Chapitre 6 ✅
Je passai le reste de la journée enfermé dans la pièce aux proportions titanesques qui me servait de chambre, couché dans un lit tout aussi énorme, bras et jambes écartés, à essayer de comprendre ce qui se passait au juste avec ma vie, sans aboutir à quoi que ce soit. J'avais été un cobaye, une chauvesouris, un orphelin, et maintenant je faisais provisoirement partie de la garde rapprochée du roi. Et étrangement, c'était ce dernier point qui me dérangeait le plus. Tout le reste, je m'y étais fait depuis longtemps.
Et toute cette histoire de voleur... C'était trop bizarre, même pour moi.
Quand le ciel se mit à devenir un peu plus sombre chaque minute, je sortis du lit et tentai d'ouvrir ma fenêtre. Elle était bloquée, comme l'avait exigé le roi. Sans me décourager, j'allai à ma salle de bain personnelle et m'essayai avec celle qui y était, me sentant malin, jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle était tout autant coincée.
Je laissai échapper une flopée de jurons avant de revenir à la chambre et d'aller cogner à la porte. Tom m'ouvrit aussitôt, barrant le chemin de son corps.
— Tu veux quoi ? demanda-t-il d'une voix dure - il devait être tout aussi ennuyé que moi, ayant passé la journée à me surveiller.
— Bonsoir, monsieur, dis-je du ton le plus poli dont j'étais capable. Est-ce que... est-ce que vous pourriez ouvrir ma fenêtre ? J'ai un peu chaud.
— Non.
— S'il te plait ! dis-je en joignant mes mains en prière. S'il vous plait ! J'étouffe, coincé ici !
— C'est toujours non.
Je me mis à genoux, lui montrant mon meilleur regard triste, marmonnant des « s'il vous plait, s'il vous plait, s'il vous plait... » à répétition. Tom demeura stoïque.
— Je vois que t'as l'habitude de recevoir tout ce que tu demandes...
— Non, mais j'ai l'habitude de sortir la nuit ! Âme d'animal nocturne oblige. Je vous promets que je reviendrai dans une heure, pas plus !
— Le roi veut que je veille à ce que tu ne t'envoles pas. T'as le droit de te promener dans la propriété si tu le souhaites, mais ce sera avec les deux pieds au sol.
— J'ai pas envie de marcher ; je veux voler !
Las, Tom referma la porte de ma chambre, m'enfermant à l'intérieur. Tout semblant de politesse disparut, je frappai contre dessus de mes poings tout en hurlant à plein poumon :
— FAIS-MOI SORTIR, OU LE VOLEUR, TU POURRAS L'ENFONCER BIEN PROFOND DANS LE CUL DU ROI !
La porte s'ouvrit à nouveau sur Tom, le visage rouge de colère. Il entra dans la pièce en refermant derrière lui et m'agrippa par le collet de mon pull, me levant de terre. Mon impatience se transforma aussitôt en peur ; ce n'était peut-être pas une bonne idée d'insulter le roi alors que je suis justement chez lui...
— Ça va pas de parler comme ça, Miö ?! chuchota-t-il, son visage à cinq centimètres du mien. S'il t'avait entendu, ta deuxième jambe serait déjà en compote !
— Qu'est-ce que ça lui aurait donné, s'il veut que je coure ? répliquai-je malgré moi.
Tom ouvrit la bouche, mais se ravisa à la dernière seconde - j'étais sûr qu'il allait répondre quelque chose qui lui aurait valu, à lui aussi, une jambe cassée. Il y eut un long moment de silence, pendant que Tom me déposait au sol. Puis, enfin, il dit :
— Tu promets de revenir dans une heure ?
— Oui ! m'exclamai-je aussitôt, un grand sourire au visage.
Tom lâcha mon collet et alla ouvrir la fenêtre à l'aide de sa clé. Je me déshabillai en quatrième vitesse, ne laissant sur moi que ma combinaison. Je m'avançai vers ma liberté en boitillant, mais Tom se planta à nouveau devant moi, une main sur mon torse.
— Si le roi se rend compte de ton absence, on est mort tous les deux. Reviens vite !
— Oui, promis !
