Chapitre 40 ✅

Math et moi nous arrêtâmes de courir une quinzaine de minutes plus tard, à bout de souffle. Nous nous étions engouffrés dans une ruelle, quelque part dans le côté ouest de la ville, là où personne ne penserait — et ne voudrait — venir nous chercher. C'était l'endroit qui avait été le plus détruit par la guerre, dix ans plus tôt, et qui n'avait jamais été nettoyée. Des débris de n'importe quoi jonchaient le sol, des carcasses de toute sorte de véhicules obstruaient la voie.

Je me laissai tomber assis sur un bloc de béton, la tête entre les mains en reprenant mon souffle. Math s'appuya sur une voiture, en face de moi.

— T'avais raison, en fin de compte, dit-il au bout d'un long moment de silence. Cette histoire est loin d'être terminée.

— Alors tu me comprends, maintenant ? Je peux pas rester là à ne rien faire !

— Mais y'a rien de bien que tu puisses faire ?

Je secouai mollement la tête en regardant le paysage de désolation autour de nous. Ce qui était autrefois des maisons n'étaient plus que des trous remplis de morceaux de bois. Les tours n'avaient plus aucune fenêtre, toutes éclatée, et les immeubles ne ressemblaient plus qu'à des petites collines de bétons.

J'avais déjà survolé la place à plusieurs reprises, et même à cette distance, je la trouvais bien laide. Mais c'était la première fois que j'y étais vraiment... et d'ici, c'était bien pire.

— Toi aussi, tu avais raison quelque part, dis-je en reportant mon attention sur Math. Quand tu disais que ton père me fouetterait en prison. Et je suis sûr que, là, en refusant de suivre Stanton, c'était ce qu'il manquait comme prétexte pour m'y mettre. Le roi ne veut certainement pas que mon secret soit divulgué, et ce doit être ce qu'il pense que je vais faire. Les citadins vont le détester pour ce qu'il m'a fait. Il va m'envoyer en prison sans me laisser le temps de faire quoi que ce soit. Ou peut-être, en cas d'échec, faire croire à tout le monde que je suis un débile qui dit n'importe quoi... mais ça, c'est le rôle de Télio, pas le mien !

— Mais t'es pas le seul à le connaitre, ce secret. Il y a Télio, justement. Et Debbie, Saphie, Cynthia, moi...

— C'est pire ! m'écriai-je en me levant pour lui faire face. Vous risquez la prison, vous aussi, parce que vous le savez ! Vous êtes tous en danger à cause de moi !

— Ça ne tient pas debout, ce que tu dis ! Mon père est dans la ligue, tu te rappelles ? Il ne va pas me laisser aller en prison simplement parce que je sais quelque chose ! Au minimum, il fera son enquête. Et il connait lui aussi ton secret, alors il sera facile à convaincre, et par la suite, il se tournera contre le roi et il nous aidera ! Non, mais tu l'as déjà vu, le roi ? Balourd comme il est, il ne fera jamais le poids contre mon père ! (Math garda le silence quelques secondes, avant de laisser échapper un petit rire débile.) Le jeu de mots n'était pas voulu.

Je secouai la tête en m'asseyant à nouveau sur mon morceau de béton. Math n'avait pas tort... mais qu'est-ce qu'il me restait comme option, dans ce cas ?

— Alors on fait quoi ?

— On va voir mon père. Il nous aidera. Ou plutôt, ajouta-t-il alors que je me levais, j'y vais seul. Si sa tâche est de surveiller les grilles devant la propriété, s'aurait pas été un problème que tu viennes... mais c'est pas garantis, c'était déjà ce qu'il faisait hier, et si je me souviens bien, il ne fait jamais la même chose deux jours de suite, « pour éliminer un peu de monotonie », dit-il en imitant les guillemets. Moi, on me fera entrer, parce que les autres me connaissent bien et savent que je veux juste voir mon père... mais toi, si t'as aucune bonne raison d'être là, ils te laisseront dehors. Et moi aussi, du coup, car ils vont y trouver quelque chose de bizarre et ils vont me dire de revenir à vingt heures, quand il aura terminé de travailler.

— On peut pas attendre vingt heures. Peut-être que les ordres ont déjà été lancés pour qu'on nous attrape. Peut-être que tu ne pourras plus faire deux pas dans la ville sans te faire capturer !

— Non, je crois qu'on a encore le temps. Mais pas jusqu'à vingt heures, justement. Si je sors maintenant, ce sera bon. Jamais Stanton ne serait allé voir Remi pour tout lui répéter, que Remi se trouve quelqu'un pour aller livrer le message au roi, et que le message soit arrivé à destination... tout ça en quinze minutes. Du coup, je vais y aller maintenant. Pendant que toi, tu restes ici.

