Chapitre 7 ✅
Ça faisait maintenant trois jours que j'étais coincé chez le roi. J'avais rencontré ses filles - de vraies pestes - et sa femme qui ne valait pas mieux. Son neveu - orphelin comme moi, à ce que j'avais compris - était passablement poli, mais trop distant pour espérer lui faire la conversation. J'avais fini par me lier d'amitié avec Tom, surtout par besoin de parler à quelqu'un. Quand ma jambe ne me faisait plus autant souffrir, je m'étais mis à le suivre partout pour que j'en sache un peu plus sur mon futur métier. Et la seule chose que j'avais apprise était qu'il suffisait de marcher de long en large sur la propriété pour protéger le roi et sa famille. Du moins, c'était le rôle de Tom, et j'osai espérer que ce n'était pas la même mission pour tout le monde, sinon je peinais vraiment pour mon avenir.
Nous étions maintenant jeudi. Trois jours que je n'étais pas allé à l'école, que je ne m'étais pas entrainé - j'en ressentais un trop-plein d'énergie qui me donnait une furieuse envie de sauter partout - et surtout, trois jours que je n'avais pas vu Debbie. Elle commençait vraiment à me manquer.
— Vingt-et-une heures, dit Tom à côté de moi, me sortant de mes pensées. Je rentre chez moi.
Je hochai la tête, ennuyé. Je ne voulais pas qu'il parte, il était le seul à qui je pouvais parler sans devoir user de toute sorte de politesse, utiliser les « vous », ce que je ne trouvais pas du tout naturel. Tom me fit un petit sourire en m'ébouriffant les cheveux, puis tourna les talons et s'éclipsa sans un au revoir, m'abandonnant à mon triste sort. En soupirant, je continuai à me promener de long en large dans le corridor. Quand Tom fut assez loin pour ne plus me voir, je m'amusai à faire un peu de gymnastique. Ça pouvait au moins enlever un peu de monotonie.
J'en étais rendu à tester combien de temps je pouvais tenir en équilibre sur une seule main quand j'entendis un cri tellement aigu que je tombai à quatre pattes et plaquai mes paumes contre mes oreilles. Un garde d'un couloir voisin vint vers moi et m'aida à me relever alors que le bruit cessait enfin.
— C'était quoi ?! m'écriai-je, le cœur battant.
— Ça, c'est ton heure de gloire. Fonce !
Je compris en une seconde ; l'une des filles du roi avait aperçu le voleur et c'est ce qui lui avait fait peur.
Je m'élançai aussitôt en direction des cuisines, puisque c'était de là que venait le cri. Je courais à toute vitesse dans les couloirs, dépassant d'autres gardes qui partaient dans la même direction. Je passai devant le gros roi Floriant qui serrait sa plus jeune fille dans ses bras. J'entendis à peine le « attrape-le, petit ! » qu'il me lança.
Quand j'arrivai à destination, il avait déjà disparu. Je fermai les yeux et me concentrai sur mon ouïe, mais les gardes qui allaient dans tous les sens me désorientaient. Il y avait des dizaines de façons de s'échapper d'ici, si ce n'est les portes, les fenêtres, les balcons... Je ne pouvais pas choisir un chemin au hasard au risque que ce soit le mauvais.
Enfin, un autre son de course semblait sortir du lot. Au contraire des gardes qui venaient vers moi, celui-là s'éloignait. Ça ne pouvait être que l'intrus. Je repartis aussitôt dans cette direction ; l'entrée principale. C'était vraiment osé, selon moi ; si j'avais été à sa place, j'aurais plutôt opté pour une fenêtre. Ça faisait plus d'effet pour un voleur.
Arrivé à l'entrée, j'eus tout juste le temps d'apercevoir une silhouette passer la porte, mais je pus tout de même voir certains détails ; ses vêtements totalement noirs, comme avait dit le roi, et des cheveux roux.
— Arrête-toi ! hurlai-je.
Il n'en fit rien, comme je m'en étais douté, mais ça ne me décourageait pas une seule seconde ; ça faisait une éternité que je n'avais pas couru ainsi.
En passant la porte à mon tour, je l'aperçus une nouvelle fois ; il avait déjà franchi le jardin et se dirigeait droit vers la grille, qui était fermée. Le voleur l'escalada agilement, son sac à butin retenu entre ses dents. En souriant face à cet obstacle, je retirai ma chemise et, sans me préoccuper de mes joggings et mes souliers, me transformai en chauvesouris pour traverser les barreaux à tire d'ailes, raccourcissant son avance de plusieurs mètres.
Je remis pied-à-terre et continuai à courir, craignant maintenant pour mes pieds nus, mais l'envie de l'attraper était plus forte. C'était aussi ma première mission ; je voulais faire mes preuves.
— Arrête-toi ! dis-je encore une fois, alors qu'il ne restait plus que dix mètres qui nous séparaient.
Le voleur fuyait toujours. Mais arrivé au bout de l'allée, plutôt que de tourner à droite comme je m'y étais attendu, il fonça vers la gauche, en direction de la limite de la cité. Là, il y avait un énorme mur de béton, contournant toute la ville ; impossible qu'il arrive à le grimper à main nue, et la porte la plus proche pour la traverser était à plusieurs kilomètres d'ici. Il allait se faire coincer, c'était assuré.