Tom ouvrit la bouche pour continuer son discours, mais je me transformai et le contournai d'un tir d'aile ; Tom en fut tellement surpris qu'il lâchât une exclamation, tout comme l'avait fait son fils.
En un rien de temps, j'étais déjà loin à survoler la cité. Je ne voyais pas vraiment bien dans la nuit, mais je savais me repérer avec mes oreilles fines ; je pouvais visualiser le bruit. Plus exactement, je ressentais les ondes produites par ma voix, quand je criais, et j'arrivais à me les représenter dans ma tête quand elle frappait les objets autour de moi. Enfin, c'était si difficile à expliquer que je ne l'avais jamais fait à personne. Si internet existait encore, j'aurais fait des recherches sur ce phénomène.
Il ne me fallut qu'une minute pour traverser la cité, ce qui m'avait pris vingt minutes à pied un peu plus tôt. Je passai un moment à profiter de cette sensation de liberté - après m'être fait enfermer toute la moitié de la journée, elle était vraiment bienvenue -, j'allai tout droit vers ma seule destination ; chez Debbie. Je fonçai à toute vitesse vers la fenêtre de sa chambre, au troisième étage d'un immeuble à appartement, pour m'apercevoir qu'elle était fermée. J'eus le temps de ralentir avant de m'écraser dedans, une chose qui m'était arrivé plusieurs fois. J'atterris les deux pattes sur le rebord et cognai contre la vitre avec la griffe au bout de mon aile droite. Tout juste quelques secondes plus tard, Debbie apparut devant la fenêtre, visiblement surprise, mais heureuse de me voir. Elle l'ouvrit et recula pour me laisser de la place, et j'entrai en me retransformant.
— Salut ! dit-elle avec un petit sourire en coin.
Sans prendre la peine de répondre, je l'embrassai longuement, enroulant mes bras autour de son dos. Debbie m'enlaça en retour, les mains sur mon cou.
— En quel honneur ? murmura-t-elle en rompant le contact, le souffle court.
— J'en avais besoin... J'ai eu une journée de dingue...
Toujours serrés l'un contre l'autre, je lui expliquai l'histoire en quelques mots et, surtout, le fait que j'étais innocent.
— Ouah, c'est vraiment nul, dit Debbie dans un rire nerveux. Et vraiment bizarre.
— Le roi compte sur moi pour attraper le voleur. Donc il ne veut plus que je parte de chez lui jusqu'à ce que ce soit fait. J'ai réussi pour cette fois, mais demain, ce sera surement impossible. Mais il fallait que je te parle, sinon... J'étais au bord de la crise de nerfs. Je devais vraiment sortir...
Je l'embrassai à nouveau, pour bien lui faire comprendre que j'avais besoin d'elle. Debbie était la personne qui comptait le plus pour moi ; je la connaissais même avant que Jeremy arrête de me faire des tests tous les trois jours et que j'étais confiné au sixième étage de la tour. J'avais droit, à l'époque, de me promener dans les couloirs, et c'était comme ça que j'avais rencontré Debbie, alors qu'elle venait voir Jeremy pour une histoire de poignet cassé. C'était il y a plus d'un an, mais depuis, je lui rendais régulièrement des visites nocturnes comme présentement. J'avais eu aussitôt le coup de foudre pour elle, mais nous n'avions que quatorze ans, et j'avais peur d'avouer ce que je ressentais. Mais quand Jeremy m'avait libéré de son emprise et confié à la garde de Cynthia qui m'avait inscrit à l'école, Debbie avait été tellement contente qu'elle m'avait embrassé. Juste comme ça, devant tout la classe, alors que je ne m'étais même pas encore présenté.
Il fut un temps où c'était le jour le plus bizarre de ma vie. Aujourd'hui venait de le dépasser.
— Et toi, au moins, t'as passé une bonne journée, j'espère ?
— Ennuyante à souhait. Et Zack était insupportable à la course, puisque tu n'étais pas là pour être plus rapide que lui. Saphie n'était pas loin derrière lui, alors il l'a poussé « accidentellement », dit Debbie en mimant les guillemets. Elle s'est écorché les deux genoux, la pauvre...
