Chapitre 38 ✅
Ça faisait longtemps que je n'avais pas aussi bien dormi.
Hier, il n'était certainement pas plus de neuf heures quand je m'étais effondré de fatigue. Et maintenant, mon réveil m'indiquait que nous étions déjà près de midi.
Télio avait été plus gentil que prévu ; il m'avait vraiment trainé jusqu'à mon lit. J'avais plutôt imaginé que, malgré tant de bonté insoupçonnée, il m'aurait abandonné dans l'entrée. Mais non. J'étais dans mon lit.
Pendant un instant, l'idée que j'avais rêvé la journée d'hier et que nous étions toujours vendredi me vint, et je me levai d'un bond ; je suis en retard pour les cours. Mais quand je baissai la tête vers mes vêtements, l'évidence me sauta aux yeux ; je n'avais pas l'habitude de dormir en jeans.
Nous étions samedi, donc, et pas de cours. En revanche, je devais encore aller à la piste. Mais c'était à deux heures, j'avais amplement le temps de relaxer.
Puis je me souvins que Télio se devait d'être quelque part en ville, et l'idée de paresser jusqu'à deux heures disparut aussitôt qu'elle était apparue. Qu'est-ce que Télio pouvait bien faire présentement ? Comme à son habitude, certainement rien de bon.
Je me levai lentement de mon lit, encore un peu groggy, puis troquai mes vêtements pour un jogging et sweat. Je cherchai depuis cinq longues minutes pour ma combinaison avant de me rappeler que, la veille, je l'avais mise dans le panier de linge sale.
— Cynthia ? dis-je en sortant de ma chambre. T'as fait un lavage ?
Arrivée au salon, je figeai en remarquant Cynthia et Télio, assis côte à côte et regardant un film sur la télé. En me voyant, Télio me fit en coucou avec un grand sourire, et Cynthia écarquilla les yeux, avant de plaquer sa main sur sa bouche.
— Je parie que t'as dit être moi, soupirai-je.
— Ouais, bah comprends-moi, elle m'aurait foutu dehors, dit Télio en haussant les épaules. Mais j'espère que ça t'embête pas ? C'était soit ça, soit m'occuper ailleurs en attendant ton réveil. Voler le roi était très tentant... Mais ! s'écria-t-il en levant un stylo qu'il tenait à la main, je suis resté. Et j'ai bien pensé que, quand tu te reviendras enfin à toi, la pauvre Cynthia ne saura plus qui est qui. Alors, je me suis arrangé pour nous créer quelques différences physiques.
— Quoi ?
Télio ne répondit rien, me faisant signe de me taire en pointant la télé ; une scène d'action avait commencé. Cynthia se leva d'un bon du canapé pour foncer droit vers moi et m'agrippa une épaule pour m'entrainer un peu plus loin, vers la cuisine. Elle semblait nerveuse – compréhensible, à savoir qu'elle venait de passer au moins une heure avec Télio en pensant que c'était moi — et à deux doigts de la crise de fou rire.
— Qu'est-ce qu'il a fait ? demandai-je.
— Contre moi ? Rien de mal. En revanche...
N'y tenant plus, Cynthia éclata d'un rire si énorme que j'entendis le voisin d'au-dessus rouspéter. Enfin, Cynthia leva le doigt pour pointer quelque chose derrière moi et je me retournai ; un miroir. Je croisai mon regard, et... la moustache mexicaine que m'avait dessinée Télio.
— Télio ! hurlai-je en allant au salon.
— Oui ? répondit-il en toute innocence.
Je fixai d'un œil noir le stylo qu'il tenait toujours.
— À quoi tu joues ?
— À rien. Je voulais juste faciliter la tâche à Cynthia de nous reconnaitre, dit-il avec un sourire gentil.
Ne supportant plus ses changements de sujet, je m'élançai vers lui pour lui voler son feutre. Malgré qu'il regardait encore la télé, il s'était préparé à mon attaque. Il décapuchonna le stylo et le pointa vers moi comme s'il s'agissait d'une épée. Je lui agrippai le poignet pour l'éloigner de mon visage, tentant de le lui arracher de mon autre main, mais Télio m'attrapa le deuxième bras. À court de main, Télio me donna un coup de pied sur la jambe et je lui écrasai le pied. Il tomba dos sur le canapé, puis il m'enfonça son genou dans le ventre. Il me poussa au sol et me grimpa dessus, stylo en l'air. Trois centimètres en séparaient la pointe de mon front quand je parvins à le faire basculer de côté. Je le dominai à mon tour, réussissant enfin à lui prendre le feutre, prêt à lui faire un beau dessin au visage par pure vengeance.
— Stop ! s'écria Cynthia qui avait réussi à réprimer son hilarité. Arrête, Miö, lâche-le !
— Ouais, lâche-moi !
