire plutôt ramollis, Math et Tom mangeant un petit mélange des deux.

- Alors, Miö ? demanda Tom alors que j'avais la bouche pleine de brocoli. Tu te sens assez bien pour partir ce soir, ou tu préfères attendre demain soir ?

Je pris le temps de réfléchir à la question pendant que je m'efforçai d'avaler. Je levai les yeux vers Télio, qui regardait un morceau de viande de poulet avec une petite grimace, avant d'en prendre une bouchée.

- Moi, en ce qui me concerne, j'ai encore mal, mais je suis sûr que je serais capable de vous suivre, dit Télio en haussant les épaules. C'est déjà beaucoup moins douloureux qu'au début, pour sur.

- Si tu avalais la morphine, plutôt que la croquer, aussi, signalai-je. T'aurais encore moins mal. Moi – avec morphine -, aucun problème.

- J'arrive pas à avaler, j'ai l'impression que ces foutues pilules font deux fois la taille de ma gorge !

- Elles sont minuscules.

- Elles sont énormes !

- OK, c'est bon ! s'écria Tom. Pas besoin de commencer la guerre pour une sujet comme la taille d'une pilule...

- Ce sont de très grosses pilules, dit Télio.

- Vous pouvez partir ce soir, ou non ? C'est tout ce que je veux savoir.

- Oui, dis-je en même temps que Télio.

- Parfait. Donc, il nous faut une corde.

- À la salle de gym, dit Math.

- Je vais y aller avec Miö, dit Tom. C'est pas la peine d'y aller à quatre. Math, je veux que tu restes en sécurité aussi longtemps que possible... et Télio, je te fais pas confiance. Alors, Miö et moi, ça devrait le faire...

- Je te suis, dis-je en hochant la tête.

- Je peux me débrouiller, dit Math en fronçant les sourcils.

- J'en doute pas que tu sais te débrouiller, mais je veux pas de toi dans mes pattes, dit Tom.

Math ouvrit la bouche, indignée, mais ne trouva rien à y redire et se contenta de croiser les bras et de bouder dans son coin.

Nous continuâmes de manger en silence. Je me sentais mal pour Math, mais en même temps, Tom avait raison ; nous aurons moins de chance d'être pris en flagrant délit si nous sommes moins nombreux.

J'avais encore faim et il restait encore un peu de nourriture, mais je préférais m'arrêter là. Le silence dura jusqu'à ce que la nuit tombe. Là, enfin, Tom se leva et se tourna vers moi, qui étais assis au même endroit depuis un peu trop longtemps.

- C'est le temps d'y aller, Miö, dit-il.

Je levai les yeux vers lui, mais il faisait si sombre que je ne voyais de lui que les contours de la silhouette. Malgré tout, je me levai pour lui faire face.

- Tu es sûr de pouvoir le faire ? On peut toujours attendre demain...

- Non, c'est bon. Ça va aller.

- Bonne chance, dit Math.

Je me tournai vers lui, ne sachant pas vraiment quoi dire pour lui remonter le moral. Mais étrangement, il avait l'air joyeux, un petit sourire au visage. En croisant mon regard, il me leva le pouce en faisant un clin d'œil. C'était bizarre, mais je préférai encore laisser couler.

- Merci, dis-je finalement.

- Ça ne devrait pas être trop long, ajouta Tom. Une heure, peut-être deux, dans le pire des cas.

J'imaginai plutôt vingt minutes, mais je ne dis rien là-dessus. Tom mit sa main sur mon épaule et me guida vers la sortie.

Il n'y avait pas de sortie à proprement parler. Ce n'était qu'un espace entre deux blocs de béton où il fallait se tortiller pour passer.

- Comment vous avez fait pour me trainer là-dedans ? grognai-je en me penchant dans le trou.

- C'était facile, quand tu faisais que dix centimètres...

Je parvins enfin à passer l'ouverture et je me retournai vers Tom, qui se tortillait à son tour. Il était plus grand que moi et semblait prêt à rester coincé là, mais il parvint à passer à son tour.

- Vous m'avez injecté de ce truc bleu ? demandai-je d'un air agressif.