— J'arrive même pas à comprendre pourquoi Stanton ne le renvoie pas. Pour être apprenti, il faut au moins être très obéissant. C'est sûr que Zack n'aurait pas sa place chez les gardes.
— Mais il aura sa place à l'entrainement aussi longtemps qu'il le voudra, dit Debbie en haussant les épaules. Même s'il ne peut pas devenir garde. Tu sais que c'est surtout pour avoir une bonne armée en cas de nouvelle guerre...
Je soupirai en guise de réponse, allant m'assoir sur le lit. Debbie vint aussitôt se blottir contre moi.
— S'il y a vraiment une nouvelle guerre, c'est que l'humanité sera totalement perdue. Je partirais loin de la ville et vivrais comme un animal pour le reste de mes jours.
— Si tu arrives à respirer l'air de dehors... Et puis bon, ce n'est que des précautions de base. On est peut-être les derniers sur terre !
— Peut-être, murmurai-je platement.
Debbie appuya sa tête sur mon épaule, se blottissant un peu plus contre moi. Je passai un bras autour d'elle, mais elle bougea au même moment et, le temps que je m'en aperçoive, ma main se retrouva directement sur son sein. Je m'éloignai aussitôt en m'excusant, me sentant rougir. Debbie étouffa un petit rire.
— Ne te gêne pas, surtout, dit-elle. Mais du coup, je ne me gênerais pas non plus.
— Tu veux toucher mes seins ? dis-je en éclatant de rire malgré moi.
Debbie secoua doucement la tête puis, se mordant la lèvre, mit sa main directement sur mon entrejambe. Mon hilarité s'évanouit aussitôt dans ma gorge alors que ses doigts glissaient lentement de haut en bas.
Oui, oui, OUI !
— Non ! m'écriai-je en me relevant d'un bond. Je peux pas... désolé, je... C'est pas contre toi ! dis-je en voyant Debbie baisser les yeux au sol, l'air boudeur. Vraiment, Debbie, tu es parfaite, et j'avoue que je voudrais bien... mais...
— Ça va, t'es pas prêt, dit Debbie en haussant les épaules. C'est pas grave, t'as pas à t'inquiéter.
Je hochai la tête, soulagé. En réalité, je rêvai de ça pratiquement toutes les nuits. Mais ça tournait souvent au cauchemar, alors que Debbie voyait pour la première fois mon corps bourré de cicatrices et en était totalement dégoutée. Et je n'étais pas prêt à la perdre pour des raisons aussi superficielles.
— Je devrais retourner chez le roi... dis-je maladroitement. Et... dès que le voleur sera arrêté, je reviendrai. Enfin, si tu veux...
Debbie éclata de rire avant de se lever et de m'embrasser tendrement. Toute mon inquiétude s'envola aussitôt et j'eus presque envie de retirer ma combinaison là, devant elle. Mais cette envie disparut dès que ses lèvres s'éloignèrent des miennes.
— Tu auras toujours ta place dans ma chambre, dit-elle avec un clin d'œil.
— Ça, je l'oublierais jamais, dis-je avec malice. Allez, je dois partir, maintenant...
Je l'embrassai une dernière fois, pour la route, et reculai vers la fenêtre. Je passai un pied de l'autre côté et, juste avant de m'élancer dans le vide, me retournai vers Debbie, qui m'observait avec un petit sourire aux lèvres.
— Je t'aime, Debbie.
— Je t'aime aussi, Miö, dit-elle en souriant un peu plus.
En trouvant enfin le courage de décrocher mon regard de ses grands yeux bruns, je me transformai en même temps que je sautais. Il devait me rester pas plus de quinze minutes au délai que m'avait laissé Tom, et je devais encore avertir Cynthia.
Non, mais quelle merde... Quelle merde !
Qu'est-ce que je dois faire, maintenant, avec Debbie ? Je ne pourrais plus lui mentir pour très longtemps... Il faudra bien un jour que je lui montre mes cicatrices... Comment réagira-t-elle ? Et si elle ne voulait plus de moi, après ? Et si elle allait voir ailleurs ? Comme avec Zack ?! Est-ce qu'elle saurait coucher avec Zack ?!
Ces questions me hantaient depuis la toute première fois que Debbie m'avait embrassé.
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