Chapitre 58 ✅

Après être sorti de la serre avec un peu plus de difficulté que la veille puisque des employés étaient présents, je m'étais envolé aussi haut que possible pour ne pas me faire remarquer.

En survolant plusieurs petites boutiques, une idée me vint et je décidai de me poser dans une ruelle, me cachant à l'ombre des passants. Personne ne semblait m'avoir aperçu, et j'en étais bien content. Après tout, j'avais l'âme d'un espion, non ?

J'attendis qu'il y ait moins de monde, puis couru vers la porte d'un magasin de vêtements. Aussitôt entré, je m'accroupis derrière une rangée de jeans, puis écoutais. Une seule personne ; le vendeur. C'était parfait.

Je sortis de ma cachette et m'avançai vers le comptoir. Aussitôt que le vendeur me vit, les couleurs de son visage disparurent d'un coup, ne laissant plus que le gris de sa petite barbe.

— Ceci n'est pas un hold-up. Je veux juste passer une commande.

— Heu... pourquoi ? bredouilla-t-il.

— T'as des trucs comme ça ? dis-je en tirant sur le manche de ma combie.

— Quelques-unes, oui...

— Je les veux toutes.

Le vendeur écarquilla les yeux.

— Mais ça vaut une fortune, se plaignit-il.

— Et alors ? C'est la fin du monde, de toute façon !

Le vieux monsieur fit la moue, l'air de penser que j'avais raison sans pour autant l'avouer.

— S'te plait, j'en ai besoin.

— OK, très bien...

Il alla dans l'arrière-boutique, sans insister. Soit il avait sérieusement peur de moi, soit il ne tenait pas plus que ça à sa marchandise.

Il revint deux minutes plus tard avec un sac en plastique. Il me le donna et je regardai dedans ; quelques combies. Je ne pris pas la peine de vérifier leurs nombres ou leurs tailles car, en réalité, je n'en avais pas vraiment besoin. Ce n'était qu'un cadeau, pour la cause de Télio.

Merci, dis-je en levant les yeux vers le vendeur, lui faisant un sourire.

— Eh... Miö ? Tu me dois cinq-cent-trente-six et soixante-dix dollars.

— Désolé, dis-je en riant. Je sais plus du tout où j'ai mis mon portefeuille.

Puis je sortis de la boutique, laissant le vieil homme en plan.

Une fois dehors, je courus à nouveau pour me cacher dans la ruelle. Puis me transformai et coinçai les poignées du sac dans mes pattes avant de m'envoler en direction de la forêt, en dehors de la cité. Le sac n'était pas très chargé, ce n'était que deux ou trois vêtements. Mais pour la taille que j'avais, c'était très lourd. Je devais battre des ailes plus rapidement pour compenser, et je me sentais voler légèrement de travers. Finalement, peut-être que ce n'était pas une si merveilleuse idée que ça.

*

Pendant près de cinq minutes, j'avançais bien. Mais alors que je dépassai la forêt, je commençai à ne plus ressentir mes ailes. Je me laissai retomber au sol, les deux pieds nus dans le sable, et pris le sac dans mes mains. Valait mieux marcher, peut-être, que voler avec cette charge. Je n'étais pas un hibou, moi, contrairement à d'autres. Je n'étais pas fait pour transporter des trucs entre sorciers.

Alors, je courus aussi vite que possible, car je savais que je n'avais qu'une seule journée pour trouver un plan.

Une fois arrivé aux pieds des chutes près du village de Télio, je m'arrêtai, incertain. Je restai figé là, à regarder. Vue de loin, tout semblait bien aller pour ces habitants ; les enfants jouaient dans la rue, des adultes se promenaient. Je ne remarquai personne, malgré la distance, qui aurait pu être Télio.

Je m'agenouillai près de la rivière pour boire un peu, les mains en coupe pour attirer l'eau à ma bouche. Elle avait un gout bizarre et, dans un coin de ma tête, une petite voix me soufflait « tu vas encore tomber malade ». Mais je ne m'en inquiétais pas, même si je savais que je devrais.

Je me relevais et me remis à courir, cette fois en ligne droite vers l'autre village, celui de Simmer, Arthur, Aëlle et tout ce qui suit.

Quand j'eus marre de courir, je m'envolais. Quand le sac devenait insupportablement lourd, je me posais à nouveau pour jogger. J'alternais ainsi tout le long du voyage, faisant des pauses de temps en temps pour reprendre mon souffle.

En temps normal, j'aurais estimé le voyage quelque part entre une demi-heure ou une heure, car j'ignorais la distance exacte entre les deux villages. La première fois que j'y étais allé, disons que j'avais été un peu distrait par ma nouvelle rencontre avec Simmer, et Télio qui agonisait dans ses bras.

Pourtant, en parvenant à destination, le soleil s'était mis à descendre. Il avait un angle si prononcé que, en regardant au sol – car j'avais volé pour la dernière partie de la route -, je ne voyais plus du tout mon ombre ; elle était loin derrière, perdu dans le paysage.