- C'est Télio qui l'a fait.

- C'est dangereux, ce truc ! Suffit de voir Riley...

- Bah c'était ça ou rien ! dit Télio depuis l'autre côté de l'éboulis.

- J'aurais encore préféré rien !

- Arrête, Miö, il a fait pour ton bien... pour une fois. Arrêtez de vous disputer, pour une fois, et suis-moi.

Je répondis d'un grognement et consentis enfin à le suivre, alors qu'il prenait les devants. Je n'avais pas le choix de me guider à l'ouïe pour éviter de me cogner contre les morceaux de bétons qui dépassaient d'un peu partout, tellement il faisait sombre. Tom avait les mains levées devant lui, avançant à petits pas, et je lui disais de faire attention dès que je sentais un petit truc dangereux. Au bout de dix minutes à cheminer dans l'immeuble, à parcourir plusieurs corridors et deux escaliers, nous parvînmes enfin à l'extérieur, dans la rue tout aussi détruite du Cartier Ouest de Digora. La lune était presque pleine et elle nous éclairait un peu le chemin, mais trop peu.

- Prend les devants, Miö, je sais que tu te repères mieux que moi dans le noir.

- C'est pour ça que tu voulais que ce soit moi qui t'accompagne ?

- J'avais le choix entre toi et Télio. Choix facile.

- Télio voit dans le noir, quand il est en hibou seulement. Moi, j'entends, c'est différent. C'est un truc que j'ai remarqué, dis-je en avançant précautionneusement entre les débris, Tom sur les talons. On garde les sens qui fonctionnent le mieux. Entre l'humain et la chauvesouris, c'est la chauvesouris qui entend le mieux, alors même si je suis humain, je garde le sens qui fonctionne le mieux. Mais entre l'humain et le hibou, c'est l'humain qui voit le mieux – de jour, du moins – alors, Télio garde sa vue humaine, parce qu'elle fonctionne mieux. C'est fou, hein ? Enfin, c'est qu'une supposition que j'ai faite.

- Je dois avouer que ça a du sens. Maintenant, tais-toi ; si des gardes sont proches, je préférais éviter qu'ils nous entendent.

Je tendis l'oreille, curieux, puis secouai la tête.

- Aucun mouvement dans les alentours. On est complètement seuls. Quoi que j'entends Télio et Math en train de se disputer, dis-je en pouffant.

- Il est irrécupérable, dit Tom. J'arrive pas à croire que vous avez le même sang.

On a bien plus que le même sang... Mais je n'étais pas d'humeur à expliquer ce truc de clonage pour la vingtième fois. Alors, je me contentais de marmonner un « ouais », sans grand enthousiasme, et continuais de guider Tom en dehors de se coin ouest pour nous rendre dans le centre-ville, où était la tour.

Il ne nous fallut pas plus d'une demi-heure en plus pour nous rendre devant la tour. C'était un avantage à la poste-apocalypse ; tous les techniciens, ou un bon nombre, du moins, ont été tués durant la guerre. Le peu qu'il en reste, ce ne sont pas des experts, alors pour préserver de l'énergie, l'électricité est coupée pendant la nuit. On peut donc être sûr que tout le monde dort et que personne ne nous verra à la lueur de la lune.

- Il y a peut-être des gardes, dit Tom alors que j'en venais à des conclusions contraires. Avec tout le bazar qui se passe dernièrement, ils ont surement renforcé la sécurité.

- À cause de moi ? dis-je dans une grimace.

- À cause de nous, précisa Tom. On a tous notre part, là-dedans.

- Celle de Télio est plus grande, dis-je pour me redonner un peu de courage.

Tom approuva d'un hochement de tête, et je m'aventurai dans la tour, poussant les portes qui étaient coincées, puisqu'elle s'ouvrait normalement automatiquement, avec l'électricité qui était coupée pendant la nuit. Je la tins ouverte pour Tom, puis la fermai doucement, évitant de faire du bruit au maximum. Je me tournai vers l'ascenseur, par réflexe, puis figeai en me rappelant qu'il était tout autant hors d'usage que le reste.