— Oh non, dis-je dans un rire dénué de joie. Je vais pas me tordre les pouces à attendre que tu reviennes — ce qui n'est pas garanti du tout ! Je te suis. De très haut, ajoutai-je au moment où Math ouvrait la bouche. En chauvesouris. On ne me remarquera pas, mais moi, j'entendrai tout.

— Tu sais, même de très haut, c'est assez facile de savoir quand c'est toi ! s'énerva Math en se redressant contre la voiture. Ta couleur, tes ailes, ta façon de voler, ça se différencie assez bien d'un quelconque oiseau !

— Je ne suis pas un oiseau, dis-je en roulant les yeux.

— Justement ! Tu es une chauvesouris ! Et en dehors de toi, quelles sont les chances d'en apercevoir une en plein jour ? Aucune ! Alors non, tu ne viens pas avec moi. On te remarquera tout de suite !

Je voulus répliquer, mais je ne trouvai rien à y redire. Je n'avais pas réalisé que j'étais si facilement reconnaissable. Je levai les yeux, comme pour vérifier s'il disait vrai, et un oiseau passa au même moment.

— Je suis plus petit qu'un aigle, quand même, dis-je en pointant le doigt vers le ciel.

— Mais tu ne sais pas voler aussi haut. Alors, on est d'accord ? Tu vas rester ici ?

Je haussai les épaules, enfouissant mes mains dans la poche avant de mon sweat. Je baissai aussitôt les yeux, une idée faisant son chemin dans mon esprit.

— Je suis beaucoup plus petit qu'un aigle... Et tu fais la même taille que moi ?

— Je crois bien. À quoi tu penses ?

— Prends mon sweat et je vais me cacher dans la poche !

Math éclata de rire, secouant la tête de gauche à droite. Il s'arrêta au bout de dix secondes, réalisant enfin que j'étais sérieux.

— J'ai pas envie de mettre ton sweat, ta suée dedans !

— S'te plait, Math ! Tu ferais quoi, à ma place, à être mis de côté ? Tu voudrais venir, hein ?

— Bah, tu sais, j'ai l'habitude.

Il y eut un long silence, alors que j'étais trop gêné pour ajouter quoi que ce soit. Parce qu'il fallait bien l'avouer ; Math avait raison.

— D'ailleurs, dit enfin Math, je sais même pas si je pourrais me fier sur toi. Et si tu venais et que tu faisais une crise de panique ?

— Je ferais pas de crise de panique ! grognai-je.

— Mais tu sais pas ! Ça se décide pas comme ça ! dit Math en levant les bras au ciel. T'en as fait une y'a pas quinze minutes !

— Y'a quinze minutes, j'ai passé à deux doigts de me faire ramener au sixième pour une opération ! J'avais de quoi paniquer ! hurlai-je à mon tour. Tu paniquerais aussi, à ma place !

— Oh, ça va, grogna-t-il en détournant le regard. T'as peut-être raison. Très bien ! Passe-moi ton sweat.

— Retourne-toi.

— Pudique, t'as peur que je voie ton nombril ?

— Retourne-toi !

— OK, souffla-t-il en levant les yeux au ciel.

Math se retourna et je retirai mon sweat à toute vitesse. Aussitôt fait, je me transformai et me mis à voler à deux mètres de hauteur, le reste de mes vêtements tombant en tas. Math. Il prit le sweat et l'approcha délicatement de son nez.

— Tu sues comme une fontaine, Miö, marmonna-t-il dans une grimace.

J'aurais voulu répliquer qu'il n'avait pas de quoi se plaindre, mais je me contentais de grogner, ce que Math ne remarqua même pas. Il poussa un long soupir, puis enfila mon sweat au-dessus de son teeshirt.

— Beurk, c'est vraiment poisseux ! On n'aurait pas pu, simplement, passer chez moi en premier, prendre une bonne douche, et choisir un de mes sweats bien propres ? (Il fit une pause, mais sembla enfin se rendre compte, au bout de cinq secondes, que je ne pouvais pas répondre.) Oh, c'est vraiment chiant... Allez, entre là-dedans !

Il ouvrit la poche en grand et j'y entrai. Je gardai la tête à l'intérieur pour ne pas me faire voir, mais je commençai déjà à étouffer. Trop peu d'air arrivait à passer, et la sueur emplissait mes narines, accentuées par mon odorat surdéveloppé de chauvesouris.

Math avait raison... mon sweat pue. Je ne sais pas comment faisait Bernadette pour aimer se blottir dans le fond de mes poches !

— La balade sera longue ! dit Math. Tu me chatouilles.

Avec un dernier soupir, Math se dirigea vers la maison du roi.

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