Chapitre 50 ✅
Je suivis des yeux les traces de pas, de l'autre côté de la rivière. Rapidement, elles étaient devenues celles d'une seule personne, s'enfonçant en direction du dessert. Ce n'était certainement pas ceux de Télio ; ils étaient trop droit pour appartenir à quelqu'un de blessé à la hanche. J'avais plutôt l'impression qu'on l'avait transporté.
Je revins du côté « roché » de la rivière, m'asseyant dans le sable, la joue contre ma paume. Qu'est-ce que je dois faire, maintenant ? Peut-être que c'était l'un de ces gardes qui l'avait tué et qui... non. Ce n'était pas ça. Pourquoi aurait-il été vers le désert, sinon ?
Mais dans ce cas, c'était qui ?
Je baissai à nouveau les yeux vers les traces de pas, éparpillé au sol. J'étais assis exactement où Télio aurait dû être allongé, et les traces autour de moi étaient certainement les siennes. Il s'était levé, presque aplati contre le rocher. Et comme me montraient les empreintes de deux pattes d'oiseaux, il s'était transformé pour traverser.
Je suivis la piste d'un peu plus près et, pour mon étonnement, je reconnus des pas de canidé. C'était donc ça ?
J'allai encore une fois de l'autre côté de la rivière, à genoux pour observer le sol. Traces d'animaux, traces brouillées, traces d'humain.
Je me relevai d'un bon, le souffle court. Un clone ! C'en était bien un ? C'était la seule solution que je voyais quant au fait que les traces d'animaux disparaissaient au moment exact où des traces d'humains apparaissaient. Télio se serait fait enlever par un clone ? Et ils seraient partis sans m'attendre ?
J'étais partagé entre l'idée de les suivre et de retourner à la cité. Télio s'était trouvé d'autre copain à qui pourrir l'existence, alors... pourquoi ne pas le laisser aller et repartir chez moi ? Sauf que je ne peux pas. J'ai tiré sur deux gardes et je suis, techniquement, complice dans le meurtre du roi.
Je pris une grande inspiration pour un peu de courage, et remontai la piste. Elle était facile à suivre, dans le sable et sans aucun vent. Et à ce que je voyais, ils semblaient avancer lentement, s'arrêtant même par moment. En chauvesouris, je saurais les rattraper rapidement. Alors, je me mis à voler à un mètre de hauteur, toujours la pince et la bouteille d'alcool dans chaque patte, observant attentivement les traces pour ne pas les perdre et guettant le mouvement au loin avec mes oreilles.
Plus j'avançai, plus j'avais l'impression que l'oxygène se raréfiait. J'avais l'impression, surtout, que je me rapprochais du point d'impact d'une bombe atomique, explosé dix ans plus tôt.
Près d'une demi-heure s'était écoulé quand, les yeux rivés sur la piste, un bruit me fit relever la tête par réflexe. Même s'il faisait trop sombre pour y voir à deux mètres, je le savais ; je les avais presque rattrapés. Ils étaient devant moi.
Je me transformai en humain, tombant à quatre pattes du fait que j'étais trop bas pour avoir assez d'espace pour raidir les jambes. Je me relevai d'un bon, essayant de calmer mon cœur.
C'est le moment, pensai-je avec appréhension. Rencontrer un clone. Oh, bon sang, j'en ai pas du tout envie ! Allez, courage... il peut pas être pire que Télio. Enfin, j'espère.
Je courus la distance qui me séparait de l'ombre — c'était tout ce que j'arrivai à voir dans le noir. À cinq mètres, je m'arrêtai à nouveau. J'ouvris la bouche pour les appeler, mais aucun son n'en sortit. J'étais stressé comme pas possible !
Mais l'homme — à sa taille, c'était vraiment ça — se retourna vers moi. Je figeai, ma mâchoire se décrochant totalement. C'était un roux avec une barbe. Et il faisait près de trente centimètres de plus que moi !
— Hé, le Miöche ! s'écria Télio qui dormait à moitié, couché dans ses bras comme un gros bébé. Qu'est-ce que tu fous là ?
— Je... je te cherchai, bredouillai-je.
— Bravo, tu m'as trouvé. Tu peux repartir.
Je haussai les sourcils, étonné. Il avait réussi à faire disparaitre tout le stress que j'avais en moi ; maintenant, j'étais prêt pour une guerre d'argumentation, comme nous étions si bons l'un contre l'autre. Mais le clone prit la parole en premier, et alors que je levai les yeux vers lui, je ressentis à nouveau une boule me contracter l'estomac.
— Ça va, tu peux nous suivre, dit-il — sa voix était étrangement grave. J'avais l'intention de revenir te chercher plus tard, de toute façon.
— Ah, dis-je simplement. Du coup, c'est cool.
— Je suis Simmer.
— OK.
Il continua de me fixer un long moment et je soutins son regard avec peine, ne sachant plus trop quoi faire d'autre. Puis, au bout d'une éternité, je réalisai que c'était à mon tour de me présenter.
— Oh, oui, heu... je suis Miö.
— Je sais.
Puis Simmer reprit sa route, trainant toujours Télio dans ses bras, paupières closes et sourcils froncés, comme s'il luttait contre la douleur. Alors qu'il s'éloignait, je remarquai que Simmer était complètement nu et je levai aussitôt les yeux au ciel, m'efforçant de ne pas regarder trop bas. Je courus à nouveau pour me mettre à ses côtés, voir même légèrement devant.
