Chapitre 68
Télio
J'avais passé une très, très longue journée. À vomir, à souffrir, à... enfin, souffrir de toute sorte de façons.
J'avais regardé avec angoisse le soleil descendre lentement dans le ciel, minute par minute, jusqu'à ce qu'il disparaisse. Il faisait maintenant si sombre que, sous ma forme humaine, je n'y voyais pratiquement plus rien. Miö devrait revenir, maintenant, me tenir compagnie... Pas que j'étais quelqu'un qui manquait cruellement de compagnie, simplement que j'étais quelqu'un de social, qui n'appréciait pas particulièrement de passer une journée entière, seul au milieu d'une forêt, tout près d'une grotte à chauvesouris et qu'ils s'étaient mis à sortir, maintenant qu'il faisait noir, ils me tournaient autour inlassablement, ils me prenaient peut-être pour Miö, et j'en avais ma claque, alors que j'essayais de les repousser, mais que je les manquais à chaque fois...
J'avais réussi à me pêcher un poisson à main nue dans la rivière, il n'en restait maintenant plus rien de comestible. J'avais pris mon temps à le manger, pour bien le savourer, même si je ne raffolai pas particulièrement du poisson. Après l'avoir terminé, Miö n'était toujours pas revenu.
Je levai les yeux vers le ciel, complètement noir. Ça faisait un moment déjà qu'il faisait nuit. Est-ce que j'en avais encore pour longtemps à attendre Miö ? Il n'avait pas grand-chose à y faire, il me semble. Il m'avait seulement dit qu'il voulait surveiller les gardes. Et ensuite ? Ça ne pouvait pas lui prendre tellement de temps. À moins que...
Debbie. Évidemment, il ne pouvait pas passer à côté d'une chance de la voir. Il était surement chez elle, à s'amuser comme les grandes personnes, en se disant « Télio peut bien attendre ». Bah oui, ce n'était pas comme si je m'étais fait mordre par l'araignée la plus hideuse et venimeuse que cette pauvre Terre n'ait jamais portée ! J'étais peut-être encore malade - même si je ne me sentais pas particulièrement au top, j'allais tout de même beaucoup mieux que ce matin - et il n'en avait rien à foutre.
J'attendis ainsi encore un long moment, avant de perdre patience. Je me levai, m'étirai, relevai mon teeshirt pour voir la morsure ; l'enflure avait grandement diminué, mais c'était encore un peu sensible. Finalement, je retirai mon teeshirt et mon bas de pyjama que je portais toujours - puisque je m'étais fait kidnapper alors que j'étais encore couché dans mon lit, ce matin - puis me transformai et m'envolai en direction de la ville. Je m'arrêtai en lisière pour me poser sur une branche d'arbre, regardant le mur. Il n'y avait rien d'intéressant à y voir, vraiment. Il y avait un garde dans chaque tour, des deux côtés de la porte, à pointer leur énorme lampe un peu partout, à la recherche d'intrus.
Ennuyé, je m'envolai à nouveau de ma branche pour passer près des arbres de la lisière, assez loin pour ne rien manquer. Et comme je m'y étais douté, je ne vis Miö nulle part... Hululant de colère, je tournai de bord et reparti vers la ville, cette fois franchissant le mur sans m'inquiéter une seule seconde pour les deux gardes, et j'allai chez Debbie.
Je m'attendais à y voir, métaphoriquement, une partie de rodéo. Je fus étrangement déçu quand, en me posant près de la fenêtre, je vis que tout le monde dormait. Tout ce que je voyais, c'était un bout de la chevelure brune de Debbie dépasser des couvertures.
Sans ménagement, je me mis à frapper la vitre de mon bec. Debbie sursauta en se réveillant, regarda un peu partout dans sa chambre, l'air un peu perdu, puis sursauta à nouveau en remarquant que le bruit venait de la fenêtre. Elle se leva d'un bon, un grand sourire au visage, mais son sourire disparut rapidement quand elle vit le hibou, et non la chauvesouris. En grognant, elle me leva un doigt d'honneur et tira les rideaux pour retourner se coucher.