Je soupirai, capitulant. Je me levai et tendis une main pour Télio. Il accepta mon aide en riant, et quand il fut debout, je lui fis une longue ligne sur sa joue avec le stylo avant qu'il ne se dégage en grognant. Ce fut mon tour de rire.
— Ah, Miö, soupira Cynthia en secouant mollement la tête. Je t'ai connu plus mature que ça.
— Non, c'est bien ! s'écria Télio. Il est en voie de retirer le balai qu'il a dans le cul !
— Attends un peu que j'en enfonce un dans le tien !
— C'est ton rêve, de m'enfoncer un truc dans le cul ? dit Télio dans une grimace.
— Seigneur, vous n'allez pas la fermer ?! s'exclama Cynthia. Lavez-vous le visage et sortez de mon appart ! Bien sûr, Miö, tu seras toujours le bienvenu ici, dit-elle en reprenant un ton plus doux, mais pas avec lui !
— Et pourquoi pas ? dit Télio d'un air attristé, la main sur le cœur. On n'est techniquement la même personne !
— On est jumeau, pas clone ! m'énervai-je. Allez, viens !
Télio ne répliqua rien et me suivit jusqu'à la salle de bain. Je lui donnai une serviette pendant que j'essayai d'effacer ma moustache à coup de savon et d'eau chaude.
— Je savais qu'il y avait quelque chose. Tu peux jamais rester tranquille.
— Oh, ça va, c'était juste une blague... Mais c'était une belle vengeance ; j'ai dû te trainer de la tour jusqu'ici, hier soir ! Ça parait pas, mais t'es lourd !
Je haussai les épaules dans un grognement. J'avais réussi à effacer le côté droit de la moustache et je m'attaquai maintenant au gauche ; Télio avait déjà terminé de retirer la ligne sur sa joue, ne laissant qu'une plaque de peau rosie. Je croisai son regard dans la glace, tous deux dans la même position, à s'essuyer le visage avec une serviette. Ça me tordait toujours un peu l'estomac à nous voir côte à côte et si identique. Moi-même, je devais chercher les différences, et elles étaient rares ; ses cheveux à peine plus pâles que les miens, les deux centimètres qu'il avait de plus que moi. Le reste ne s'apercevait pas dans le miroir, devant nous.
— Tu ressembles à Hitler, avec plus qu'un milieu de moustache, dit Télio.
Il leva le bras en l'air en marmonnant heil hydra ! et je pouffai de rire en comprenant qu'il tenait ses références historiques de Captain America. Télio ne réalisait même pas qu'il avait dit, mais je me rendis compte par la suite que sa soudaine morosité était due à autre chose. Je ne savais pas ce que c'était, mais il semblait triste, alors qu'il continuait de regarder nos reflets dans le miroir.
— Ça va pas ? demandai-je.
— Oh si, numéro un ! dit-il en faisant un grand sourire.
Mais c'était évident, son sourire était faux.
Je frottai encore pour effacer totalement ma moustache, ne laissant qu'une bouche entourée de peau rosée. Je préférai encore ne pas poser de questions ; j'avais toujours de la difficulté à imaginer Télio autrement que le méchant de l'histoire. Même si, par moment, je le voyais de plus en plus comme un simple ado en pleine crise existentielle.
Je laissai tomber ma serviette dans le lavabo et risquai un regard en direction de la cuisine. Je ne voyais pas Cynthia, elle était certainement retournée au salon, ou peut-être à sa chambre. L'un comme l'autre était assez éloigné pour qu'elle ne nous entende pas.
Je fermai la porte avant de me mettre droit devant Télio, qui haussa les sourcils.
— Pourquoi tu fermes la porte ? J'ai raison d'avoir peur ?
— On doit faire quelque chose.
— Alors là, c'est avec Debbie qu'il faut voir, pas moi, dit Télio dans une grimace.
— Crétin ! m'énervai-je en lui lançant un pain de savon au visage. Je parle du roi ! Je veux me venger, tu te souviens ?
— Oh, t'étais sérieux... J'avais eu espoir que t'abandonnes, puisque, bah... c'est certainement une mauvaise idée. Écoute, si, moi, je le pense, c'est que j'ai forcément raison. C'est une mauvaise idée !
— Peut-être bien, soupirai-je. Mais... je peux pas rester là, à rien faire ! Si je ne fais rien contre le roi, c'est Remi qui va faire des expériences sur mon corps. J'imagine que ça aussi, tu dois être conscient que ce n'est pas très agréable à vivre !
— Tu pourrais simplement quitter la ville, dit Télio en haussant les épaules. Il reste de la place dans le village.
— Et manger des patates huit mois par année ? Plutôt mourir !
— Miö, tu ne peux pas... commença Télio dans un soupir.
