Chapitre 44 ✅
Je me réveillai en sursaut, alors que quelqu'un me secouait sans ménagement. J'étais toujours roulé en boule dans le fauteuil et je me sentais courbaturé de partout. Je m'étirai en remarquant que c'était Télio qui m'avait réveillé ; il avait un grand sourire au visage.
— Quoi ? murmurai-je d'une voix endormie.
— J'ai trouvé, dit-il en souriant de toutes ses dents. Je sais comment faire pour nous sortir de là. TOM !
— Putain, cri pas comme ça, dis-je en sursautant encore une fois.
Télio s'éloigna pour aller voir Tom, couché dans le plancher au pied du canapé. Il se redressa lentement, encore un peu étourdi, s'appuyant sur une main pendant qu'il se frottait le visage de l'autre. Télio arriva près de lui et lui prit le bras — celui qui le soutenait — et manqua de retomber sur le dos. Il se dégagea mollement de la poigne de Télio en grognant.
— Qu'est-ce que tu me veux, roux numéro deux ?
— Ta montre. Et d'ailleurs, dit-il en bombant le torse d'un air plein de fierté, je suis le numéro un. Je suis plus grand que le petit Miöthore.
Math, qui était à peine plus réveillé que son père, s'étrangla de rire. Je levai les yeux au ciel en poussant un long soupir de désespoir.
Dommage que tu te transformes pas en bœuf ! dit Math.
— Bon, tu voulais une montre, alors voilà ! m'énervai-je. Il est quelle heure, Tom ?
— Un peu plus de six heures.
— Et à quelles heures tu crois qu'ils vont venir nous sortir d'ici ? demanda Télio.
— Peut-être sept heures. Huit, pas plus.
— Ils font pas la grasse matinée, le dimanche ? fit Math. Toi, tu travailles jamais le dimanche.
— Moi non, mais le roi, lui, il prend jamais de congé. Eh oui, s'exclama Tom devant le rire de Télio, le roi fait quelque chose de sa vie. Impressionnant, hein ?
— Oui, vraiment, je suis très impressionné, dit Télio, l'air sérieux et hochant lentement la tête.
— Bon, et c'est quoi, ton plan ? demandai-je.
— Je suis pas sûr à cent pour cent que ça puisse marcher, dit Télio en se retournant ver moi. Mais c'est le mieux que j'ai trouvé.
Télio prit un petit moment pour regrouper ses idées et j'allai m'assoir avec Math sur le canapé. Tom resta derrière Télio, comme s'il craignait qu'il ne prépare un coup contre nous.
— Premièrement, dit Télio en levant un doigt en l'air, il va falloir que tu éclates les vitres du bureau du roi avec ton « super cri » (il fit les guillemets avec les doigts). Ensuite, on va ramener autant de hiboux et de chauvesouris que possible dans le bureau. Le roi et ses gardes vont paniquer et ils sauront que le seul moyen d'arrêter ça, ce sera de nous laisser sortir. Et dans la confusion, on s'enfuit.
Télio nous montra un grand sourire, fier de lui.
— C'est presque pas fou, dit Math en hochant mollement la tête. C'est étonnant, venant de toi.
— Je vois trois problèmes potentiels, dis-je. Premièrement, nous sommes dans un bunker ; les murs sont très épais. C'est loin d'être garanti que je réussisse à casser les fenêtres d'ici. Deuxièmement, que j'y parvienne ou pas, je vais surement être trop étourdi pour passer à la suite. Et troisièmement, les hiboux et les chauvesouris ne font pas bon ménage.
— Les hiboux mangent les chauvesouris, signala Math.
— Et je risquerais moi-même de me faire bouffer ! Si on se rend là, je veux pas voir un seul hibou... sauf toi. Mais tu ne te transformeras que lorsque nous serons vraiment libres, parce que tu ferais fuir les chauvesouris.
— Alors du coup, j'ai rien à faire ? demanda Télio, déçu.
— Tu pourrais éclater les vitres à ma place.
— Je sais pas faire ça, moi...
— Mais si, c'est simple ; il suffit de crier. Si je peux faire ça, je suis sûr que tu le peux aussi.
Télio secoua la tête et haussa les épaules, découragé.
— T'es en train de changer complètement mon plan. Je suis resté éveillé toute la nuit pour le trouver !
— Je l'ai seulement rendu plus réaliste. Arrête de bouder et essaie !
— Maintenant ?
— Oui, maintenant. Et mets-y de l'émotion ; c'est quand je suis vraiment en colère...
— Ou exaspéré, glissa Math.
— Ouais... Que ça marche. Vas-y le plus fort que tu peux.
— Très bien, soupira Télio.
Je me bouchai les oreilles aussi fort que je le pus, imité par Math et Tom.
— Miö ?
Je laissai retomber mes mains sur mes genoux.
— Quoi ?
— Je suis pas sûr que...
— Oh, t'es chiant ! m'énervai-je. Je veux seulement que tu hurles !
— OK ! c'est pas croyable, j'ai l'impression d'être qu'un acteur...
— Tu dis n'importe quoi. T'es pas un acteur, je te demande d'être toi, sans scripte ni mensonge. Je sais que c'est difficile, mais essaie.
— Être moi, répéta Télio dans un grognement. Je suis moi-même ! C'est forcément toi qui joues un jeu.
— De quoi tu parles, maintenant ?
— On est pareil ! s'énerva Télio. Et si je suis moi-même, alors tu devrais être comme moi.
— Je devrais être un menteur et un voleur, tu crois que c'est « ma véritable nature » ? hurlai-je à mon tour en me levant du canapé. Qu'on soit jumeau, je peux bien l'accepter, mais vraiment, là, tu exagères. On n'est pas la même personne !