OK, donc... Miö n'est pas là. Et je n'étais apparemment pas le seul déçu. Mais où était-il, dans ce cas ?!
Je recommençai à frapper la vitre, encore et encore.
- Arrête, Télio, je sais que c'est toi ! chuchota Debbie depuis son lit. Et je sais pas ce que tu me veux, mais tu ne l'auras pas !
J'essayai de parler, oubliant subitement que je ne pouvais pas, et ne réussit qu'à hululer rageusement. Perdant patience, je me transformai, passant près de tomber à cause de la rambarde trop petite pour mes pieds, mais parvins à me rattraper de justesse à la gouttière qui passait juste à côté de la fenêtre, heureusement. J'osai espérer que personne ne regarderait dans ma direction, car j'imaginai assez bien que ce serait étrange d'y voir un mec à poil suspendu à une fenêtre, à trois mètres du sol.
- Debbie ! murmurais-je. Laisse-moi entrer, une minute !
- Tu n'as rien à faire ici !
- Ouvre-moi cette putain de fenêtre, ou je te jure que je vais la défoncer ! Vite !
Debbie revint enfin et tira les rideaux, rouges de colère. Ses yeux me lançaient des éclairs, mais elle s'arrêta rapidement quand ses yeux baissèrent pour voir ce qu'il y avait plus bas. Elle releva subitement les yeux, les joues encore plus rouges qu'avant.
- Qu'est-ce que t'as foutu de ta combie ?
- Ouvre la fenêtre, grognais-je. Je vais tomber, j'ai presque plus de prise. Bon, je comprends que tu ne veux pas prendre le risque de baisser les yeux, mais si tu le faisais, tu verrais qu'il y a tout juste assez de place pour mes orteils, sur la bordure !
Debbie prit quelques secondes en plus pour m'envoyer un regard noir, puis ouvrit enfin la fenêtre. Je m'engouffrai dans la pièce, trébuchant presque, et arrachai une couverture de son lit pour me la passer autour de la taille. Je regardai le lit avec attention ; les couvertures du côté gauche étaient bien tirées. Visiblement, personne ne s'était couché de ce côté-là. Miö encore moins. Je poussai un long soupir de lassitude en m'asseyant sur le lit.
- Qu'est-ce que tu me veux, Télio ? grogna Debbie.
- Pourquoi tant de rogne ? dis-je avec lassitude. N'avions-nous pas passé de si bon moment, ensemble ? Non, me frappe pas, c'était qu'une blague !
Debbie s'était approchée de moi, le poing en l'air, elle était tellement en colère qu'elle découvrait les dents comme un chien enragé. Je me protégeai le visage d'une main, l'autre agrippant bien la couverture autour de ma taille, les yeux fermés. J'attendis que le coup vienne, mais rien. J'ouvris un œil au bout de quelques secondes, constatant qu'elle ne voulait pas m'attaquer.
- Je te veux pas de mal, dis-je. Et je veux encore moins que tu me fasses du mal... crois-moi, j'ai beaucoup souffert, aujourd'hui... toute la semaine, en fait - pour vrai, ça a commencé dimanche, et ça n'arrête plus, depuis. J'en ai bavé, je te jure, et j'ai envié de tout, sauf de me prendre un coup de poing. Si tu veux, je reviendrai la semaine prochaine, et là, tu pourras me le donner.
- Tu vas me dire ce que tu veux, au juste ? soupira Debbie.
- La même chose que toi ! dis-je en me levant d'un bon. Retrouver Miö. Ce petit con m'avait dit qu'il reviendrait dans la soirée. (Je levai une main en direction de la fenêtre ouverte, où l'on ne pouvait voir que l'obscurité.) Le soleil est tombé depuis un bon petit moment, déjà, et pas de Miö ! Je suis venu le chercher, je croyais que je le trouverais ici. Il est passé ?
