Chapitre 59 ✅

J'avais passé la nuit sur le canapé d'Aëlle, comme la dernière fois. Mais cette fois, ce fut Arthur qui me réveilla, débarquant dans la pièce en hurlant « tout le monde debout ! » J'ouvris lentement un œil pour apercevoir Arthur. Dehors, le ciel était toujours parfaitement noir.

— Coucou, Miö, dit Arthur en remarquant que je m'étais réveillé. Va sauter dans le lit d'Aëlle pour moi, tu veux ? On se rejoint dans cinq minutes devant la maison.

Je marmonnai un « OK », puis me mis assis sur le canapé. Je pris une minute pour m'étirer, essayer de m'éclaircir les idées. Je n'avais jamais eu l'habitude de me lever tôt puisque, avant, je n'allais pas à l'école – mes grandes activités de la journée consistaient à me promener un peu partout dans le sixième étage de la tour. Et après... il m'était arrivé trop souvent de tout simplement refuser de sortir du lit.

Mais cette fois, c'était différent. Alors, je me levai en bâillant et me dirigeai vers la chambre d'Aëlle. J'avais appréhendé de ne savoir discerner la sienne de celle d'Hadrien, mais je remarquai une plaque sur la porte indiquant « AËLLE ». Je cognai quelques coups et l'ouvris pour retrouver Aëlle qui dormait encore, roulé en boule sous les couvertures.

Je pensais pendant un instant de simplement dire « réveille-toi », mais j'avais l'impression que le message prendrait un peu trop de temps à passer. Alors, comme l'avait demandé Arthur, je m'élançai pour sauter sur le lit. Aëlle poussa un cri de surprise en se repliant sur elle-même, par peur que je lui tombe dessus.

— De la part d'Arthur, dis-je en ressortant du lit. Lève-toi, il faut y aller.

— Enculé, marmonna Aëlle en reposant sa tête sur l'oreiller.

Sans me laisser décourager, je recommençai à sauter.

— OK ! Je me lève ! hurla Aëlle.

— Bah fais-le !

Aëlle me poussa une jambe et je tombai le dos dans le lit. Et enfin, elle s'extirpa des couvertures, les yeux plissés et les cheveux en pétard.

— J'espère que ça en vaudra la peine, grogna-t-elle. Tu me laisses, maintenant ? Je vais pas aller sauver le monde en pyjamas.

— Ça ferait un style.

— Va-t'en...

J'étouffai un rire, puis allai dans le salon pour l'attendre. En chemin, je tombai face à face avec l'autre, qui est, si je me souviens bien...

— Ulysse ?

— Hadrien, rectifia-t-il. Télio ?

— Miö.

— Ah. Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Tu l'aurais su si tu étais venu à la... « réunion », dis-je, incertain sur le terme. Là, j'ai pas vraiment le temps. Faut que j'aille sauver le monde, comme dit Aëlle.

J'allai m'assoir sur le canapé, frottant mes yeux de mes poings pour tenter de me réveiller au mieux.

— J'ai manqué quelque chose d'intéressant ?

— En gros, on est tous cons, dis-je en haussant les épaules.

Hadrien hocha la tête, comme s'il était d'accord avec moi, puis retourna se coucher dans sa chambre. Au moment où sa porte claquait, celle d'Aëlle s'ouvrit, alors qu'elle allait se planter devant moi, vêtu de sa toute nouvelle combinaison et tournant lentement sur elle-même.

— Tu trouve pas que ça me fait un fessier d'enfer ? dit-elle.

— Je vais pas regarder tes fesses, dis-je en détournant les yeux. Allez, viens ; c'est l'heure de sauver le monde.

— Ouais ! s'exclama-t-elle en levant un poing. Je pourrais enfin assumer mes gênes de super soldate.

— On ne va tuer personne, je te signale. Du moins, on va essayer.

— Mouais, soupira Aëlle, me suivant à la trace. C'est mieux comme ça, en fin de compte. J'ai pas trop envie de tuer, disons.

Je passai la porte d'entrée, la laissant ouverte pour Aëlle qui la referma derrière elle. En m'avançant au centre de la rue, je remarquai, depuis la maison d'à côté, Seth et Arthur en ressortir, eux aussi accoutrés de leur nouvelle combinaison. Et à voir leur démarche, ils n'étaient pas très à l'aise dans ces vêtements moulants.

— On ressemble à des superhéros, avec ça, dit Seth. Je suis... CHEETAHMAN ! s'écria-t-il en levant les bras au ciel.