— Non, saloperie, on n'est pas jumeau ! Arrête de dire tout le temps qu'on est jumeau, j'en peu plus, putain !
Télio était rouge de colère, les poings serrés et jambes écartés, comme s'il était prêt à se battre contre moi. Mais il lui fallut deux secondes pour réaliser ce qu'il venait de dire, et ses yeux s'écarquillèrent.
— Comment ça ? Pas jumeau ? demanda Math.
— Bah ouais, marmonna Télio en reprenant son souffle. Triplet. Euh... c'est ce que je voulais dire ; triplet.
— Que... quoi ?! s'écria Math en se retournant vers moi.
Je hochai timidement la tête, puis la secouai de gauche à droite. Oui, il a raison. Non, je n'en parlerai pas. Je levai à nouveau les yeux vers Télio.
— C'est pas ce que t'avais l'air de sous-entendre.
— Je ne sous-entendais rien.
— Oui, clairement, il y avait un très gros sous-entendu.
— Bah je m'en suis pas rendu compte.
— Arrête de me mentir, je sais très bien qu'il y a quelque chose !
— Il n'y a RIEN !
— Il y a QUELQUE CHOSE !
— Tu ne sais même pas de quoi tu parles !
— Alors, explique-moi, je demande que ça !
— Il n'y a rien, et rien à expliquer !
— Tu vas cracher le morceau !
Je l'avais poussé à bout, peut-être un peu trop. Télio se mit à hurler à plein poumon, penché par en avant comme s'il vomissait du bruit. Je retombai assis sur le canapé et plaquai mes mains sur mes oreilles, fermant les yeux et serrant les dents.
C'était trop fort... beaucoup trop fort...
Puis, je n'entendis plus rien. Mon cœur pompait à pleine vitesse, et il me fallut une dizaine de secondes pour oser relever la tête, tremblant de partout. Télio était affalé sur le tapis, évanoui. D'où j'étais, je voyais un filet de sang couler de son oreille gauche, descendant le long de son cou et déviant vers le sol. Une autre goutte sortie lentement de sa narine.
Ça l'avait vraiment claqué.
Je sentis quelque chose sur mon bras et je tournai la tête ; c'était Math qui me secouait. Mes yeux s'écarquillèrent et mon pouls s'affola à nouveau quand je remarquai que ses lèvres bougeaient... mais que je n'entendais rien. Je n'entendais plus que mon cœur qui battait, comme s'il s'était logé à la place de mon cerveau, et au-dessus, un genre de bip constant, qui ne voulait pas s'arrêter.
— Quoi ?
C'était à peine si j'arrivai à percevoir ma propre voix. Elle semblait provenir de très loin, comme murmuré à l'autre bout de la ville.
— Est-ce que ça va ? répéta-t-il clairement, bougeant exagérément les lèvres.
Je hochai la tête, même si je n'étais pas trop sûr. Tom vint s'agenouiller devant moi, ses mains sur mes cuisses. Je me laissai retomber sur le canapé, fermant les yeux. J'étais claqué, moi aussi, alors que je n'avais rien fait.
— Est-ce que tu m'entends, Miö ?
— Oui... Ça va, je vais bien...
— Tes oreilles...
— Ça va aller.
Je sentis quelque chose glisser sur ma peau, sous mon oreille droite. J'ouvris un œil pour apercevoir Math ; son doigt était rouge.
— C'est mon sang ?
Il planta son regard dans le mien, l'air soucieux. Il dit quelque chose — du moins, ses lèvres remuaient —, mais je n'entendis rien du tout. Quand il se rendit compte que je n'avais rien compris, il se tourna vers son père, qui était toujours assis en face de moi, et ajouta encore quelques mots. Je les observai tour à tour, alors que mon étourdissement se dissipait. Cette fois, l'angoisse prenait le dessus.
— Qu'est-ce que vous dites ? demandai-je en me penchant un peu vers Tom devant moi.
— Que tu guéris vite, répondit Tom — sa bouche bougeait comme s'il hurlait presque, mais j'entendais tout comme un murmure. Ton ouïe va revenir en un rien de temps, j'en suis certain. Tu n'as pas à avoir peur.
Je hochai la tête ; ça, je le savais. Ce n'était pas la première fois que je m'abimai les oreilles. Elles étaient tellement sensibles qu'un rien pouvait me rendre sourd, même si ça ne durait jamais bien longtemps. Parfois, ce n'était que quelques minutes, parfois une heure. Dans le pire des cas, j'étais totalement rétabli le lendemain matin.
En réalité, ce qui me stressait vraiment, c'était que, sans mon ouïe, j'étais bien incapable de savoir si Télio avait réussi à casser les fenêtres, ni même d'appeler les chauvesouris, car, quand je les appelai en sifflant, il fallait que ce soit à une fréquence précise pour qu'elles puissent me reconnaitre et ne pas me confondre avec n'importe qui sans importance ; elles allaient m'entendre, mais elles n'en auraient rien à faire.
Je baissai les yeux vers Télio, toujours affalé au sol, qui semblait commencer à se réveiller ; sa tête penchait d'un côté puis de l'autre, et je voyais ses paupières s'agiter.
Je venais de trouver un autre point, dans le plan de Télio, dont on aurait dû y réfléchir un peu plus. Tom avait dit qu'il était près de six heures, et que le roi et ses gardes ne rappliqueraient pas avant au moins sept ou huit heures, nous laissant donc une ou deux heures pour se préparer. Mais personne n'avait pensé une seule seconde qu'en hurlant ainsi, Télio avait certainement réveillé la maison tout entière — si ce n'est pas toute la ville.
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