En lui hurlant encore et toujours de s'arrêter, le voleur allongeait son avance. Il était plus rapide que moi ! C'était une première pour moi. Et je m'essoufflais ; il était temps que je le rattrape et que je le ramène au roi, ou au moins aux gardes qui nous suivaient sûrement de loin, à leur propre vitesse.
Au loin, on commençait à voir le mur. Il était haut de cinq mètres et parfaitement lisse, sans possibilité de le grimper, et l'autre fonçait droit dessus. Il emprunta le chemin entre deux maisons, et rapidement, il fut arrivé au fond d'un cul-de-sac. Je m'arrêtai de courir à cinq mètres de lui et laissai échapper un rire, les mains sur mes côtes en reprenant mon souffle.
— Coincé ! dis-je d'un ton moqueur. T'aurais mieux fait d'aller vers le centre-ville, non ?
Lentement, le voleur se retourna vers moi. Je ne voyais pas bien son visage dans l'ombre, mais il est vrai qu'il me ressemblait un peu, pour ce que j'arrivais à percevoir.
Il empoigna son sac et le lança de l'autre côté du mur. Je soupirai en levant les yeux au ciel ; il faudra parcourir tous ces kilomètres rien que pour aller le chercher et le ramener au roi.
— À quoi ça te sert, t'es déjà coincé ! Bon, maintenant ; les mains en l'air, mets-toi à genoux...
Je lâchai un juron en me rappelant que Tom m'avait donné une paire de menottes spécialement pour ce moment. Je les avais accrochées à mes joggings pour ne pas les perdre, mais en me transformant, tout à l'heure, je les avais laissées loin derrière moi. Visiblement, j'étais encore loin d'avoir le minimum de jugeote requis pour devenir garde.
— Allez, à genoux ! dis-je sans montrer mon trouble.
Le voleur n'en fit rien, toujours immobile. Je n'arrivais pas à distinguer son visage dans la pénombre qui nous entourait.
— Et pourquoi je le ferais ? répliqua-t-il d'une voix calme et douce. Tu es rapide, mais pas tellement menaçant.
— Tu serais étonné. À genoux, c'est mon dernier avertissement.
— Désolé, mais j'ai mieux à faire.
Dans un rire, le voleur se transforma en oiseau et s'envola au-dessus du mur.
J'en restai totalement figé, les yeux ronds comme des billes et la bouche bêtement entrouverte. Alors je ne suis pas seul à pouvoir me métamorphoser ? C'était rassurant, en un sens. Dans un autre sens, j'étais paniqué ; qu'est-ce que je devais faire, maintenant ?!
Reprenant contenance, je me transformai à mon tour et passai le mur. Je n'en avais plus rien à faire du roi ; c'était personnel. Il fallait que je sache qui il était.
Je le repérai facilement, grâce à mon ouïe encore plus performante sous cette forme, mais il s'éloignait rapidement, son sac coincé dans l'une de ses serres. J'allais aussi vite que je pouvais, survolant le paysage en dehors de la cité, de plus en plus désolé à mesure que nous avancions. Au début, c'était une grande forêt d'arbres feuillus, puis devenant petits, plus fragiles et même morts. Ce qui aurait dû être plein de vie ressemblait de plus en plus à un désert. Les quelques plantes restantes se perdaient dans une longue étendue de terre et de sable mêlé.
Nous étions en plein dans la zone à risque.
J'hésitais. Est-ce que le voleur en valait vraiment la peine ? Je n'avais pas envie de risquer d'attraper je ne savais quelle maladie étrange. Je commençais même à ressentir l'air qui se faisait plus rare, plus polluée, chargée de ce que les bombes avaient laissé derrière elles.
Et il s'éloignait toujours. Il est complètement fou ! Sa forme animale, de je ne sais quel grand oiseau, avait encore une longue avance. Je criai en espérant qu'il m'entende et il se retourna vers moi, faisant des cercles dans le ciel. Et je repartis vers la cité.
Je n'avais pas envie de mourir. Tant pis pour lui !
Alors que je rentrai pour respirer un air plus pur, je le sentis faire demi-tour. Pourquoi il me suit, maintenant ? Je croyais qu'il voulait s'éloigner ! Je volais aussi rapidement que je le pouvais, commençant à avoir sérieusement peur. Même sans regarder, je savais exactement tout ce qu'il faisait ; il fonçait droit vers moi, la serre qui ne tenait pas le sac dressé pour m'attraper.
Est-ce que les oiseaux mangent les chauvesouris ?
Paniqué, j'évaluai la distance me séparant du sol ; si je tombais, je me casserais bien plus qu'une jambe. Mais j'étais désespéré.
Quand il ne fut plus qu'à quelques centimètres de moi, je me retournai sur le dos et, me transformant, l'empoignai par les pattes et l'entrainai vers ma chute. L'oiseau cria de panique, battant furieusement des ailes. Il abandonna son sac et me lacéra le visage ; je le lâchai sur le coup et repris ma force animale avant de toucher terre. Mais cette fois, le voleur m'emprisonna le corps en entier dans ses serres, perçant la membrane de mes ailes avec ses griffes et me labourant le ventre. La douleur en fut telle que je ne pus garder ma concentration et je me transformai à nouveau ; il me laissa tomber et je m'écrasai durement sur le sol, perdant connaissance à l'impact.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top