Debbie secoua doucement la tête, perdant ses airs meurtriers.
- Il m'avait promis qu'il passerait aujourd'hui, dit-elle platement. Et visiblement, il ne l'a pas fait. Où serait-il, alors ? Tu crois que... qu'il se serait fait avoir par les gardes ?
- Miö ? m'exclamai-je. Nah ! Jamais ! Et puis, il avait un flingue, et j'en suis témoin, il sait s'en servir ! Et...
Je m'interrompis, remarquant que Debbie était au bord des larmes.
- Je sais pas où il est, mais je suis sur que tout va bien pour lui, mentis-je. Seulement... Il vaudrait peut-être mieux vérifier. Pour être encore plus sûr. T'aurais une idée d'où il serait ?
- Peut-être chez Math, dit Debbie en haussant les épaules avant de s'assoir à côté de moi, l'air totalement à plat. Sinon, peut-être... chez lui, à son appart. Ou à l'hôpital, peut-être, c'était un peu sa maison, avant.
- J'élimine tout de suite son appart. Les seuls effets personnels qu'il pourrait avoir envie de retrouver, ce sont des vêtements, et il n'est pas particulièrement rattaché à Cynthia, à ce que j'ai compris. Et puis... Mathématique, peut-être - va savoir comment Miö fait pour l'endurer - mais je vois pas ce qu'il pourrait y faire de si important, au point de t'oublier.
- Ne l'appelle pas Mathématique, soupira Debbie.
- Concentre-toi sur ce qui est important, la mathématique ne l'a jamais été, répliquai-je. Faut trouver Miö, peu importe où il est !
- Télio, si tu veux que je te prenne au sérieux, arrête de dire des conneries !
- J'ai pas dit de...
Je m'interrompis, réalisant que, oui, c'était peut-être une drôle de façon de faire valoir mon point.
- Désolé, mais j'essaie très, très fort de m'améliorer, dis-je dans un rire. C'est que le changement se fait pas rapidement. Et aussi, par moment, j'oublie que je dois changer.
Debbie leva les yeux au ciel en secouant la tête.
- Bah, tant pis, t'es vraiment pas là pour m'aider. Si, par hasard, tu vois Miö après que je sois partie, dis-lui de me retrouver à la grotte, comme prévu. Moi je vais continuer à le chercher. Et si je le trouve pas, bah, j'irais à la grotte... comme prévu.
- Ouais, c'est ça. Bien contente que tu partes, grommela Debbie en allant se glisser sous les couvertures de son lit. Et quand tu verras Miö, s'te plait, dit-lui de venir ici, OK ?
- J'oublierai pas.
Je me levai du lit et allai à la fenêtre, écartant le rideau qui s'était replacé devant par lui-même.
- Eh, Télio ? (Je me retournai vers elle, intrigué. Elle avait remonté ses couvertures jusqu'à son nez, il ne restait de visible d'elle que ses grands yeux bruns tristes, et ses cheveux de la même couleur.) Si tu ne trouves pas Miö... Toi, viens. Pour... pour me dire que tu ne l'as pas trouvé.
- Si Miö ne vient pas, c'est pas déjà assez clair que je l'ai pas trouvé ?
Debbie n'ajouta rien, remontant encore un peu plus les couvertures. Préférant ne pas insister, même si elle m'avait bien intrigué, sur ce coup, je retirai la couverture qui me recouvrait et, me retournant vers Debbie pour lui faire un petit salut de la main et qu'elle fermait aussitôt les yeux, je m'envolai par la fenêtre, à la recherche de Miö.