— Tu sais, heu... à la cité, ils font des combinaisons. Je sais pas trop de quelle matière elles sont faites — peut-être du Spandex, comme les superhéros, dis-je dans un rire nerveux. Mais on peut se transformer avec.
— Je sais, j'aurais bien aimé en avoir une. Mais je ne vole pas, moi, et je suis plutôt voyant. Je ne peux pas pénétrer dans la cité comme bon me semble. Même, je n'y ai jamais mis les pieds.
Je hochai la tête, ne sachant plus trop quoi dire sur le sujet. Je me sentais un peu déchiré entre deux réactions possibles, entre nervosités pour la rencontre d'un deuxième clone, et l'indifférence justement parce que ce n'était pas le premier.
— Où est-ce qu'on va ? demandai-je au bout d'un moment.
— Chez moi. On arrive bientôt, vous allez voir. J'ai tout un tas d'explications à vous donner, dit Simmer alors que j'ouvrais la bouche pour une seconde question. Ça attendra demain matin. Et il faudra soigner celui-là d'abord, aussi.
— Je vais bien, marmonna Télio. C'est pas comme si je m'étais pris une balle.
— Je suis bien curieux de savoir ce qui s'est passé pour que des armes à feu en soient mêlées ! s'écria Simmer.
— Il a tué le roi, dis-je.
Simmer figea aussitôt, les yeux écarquillés, puis les baissa vers Télio, qui dormait à moitié dans ses bras.
— Il plaisante, dit Télio. Miö est tout le temps en train de mentir pour aucune raison.
Simmer releva le regard vers moi, un sourcil plus haut que l'autre. Je secouai la tête dans un soupir, exaspéré. Même blessé à ce point, Télio était toujours... Télio.
— On t'expliquera tout après que tu nous auras expliqué ta partie. Demain matin, comme t'as dit.
— Ça me va.
— Mais j'ai quand même une dernière petite question. Tu te transformes en quoi ? demandai-je, incapable de contenir ma curiosité.
— C'est un loup-garou, dit Télio en ricanant.
— Je me change en loup, précisa Simmer, alors que Télio continuait de rigoler.
— Mouais, la lune n'est qu'au trois quarts. Imposteur !
— Ta gueule, Télio ! m'énervai-je.
— Un faux loup-garou, un faux Batman... c'est nul.
— Mais un vrai couillon ! enchainai-je. Parce que toi, t'es vraiment trop nul.
Télio continua de rire un petit moment, mais s'arrêta rapidement, le mal reprenant le dessus. Simmer et moi ne dîmes plus rien, marchant vers son « chez lui ». Je frissonnai en me remémorant ses mots, alors que le visage de Debbie emplissait mon esprit. Combien de temps allait encore passer loin d'elle ? Sans que je puisse lui expliquer ce qui s'était vraiment produit, et tout ce temps où elle n'aura d'autre choix que de croire la version officielle ; que Télio et moi avions tué le roi.
*
Près d'une demi-heure s'écoula dans le silence, avant que je ne me rende compte que l'éternel sable du désert avait rendu sa place à de l'herbe et autres végétations. Malgré la nuit, je parvins à distinguer des arbustes, et je tendis la main pour sentir mes doigts effleurer les feuilles à peine passé le stade des bourgeons. Je ressentis l'air, légèrement plus pur, me rafraichir le visage. Je pris une grande inspiration, profitant de l'instant. Moi qui avais cru, un peu plus tôt, que nous nous approchions d'un point d'impact ; finalement, nous ne l'avions que contourné.
— Ne faites pas trop de bruit, murmura Simmer. Tout le monde dort.
Je ne répondis rien, guettant le moment où je verrais enfin ce fameux endroit... et je le vis, au bout d'une minute en plus de marche dans ce qui ressemblait de plus en plus à une forêt ; les arbres s'arrêtèrent aussitôt, débouchant sur le rebord d'une vieille autoroute craquelé. Et un peu plus loin, de chaque côté de la route, des maisons. Qui semblait encore plus délabré que celles du village de Télio.
— Je t'abandonne ici, Miö, murmura Simmer en se penchant légèrement vers moi. Tu vois la maison bleue, là-bas ? Entre, et tu seras directement dans un salon. Tu prendras le canapé. C'est tout ce que je peux te donner, pour ce soir. J'emmène Télio avec moi.
— OK. Pas de problème, dis-je en hochant la tête. Oh, heu, tiens. (Je lui tendis la pince et la bouteille d'alcool, que j'avais dans les mains depuis le tout début.) Il doit bien y avoir quelqu'un ici d'assez expérimenté ? Sinon, je peux m'en occuper.
— T'inquiètes pas pour lui, dit Simmer. Toi, va dormir.
Il prit les objets en pliant les genoux, gardant les bras toujours dans la même position pour ne pas déranger Télio, puis continua son chemin en marchant au centre de l'autoroute. Je restai là à le regarder s'éloigner, mais en peu de temps, il fut avalé par la nuit il ne resta plus autour de moi qu'une obscurité macabre. Je me tournai vers les maisons que j'apercevais tout juste dans le noir ; l'une était une petite Mobil-home d'un vieux blanc jauni, et l'autre, la bleue, semblait un peu mieux et plus grande. Je pris une inspiration puis, avec un peu de courage, m'avançai vers celle-ci.
Comme promis, en entrant, je tombai sur un simple salon, ne contenant qu'un canapé défoncé et quelques meubles vides. J'allai m'y allonger, les yeux fixés au plafond que j'arrivai à peine à apercevoir.
J'avais l'étrange impression d'avoir passé un point de non-retour...
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