Chapitre 4 ✅
J'atterris tant bien que mal derrière un restaurant, reprenant forme humaine au même moment de toucher le sol de mes pieds, et ensuite mes fesses. Voilà, j'étais tombé. Je me relevai en jurant, époussetant la poussière qui m'était restée accrochée.
Si j'étais tombé, c'était à cause de ma jambe. Rien de plus !
En boitant, j'allai vers la petite boite de métal contre le mur extérieur de l'établissement, près de la benne à ordure. Je retirai le couvercle et m'habillai des vêtements qu'il contenait. Sweat bleu et jean troué, laissant apercevoir ma combinaison en dessous. Je laçai les bottes puis sortis un portefeuille, que je fouillai tout en marchant vers l'entrée du restaurant. Je poussai les portes d'un coup d'épaule et allai m'assoir au bar. Je me permis ensuite de regarder qui était là ; toutes les tables étaient occupées par des familles ou des couples, avalant docilement ce que le cuisinier leur avait concocté. À part moi qui étais tout bonnement incapable de digérer de la viande, personne ne pouvait choisir ce qu'on mangeait. Un seul menu était préparé, ce qui évitait les pertes, car les quelques vaches, cochons, poules, moutons et autre dont nous disposions n'étaient pas très nombreux. Et celui qui osait faire le difficile se méritait des coups de spatule derrière la tête de la part du chef.
Finalement, à force d'observer les clients, je reconnus un visage familier ; Cynthia, ma mère adoptive. Elle me remarqua au même moment et me lança un sourire et un signe de main. Je lui tournai le dos en jurant, préférant attendre d'avoir mon assiette avant de la rejoindre.
Je l'eus au bout d'une minute : une salade, comme à chaque fois. Je marmonnai un merci tout en laissant un dollar sur le comptoir, et le cuistot me répondit d'un regard noir. Il me détestait pour mes tendances végétaliennes. Enfin, j'allai à la table de Cynthia, m'asseyant à la place libre devant elle.
Elle avait beau ne pas être ma mère biologique, il fallait avouer qu'elle me ressemblait beaucoup. Nous avions le même teint pâle et précisément la même grandeur, un mètre soixante-cinq. Elle était rousse et avait le visage un peu tacheté de son. Elle n'avait que trente-deux ans, ce qui veut dire, avec un petit calcul, que si j'avais été son vrai fils, elle m'aurait eu à dix-sept ans. Mais vous savez ce qu'on dit : en amour comme à la guerre... tous les coups sont permis. Surtout en bas de la ceinture.
— Alors, mon chou, t'as passé un bon weekend ? dit-elle d'un air enjoué.
Je lui lançai un regard noir, sans trop savoir si elle était sérieuse ou si elle plaisantait. Dans tous les cas, c'était plutôt douteux, comme blague.
— Premièrement, je ne suis pas ton chou, dis-je aussi bas que possible pour que les autres clients ne nous entendent pas. Et deuxièmement, merde ! j'ai passé le weekend au lit, avec ma cuisse ouverte jusqu'à l'os !
— Oh, c'est vrai, excuse-moi, Miö, dit Cynthia, soudainement triste. J'avais oublié, pour ta jambe.
— Tu avais oublié, répétai-je, les dents serrées. Eh bien, maman, je peux voir que tu portes beaucoup d'intérêt à ton cher fils.
Cynthia secoua la tête, les yeux sur son assiette où trônait un steak minuscule. Elle continua son repas en silence et j'en fis de même, regrettant d'avoir croisé son regard. J'aurais très bien pu m'abstenir de sa présence en face de moi.
À chacune de nos conversations, ça finissait toujours pareil ; elle triste, et moi en colère. J'étais en colère contre tous ces efforts pour se faire passer pour ma mère alors que j'étais bien conscient que ce n'était pas le cas - j'avais vécu quinze ans sans figure maternelle, à quoi pouvait bien me servir de faire comme si j'en avais une maintenant ? Et elle était triste justement parce que je ne me laissais pas avoir dans ce petit jeu stupide.
— Est-ce que tu vas aller t'entrainer, ce soir ?
Je lui lançai un autre regard noir ; pas possible, elle était vraiment idiote. Comment voulait-elle que je m'entraine en quoi que ce soit avec ma jambe ?!
— Non.
J'avais essayé de le dire sur un ton passablement poli. J'avais échoué.
— Alors qu'est-ce que tu comptes faire, aujourd'hui ?
— J'en sais rien... me promener.
— Tu ne voudrais pas te reposer à la maison ? On se mettra un film... Allez, tu en as besoin.
— OK, comme tu veux, capitulai-je. Mais c'est pas parce que j'en ai envie.
— Miö...
Je haussai les épaules en baissant la tête, mordant dans une feuille de laitue de ma salade. Je n'aimais pas vraiment la laitue. Ce n'était pas un fruit, mais un légume. Mais tout ce que mon estomac acceptait, je le mangeais. Puisque ça me donnait une liste plutôt courte.
Cynthia termina de ronger son maigre steak et reposa bruyamment sa fourchette. Je levai les yeux vers elle, surpris par le son. J'avais les oreilles très sensibles, tout comme les chauvesouris.
— Tu pourrais faire un effort, Miö. Je suis censée être ta mère, et tu es censé m'aimer comme une mère.