J'allai chez Math. Je me suspendis près de la fenêtre, comme un peu plus tôt avec Debbie, et je ne vis que Math dormant dans son lit. Contrairement à Debbie qui disparaissait sous ses couvertures, Math ne ce couvrait que d'un drap, qui le recouvrait à peine jusqu'à la taille. Il était étendu en étoile, la bouche grande ouverte, et un joli petit filet de bave pendait de ses lèvres vers sa joue. Mais ce qui m'intéressait surtout, c'était de constater que Miö n'était pas là. J'aurais aussi bien pu fouiller tout l'appart, mais je savais que si Miö était là, Math ne dormirait pas.
Je m'envolai à nouveau pour aller sur le toit, m'agrippant de mes serres sur le bord du vide. Vraiment, Miö n'est nulle part... peut-être qu'il est mort. Ça me faisait mal d'y penser, mais quelle raison l'empêcherait de revenir à la grotte, comme il l'avait prévu ? Et quelle raison l'empêchait d'aller voir Debbie d'abord, comme il lui avait promis ?
Hululant de rage, je retournai à la fenêtre de Math, frappant de mon bec contre le verre. Math se réveilla au bout de quelques secondes puis, tanguant dangereusement d'un côté et de l'autre en marchant, les yeux ouverts par une toute petite fente, il ouvrit la fenêtre sans poser de question. Je m'envolai pour me poser devant sa penderie, sautillant et pointant la porte de mon aile. Math resta bêtement debout devant moi, n'y comprenant rien.
- Transforme-toi, je comprends rien à ce que tu... hulules... ?
Rageant, je hululai encore plus fort. Devant Debbie, j'en étais bien content, mais pas question que je me mette à nus devant Mathématique !
- Oh... tu veux des fringues ? demanda-t-il au bout d'une longue minute.
J'essayai de hocher la tête, mais tout ce que je pus faire était de la secouer de gauche à droite, ce qui voulait dire exactement le contraire, car ma tête de hibou était incapable de ce simple mouvement basique. Mais heureusement, Math et sa grande connaissance en zoologie (vive son atlas animalier) du se dire que, justement, j'étais incapable de hocher la tête et que ça voulait probablement dire oui, de toute façon. Il passa devant moi pour ouvrir la porte de la penderie, puis recula de quelques pas pour ensuite me tourner le dos. Je me transformai et enfilai en vitesse le premier pantalon qui me tomba sous la main ; un jogging.
- T'as vu Miö, aujourd'hui ? demandai-je alors que je cherchai un teeshirt à me mettre.
- Non. J'aurais dû ?
- Pas particulièrement, mais ce salop à disparût.
J'enfilai un teeshirt blanc puis sorti de la pièce. Il faisait un noir d'encre dans le corridor et je dus lever les mains devant moi par crainte de manger un mur par le front.
- Hé, Télio ! Où tu vas ? chuchota Math qui me suivait. Arrête, tu vas réveiller mon père !
- C'est justement lui que je cherche !
J'avais la main droite devant moi, la gauche suivant le mur. Mes doigts rencontrèrent une bordure et je trouvai rapidement la poignée ; je la tournai et entrai dans la pièce.
- Tom ! Tom ?
- C'est les toilettes, Télio.
- Je le savais.
Je refermai la porte et en cherchai une autre, mais Math s'avança pour me barrer le chemin, les mains sur mes épaules.
- Tu peux m'expliquer ce que tu fais, exactement ?
- Je cherche Tom, parce qu'il a un foutu cerveau de deux mètres carrés ! Le mien, à ce qu'il parait, en fait que deux centimètres. J'ai besoin de ses connaissances.
- C'est pas qu'une façon tordue pour dire que tu veux le tuer et lui manger le cerveau ? Avec toi, il faut s'attendre à tout.
À bout de patience, je repoussai Math qui s'écrasa contre le mur en grognant, puis continuai mes recherches. Mais je n'avais pas fait deux pas de plus que j'entendis quelqu'un, depuis une pièce voisine, marcher dans notre direction, ses pieds nus claquant sur le carrelage.
- J'hésite entre avoir pitié pour toi, et avoir pitié de toi, grogna Math derrière mon dos.
- J'hésite entre te foutre un coup de poing dans le ventre, ou t'enfoncer mon pied dans le cul.