- Je sais même pas où sont les escaliers, murmura Tom en fronçant le nez.

- Suis-moi, je connais cette tour comme le fond de ma poche.

Tom hocha à nouveau la tête, et je pris à nouveau les devants. Dans ma jeunesse, quand Jeremy me laissait la liberté de m'envoler – sachant que je reviendrais toujours, comme un petit chien à son maitre – je ne m'envolai pas toujours hors de la tour. Parfois, je m'amusais à explorer la tour dans chacun de ses petits recoins. En dix ans d'exploration, je crois avoir gagné le droit de dire que personne ne la connait mieux que moi, cette tour.

Devant nous, l'entrée, il n'y avait qu'un grand espace vide, qui semblait de bonne taille pour le grand trafique continuel dans la journée, mais incroyablement grand et vide quand nous n'étions que deux. Il y avait le bureau de réceptionniste vide – toujours vide – au fond. À droite, les couloirs et les salles de classe. Il y en avait dix, plusieurs regroupant deux âges ensemble. À notre gauche, il y avait d'autres salles, certains vides qui ne servait à rien, d'autres étant des bureaux ou des locaux pour y ranger des trucs inutiles. L'ascenseur était par là, et un peu plus loin, au coin d'un corridor de ce côté-là, se cachait les escaliers, qui montait jusqu'au sommet de la tour. J'allai par là, suivit de Tom. Je fis plusieurs pas, puis figeai à nouveau en remarquant quelque chose de différent. Tom, qui me suivait au bruit de mes pas, m'entra dedans et je manquai de peu de m'affaler au sol. Je mis ma main sur ma blessure en grognant, Tom mit ses mains sur mes épaules pour m'empêcher de tomber.

- Excuse-moi, Miö... ça va, je t'ai fait mal ? s'inquiéta-t-il.

- Non, c'est bon, marmonnai-je.

Je tendis l'oreille à nouveau, n'ayant pas eu le temps de comprendre ce que j'avais entendu plus tôt. Mais je n'entendais plus rien.

- Allez, avance, dit Tom. Je préfère sortir d'ici le plus tôt possible.

- Oui, moi aussi...

Je fis à nouveau plusieurs pas vers les escaliers. La porte qui y menait n'était plus qu'à cinq mètres quand j'entendis ce bruit à nouveau. Je continuai à marcher, craignant que Tom m'entre dedans encore une fois. Et cette fois, je compris ce que c'était : « cric ».

Mon cœur bondit dans ma poitrine quand je compris d'où venait ce cric : un cran de sureté. Je me retournai vers Tom, hurlant un « attention ! » qui se perdit dans le feu de l'action. Je m'élançai sur lui, le faisant tomber au sol, et les balles sortirent loin au-dessus de nos têtes, creusant des trous dans le plâtre du mur derrière nous.

- Vite, vite ! Lève-toi ! hurlai-je.

Tom et moi nous relevâmes d'un bon et courûmes vers la porte des escaliers, suivit par une flopé de balle, creusant leur chemin dans le mur. Je passai la porte et la refermai derrière nous, puis tombai à genou pour éviter les balles qui traversèrent la porte.

- Monte ! murmurai-je vers Tom, qui s'était assis près de moi, le souffle court. Monte ces putains d'escaliers ! Je te suis !

- Attends, tu fais quoi ?

- Je te suis, je te dis ! Monte !

- Je te laisse pas seul ici ! On sait pas combien ils sont !

- Ils sont deux, MONTE, PUTAIN ! Va nous chercher cette corde et reviens ici !

- J'Y VOIS RIEN, JE PEUX PAS ! Toi, monte, je vais m'occuper d'eux !

- Tu peux pas plus les voir eux que la corde, tu va te faire tuer !

- Je bouge pas d'ici !

- Arg ! m'énervai-je.