En dessous de moi, une rue bordée de boutiques s'étendait. J'étais si crevé et heureux d'être enfin arrivé que je n'attendis même pas d'être à une hauteur raisonnable avant de me transformer, et je chutai les trois mètres en criant de surprise pour atterrir sur le ventre, gémissant de douleur. Le sac de vêtements avait un peu atténué le choc, mais à peine.

J'entendis quelqu'un éclater de rire et, péniblement, je me redressai sur les genoux, regardant autour de moi d'un œil étourdi. J'étais exactement au centre de la rue, assis sur les lignes jaunes, en face du vétérinaire. Je laissai échapper un petit ricanement à mon tour, songeant que, au moins, je n'étais pas trop loin des soins.

Je remarquai soudain les gens qui s'étaient attroupés autour de moi. Cinq ou six personnes qui ne me disaient absolument rien, et un clone. Et j'étais incapable de deviner duquel il s'agissait.

— Tu vas bien ? me demanda-t-il en me présentant sa main.

— Ouais. Juste hyper fatigué. Et... ah, merde, j'ai mal au genou, ajoutai-je dans un grognement, alors que je me remettais péniblement sur pied avec son aide.

Je pensai à Jeremy, quand il avait raconté à tout le monde que j'étais tombé pour camoufler l'opération qu'il m'avait faite dans la jambe. Cette fois, c'était vraiment arrivé...

— Eh bah, je suis bien content de ne pas savoir voler, moi ! dit le clone en riant.

— Je n'étais jamais tombé avant, hein ! Enfin, par moi-même.

Les autres personnes qui nous entouraient commencèrent à se lasser du spectacle et reprirent leurs chemins. Je soupirai en secouant la tête, essayant de me réveiller un peu, puis me penchai à nouveau pour attraper le sac à mes pieds et le donner à celui qui était devant moi.

— Cadeau, pour ma cause, dis-je. Parce que Télio a un gros problème, et j'ai besoin de votre aide.

— Ah ouais ? (Il regarda à l'intérieur, sourcils froncés, avant de relever les yeux vers moi.) Je croyais que c'était toi, Télio.

— Je suis Miö... Bah c'est chouette, du coup, je peux te demander qui t'es sans avoir l'air d'un con.

— Seth, dit-il en riant. Et t'en fais pas, je suis ici depuis onze ans et je confonds encore... surtout Arthur et Albert, ils ont exactement la même taille. Hadrien et Ulysse aussi, ils sont impossibles à différencier... Et je peux maintenant ajouter Télio et toi à la liste, dit-il en me montrant un grand sourire. Bon, sinon, tu veux quoi comme aide ? Je suffis, ou tu préfères avoir Simmer ? Dans ce cas, tu cherches tout seul ; je sais pas plus que toi où il est. Peut-être chez lui... peut-être chez quelqu'un d'autre... Probablement chez Vanessa – c'est sa copine (Seth me fit un gros clin d'œil pas du tout subtil). Peut-être aussi qu'il est parti faire un tour je ne sais où, dans je ne sais quelle direction. Si c'est lui que tu veux, tu ferais mieux de patienter jusqu'à demain matin. T'auras plus de chance de le trouver.

— Je peux pas attendre... ça urge un peu.

Je lui expliquai en quelques mots le problème de Télio.

— Donc, il a trois jours pour se décider. Et le délai se termine demain. Je l'ai su que ce matin, autrement, je serais venu plus tôt !

— Mmh... je vois. Suis-moi.

Seth passa un bras autour de mes épaules et m'entraina avec lui sur la route, en direction des quatre maisons habitants les clones. Il était plus grand que moi, mais pas tellement. Plus grand que Télio, aussi. Mais si nous n'étions pas côte à côte, je ne doutais pas que Seth serait parfaitement en mesure de se faire passer pour moi tout autant que Télio.

— Est-ce que t'as un plan ? demanda Seth.

— L'ombre d'une idée.

— Donc, t'as pas de plan.

— J'ai presque un plan. Il me manque seulement... le début et la fin.

— T'as pas de plan.

— J'ai pas de plan.

— Je vois...

Nous étions parvenus au centre des quatre maisons. Seth retira son bras de mon épaule et, mettant ses mains en portevoix, hurla « Réunion ! » Nous attendîmes près d'une minute, au milieu de la rue, avant que des clones sortes de chez eux.

— Qui le demande ? dit Aëlle en arrivant à notre hauteur.

— Seth.

— Ah, je croyais que t'étais Albert.

— Je suis pas aussi con qu'Albert !

— Bah, vous êtes tous cons. Sauf Riley, il est bizarre.

— Riley n'est pas bizarre. Il est juste...

— Con ?

— Non.

— Connard ?

— Ouais.

Je levai les yeux au ciel, me demandant sérieusement pourquoi j'avais le même ADN que cette bande de cons – et de connards –, puis suivit les clones qui s'aventuraient déjà dans la forêt. En y arrivant à mon tour, je vis qu'il en manquait quelques-uns, mais lesquelles, en dehors de Simmer, j'étais incapable de le dire.

— Bon voilà, un con parmi tant d'autres, mieux connus sous le nom de Miö, a une annonce à faire, dit Seth en s'asseyant à côté de moi sur le tronc d'arbre couché.