Une porte à ma droite s'ouvrit en même temps que la lumière fût. Je fermai les yeux de surprise en grimaçant, puis le fameux nouveau venu me coinça dans ses bras avant que j'eu le temps de réagir.
- Eh ! m'exclamai-je.
- Miö ! s'écria Tom, posant sa main sur ma tête et me secouant les cheveux dans tous les sens. Oh, seigneur, t'es en vie. Je te croyais mort !
- Papa, marmonna Math derrière moi. C'est pas...
- Pourquoi tu me croyais mort ? demandai-je.
Tom tiqua, étonné de ma question, et j'en profitai pour me dégager de ses bras. Tom plissa les yeux en me regardant, cherchant apparemment une faille dans mon visage.
- Pourquoi tu le croyais mort ? demandais-je à nouveau.
- Ah... tu es Télio.
Tom grimaça, comme s'il répugnait de m'avoir serré dans ses bras. Je fis comme si je n'avais rien remarqué.
- Tu peux répondre à la question ? demanda Math. Tu croyais vraiment que Miö est mort ? C'est ce qu'un de tes potes gardes t'a dit ?
- Heum... (Tom recula d'un pas, intimidé.) Je... je n'avais pas prévu de me faire réveiller au milieu de la nuit pour répondre à ce genre de question.
- Faudra quand même que tu y répondes ! m'énervai-je.
- Pas trop fort, les murs sont en carton, ici ! Tu vas réveiller les voisins... OK, OK, je vais tous vous dire. Au salon, je vous suis.
Math m'agrippa le poignet en se retournant en direction du salon. Je me dégageai d'un coup sec et le suivit vers la pièce, contenant un fauteuil, un canapé, un meuble contenant une énorme télévision, ainsi qu'une table basse en verre au milieu de la pièce. Math et moi nous assîmes chacun à une extrémité du canapé pendant que Tom prenait le fauteuil.
- Ça s'est passé, plus ou moins, à quatorze heures, commença Tom. Des gardes, qui avaient été envoyés en direction de ton village pour retrouver les autres gardes qui ne sont jamais revenus, sont revenus avec Miö. Ils leur avaient injecté... une espèce de produit. Le coinçant dans sa forme animale. Et ils l'ont emmené à Remi avant de faire leur rapport au nouveau roi. J'ai croisé l'un de ses gardes tous à l'heure, quand j'étais sortie pour prendre un peu d'air. J'avais marché un peu au hasard et j'ai croisé la route de Peter, il m'a tout raconté. (Tom secoua la tête d'un air découragé, les yeux fixés sur ses genoux.) Ils ont utilisé un coup vraiment bas pour l'attraper. Ils ont dit que, si Miö ne retrouvait pas son rôle de cobaye, quelqu'un d'autre devrait être choisi à sa place, et ce serait probablement Debbie. Et nous deux, Math, on aurait été tué, car on en sait trop. C'est faux, bien sûr... Faudrait que le nouveau roi soit vraiment tordu pour faire ça.
- Il l'est ?
Tom leva les yeux vers moi, l'air fatigué. Je baissai la tête à mon tour, mon estomac se tordant douloureusement à ces révélations. J'avais entendu Miö répéter assez souvent « plutôt mourir ! » pour savoir que, justement, il préférait mourir que d'être là-bas. Au moins, je savais maintenant où était Miö ; à l'hôpital.
- Le nouveau roi, dis-je. Il est vraiment tordu ?
Tom prit un moment pour réfléchir à la question. Il secoua ensuite la tête de gauche à droite, mais il n'avait pas l'air convaincu lui-même.
- Il s'appelle Mika, le nouveau roi, surnommé Mickey - comme la souris. Lui, il n'est pas... comment dire...
- Il ne va pas manger le trois quarts de nos récoltes en une semaine, dit Math. Il est presque aussi maigre que Miö.