Sans pudeur puisqu'il faisait noir comme sous terre, j'ouvris la porte et retirai mon teeshirt. Les deux gardes qui nous attendaient derrière la porte, sachant qu'on ne partirait pas sans tenter quelque chose puisqu'ils nous avaient entendus, attendaient là pour nous tuer. Ils tirèrent tous les deux vers moi, visant l'un le cœur, l'autre la tête, mais je me transformai plus vite que leurs balles, qui partirent dans le vide pour frapper les marches de l'escalier derrière moi. Ils avaient, en dehors de leur habit habituel de policier, chacun une paire de lunettes étonnamment grosses, comme des lunettes de ski. Mais je compris assez vite que c'était des lunettes à visions nocturnes. Ils me voyaient, mais j'étais si petit et rapide en chauvesouris, qu'ils ne pouvaient rien contre moi. Je m'élançai vers le premier garde, allant directement à son cou, et y plantai mes crocs, m'aidant avec la griffe de mes ailes. Quand le flot de sang commença à me lever le cœur solidement, je m'envolai pour prendre un peu de hauteur, tournant dans le plafond rapidement pour empêcher le deuxième de le tirer dessus, et observai le premier. Il criait, se tenant le cou à deux mains, il tomba à genoux. Parfait, je lui avais sectionné la jugulaire. Il se videra de son sang et il mourra en peu de temps. Dans la mesure que c'était lui ou moi, je ne m'en voulais pas trop. Mais je m'en voulais quand même ; je comprenais soudainement pourquoi les vampires, selon les légendes, se transformaient en chauvesouris. Mes petites dents pointues étaient bien pratiques pour tuer de cette façon.

Je fonçai sur le deuxième garde et lui rendit le même traitement. En peu de temps, il alla rejoindre l'autre garde, étendu au sol dans une marre de sang. Je me retransformai et enfilai mes vêtements en vitesse, pris les paires de lunettes à vision nocturne, en enfilai une et donnai l'autre à Tom. Aussitôt enfilée, la bouche de Tom s'ouvrit en grand devant la vision morbide qui s'offrait devant nous.

- Qu'est-ce que tu leur as fait ? murmura-t-il.

- Eh bien, je les ai tués, marmonnai-je en haussant les épaules. C'était eux ou moi. Tu ne vas pas m'en vouloir pour ça, hein ?

- Je suppose que non, dit Tom, mais il ne semblait plus trop sûr de ce qu'il pensait.

Je baisai les yeux vers la marre de sang, mal à l'aise. Je me penchai précautionneusement vers les deux corps, et pris leurs pistolets, qui étaient poisseux de sang. J'en tendis un à Tom, qui refusa en grimaçant.

- Quoi ? Me fait pas à croire que tu ne t'en es jamais servi. Tu étais garde, toi aussi !

- Oui, mais ils sont pleins de... sang, dit-il en grimaçant encore plus. Et je n'ai jamais tiré sur quelqu'un ! Seulement des mannequins.

Je gardai pour moi la réplique suivante, puis coinçai mon pistolet dans mon pantalon et laissai le deuxième au sol. Abandonnant Tom, qui commençait à me tomber sur les nerfs, je montai les escaliers vers le deuxième étage, où était la salle de gym. Tom me suivit silencieusement, gardant quand même une distance qui me mettait assez mal à l'aise. C'était à croire qu'il avait peur de moi.

Arrivé en haut, je tendis l'oreille, plus longuement pour être sûr de ne rien manquer, pour cette fois être sûr qu'il n'y avait plus personne. Je m'avançai de bon pas vers le gym, passant devant les vestiaires. Les portes du gym n'étaient pas verrouillées et j'y entrais facilement, toujours secondé par Tom. J'allai tout au fond de la salle, mes pas claquant fort sur le sol de bois ciré. Au fond de la salle, il y avait une nouvelle porte, contenant toute sorte de choses, comme des ballons de toutes les tailles, même un plus grand encore que moi, quelques altères, même si la plupart étaient dans la salle voisine, avec tous les autres instruments de musculations. Il y avait des patins à roulettes, des bâtons de hockey, des battes de baseball, des casques. Il y avait de tout pour tous les sports. Dans ce fouillis, je parvins enfin à trouver les cordes, que Stanton suspendait parfois au plafond pour nous y faire grimper.

- Trouvé, dis-je alors que Tom cherchait dans un autre coin.