— Non, arrête, je sais ce que je veux, et ce que je vais faire ; me venger au roi, directement ! Et tu vas m'aider, c'est justement pour ça que tu es là. En quoi ça te fait un problème, de toute façon ? T'es toujours en train de lui voler de la bouffe !
— Ouais, mais c'est parce que j'en ai besoin ! On n'a pas assez de nourriture pour tout mon village ; il faut bien que quelqu'un aille en chercher ailleurs !
— J'en ai rien à faire, c'est pas la question du moment ! Tout ce que je veux, c'est... me venger.
— D'accord ! soupira Télio en s'appuyant sur le lavabo. Si je peux pas te faire entendre raison, il me reste plus qu'à t'aider.
— Exactement !
— Alors, dis-moi. Tu veux lui faire du mal physiquement, ou psychologiquement ?
— Psychologiquement.
— Oh, ça devient vraiment inutile, dit Télio en levant les yeux au ciel. Encore si j'aurais pu lui enfoncer un chandelier dans son énorme postérieur... Mais si tu veux faire un truc psychologique, on pourrait faire d'une pierre deux coups ; tu m'aides à lui prendre de la nourriture et à la rapporter à mon village.
— OK, dis-je en haussant les épaules — je devais bien admettre qu'ils en avaient besoin, de toute façon. Dans le fond, t'es qu'un genre de Robin des bois.
— C'est qui, lui ?
— Faut vraiment que tu revoies tes classiques... Mais bon, voler, c'est bien, mais c'est pas assez. J'aimerais faire un truc un peu plus... méchant !
Télio éclata de rire en secouant la tête :
— Quel revirement de situation ! J'essaye de faire de moi une meilleure personne pendant que toi, tu cherches à faire le méchant.
— Mais le roi l'a bien mérité ! J'en ai marre de n'être qu'un gentil cobaye !
— Là-dessus, je te comprends... Bon, je te propose un truc. On commence par le vol, et si des idées nous viennent entre temps, on le fera sur le coup. OK ?
Je hochai la tête dans un soupir ; c'était tout sauf un plan, mais c'était déjà mieux que rien.
— Tien, je viens de me rappeler, dis-je au moment où Télio s'éloignait en direction de la porte. Je crois que j'ai oublié de te dire un truc... Samy avait eu l'intention de le dire à toi, mais puisque tu te faisais passer pour moi à ce moment-là, elle a assumé le contraire et elle m'a montré, à moi, ce qu'elle aurait dû te montrer. Alors...
Je pris un mouchoir et le stylo que j'avais toujours dans la poche de mon jogging et me mit à gribouiller pour retrouver mes idées, essayant de recopier en modèle réduit tout ce qui était écrit sur le papier.
— Voleur, espion, soldat, lut Télio au-dessus de mon épaule.
— C'était trois listes d'animaux qui correspondaient bien. Chauvesouris était sous espion et hibou sous voleur.
— Très bien classé, dit Télio avec fierté. C'est Samy qui l'a fait ?
— C'était dans la clé USB que tu avais volé.
Le sourire de Télio disparut aussitôt, les yeux écarquillés.
— Puisque c'était au roi, je la lui ai rendue et je lui ai posé la question... il m'a dit qu'il n'avait aucune idée de ce qu'elle contenait, qu'il a eu cet USB en héritage de son père...
— Une USB en héritage ? répéta Télio dans une grimace. Ça valait, quoi, dix dollars ? Vingt ? OK, c'était les dernières choses de son défunt père... mais là, c'est exagéré.
Je gardai le silence, songeur. Je n'avais pas pensé à ça.
— Tu crois que ça aurait un lien avec le vieux ?
Télio secoua vivement la tête de gauche à droite, les yeux rivés sur le mouchoir que je tenais toujours à deux mains.
— Avoue que c'est bizarre, quand même. J'arrive pas à comprendre...
— C'est sans importance, pour le moment ! me coupa Télio en m'arrachant le mouchoir des mains. Et j'ai pas envie de penser à tout ça alors que j'ai l'estomac complètement vide. Je vais aller manger... dans mon village. Je reviendrais ce soir, au crépuscule. Au dixième étage. On se retrouvera là et on ira faire ce que tu veux à ton roi. À plus !
Télio quitta aussitôt la pièce sans me laisser le temps de répliquer quoi que ce soit. Quand je sortis à mon tour de la salle de bain, la porte d'entrée claquait déjà.
Je baissai les yeux vers le stylo, intrigué par son comportement. Est-ce qu'il avait menti quelque part ? Mais non, il était meilleur menteur que ça ; il n'aurait pas agi aussi bizarrement si ç'avait été le cas. C'était certainement la situation qui le mettait mal à l'aise. Cette histoire de liste... le roi... et le vieux. Tous impliqué dans cette machination qui ne faisait pour moi ni queue ni tête. Pour l'instant.
Mais peut-être que Télio en savait plus que moi...
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