- Voilà, dit Tom. Il a toujours respecté la part que tout le monde pouvait se permettre, pas plus, ce qui en dit long sur sa personne, car il avait accès à bien plus. C'est le neveu de l'ancien, le seul garçon de la famille. Bien sûr, le roi aimait ses filles, mais il aimait aussi beaucoup son neveu. C'est un type très correct, j'ai déjà parlé avec lui plusieurs fois. Le problème, justement, c'est que Mickey aussi aimait beaucoup son oncle. Et j'ai peur qu'il puisse chercher vengeance dans son meurtre.
- N'importe qui aurait pu chercher vengeance, dans cette histoire, signala Math. C'était le roi, justement. Lien de famille ou pas... c'est le roi. Enfin, c'est comme la Première Guerre mondiale, elle a éclaté parce qu'un type à tuer un autre type, qui avait je sais plus quelle importance dans la hiérarchie... Il parait que personne ne l'aimait vraiment, ce type, mais la Grande Guerre a quand même éclaté pour lui.
- T'es en train de suggérer qu'une guerre mondiale pourrait éclater ? demanda lentement Tom.
- Non ! s'écria aussitôt Math, les yeux écarquillés. Pas de guerre mondiale ! Mais... je sais pas, peut-être une guerre d'états ? dit-il nerveusement. Guerre de ville ?
- Digora contre mon village ? dis-je. C'est ce que tu sous-entends ?
- Eh bien... t'es pas mort, alors que tu devrais. Déjà là, c'est pas... en faveur de la paix.
- Je voulais me laisser avoir ! m'énervais-je. Je voulais le bien pour mon village, mais c'est Miö et les autres clones, ils m'ont kidnappé !
- Autres clones ? demanda Math en faisant la moue.
- C'est pas de ma faute, dis-je en croisant les bras et m'enfonçant dans le canapé, ignorant délibérément sa question. C'est celle de Miö.
- Tout à commencer par ta faute.
- Oui, oui, je sais ! dis-je en levant les bras au ciel, me levant du canapé d'un bon pour faire les cent pas devant la télévision. J'ai merdé comme pas possible, je suis au courant. Mais j'étais jeune et insouciant de la vie, et... et d'un autre côté, j'avais peur ! dis-je en me retournant pour regarder Math dans les yeux. J'ai paniqué ! Et ne me demande pas pourquoi il y avait un couteau dans le bureau du roi, mais c'était pas moi qui l'avais mis là ! Il se trouve seulement que quelqu'un d'autre l'avait mis à ma portée... et j'ai pas réfléchi plus longtemps. Mais pour le reste, c'était Miö. C'est à cause de lui si le monde doit encore me supporter.
Math et Tom ne répondirent rien, se lançant des regards intrigués entre eux. Je pris une grande inspiration, puis retrouvai ma place dans le coin du canapé.
- En bref, je voulais savoir où était Miö, et maintenant, je le sais, dis-je platement. À l'hôpital. Ils sont peut-être déjà en train de l'ouvrir.
- Qu'est-ce que tu vas faire ? demanda Math. Parce que, pour sûr, tu peux rien y faire. T'auras pas fait un pas dans la tour que tu te feras tuer.
- Je vais faire quelque chose. Mais je vais pas simplement marcher dans la tour...
Je tournai la tête vers le meuble de telévision. Sur l'une des nombreuses tablettes entourant le meuble, il y avait un petit aquarium renfermant quelques petits poissons.
- Vous auriez pas un hamster, par hasard ?
- Non. Et en quoi ça t'intéresse ? demanda Math.
- Parce qu'en hibou, je pourrais entrer dans la cage. Tout juste, probablement, mais je suis sûr que je pourrais. Et en recouvrant la cage d'une couverture, on ne m'aurait pas vu. Et c'est toi qui serais simplement entré dans la tour, en me portant.
- Trouve autre chose, dit Math en riant. C'est n'importe quoi.