Je levai un rouleau de corde pour le lui montrer alors qu'il se retournait vers moi, puis me penchai à nouveau vers les autres rouleaux de corde. Après réflexion, je décidai d'emporter les quatre rouleaux de cordes. Valait mieux en avoir trop que pas assez.

- Parfait, dit Tom. Foutons le camp d'ici.

Le levai les sourcils, étonnés de son langage. Il était celui qui nous rattrapait toujours, Math et moi, quand nous parlions ainsi. Il devait certainement être en très grande colère. Je poussai un soupir et me tournai pour lui faire face.

- Tu m'en veux parce que j'ai tué ces types ?

- Je t'en veux, oui, parce que tu fais comme si ce n'était rien.

- C'est faux, m'étonnai-je. Je suis désolé de l'avoir fait, mais c'était eux ou nous !

- Tu pourrais au moins verser une larme, je sais pas, moi, c'était un meurtre ! Est-ce que tu te rends seulement compte que t'as encore le menton plein de sang ?!

Je fronçai les sourcils, passant un doigt sur mon menton. C'était gluant et, aucun doute, c'était effectivement du sang.

- J'ai fait avec les moyens du bord, m'énervai-je. Les chauvesouris n'ont pas de mains, je te rappelle.

- Je ne parle pas de main, je peux comprendre de la façon, mais c'est... ton comportement !

- Oh, arrête, merde ! J'ai pas besoin d'un papa maintenant !

Je lui tournai le dos, commençant à avoir une sérieuse envie de frapper dans quelque chose, puis courue jusqu'aux escaliers. J'entendis Tom me suivre lentement, pas plus presser que moi de me rattraper. Je sentis mes yeux me piquer avant que les larmes ne tombent. Mais ce n'était pas pour les meurtres, mais pour le sermon. Parce que je savais que Tom avait raison. J'avais tué deux hommes, et je n'en avais rien à faire. Ce n'était pas les premiers meurtres, en plus. Nous étions, quoi, vendredi ? Depuis dimanche, ça n'arrêtait plus. J'avais déjà perdu le compte des vies que j'avais volé.

J'étais une machine de guerre, après tout, j'avais été créé pour ça. Et on m'en voulait quand je l'assumais ? C'était vraiment injuste.

Je dévalai les escaliers, entendant toujours Tom me suivre de loin. J'enjambai les corps des gardes sans un regard, puis sortis de la tour. Je m'assurai de garder une bonne distance entre Tom et moi, mais je vérifiai tout de même qu'il reste assez près pour qu'on ne se sépare pas. Les coups de feu avaient pu être entendus, il y avait peut-être d'autres gardes qui viendraient en renfort, mais je ne les entendais pas.

J'avais une furieuse envie de courir. Courir à pleine vitesse, comme j'avais l'habitude le faire tous les vendredis, quand j'allais encore aux entrainements. Ça devait bien faire un mois, maintenant, que je ne m'y étais pas pointé.

- Miö, attends-moi ! dit Tom.

Je ralentis le pas à contrecœur. Grâce aux lunettes, au moins, Tom ne risquait pas de voir que je pleurais. Seulement, si je continuais ainsi, mes lunettes seront bientôt emplies d'eau et je n'y verrais plus rien. La tête baissée, les cordes passées autour de mes épaules et sous mon bras gauche, je continuai le chemin vers le coin ouest, les yeux rivés sur mes pieds nus. Le sol d'asphalte était froid, les petites roches m'entraient douloureusement sous les pieds.

- Je suis désolé, si je t'ai fait de la peine, dit Tom. Je voulais juste que tu comprennes...

Je hochai la tête, les yeux toujours rivés au sol. Il était hors de question que je parle, il allait tout de suite comprendre que je pleurais par ma voix tremblante. Comprenant que je ne dirais rien, Tom n'insista pas, et j'en étais bien content.

En une seconde demi-heure de marche, nous étions de retour dans le coin ouest et cheminions à travers les débris. Le défi fût de retrouver notre cachette où nous attendaient Math et Télio, qui était réellement bien caché.

Et quand nous trouvâmes enfin la cachette... elle était vide.

Math et Télio n'y étaient plus.

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