— Merci, dis-je, incertain de comment je devais le prendre.

— Pas de quoi.

Je racontai à nouveau l'histoire de Télio et sa grosse merde, après qu'il ait tué le roi, et cette histoire de délai qui se terminait demain. Tous m'écoutèrent d'un air un peu endormi. Je reconnus Riley dans les rangs, entre Arthur et Albert – qui était lequel, maintenant, mystère. Il y avait aussi, assise en face de moi, Aëlle qui jouaient avec ses longs cheveux, m'observant avec ennuie.

— C'est Simmer, qu'il te faudrait, dit-elle à la fin de mon récit.

— Ouais, bah il est pas ici et Télio a besoin d'aide au plus vite.

— Mais qu'est-ce que tu cherches à faire, au juste ? demanda Arthur (ou peut-être Albert, mais j'étais à peu près sûr que c'était Arthur).

— Il n'a pas de plan, dit Seth. Il compte sur nous pour en trouver un, c'est pour ça qu'il est là.

— Oh, le con, fit Aëlle en roulant les yeux.

— Hé !

— Je plaisante, t'es pas un con. Juste un petit connard.

— T'es plus petite que moi.

— Un jour, on aura tous la même taille, et là, tu seras petit !

— Si je suis petit, tu le seras aussi, la conne.

— Hé, intervint Albert en levant les bras, c'est moi qui dis des trucs débiles, d'habitude. Qu'est-ce qui se passe ?

— C'est pas débile, c'est juste con, dit Aëlle d'un air supérieur.

— Taisez-vous, deux secondes ! m'écriai-je. Vous me donnez honte à mon ADN. Tenez, cadeau !

Je repris le sac que tenait toujours Seth et le lançai vers Albert. Il l'attrapa et plongea sa main à l'intérieur, pour en ressortir une combie faite pratiquement comme la mienne, mais avec des motifs de lignes grises sur les hanches et les épaules. Albert regarda la combinaison, fronçant les sourcils, puis leva les yeux vers la mienne.

— J'irais pas jusqu'à dire que c'est joli...

— C'est une combinaison, expliquai-je. On peut se transformer, avec ça, pas besoin de se mettre à nu devant n'importe qui.

— Je la veux ! s'exclama aussitôt Seth.

— Je la veux plus que toi ! s'écria Aëlle qui l'arracha des mains d'Albert et la serrant contre elle comme un doudou.

— Y'en a d'autre, dit Albert dans un grognement.

Il sortit une seconde combinaison du sac, celle-ci identique à la mienne ; allant des chevilles au poignet et totalement noire. Il la lança à Seth, qui souriait d'une oreille à l'autre. Il prit ensuite une dernière combie, qu'il donna à Arthur.

— Merci, dit celui-ci, qui souriait également.

— C'est à moi qu'il faut dire merci, précisai-je.

— Merci, Miö ! s'exclama Aëlle, Seth et Arthur d'une même voix.

Albert grogna pour toute réponse – il était celui qui se transformait en requin, ce qui était particulièrement inutile quand il n'y avait, comme seule source d'eau, des rivières étroites – et Riley s'était, sans m'étonner, endormie contre Arthur.

— Avec ce petit cadeau, je suppose que vous voudrez m'aider, dis-je en souriant.

— Tu nous as achetés ! s'écria Aëlle en me pointant d'un doigt accusateur.

— Ouais.

— T'es pas si con que ça, finalement.

— Merci.

— Du coup, je suis partante.

— Si tu trouves un plan avant qu'il ne soit trop tard pour Télio, je te suis, dit Seth.

— De même, dit Arthur.

— Je savais que je pourrais compter sur vous ! dis-je. Donc, pour le plan... on a, genre... très peu de temps.

— Peut-être qu'il vaudrait mieux dormir, et se lever tôt demain matin pour avoir toute la journée, dit Albert. Enfin, je parle pour vous. Moi, demain, je vais dormir sans me soucier de rien. Et je crois que je vais commencer maintenant ! Eh, Riley, tu viens ?

Riley ouvrit un œil vers Albert, sans bouger.

— Je dormais déjà, signala-t-il

— Tu voudrais dormir dans un lit ?

— Si le lit vient à moi, je suis pas contre.

— Lève ton cul, gros paresseux !

Riley ferma à nouveau les yeux, l'ignorant totalement. Albert l'attrapa par la taille et le fit basculer sur son épaule comme un sac à patates. Riley donnait des coups de poing dans le dos d'Albert, mais son rire le trahissait.

— Il a raison, dit Seth quand Albert et Riley furent partis. T'es déjà épuisé, t'arriveras à rien sans une bonne nuit de sommeil.

— Mais ça urge, ça va se passer demain... et je ne sais pas à quelle heure, ça pourrait aussi bien être très tôt le matin !

— On se lèvera encore plus tôt, dit Arthur. Je dors jamais des masses, alors je vous réveillerais. Et on ira là-bas, aider Télio... peu importe de quelle manière. Ça te va ?

— Je vais faire avec... J'ai pas le choix.

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