— Allez, on y va, soupirai-je.

Et tous les quatre, nous partîmes en direction du village de Télio, passant par le chemin dans la forêt qui menait au petit coin de réunions.

— Alors, le plan ? demanda Arthur. T'en as trouvé un ?

— Ouais ! m'exclamai-je, et tous se retournèrent vers moi avec un grand sourire. Voilà ce qu'on va faire... improviser.

Tous les sourires disparurent d'un seul coup.

— Ce qu'il est con, soupira Aëlle.

— Bon, dis-je en riant. Le but, c'est de sauver Télio. Mais si on réussit, il faudra aussi sauver tout le reste du village. Alors donc, on sauvera le village.

— Tu crois qu'à nous quatre, on arrivera à sauver un village entier ? dit Arthur.

Nous étions parvenus au petit coin de réunions. Chacun notre tour, nous enjambâmes les troncs et contournâmes le cercle servant à accueillir le feu.

— L'important, c'est d'essayer, intervint Seth. On existe dans le simple but de sauver l'Amérique, alors... le pays ou un petit village, c'est la même chose !

— Voilà ! dit Arthur, comme quoi tout était dit.

— Bah moi, j'ai des doutes, fit Aëlle dans un murmure coupable. Je suis pas sûr d'arriver à quoi que ce soit de bon.

— T'inquiètes, Black Widow a fait ses preuves depuis longtemps, dis-je. Tu seras parfaite.

— Wow ! dit Seth en riant. Faut que tu le croies, Aëlle ! C'est quand même Batman qui le dit !

Je tirai la langue pour Seth et il me renvoya un grand sourire et un clin d'œil.

C'était drôle, en un sens, ce n'était que la deuxième fois que je parlais avec mes clones et j'avais pourtant l'impression de les connaitre encore mieux que Math, mon meilleur ami depuis près de sept mois. C'était un peu comme ce mois que j'avais passé à endurer Télio ; Seth, Arthur, Aëlle et tous les autres étaient plus ou moins pareils. Plus ou moins débile – moins, pour la plupart, c'était difficile de faire pire que Télio -, plus ou moins le même humour, plus ou moins le même caractère. À ce que j'en sais, aucun ne m'avait donné l'impression d'être mytho, mais peut-être qu'ils cachaient bien leur jeu.

En gros, il ne m'aura fallu que d'en connaitre un pour connaitre tous les autres.

En quelques minutes de marche silencieuse à travers la petite forêt, nous étions arrivé au désert, ou plutôt un entredeux : il y avait encore des arbres, pour la plupart assez jeunes et espacé, et le sol était à quelque chose de pas vraiment terreux, pas vraiment sableux. Le vrai désert commençait à une dizaine de mètres devant nous.

— Donc, Miö, je suppose qu'il vaudrait mieux être le plus rapide possible ? dit Seth.

— La course ! s'écria Aëlle en levant un bras vers le ciel.

— Ce serait une idée, oui, dis-je en riant.

Seth et Arthur échangèrent un regard, souriant tous les deux d'une oreille à l'autre.

— OK, dit Arthur, qui sautillait presque d'impatience. Aëlle, grimpe sur mon dos. Et si tu me donnes encore des coups de pied, je te les renvoie dans le cul !

Aëlle baissa les yeux, son visage devenant aussitôt bien rouge, avant de s'avancer vers Arthur.

— Vous préparer quoi, au juste ? demandai-je.

— Une course, dit Seth en riant.

— Je m'en doute, je veux dire... quel genre ?

— Bah, un guépard contre un cheval, dit Aëlle, qui s'était placé derrière Arthur. C'est très... rapide.

— Tu nous suivras d'en haut, dit Arthur. T'inquiète pas si on te devance, de toute façon, on fait une ligne droite. On se perdra pas. Prépare-toi, Aëlle !

Arthur se pencha légèrement et Aëlle en profita pour passer ses bras autour de son cou. Et aussitôt, Arthur se transforma en cheval. Il était d'avance le plus grand de nous quatre, mais là, il en devenait gigantesque. Aëlle, assise sur son dos, n'avait pu s'empêcher de pousser un cri de surprise en sentant Arthur changer de forme. Elle s'installa proprement, une jambe de chaque côté, et enroula autour de ses poings deux longues mèches de crin.

— C'est pas dangereux ? dis-je, inquiet pour Aëlle. Sans selle, ni rien... ?