- Non, dit Tom. C'est n'importe quoi, mais c'est quand même une idée. Jeremy s'occupait aussi des animaux, pas seulement des humains. Je suppose que c'est la même chose pour Remi. Télio, si t'es prêt à essayer ce plan, je te trouve une cage et on y va tout de suite.
- Parfait ! m'écriai-je en me levant à nouveau du canapé.
- T'es sérieux, papa ? demanda timidement Math. C'est vraiment nul, comme plan.
- Nul ou pas, pour moi, l'important est de se débarrasser au plus vite de lui.
- Hé, dis-je en lui lançant un regard noir.
- Dans le pire des cas, ça fera toujours une diversion. Tant pis pour lui, et nous deux, on sauvera Miö.
- C'est plutôt offensant, cette façon que vous avez de parler de moi.
Tom me lança un regard ennuyé, puis se leva d'un bon du canapé et retourna dans sa chambre pour enfiler des vêtements un peu plus appropriés. Math répondit d'un petit soupire, puis alla lui aussi à sa chambre. Je restai assis sur le canapé, et ils revinrent tous les deux cinq minutes plus tard, portant des jeans et des sweatshirts. Tom avait même avec lui une cage assez petite dans une main, une couverture tout aussi petite dans l'autre. Il posa la cage au sol et me présenta l'intérieur de la main.
- Grimpe là-dedans.
Je m'approchai pour regarder l'intérieur de la cage. Vieux, sale, rouillé et minuscule.
- La route sera longue, soupirai-je.
- C'était ton idée, me rappela Math.
- Et de toute façon, rien ne nous oblige à t'apporter avec nous, ajouta Tom. Alors c'est ça ou rien.
- Juste une question, avant. Si tu savais que Miö était à l'hôpital, pourquoi tu n'as rien fait pour essayer de le sauver plus tôt ?
- Je sais depuis deux heures, exactement, où est Miö. Et j'ai pris tout ce temps pour essayer de trouver ce que je devais faire. Ton arrivée a seulement accéléré les choses dans ma tête.
- Ah. C'est chouette de se dire que je sers à quelque chose, de temps en temps...
Avec un dernier soupire, je retirai le teeshirt que m'avait prêté Math et me transformai. Le jogging tomba au sol de lui-même et j'atterris au-dessus. Je sautillai pour m'approcher de la cage et, arrivé près, je restai bêtement là incapable de faire plus. Je ne pouvais pas sauter assez haut, et je ne saurais pas atterrir précisément dedans en volant. Et surtout, je me ferais mal aux ailes en y entrant, s'il n'y avait pas assez de place pour les déployer...
- Besoin d'aide ? demanda Math. (J'essayai de hocher la tête, mais encore une fois, je ne pus que la secouer de gauche à droite. Math pouffa de rire.) Je vais faire comme si ça veut dire oui.
Math me prit dans ses mains de la même manière qu'il aurait attrapé une poule, avec les mains sur les ailes et les doigts sur le ventre, puis me posa doucement dans la cage. Math me lâcha et je me penchai en avant pour me baisser ; je touchai les quatre coins de la cage en même temps, mais sans me sentir écrasé. C'était vraiment juste. Math abaissa le haut de la cage pour la fermer ; je sentis le duvet de ma tête passer entrer les barreaux.
Comme je me disais que ça aurait pu être pire, Tom installa cette fois une couverture au-dessus de la cage, me plongeant dans le noir.
- Tu vas pas suffoquer, là-dedans ? demanda Math. (Il y eut un long silence, le temps que Math comprenne qu'un hibou ne puisse pas parler.) Je vais prendre ton silence pour un non.
- On y va, dit Tom en même temps de prendre la cage dans ses bras. (Je me sentis balloter de tout côté, me cognant sur les barreaux de la cage. Je hululais de douleur, essayant de me mettre dans une position plus confortable, mais pas à faire.) Ne fais pas de bruit, Télio ! T'es censé être un hamster, là.
La route sera vraiment longue.
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