— Disons que je fais ma crise d'adolescence.
— Ah, pour ça, on peut dire que t'es convaincant.
— Je serais au moins bon en quelque chose.
— Tu es excellent dans tout ce que tu fais ! À condition d'y mettre un peu d'effort...
Je marmonnai un « Mmh », sans insister. Cynthia soupira, avant de se lever et de passer sa main dans mes cheveux. Je restai impassible, les yeux dans mon assiette, attendant qu'elle parte. Mais comme je me décidai enfin à la regarder, elle rebroussa chemin et revint s'assoir à sa place.
— Qu'est-ce que tu fais ? Je croyais que tu sortais.
Cynthia secoua la tête avant de se pencher vers moi et de chuchoter :
— Deux gardes viennent d'entrer. Je veux savoir ce qu'ils font ici.
Je me retournai lentement sur ma chaise pour voir, comme elle avait dit, deux hommes en uniforme de police. Ils avaient l'habit, mais ce n'étaient pas des policiers ; eux ne se mêlaient quasiment jamais au simple citoyen. Pour le peu d'habitants que nous étions dans la cité, le crime était rare, mais tout de suite dénoncé. Ils n'avaient pas besoin de sortir de leur trou et de quêter les hors-la-loi. Or, c'était bien ce qu'ils semblaient faire présentement.
Les deux hommes foncèrent droit vers notre table, me regardant tous les deux dans les yeux. Mon cœur se mit aussitôt à battre drôlement fort ; visiblement, ils étaient là pour moi. Qu'est-ce que j'aurais fait de mal ?
— Salut, Miö, dit l'un d'entre eux une fois arrivé à notre hauteur.
Je répondis d'un vague sourire. Je n'avais aucune idée de son nom, mais je n'avais pas vraiment à m'inquiéter qu'ils sachent le mien ; j'étais un peu une célébrité pour mon don. Tout le monde me connaissait.
— Salut, dis-je enfin.
— Tu peux nous suivre dehors ?
Je lançai un regard de panique vers Cynthia, qui me renvoya la pareille. Nous pensions tous les deux la même chose ; est-ce que Jeremy s'était fait griller ?
— D'accord...
Si le problème vient vraiment de Jeremy, alors je n'ai rien à craindre.
Ils nous entrainèrent dans la ruelle derrière le resto, exactement où j'avais atterri un peu plus tôt. J'avais beau savoir que je n'avais rien fait de mal, ils me rendaient tout de même nerveux. Et le pire, c'était justement que, plus tard, je ferais le même métier qu'eux.
— Bon, Miö, on ne tournera pas autour du pot, dit le plus vieux d'un air las. Est-ce que tu t'es introduit chez le roi, aujourd'hui, vers dix heures ?
Ma mâchoire se décrocha sous l'étrangeté de cette question. Moi, m'introduire chez le roi ?! Je n'étais pas vraiment intéressé par des choses, et par l'argent encore moins ; elle était tellement futile que j'avais même entendu dire qu'il envisageait sérieusement d'abolir le système monétaire.
— Bien sûr que non ! m'écriai-je. J'étais en cours. Demandez à qui vous voudrez, ils vous le confirmeront.
— T'énerve pas, j'en suis bien conscient. Il fallait tout de même qu'on te pose la question... Quelqu'un a volé quelque chose dans le coffre-fort du roi et le fautif s'est enfui, mais on a eu le temps de se faire une assez bonne idée de son apparence ; c'était ton portrait craché.
— Mais...
J'échangeai un regard avec Cynthia, à ma droite ; elle me dévisageait, bouche bée.
— Miö ? murmura-t-elle.
— Non ! Je vous jure, c'était pas moi ! J'étais en cours !
— Ça va, Miö, on te croit ! dit le deuxième type. On sait que tu étais en cours ; on a mené notre petite enquête avant de venir te voir. On sait que t'es innocent. Seulement, le roi veut tout de même te rencontrer. Il faut qu'on te conduise à lui. Alors, tu nous suis ?
— J'ai pas vraiment le choix, marmonnai-je.
— Non, justement. Et tu ne vas pas t'envoler dès qu'on aura le dos tourné ?
— Je peux pas si je porte des vêtements... mon autre forme va rester coincée dedans, et j'aurais l'air d'un parfait idiot...
Les deux gardes éclatèrent de rire, imaginant sûrement la scène. Je baissai la tête, dépitée. C'était vraiment ma pire journée depuis longtemps.
— Allez, suis-nous. Pas vous, dit l'homme en voyant Cynthia qui s'avançait. Le roi préfère qu'il n'y ait que lui.
— Ça va, m'man, t'as qu'à aller choisir un film au club vidéo. Ça devrait pas prendre une éternité...
— Ça ne devrait pas, confirma le plus petit des deux.
Cynthia hocha la tête, ouvrit la bouche pour parler, mais se ravisa à la dernière seconde. Puis, finalement, elle fit un timide « à plus tard » avant de retourner vers le resto, probablement pour ramasser les restes de ma salade.
Enfin, les deux gardes et moi, nous partîmes en direction de la maison du roi ; je n'avais aucune idée à quoi elle ressemblait, mais je savais qu'elle était à l'autre bout de la cité. Et bien sûr, le seul moyen de transport disponible était nos pieds. Merci, Jeremy.
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