— On le fait souvent, assura Aëlle. Et au pire, je guéris vite, mais je suppose que tu t'en doutes, ajouta-t-elle dans un rire.

Je me retournai vers Seth, mais je me rendis compte qu'il s'était déjà transformé en guépard. Il me fallut une seconde avant de réaliser que c'était Seth, et pendant un instant, je sentis mon cœur se contracter douloureusement de ma poitrine ; un énorme félin à tout juste un mètre de moi, prêt à bondir.

— À trois ! s'écria Aëlle. Miö, tu devrais peut-être te mettre ailleurs que derrière eux.

Jugeant que c'était un conseil judicieux, je suivis le mouvement en me transformant à mon tour, puis m'envolais pendant qu'Aëlle faisait le décompte. J'étais à cinq mètres quand Aëlle cria « trois ! » et que le cheval et le guépard commencèrent leurs courses, partant à une telle vitesse que quiconque se trouvant derrière eux se serait retrouvé enseveli sous une bonne épaisseur de terre et de sable.

Je les suivis d'en haut, mais ils me devançaient. Ils étaient si rapides... s'ils savaient tenir cette cadance encore longtemps, nous serons arrivés au village de Télio en moins d'une demi-heure !

Un large nuage de poussière s'étendait derrière eux. Malgré ma propre agilité, j'avais l'impression de faire du surplace.

Au bout d'un moment, ils ralentirent, puis s'arrêtèrent. Je les voyais au loin se retransformer en humains, riant et se tapant dans les mains. Je les rejoignis au bout d'une minute. Dès que je posai les pieds à terre, Seth me donna une grande claque dans le dos.

— Alors ? dis-je pendant que les autres se remettaient à marcher normalement. Qui a gagné ?

— C'est moi ! s'écria Arthur avec un énorme sourire. Le guépard est peut-être le plus rapide du monde, sur courte distance, mais en une course de dix minutes, je fais vite de le rattraper !

— Arrête de te lancer des fleurs ! fit Seth qui malgré tout semblait bien heureux. Un jour, je t'aurais ! Sinon, on est toujours loin ? demanda-t-il en se retournant vers moi.

— On a dû faire le tiers du chemin, je dirais.

— Attends que je reprenne mon souffle, dit-il avec un clin d'œil.

— Ça va, on peut marcher, dis-je en riant. Le soleil n'est même pas encore levé. Et garde tes forces pour quand on sera arrivé.

— Ouais, parce que ça décoiffe ! dit Aëlle.

Pour cause, ses cheveux qui autrefois tombaient normalement de chaque côté étaient maintenant tirés à l'arrière de sa tête, comme si elle s'était mis le doigt dans une prise de courant. Elle passait ses mains dans ses mèches rousses, essayant de les redescendre, sans grand succès. Ça lui donnait un petit look savant-fou.

Après cet épisode, nous continuâmes notre route tout en parlant de n'importe quoi : je leur demandais à quoi ressemblait la vie dans leur village, ils me demandaient à quoi ressemblait la vie dans la cité. Ils semblèrent tous étonnés quand je leur dis qu'il y avait encore le système d'étude et que j'y étais moi-même, malgré que ça faisait un bon moment que je n'avais pas mis les pieds dans la salle de classe. Et ils étaient totalement émerveillés quand ils apprirent que nous avions l'électricité, l'eau chaude, des élevages de bétails et – tout pour moi – une serre.

— T'as trop de chance, dit Aëlle. Enfin... (son visage vira aussitôt au rouge) sur cet aspect en particulier. Je le comprends bien, Télio, de ne pas avoir pu résister à la tentation de prendre ta place à Digora...

— Où j'en suis rendu... Si quelqu'un la veut, je la donne.

Aëlle garda le silence, continuant de se passer les mains dans les cheveux. Seth et Arthur, trois mètres devant nous, changèrent de sujet.

Au bout d'une heure de marche – et après une deuxième course, qui acheva de ruiner la coiffure d'Aëlle pour aujourd'hui -, nous étions enfin parvenus aux chutes. Seth et Arthur se transformèrent encore, Aëlle sur le dos d'Arthur, et sautèrent au-dessus de la rivière, pendant que je la survolais.

Le soleil commençait à se lever, mince trait de lumière jaune derrière nous, mais il était tellement tôt que je ne voyais aucun mouvement dans le village.

Nous étions arrivés, et il était temps de passer à l'action.

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